Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des baux et loyers

1 resultats
C/3378/2021

ACJC/1369/2021 du 25.10.2021 sur JTBL/394/2021 ( SBL ) , JUGE

Normes : CPC.257; CO.257d
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3378/2021 ACJC/1369/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 25 OCTOBRE 2021

 

Monsieur A______, domicilié ______ (Fribourg), et B______ SARL, sise ______ [GE], appelants et recourants d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 27 avril 2021, comparant tous deux par Me Oana STEHLE HALAUCESCU, avocate,
rue de la Tour 2, 1205 Genève, en l'étude de laquelle ils font élection de domicile,

et

Monsieur C______, domicilié ______ [GE], intimé, comparant par Me Cyril AELLEN, avocat, rue du Rhône 118, 1204 Genève, en l'étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/394/2021 du 27 avril 2021, reçu par les parties le 11 mai 2021, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal) a condamné A______ et B______ SARL à évacuer immédiatement de leurs personnes, de leurs biens et de tout tiers dont ils sont responsables, l'arcade d'environ 464 m2 située au rez-de-chaussée de l'immeuble sis 1______ [GE], et le dépôt n° 3______ qui en dépend (ch. 1 du dispositif), autorisé C______ à requérir l'évacuation par la force publique de A______ et B______ SARL dès l'entrée en force du jugement (ch. 2), déclaré irrecevables les conclusions en paiement d'une indemnité pour occupation illicite jusqu'à reddition des locaux (ch. 3), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) et dit que la procédure était gratuite (ch. 5).

En substance, le Tribunal a considéré que les conditions d'une résiliation selon l'art. 257d al. 1 CO étaient manifestement réunies et que A______ et B______ SARL (ci-après : les locataires) n'avaient pas rendu vraisemblable que l'une ou l'autre d'entre elles ferait défaut. C______ (ci-après : le bailleur) était ainsi fondé à donner congé, ce qu'il avait fait en respectant les conditions de l'art. 257d al. 2 CO. Si la situation sanitaire actuelle avait conduit le Conseil fédéral à rendre l'Ordonnance sur l'atténuation des effets du coronavirus en matière de bail à loyer et de bail à ferme du 27 mars 2020 (RS 221.213.4), celle-ci n'avait eu d'effet que jusqu'au 31 mai 2020 et l'art. 257d CO était depuis pleinement applicable. Par ailleurs, le fait que les locataires avaient perdu les avis de retrait des mises en demeure dans un incendie ne remettait pas en question la validité de leur notification, d'autant qu'ils n'avaient entrepris aucune démarche auprès de la Poste pour les récupérer ou connaître leur expéditeur. En continuant à occuper les locaux, les locataires violaient l'art. 267 al. 1 CO qui prévoyait l'obligation de restituer la chose à la fin du bail. Aussi, il convenait de faire droit à la requête tendant à l'évacuation des locataires, de même qu'aux mesures d'exécution requises par le bailleur.

B. a. Par acte expédié le 21 mai 2021 à la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ et B______ SARL ont formé appel, respectivement recours contre ce jugement, dont ils ont sollicité l'annulation du chiffre 1 du dispositif, sur appel, et du chiffre 2 du dispositif, sur recours. Cela fait, ils ont conclu, principalement, à ce que la requête en cas clair formée par C______ soit déclarée irrecevable et, subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

b. Par arrêt du 3 juin 2021, la Cour a constaté que la requête des locataires tendant à suspendre le caractère exécutoire du jugement attaqué était dépourvue d'objet, l'appel ayant un effet suspensif automatique de par la loi.

c. Dans sa réponse du 7 juin 2021, C______ a conclu au rejet de l'appel, respectivement du recours, et à la confirmation du jugement entrepris.

d. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

C______ a conclu à ce que les locataires soient condamnés à une amende disciplinaire selon l'art. 128 al. 3 CPC.

e. La cause a été gardée à juger le 28 juillet 2021, ce dont les parties ont été avisées le même jour.

C. Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. Le 22 septembre 2016, C______, en qualité de bailleur, et A______ et E______ SA, en qualité de locataires, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'une arcade d'environ 464 m2 située au rez-de chaussée de l'immeuble sis 1______ [GE], et de ses dépendances (un dépôt n° 3______ et une place de parking n° 4______). Les locaux loués sont affectés à l'usage d'un bar et restaurant. La gérance de l'immeuble est assurée par D______ (ci-après : la régie).

Le contrat a été conclu pour une durée initiale de dix ans, du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2026, renouvelable ensuite de cinq ans en cinq ans.

Selon l'art. 1 des Conditions générales et règles et usages locatifs (édition 2010) applicables au contrat, le loyer et les charges sont payables par mois d'avance au domicile du bailleur ou à son compte postal ou bancaire.

Le loyer annuel a été fixé en dernier lieu à 123'000 fr. (10'250 fr. par mois) et la provision pour charges à 6'120 fr. (510 fr. par mois).

b. Par avenant au contrat de bail du 25 avril 2017, les parties sont convenues que le bail se poursuivait désormais au nom de A______ et B______ SARL, en qualité de locataires, les autres clauses/conditions du contrat demeurant inchangées.

A______ est l'associé-gérant de B______ SARL, société active dans le domaine de la restauration. Celle-ci exploite un bar-restaurant dans l'arcade louée.

c. Depuis le 17 octobre 2016, A______ est également locataire, avec son épouse, d'un appartement de 6 pièces situé au 6ème étage de l'immeuble sis 1______ à Genève. Le contrat de bail y relatif a été conclu avec C______ en qualité de bailleur.

Cet appartement a été détruit dans un incendie survenu le 16 octobre 2020.

d. Le 16 mars 2020, le Conseil fédéral - se fondant sur l'art. 7 de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme du 28 septembre 2012 - a décrété l'état d'urgence jusqu'au 19 avril 2020 au moins. Il a promulgué l'ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19), entrée en vigueur le 17 mars 2020, laquelle prévoyait à son art. 6 que les établissements publics, notamment les restaurants et bars, étaient fermés jusqu'au 19 avril 2020, à l'exception des magasins d'alimentation (produits courants) et des établissements de santé (pharmacies par exemple). Le même jour, le Conseil d'Etat du canton de Genève a ordonné, à titre de mesures contre la propagation de l'épidémie de COVID-19, la fermeture, dès le 16 mars 2020, des entreprises de restauration et/ou de débit de boissons à consommer sur place (bars, restaurants, dancings et installations assimilées).

Lors de sa séance du 29 avril 2020, le Conseil fédéral a autorisé la réouverture des restaurants, sous certaines conditions, notamment la limitation à quatre personnes par table, à compter du 11 mai 2020. La limitation précitée a été levée dès le 6 juin 2020 selon décision du 27 mai 2020.

Le 19 juin 2020, le Conseil fédéral a promulgué l'ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de COVID-19 en situation particulière (Ordonnance COVID-19 situation particulière), entrée en vigueur le lendemain. En vertu de l'art. 5a de cette ordonnance, entré en vigueur le 19 octobre 2020 et régulièrement modifié par la suite, l'exploitation des restaurants et bars a été progressivement limitée (obligation de consommer assis, fermeture entre 23h00 et 6h00 dès fin octobre 2020, limitation du nombre de clients par table, distance à respecter entre les tables, collecte des coordonnées des clients, etc.), puis interdite dès le 22 décembre 2020, cette interdiction étant levée pour la consommation à l'extérieur dès le 19 avril 2021. A partir du 31 mai 2021, l'exploitation des restaurants et bars a de nouveau été autorisée à l'intérieur comme à l'extérieur, sous certaines conditions (consommation assise, limitation du nombre de clients par table, etc.). A Genève, le Conseil d'Etat a également ordonné la fermeture des restaurants et bars pour la période courant du 2 novembre au 10 décembre 2020.

e. Par courrier du 30 avril 2020, la régie, se référant à un courrier des locataires "relatif à la suspension de [leurs] loyers" dans le contexte de la crise sanitaire, a informé A______ et B______ SARL que le bailleur acceptait de leur octroyer une baisse de 3'000 fr. sur le loyer du mois d'avril 2020, à titre exceptionnel et à bien plaire.

f. Par courriers recommandés du 13 octobre 2020, envoyés sous plis séparés à A______ et B______ SARL, le bailleur a mis les locataires en demeure de lui régler le montant de 32'750 fr., à titre d'arriérés de loyers et charges pour les mois d'août à octobre 2020 (31'000 fr. + 1'530 fr.) et de frais administratifs (170 fr. de frais de rappel + 50 fr. de frais de mise en demeure), et les a informés de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le contrat de bail conformément à l'art. 257d CO.

Les locataires n'ont pas retiré les plis recommandés leur étant destinés, malgré les avis de retrait déposés dans la boîte aux lettres le 14 octobre 2020.

g. Aucun versement n'a été effectué dans le délai comminatoire.

h. Considérant que la somme réclamée selon l'avis comminatoire du 13 octobre 2020 n'avait pas été intégralement réglée dans le délai imparti, le bailleur a, par avis officiels du 8 décembre 2020, envoyés sous plis recommandés séparés à A______ et B______ SARL, résilié le bail pour le 31 janvier 2021.

Ces plis ont été avisés pour retrait le 9 décembre 2020 et distribués au guichet postal le lendemain.

i. Par requête du 17 décembre 2020 formée devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, A______ et B______ SARL ont sollicité l'annulation du congé, exposant que le loyer était à jour au 30 septembre 2020, que le bar-restaurant exploité dans l'arcade était fermé et ne générait aucun revenu, qu'ils faisaient leur possible pour honorer leurs frais fixes et qu'ils dépendaient à ce jour entièrement de l'aide financière de l'Etat. Ils ont exposé que la résiliation de leur bail aurait pour effet de mettre au chômage tous les employés de B______ SARL (soit une quinzaine de personnes) et qu'ils avaient effectué d'importants travaux dans l'arcade à leurs frais.

Suite à l'échec de la tentative de conciliation, les locataires ont introduit leur requête en contestation de congé devant le Tribunal le 22 avril 2021. En substance, ils ont fait valoir que les loyers visés par l'avis comminatoire du 13 octobre 2020 n'étaient pas dus à cette date, vu l'impossibilité d'exploiter l'arcade conformément à sa destination (en raison des mesures étatiques prises pour lutter contre le coronavirus) et, partant, de générer les revenus nécessaires pour pouvoir assurer le paiement régulier du loyer. Cette impossibilité avait créé un déséquilibre dans les rapports contractuels qu'il incombait au juge de corriger (par ex. en prolongeant le délai fixé à l'art. 257d al. 1 CO). En tout état, la résiliation du bail consacrait un abus de droit de la part du bailleur compte tenu du contexte sanitaire actuel.

Cette procédure a été enregistrée sous le numéro de cause C/2______/2021 et est actuellement pendante devant le Tribunal.

j. Par courriel du 29 janvier 2021, les locataires ont informé la régie qu'ils ne se présenteraient pas à l'état des lieux fixé par cette dernière.

k. Par requête en protection des cas clairs formée le 23 février 2021 devant le Tribunal, C______ a requis l'évacuation de A______ et B______ SARL des locaux loués, ainsi que le prononcé de mesures d'exécution directe de cette décision.

l. Lors de l'audience de débats du 27 avril 2021, C______, représenté par son conseil, a persisté dans ses conclusions, exposant que le paiement du loyer était à jour, l'arriéré ayant été soldé en mains de l'Office cantonal des poursuites.

A______ et B______ SARL, par la voix de leur conseil, ont conclu à l'irrecevabilité de la requête, au motif que les conditions du cas clair au sens de l'art. 257 CPC n'étaient pas remplies. Ils ont fait valoir que la notification de l'avis comminatoire avait "échoué", dans la mesure où les avis de retrait des courriers recommandés du 13 octobre 2020 - qui se trouvaient dans l'appartement loué par A______ au 6ème étage de l'immeuble (l'une des pièces étant utilisée comme bureau par B______ SARL) - avaient été détruits dans l'incendie du 16 octobre 2020. Ils n'en avaient donc pas eu connaissance; il était toutefois exact qu'ils n'avaient effectué aucune démarche auprès de la Poste pour "recevoir les plis en question". Par ailleurs, dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, il était abusif de résilier le bail en application de l'art. 257d CO, ce d'autant qu'il n'était pas "établi que les loyers de la période de fermeture [étaient] dus".

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre des baux et loyers de la Cour connaît des appels et des recours dirigés contre les jugements du Tribunal des baux et loyers (art. 122 let. a LOJ).

La voie de l'appel est ouverte contre les décisions d'évacuation, lorsque la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), alors que seule la voie du recours est ouverte contre les décisions du juge de l'exécution (art. 309 let. a CPC; art. 319 let. a CPC).

1.2 1.2.1 Les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1; 4A_72/2007 du 22 août 2007 consid. 2).

Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans (ATF
144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3, JdT 2019 II 235 pp. 236 et 239; LACHAT, Procédure civile en matière de baux et loyers, Lausanne 2019, pp. 69-70).

En l'occurrence, les appelants remettent en cause le prononcé de l'évacuation, au motif que le bail n'aurait pas été résilié valablement selon l'art. 257d CO. Eu égard au montant du loyer de 10'760 fr. par mois, charges comprises, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2.2 Le délai d'appel est de 10 jours si la décision a été rendue en procédure sommaire (art. 314 CPC) applicable notamment aux cas clairs (art. 248 let. b CPC).

Interjeté dans le délai précité et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.2.3 Dans le cadre d'un appel, la Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

1.3 La voie du recours est ouverte contre la décision du Tribunal relative à l'exécution de l'évacuation. Dans le cadre d'un recours, la cognition de la Cour est limitée à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

Interjeté dans le délai utile et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 1 et 2 CPC), le recours est recevable.

1.4 L'appel et le recours, formés contre la même décision, seront traités ensemble dans le présent arrêt (art. 125 CPC).

2. Les éléments de fait que les appelants considéraient comme inexactement retranscrits par le Tribunal ont, sur la base des actes et pièces de la procédure, été directement intégrés dans l'état de fait dressé ci-avant. Au surplus, les faits liés à la pandémie et à la fermeture des établissements publics ordonnées par les autorités cantonales et fédérales constituent des faits notoires qui n'ont pas à être allégués ni prouvés (art. 151 CPC).

3. Les appelants font grief au Tribunal d'avoir considéré que le cas était clair au sens de l'art. 257 CPC.

Dans un premier moyen, ils soutiennent que l'avis comminatoire ne leur a pas été notifié valablement, au motif que les avis de retrait des plis recommandés du 13 octobre 2020 auraient été détruits dans un incendie. Dans un second moyen, ils reprochent au Tribunal de ne pas avoir tenu compte du contexte de crise sanitaire - et de ses effets sur l'économie genevoise (en particulier dans le domaine de la restauration) - ayant entouré la résiliation du bail. Ils soutiennent que les mesures sanitaires ordonnées pour lutter contre le coronavirus ont provoqué un important déséquilibre dans les relations contractuelles et que l'intervention du juge est nécessaire pour adapter les modalités d'application de l'art. 257d CO à ces circonstances exceptionnelles (par ex. en prolongeant le délai prévu à l'art. 257d al. 1 CO ainsi que le prévoyait l'art. 2 de l'Ordonnance sur l'atténuation des effets du coronavirus en matière de bail à loyer et de bail à ferme du 27 mars 2020).

3.1 Aux termes de l'art. 257 al. 1 et 3 CPC, relatif à la procédure de protection dans les cas clairs, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque les conditions suivantes sont remplies : (a) l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé et (b) la situation juridique est claire (al. 1); le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (al. 3).

3.1.1 Selon la jurisprudence, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur; il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée : le demandeur doit ainsi apporter la preuve certaine des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance ne suffit pas. Si le défendeur fait valoir des objections et exceptions motivées et concluantes, qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du tribunal, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 144 III 462 consid. 3.1).

La situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvée (ATF 144 III 462 consid. 3.1). En règle générale (cf. toutefois arrêt du Tribunal fédéral 4A_185/2017 du 15 juin 2017 consid. 5.4 et les références), la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du tribunal ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 144 III 462 consid. 3.1 et les références citées).

Si le tribunal parvient à la conclusion que les conditions du cas clair sont réalisées, le demandeur obtient gain de cause par une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Si elles ne sont pas remplies, le tribunal doit prononcer l'irrecevabilité de la demande (ATF 144 III 462 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_422/2020 du 2 novembre 2020 consid. 4.1).

3.1.2 Selon l'art. 257d CO, lorsque le locataire a reçu la chose louée et qu'il tarde à s'acquitter d'un terme ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de paiement et lui signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail; ce délai doit être d'au moins trente jours pour les baux d'habitations ou de locaux commerciaux (al. 1). A défaut de paiement dans le délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les baux d'habitations ou de locaux commerciaux peuvent être résiliés avec un délai de congé minimum de trente jours pour la fin d'un mois (al. 2).

L'avis comminatoire est sujet à réception. En cas d'envoi par pli recommandé, la théorie de la réception relative est applicable. Celle-ci présuppose que le locataire ait pu connaître l'existence de l'envoi, en d'autres termes que l'agent postal ait déposé dans sa boîte aux lettres ou sa case postale un avis de retrait. Si le pli n'est pas retiré, il est réputé reçu le dernier jour du délai de garde postal (ATF
137 III 208 consid. 3.1.3; 140 III 244 consid. 5.1). Une tentative de notification n'est toutefois valable que si son destinataire devait s'attendre, avec une certaine probabilité, à recevoir une communication de l'autorité ou d'une partie contractante (ATF 119 V 89 consid. 4b). Le Tribunal fédéral a notamment retenu que le locataire qui est en retard de quatorze jours dans le paiement de son loyer doit s'attendre à recevoir une sommation de son bailleur (arrêt du Tribunal fédéral 4A_250/2008 du 18 juin 2008 consid. 3.2.3).

La jurisprudence admet que le congé prononcé conformément à l'art. 257d CO peut, à titre très exceptionnel, contrevenir aux règles de la bonne foi; la notion doit être interprétée très restrictivement, afin de ne pas mettre en question le droit du bailleur à recevoir le loyer à l'échéance (ATF 140 III 591 consid. 1). L'annulation entre en considération notamment dans les cas suivants : lorsque le montant impayé était insignifiant ou a été payé peu après l'expiration du délai de paiement, en particulier si le locataire avait toujours payé le loyer à temps auparavant (arrêts du Tribunal fédéral 4C_65/2003 du 23 septembre 2003 consid. 4.2.1; 4A_366/2008 du 25 novembre 2008 consid. 4); lorsque le montant réclamé est incertain, notamment lorsque la facture initialement réclamée de 1'375 fr. se montait en réalité à 436 fr., ce qui impliquait une nouvelle mise en demeure du bailleur (ATF 120 II 31 consid. 4b); lorsque les parties négociaient une baisse de loyer, en raison des défauts de la chose louée, et que le montant encore dû était imprécis, en raison de la poursuite des travaux de réfection des locaux (arrêt du Tribunal fédéral 4C_65/2003 du 23 septembre 2003, consid. 4.2). Le fardeau de la preuve d'un congé contraire à la bonne foi incombe au demandeur à l'action en annulation (ATF 140 III 591 consid. 1), soit le destinataire du congé (ATF 120 II 105 consid. 3c).

L'action en expulsion pour défaut de paiement du loyer au sens de l'art. 257d CO, selon la procédure de protection dans les cas clairs (art. 257 CPC), présuppose que le bail ait valablement pris fin, puisque l'extinction du bail est une condition du droit à la restitution des locaux (art. 267 al. 1 CO). Le tribunal doit donc trancher à titre préjudiciel la question de la validité de la résiliation, laquelle ne doit être ni inefficace, ni nulle, ni annulable (une prolongation du bail n'entrant pas en ligne de compte lorsque la résiliation est signifiée pour demeure conformément à l'art. 257d CO). Les conditions de l'art. 257 al. 1 CPC s'appliquent également à cette question préjudicielle (ATF 144 III 462 consid. 3.3.1; 142 III 515 consid. 2.2.4 in fine;
141 III 262 consid. 3.2 in fine).

3.1.3 Dans l'arrêt ACJC/722/2021 du 7 juin 2021, la Chambre des baux et loyers de la Cour a souligné que la question du paiement du loyer des locaux commerciaux pendant la pandémie de COVID-19, en particulier concernant les établissements publics dont la fermeture avait été ordonnée par les autorités tant cantonales que fédérales, n'avait pas encore été tranchée à ce jour. Cette question devait faire l'objet d'une analyse approfondie : en effet, il devait être définitivement jugé, que ce soit sous l'angle de l'art. 259d CO (réduction de loyer), de l'impossibilité subséquente (art. 119 CO), de l'exorbitance (art. 97 al. 1 CO) ou de l'imprévisibilité (clausula rebus sic stantibus), si le loyer restait dû - totalement ou partiellement - durant cette période ou non.

Au considérant 2.1.3 de l'arrêt précité, la Cour a rappelé que de nombreux avis de droit avaient été requis et publiés par les milieux concernés et que ceux-ci parvenaient à des conclusions diamétralement opposées, les uns considérant que la cessation de règlement des loyers ne pouvait pas être envisagée (https://www.cgionline.ch/wp-content/uploads/2020/03/ avis-de-droit.pdf) et les autres que le loyer n'était pas dû, que ce soit en application des règles sur le défaut de la chose louée (art. 259d CO), de l'impossibilité subséquente d'exécution (art. 119 CO), de la notion d'exorbitance (art. 97 al. 1 CO) ou encore de l'adaptation du contrat par le juge (https://www.asloca.ch/wp-content/uploads/2020/03/Avis-de-droit-loyers_locaux_commerciaux_ASLOCA-1.pdf).

Dans un jugement JTBL/565/2021 du 28 juin 2021 (commenté dans la Newsletter droit du bail de septembre 2021), le Tribunal des baux et loyers de Genève - après avoir passé en revue les avis doctrinaux divergents sur le sujet - a considéré que la fermeture des établissements publics ordonnée par les autorités en lien avec la crise sanitaire ne constituait pas, pour les locataires de tels établissements, un défaut de la chose louée susceptible d'ouvrir le droit à une réduction de loyer sur la base de l'art. 259d CO; une telle réduction ne pouvait pas non plus se fonder sur l'art. 119 CO. En revanche, "la fermeture générale des établissements ordonnée dans le cadre de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 constitu[ait] un changement important et imprévisible des circonstances qui pourrait laisser une place à l'adaptation du contrat par le juge au sens de la clausula rebus sic stantibus", cette question pouvant souffrir de rester ouverte dans le cas d'espèce (l'existence d'un déséquilibre propre à entraîner la ruine des locataires n'ayant pas été démontrée, pas plus qu'un abus de droit du bailleur - qui avait proposé des arrangements de paiement, notamment en acceptant le paiement différé du loyer - à exiger, en procédure, le paiement de l'entier du loyer). Ce jugement de première instance n'a fait l'objet d'aucun recours devant la Cour.

3.2 En l'espèce, c'est à juste titre que le Tribunal a retenu que l'avis comminatoire avait été valablement notifié aux appelants. En effet, lors de l'audience du 27 avril 2021, ceux-ci ont admis avoir trouvé les avis de retrait idoines dans leur boîte-aux-lettres. Le fait que ces avis de retrait aient ensuite été détruits dans un incendie ne remet pas en question la validité de la notification de la mise en demeure, étant souligné que les appelants - qui devaient s'attendre à recevoir un avis comminatoire conformément aux principes jurisprudentiels rappelés ci-avant (cf. consid. 3.1.2) - ont également admis n'avoir entrepris aucune démarche auprès de la Poste pour les récupérer ou connaître leur expéditeur. Ce grief est donc infondé.

Dans un second moyen, les appelants plaident que la résiliation de leur bail pour défaut de paiement serait abusive. Ils font valoir que, depuis de nombreux mois, ils sont empêchés - totalement ou partiellement - d'exploiter les locaux loués conformément à l'usage convenu, en raison des mesures étatiques ordonnées pour lutter contre la pandémie de COVID-19 qui sévit en Suisse depuis mars 2020. Ils en déduisent que le bailleur n'était pas en droit d'exiger d'eux qu'ils s'acquittent des loyers réclamés dans l'avis comminatoire, ceux-ci n'étant alors pas dus. Il est notoire qu'à Genève, suite aux mesures fédérales et cantonales mises en œuvre à partir du 16 mars 2020, les entreprises vouées à la restauration et/ou au débit de boissons à consommer sur place ont été fermées au public du 16 mars au 10 mai 2020 (période antérieure à l'avis comminatoire), du 2 novembre au 10 décembre 2020 (période concomitante à la résiliation du bail) et du 22 décembre 2020 jusqu'au mois d'avril 2021. En outre, l'activité de ces entreprises a été soumise à diverses restrictions de mai à décembre 2020, (obligation de consommer assis, couvre-feu, limitation du nombre de clients par table, distance à respecter entre les tables, collecte des coordonnées des clients, etc.). Il ne fait pas de doute que ces mesures ont induit une baisse non négligeable du chiffre d'affaires réalisé par les établissements concernés, dont fait partie le bar-restaurant exploité par les appelants dans l'arcade louée. Dans sa réponse du 7 juin 2021, l'intimé a du reste admis que "leur exploitation [avait] malheureusement été lourdement touchée par la crise sanitaire".

Dans ce contexte exceptionnel, les appelants contestent la validité du congé qui leur a été notifié le 8 décembre 2020 sur la base de l'art. 257d CO. Ils se prévalent à cet égard de l'impossibilité subséquente d'exécuter le contrat (cf. art. 119 CO), ainsi que de la théorie de l'imprévisibilité, nécessitant selon eux l'adaptation du contrat par le juge (clausula rebus sic stantibus). Ainsi que l'a relevé la Cour dans l'arrêt ACJC/722/2021 précité, la doctrine est divisée sur ces questions, lesquelles n'ont, à ce jour, pas non plus été tranchées par le Tribunal fédéral. La situation juridique n'est donc pas claire au sens de l'art. 257 CPC.

Ces questions devront être examinées dans le cadre de la procédure au fond.

3.3 En conséquence, c'est à tort que le Tribunal a retenu que la situation juridique était claire. Le jugement sera dès lors annulé. La cause étant en état d'être jugée (art. 327 al. 3 let. b CPC), il sera statué en ce sens que la requête formée par l'intimé sera déclarée irrecevable.

4. Vu l'issue de la procédure d'appel, les appelants ne sauraient se voir infliger une amende disciplinaire au sens de l'art. 128 al. 3 CPC.

5. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme :

Déclare recevables l'appel et le recours interjetés le 21 mai 2021 par A______ et B______ SARL contre le jugement JTBL/394/2021 rendu le 27 avril 2021 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/3378/2021-8-SE.

Au fond :

Annule ce jugement.

Cela fait et statuant à nouveau :

Déclare irrecevable la requête en protection des cas clairs du 23 février 2021 formée par C______ à l'encontre de A______ et B______ SARL.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI et Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, juges; Monsieur Grégoire CHAMBAZ et Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

La présidente :

Nathalie RAPP

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.