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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/23553/2021

ACJC/1034/2022 du 08.08.2022 sur JTBL/71/2022 ( SBL ) , JUGE

Recours TF déposé le 14.09.2022, rendu le 08.03.2023, CASSE, 4A_385/2022, 4A_385/22
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23553/2021 ACJC/1034/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du LUNDI 8 AOUT 2022

 

Entre

1) A______ SA, sise ______[GE],

2) Monsieur B______, domicilié ______ (France),

3) Monsieur C______, domicilié ______[GE], appelants et recourants contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 27 janvier 2022, comparant tous trois par Me François ROULLET, avocat, rue Ferdinand-Hodler 11, 1207 Genève, en l'étude duquel ils font élection de domicile,

et

D______ SA, sise ______[GE], intimée, comparant par Me Yves JEANRENAUD, avocat, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/71/2022 du 27 janvier 2022, le Tribunal des baux et loyers, statuant par voie de procédure sommaire, a condamné A______ SA, C______ et B______ à évacuer immédiatement de leur personne, de leurs biens ainsi que toute personne dont ils sont responsables, l'arcade commerciale d'environ 280 m2 au rez-de-chaussée, le local de 314 m2 au 1er sous-sol et la dépendance au 2ème sous-sol de l'immeuble sis 1______ à Genève (ch. 1 du dispositif), autorisé D______ SA à requérir l'évacuation par la force publique de A______ SA, C______ et B______, dès l'entrée en force du jugement (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3), et dit que la procédure était gratuite.

En substance, s'agissant tout d'abord du prétendu manque de clarté des loyers réclamés dans la mise en demeure, invoqué par les locataires pour contrecarrer le cas clair, les premiers juges ont retenu que ceux-ci commettaient un abus de droit en se prévalant du fait que le loyer ne serait pas assujetti à la TVA, contrairement au montant réclamé, puisque la part de loyer hors TVA était aisément déterminable et n'avait pas été payée.

Ensuite, le Tribunal a considéré que la jurisprudence de la Cour relative au paiement du loyer de locaux commerciaux pendant la pandémie, en particulier lorsque la fermeture avait été ordonnée par les autorités tant cantonales que fédérales, selon laquelle le cas n'était pas clair, ne valait pas dans la présente espèce. En effet, les fermetures générales des établissements ordonnées n'avaient eu aucun impact sur l'exploitation des locaux en question dans la mesure où celle-ci était inexistante puisque les travaux d'aménagement n'étaient toujours pas terminés et que l'établissement n'avait jamais ouvert.

B. a. Par acte expédié le 10 février 2022 à la Cour de justice, A______ SA, C______ et B______ (ci-après : les locataires ou les appelants) forment appel et recours contre ce jugement, reçu le 4 février 2022, sollicitant son annulation. Cela fait, ils concluent, sur appel et sur recours, à ce que la requête en évacuation formée par D______ SA soit déclarée irrecevable et au déboutement de cette dernière de toutes ses conclusions.

b. Par mémoire réponse du 24 février 2022, D______ SA a conclu au rejet de l'appel et du recours, à la confirmation du jugement et au déboutement de ses parties adverses de toutes autres conclusions.

c. Par arrêt présidentiel du 1er mars 2022, la Cour a déclaré sans objet la requête de A______ SA, C______ et B______ tendant à la suspension de l'effet exécutoire attaché au jugement entrepris.

d. Les appelants ont persisté dans leurs conclusions, par réplique du 7 mars 2022.

e. L'intimée n'ayant pas dupliqué, les parties ont été avisées par pli du greffe du 28 mars 2022 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Depuis le 11 octobre 2019, D______ SA, en qualité de bailleresse, et B______ et C______, en qualité de locataires, se sont liés par un contrat portant sur la location d'une arcade commerciale d'environ 280m2 au rez-de-chaussée, sur un local de 314m2 au 1er sous-sol et sur une dépendance au 2ème sous-sol de l'immeuble sis 1______ à Genève.

Les locaux étaient destinés à l'exploitation d'une brasserie/restaurant/bar.

Le bail a été conclu pour une durée déterminée de dix ans, soit jusqu'au 10 octobre 2029, moyennant un loyer échelonné.

Les locataires déclaraient avoir visité les locaux de manière complète, lesquels étaient acceptés en l'état. Ils étaient autorisés à aménager et à modifier à leurs propres frais les locaux loués en fonction de leurs besoins. La bailleresse ne participait pas aux travaux d'aménagement à effectuer par les locataires, sous réserve du remplacement des vitrines (art. 5).

Le loyer mensuel, pour l'ensemble des surfaces d'activité, échelonné et indexé, a été fixé à 15'000 fr. dès le 11 octobre 2019, à 18'000 fr. dès le 11 octobre 2020 et à 20'000 fr. dès le 11 octobre 2021 et jusqu'au 10 octobre 2029.

En raison des travaux d'aménagement devant être entrepris, une gratuité de loyer de six mois et demi, soit du 11 octobre 2019 au 30 avril 2020, a été accordée aux locataires. L'acompte forfaitaire pour charges et frais accessoires de 1'638 fr. 75 par mois était en revanche dû par les locataires dès l'entrée en vigueur du bail.

b. Par avenant n° 1 du 12 décembre 2019, A______ SA, inscrite au Registre du commerce de Genève le ______ 2019, a repris l'ensemble des droits et obligations du contrat de bail du 11 octobre 2019.

c. Par courrier du 1er avril 2020, les locataires ont sollicité une nouvelle période de gratuité de loyer jusqu'au 31 décembre 2020, du fait que les travaux d'aménagement avaient pris du retard, pour des raisons techniques et administratives. Ils espéraient recevoir les autorisations nécessaires au 30 juin 2020, ce qui n'était pas garanti compte tenu de la crise liée au COVID-19.

d. Par avenant n° 2 du 18 mai 2020, les parties ont convenu de porter le loyer mensuel pour l'ensemble des surfaces à 20'000 fr., du 1er mai 2020 au 10 octobre 2029. Une gratuité supplémentaire de huit mois, du 1er mai au 31 décembre 2020 était accordée aux locataires. Si les travaux d'aménagement étaient terminés avant cette dernière date, le loyer deviendrait immédiatement exigible. Il serait dû dès le 1er janvier 2021, même si les travaux n'étaient pas achevés.

La bailleresse prenait en charge le remplacement des vitrines et s'engageait à verser aux locataires un montant forfaitaire maximal de 137'242 fr. 90. Elle finançait en outre la rénovation complète de la marquise, à hauteur de la somme maximale de 116'195 fr. 29. Le paiement de ces montants forfaitaires serait effectué au fur et à mesure de l'avancement des travaux, sur remise des demandes d'acomptes et factures d'aménagement émises par les sociétés mandatées par les locataires (art. 2).

e. Par courrier du 21 janvier 2021, la bailleresse a mis les locataires en demeure de s'acquitter de la somme de 34'748 fr. 75 (20'000 fr. de loyer et 14'748 fr. 75 d'acomptes de charges) dans un délai de dix jours. Elle attirait leur attention sur le fait qu'ils n'étaient pas éligibles pour bénéficier de l'accord tripartite d'exonération pour certains loyers commerciaux reconduit pas les autorités cantonales, dans la mesure où l'établissement n'avait pu être ouvert en raison des travaux, et où en tout état le loyer dépassait la limite fixée dans ce cadre.

f. Par courriel du 5 février 2021, la bailleresse, faisant suite à une rencontre entre les parties le jour précédent, a consenti un délai de paiement aux locataires, selon les termes suivants: versement de 3'277 fr. 50 (acomptes pour charges des mois de janvier et février 2021) d'ici au 15 février 2021, de 61'638 fr. 75 (loyers de janvier à mars 2021 et acompte de mars 2021) d'ici au 31 mars 2021 et paiement du loyer et de l'acompte dès le mois d'avril 2021.

Le premier versement n'a pas été effectué, malgré l'engagement par courriel du 16 février 2021 des locataires d'y procéder dans la semaine. Le 4 mars 2021, les locataires ont affirmé avoir mis en place une ligne de crédit pour effectuer les virements en suspens et se sont engagés à effectuer les paiements et à mettre en place des ordres permanents dès réception des fonds. Le 25 mars 2021, ils ont confirmé à la bailleresse que les paiements interviendraient dès le 31 mars 2021. Le 26 avril 2021, ils indiquaient que le crédit serait opérationnel le 28 avril 2021, et qu'ils pourraient alors faire face à tous les investissements prévus. Le 7 mai 2021, aucun versement n'avait été effectué.

g. Entre temps, par avis comminatoires du 28 avril 2021, la bailleresse, après avoir renoncé "pour l'heure" à réclamer le versement des acomptes pour l'année 2020, a mis en demeure les locataires de lui régler dans les 30 jours le montant de
93'219 fr. 75 correspondant aux loyers (86'160 fr.) et acomptes provisionnels (7'059 fr. 75) pour les mois de janvier à avril 2021, TTC, et les a informés de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l'art. 257d CO.

Les montants réclamés s'entendaient TVA comprise.

h. Le 7 juin 2021, les locataires ont versé 20'000 fr. à la bailleresse, avec la mention "loyer juin 2021".

i. Le même jour, d'un commun accord, les parties ont requis la libération de la garantie de loyer d'un montant de 108'000 fr. constituée auprès de la Banque E______ de F______ [GE].

j. Par avis comminatoires du 10 septembre 2021, la bailleresse a de nouveau mis en demeure les locataires de lui régler dans les 30 jours le montant de 81'744 fr. 35 correspondant à une partie du loyer du mois de juin (10'064 fr. 65), à l'acompte provisionnel des mois de juin à septembre ( 7'059 fr. 70) et aux loyers des mois de juillet à septembre 2021 (64'620 fr.), et les a informés de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l'art. 257d CO.

Les montants réclamés comprenaient la TVA.

k. Par courrier électronique du 7 octobre 2021, les locataires ont précisé avoir réglé 128'000 fr. du 1er janvier au 31 juillet 2021, soit 6.4 mois, restant devoir 12'000 fr. pour le mois de juillet 2021, et se sont engagés à verser 72'000 fr. d'ici au 15 octobre 2021, correspondant au solde de 12'000 fr. et aux loyers d'août à octobre 2021. Il était précisé que le loyer convenu n'était pas assujetti à la TVA.

l. Considérant que la somme en question n'avait pas été réglée dans le délai imparti, la bailleresse a, par avis officiels du 20 octobre 2021, résilié le bail pour le 30 novembre 2021, référence étant faite à la mise en demeure du 10 septembre 2021. Dans le courrier d'accompagnement, la bailleresse se réservait de réclamer, à titre de dommages-intérêts, les loyers qu'elle n'aurait pas pu encaisser du fait de la résiliation anticipée, ainsi que les contributions aux frais d'aménagement des locataires et les gratuités accordées à ces derniers.

m. Le 18 novembre 2021, les locataires ont contesté ledit congé par devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers. Ils ont exposé que les premiers travaux entrepris avaient été stoppés par le confinement, qu'il était devenu difficile d'obtenir un financement à cause de la crise sanitaire, qui rendait hasardeuse et risquée l'ouverture d'un établissement. Ils ont fait valoir n'avoir pas été en mesure d'exploiter le restaurant entre le 1er janvier et le 31 mai 2021, du fait de l'ordonnance 2 COVID-19 et des différents arrêtés du Conseil d'Etat, ce défaut devant emporter réduction voire suppression du loyer; l'application de la clausula rebus sic stantibus devait conduire à une réadaptation du contrat dans le sens d'une prolongation de la gratuité du loyer; le congé était abusif, la bailleresse faisant totalement fi de la crise sanitaire et des efforts consentis par les locataires.

n. Par requête en protection du cas clair déposée au Tribunal le 2 décembre 2021, la bailleresse a conclu à l'évacuation des locataires des locaux loués et sollicité des mesures d'exécution, sous menace de l'art. 292 CP.

o. Lors de l'audience du 27 janvier 2022, les locataires ont conclu à l'irrecevabilité de la requête. D'une part, le montant des loyers réclamés manquait de clarté, référence faite à la TVA. D'autre part, conformément à un arrêt ACJC/1181/2021 du 20 septembre 2021, le cas n'était pas clair.

La bailleresse, pour sa part, a persisté dans ses conclusions. Elle a précisé que le montant des loyers n'avait jamais été contesté et était établi. Par ailleurs, depuis juin 2021, plus aucun montant n'avait été payé. Enfin, l'établissement n'avait jamais ouvert de sorte que la jurisprudence alléguée n'était pas applicable. Enfin, les locataires auraient pu trouver du financement entre octobre 2019 et mars 2020 et les travaux n'avaient quasiment pas été suspendus pendant la période de COVID à Genève.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Lorsque la décision de première instance a été rendue en procédure sommaire, le délai pour l'introduction du recours est de dix jours (art. 321 al. 2 CPC). La procédure sommaire s'applique à la procédure de cas clair (art. 248 let. b CPC).

Les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1; 4A_72/2007 du 22 août 2007 consid. 2).

La valeur litigieuse est déterminée par les dernières conclusions de première instance (art. 91 al. 1 CPC; Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 13 ad art. 308 CPC).

Lorsque la contestation porte sur la validité d'une résiliation de bail, ou que le locataire requiert la constatation de la nullité ou de l'inefficacité du congé, la valeur litigieuse est égale au loyer, provisions pour frais accessoires incluses, dû pour la période pendant laquelle le bail subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, c'est-à-dire jusqu'au jour où un nouveau congé pourra être donné. En pratique, il convient de prendre en considération le loyer et les frais accessoires pour la période de trois ans de l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 111 II 384 consid. 1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_87/2012 du 10 avril 2012 consid. 1.1).

1.2 En l'espèce, au vu du montant du loyer, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte contre le prononcé de l'évacuation.

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

1.5 La voie du recours est ouverte contre la décision du Tribunal relative à l'exécution de l'évacuation (art. 309 let. a et 319 let. a CPC).

La recevabilité du recours, succinctement motivé, peut demeurer indécise compte tenu de l'issue de l'appel.

2. Les parties allèguent des faits nouveaux en lien avec les travaux d'aménagement et les autorisations y relatives.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuves nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).

Les exigences posées par l'art. 257 al. 1 CPC doivent être satisfaites en première instance déjà et le juge d'appel ne saurait contrôler l'appréciation du tribunal sur la base de pièces différentes, fussent-elles recevables au regard de l'art. 317 al. 1 CPC (arrêts du Tribunal fédéral 4A_420/2012 du 7 novembre 2012 consid. 5; 4A_312/2013 du 17 octobre 2013 consid. 3.2). Il en va de même des faits nouveaux, étant souligné que, dans la mesure où la maxime des débats est applicable à la procédure de protection dans les cas clairs, tout fait non contesté est un fait prouvé (cf. ATF 144 III 462 consid. 3.3.2).

2.2 Ainsi, les allégations nouvelles ne sont pas recevables.

2.3 Les faits notoires sont ceux dont l'existence est certaine au point d'emporter la conviction du juge, qu'il s'agisse de faits connus de manière générale du public ou seulement du juge. La situation générale en Suisse après l'apparition du coronavirus (COVID-19) et les conséquences générales des mesures prises dans le contexte doivent être considérées comme des faits notoires (arrêt du Tribunal fédéral 5A_467/2020 du 7 septembre 2020 consid. 5.3), qui ne doivent pas être prouvés (art. 151 CPC). En revanche, l'impact concret et individuel de la pandémie doit être prouvé.

3. Les appelants font grief au Tribunal d'avoir considéré que le cas était clair. Les incertitudes et conséquences de la crise sanitaire du COVID-19 avaient modifié l'économie du contrat; la question de l'application de la clausula rebus sic stantibus devait être examinée dans une procédure ordinaire.

3.1
3.1.1
Aux termes de l'art. 257 al. 1 et 3 CPC, relatif à la procédure de protection dans les cas clairs, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque les conditions suivantes sont remplies : (a) l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé et (b) la situation juridique est claire (al. 1); le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (al. 3).

Selon la jurisprudence, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur; il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée : le demandeur doit ainsi apporter la preuve certaine des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance ne suffit pas. Si le défendeur fait valoir des objections et exceptions motivées et concluantes, qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du juge, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620 consid. 5.1.1 et les arrêts cités).

La situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 138 III 123 consid. 2.1.2, 620 consid. 5.1.1, 728 consid. 3.3). En règle générale, la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du juge ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 144 III 462 consid. 3.1 et les arrêts cités). Si le juge parvient à la conclusion que ces conditions sont remplies, le demandeur obtient gain de cause par une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire (ATF 138 III 620 consid. 5.1.1). Si elles ne sont pas remplies et que le demandeur ne peut donc obtenir gain de cause, le juge ne peut que prononcer l'irrecevabilité de la demande. Il est en effet exclu que la procédure puisse aboutir au rejet de la prétention du demandeur avec autorité de la chose jugée (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 140 III 315 consid. 5; arrêt du Tribunal fédéral 4A_600/2017 du 7 janvier 2019 consid. 3.3).

Selon l'art. 257d al. 1 et 2 CO, lorsque le locataire a reçu la chose louée et qu'il tarde à s'acquitter d'un terme ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de paiement et lui signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail. Le délai doit être d'au moins trente jours pour les baux d'habitations ou de locaux commerciaux (al. 1). A défaut de paiement dans le délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les baux d'habitations ou de locaux commerciaux peuvent être résiliés avec un délai de congé minimum de trente jours pour la fin d'un mois (al. 2).

Si le cas est clair, afin d'obtenir rapidement l'évacuation forcée des locaux loués, le bailleur peut mettre en œuvre la procédure sommaire prévue par l'art. 257 CPC alors même que le locataire a éventuellement introduit une action en annulation du congé sur la base des art. 271, 271a et 273 CO; la litispendance n'est alors pas opposable au bailleur (ATF 141 III 262 consid. 3 p. 263).

Selon la jurisprudence, la résiliation fondée sur l'art. 257d al. 2 CO n'est contraire aux règles de la bonne foi, et donc annulable sur la base de l'art. 271 al. 1 CO, que dans des circonstances particulières. L'annulation entre en considération lorsque le bailleur a réclamé au locataire, avec menace de résiliation du bail, une somme largement supérieure à celle en souffrance, alors qu'il n'était pas certain du montant effectivement dû (ATF 120 II 31 consid. 4b p. 33). L'annulation entre aussi en considération lorsque l'arriéré est insignifiant, ou lorsque ce montant a été réglé très peu de temps après l'expiration du délai comminatoire, alors que, auparavant, le locataire s'était toujours acquitté à temps du loyer, ou encore lorsque le bailleur ne résilie le contrat que longtemps après l'expiration de ce même délai (arrêts du Tribunal fédéral 4A_472/2008 du 26 janvier 2009 consid. 5.3.1, RtiD 2009 II 681; 4C.430/2004 du 8 février 2005 consid. 3.1, SJ 2005 I p. 310/311).

3.1.2 Selon la règle pacta sunt servanda, les termes du contrat doivent en principe être respectés. Une exception à la règle est la clausula rebus sic stantibus, fondée par le Tribunal fédéral sur l'art. 2 CC et par la doctrine sur la compétence du juge de combler les lacunes. Selon la clausula, une adaptation du contrat peut entrer en ligne de compte lorsque les circonstances dans lesquelles il a été conclu se sont modifiées à tel point que le maintien du contrat ne saurait être exigé. Il peut s'agir de rapports contractuels de longue durée au cours desquels les circonstances de fait ou les conditions juridiques ont subi des transformations profondes.

Selon le Tribunal fédéral, une intervention du juge dans un contrat doit rester exceptionnelle. Une intervention du juge dans le contrat entre en ligne de compte seulement exceptionnellement, à savoir, si, par des circonstances postérieures et imprévisibles, il s'est produit une disproportion si évidente entre la prestation et la contre-prestation, que l'insistance d'une partie sur sa prétention paraît abusive (Winiger, Commentaire romand, n. 193-194 art. 18 CO).

Le Bezirksgericht de Zurich a, dans un jugement du 23 avril 2021 sur mainlevée, retenu que le contrat de bail ne constituait pas un titre de mainlevée pour les loyers échus, dès lors que la prestation contractuelle n'avait pas été fournie conformément à ce que prévoyait le contrat de bail, le jugement mentionnant au passage que les mesures étatiques n'entraînaient pas un défaut de la chose louée ni une impossibilité pour la bailleresse de remplir ses obligations contractuelles, et que seule demeurait ouverte la question de la clausula rebus sic stantibus (EB201177-L / U, 23.04.2021).

De nombreux avis de droit ont été requis et publiés par les milieux concernés et parviennent à des conclusions diamétralement opposées, les premiers considérant que la cessation de règlement des loyers ne peut être envisagée (https://www.cgionline.ch/wp-content/uploads/2020/03/avis-de-droit.pdf), et les seconds que le loyer n'est pas dû, en application des règles sur le défaut de la chose louée (art. 259d CO), l'impossibilité subséquente d'exécution (art. 119 CO), la notion d'exorbitance (art. 97 al. 1 CO) et l'adaptation du contrat par le juge (https://www.asloca.ch/wp-content/uploads/2020/03/Avis-de-droit-loyers_locaux_ commerciaux_ASLOCA-1.pdf; ACJC/722/2021 précité consid. 2.1.3).

3.2 En l'espèce, c'est à tort que le Tribunal a considéré que le cas était clair.

En effet, il est notoire que les circonstances dans lesquelles le contrat de bail a été conclu se sont modifiées suite à la pandémie de COVID-19, laquelle a eu des répercussions sur l'économie en général, et en particulier sur le secteur de l'hôtellerie/restauration, lesquelles étaient imprévisibles. S'il est vrai que l'établissement qui devait être exploité par les appelants n'était pas encore ouvert au moment où des mesures de restriction ont été décidées par les autorités, ce qui distingue la présente espèce de celle objet de l'arrêt cité par les appelants, il n'en demeure pas moins qu'il ne pouvait pour autant être considéré que la situation juridique était claire. Comme le font valoir les appelants, l'impact de la crise sanitaire sur les possibilités d'obtenir un financement pour l'ouverture et l'exploitation d'un restaurant ne fait pas de doute. Les répercussions dans le domaine de la construction et les implications pour les appelants par conséquent ne sauraient non plus être niées, étant relevé que dans leur courrier du 1er avril 2020 à l'intimée, les appelants ont mentionné les difficultés techniques et administratives qu'ils rencontraient en lien avec la pandémie. Ces différents éléments pourraient conduire le juge à faire application de la clausula, et, partant, à reconsidérer les obligations des parties en lien avec le contrat de bail. Il appartiendra au juge d'ores et déjà saisi de l'action en contestation du congé de se prononcer sur ces questions.

Par surabondance, il sera relevé que dans l'avis comminatoire du 28 avril 2021, la bailleresse réclamait paiement du loyer et des acomptes pour frais accessoires, TVA en sus, ce que ne prévoyait pas le contrat. En outre, à peine une semaine après l'échéance du délai comminatoire (l'avis de réception dudit avis par les locataires ne ressortant pas du dossier), la bailleresse a encaissé 20'000 fr. des locataires et reçu le montant de la garantie bancaire en 108'000 fr., soit une somme supérieure à celle objet de la mise en demeure. Si les 20'000 fr. portaient la mention "loyer juin 2021", on ignore à l'extinction de quelle dette les 108'000 fr. ont été affectés. Il ressort du courrier de l'intimée du 10 septembre 2021 que les 20'000 fr. précités n'ont que partiellement servi à régler le loyer du mois de juin 2021, un solde de 10'064 fr. 65 TTC restant dû, et que, sous cette réserve et celle des frais accessoires, les loyers étaient à jour au 30 juin 2021. Dans leur courrier du 7 octobre 2021, les appelants alléguaient d'ailleurs être à jour au 30 juin 2021. Sur ce point non plus, la situation n'était en conséquence pas claire.

En conclusion, le jugement entrepris sera annulé et il sera statué en ce sens que la requête de l'intimée en évacuation sera déclarée irrecevable (art. 327 al. 3
let. b CPC).

Le recours en ce qu'il est dirigé contre les mesures d'exécution devient sans objet.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

Sur appel :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 10 février 2022 par A______ SA, C______ et B______ contre le jugement JTBL/71/2022 rendu le 27 janvier 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/23553/2021-8-SE.

Au fond :

Annule ce jugement et, statuant à nouveau :

Déclare irrecevable la requête en protection du cas clair formée le 2 décembre 2021 par D______ SA à l'encontre de A______ SA, C______ et B______.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur recours:

Constate que le recours contre le jugement JTBL/71/2022 rendu le 27 janvier 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/23553/2021 est sans objet.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 


Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.