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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3565/2023

ATAS/144/2024 du 04.03.2024 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3565/2023 ATAS/144/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 4 mars 2024

Chambre 6

 

En la cause

 

A______

représenté par Me Yann ARNOLD, avocat

 

recourant

contre

 

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

 

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré), né le ______ 1981, originaire de Macédoine, arrivé en Suisse en avril 2001, a travaillé pour divers employeurs, en dernier lieu pour l'entreprise B______, en qualité d'aide-plâtrier. Il a été mis au bénéfice d'un permis B, qui lui a été délivré pour la première fois le 19 août 2019, à la suite de son mariage avec une ressortissante suisse le 9 février 2019.

b. Le 27 juin 2014, l'assuré a été victime d'un accident au travail. Le cas a été pris en charge par la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après : SUVA).

c. Le 3 mars 2017, l'assuré a déposé une demande de prestations auprès de l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI).

B. a. Par décision du 19 février 2018, l'OAI a rejeté cette demande de prestations.

b. Saisie d'un recours, par arrêt du 31 janvier 2022 (ATAS/79/2022), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice l'a admis partiellement, annulé ladite décision et dit que l'assuré avait droit à un quart de rente d'invalidité à compter du 1er septembre 2017.

Cet arrêt a été rendu à l'issue d'une instruction ayant permis de recueillir notamment les éléments suivants :

-          un rapport d'expertise judiciaire établi le 30 octobre 2019 par le docteur C______, spécialiste FMH en neurologie, médecin adjoint agrégé, responsable de l'unité des affections neuromusculaires, et la doctoresse D______, spécialiste FMH en neurologie, médecin interne, département des neurosciences cliniques, service de neurologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), qui ont posé les diagnostics de névrose, neuropathie principalement axonale et douleurs neuropathiques chroniques, de la branche sensitive (superficielle) du nerf radial gauche. L’assuré, totalement incapable de travailler comme aide-plâtrier plaquiste, était apte à exercer une activité adaptée à 75% ;

-          un rapport complémentaire du 15 octobre 2020, dans lequel les experts précités, en se basant en particulier sur les avis des docteurs E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, psychiatre traitant, et F______, spécialiste FMH en médecine interne générale, médecin chef de clinique au service de médecine de premier recours des HUG, ont conclu à une capacité de travail de l’assuré de 60% dans une activité adaptée, en raison d’une perte de rendement supplémentaire de 20% due à la sévérité du syndrome douloureux chronique (douleurs neuropathiques et leurs répercussions psychologiques ainsi qu’un effet secondaire médicamenteux) ;

-          un rapport d’examen neuropsychologique rendu le 9 février 2021 par Madame G______, psychologue spécialiste en neuropsychologie, qui relevait une suspicion de défaut d’effort et un problème d’attention soutenue, en particulier une fluctuation de l’attention, laquelle pouvait être due aux douleurs, à l’état dépressif avec trouble du sommeil et prise de médicaments ;

-          un rapport du 25 mai 2021 des Drs C______ et D______, qui maintenaient une capacité de travail exigible de l’assuré de 60% dans une activité adaptée. L’examen neuropsychologique confirmait le déficit d’attention qu’ils avaient constaté.

c. L'arrêt ATAS/79/2022 n'a pas fait l'objet d'un recours au Tribunal fédéral.

C. a. Par décision du 23 novembre 2022, confirmant un projet de décision du 29 août 2022, l'OAI, sur la base des renseignements reçus de la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : CCGC), a rejeté la demande de prestations du 3 mars 2017, au motif que l'assuré ne présentait pas trois années de cotisations lors la survenance de l'invalidité en juin 2015. Il en a tiré la conclusion que le calcul de la rente n'avait pas lieu d'être, celui-ci ne pouvant aboutir qu'à un montant nul.

b. L'assuré a déféré cette décision auprès de la chambre de céans, qui, dans un arrêt du 3 avril 2023 (ATAS/237/2023), l'a annulée et invité l'OAI à communiquer à la caisse de compensation compétente le prononcé concernant la rente d'invalidité de l'assuré pour calcul de son montant.

En substance, la chambre de céans a constaté que l'OAI, en rendant une décision de refus de rente en date du 23 novembre 2022, avait statué sur une prétention identique à celle qui avait été tranchée de manière définitive dans l'arrêt du 31 janvier 2022, et violé en conséquence l'autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt, laquelle s'étendait également aux conditions du droit à la prestation.

c. L'OAI n'a pas recouru contre l'arrêt du 3 avril 2023.

D. a. À la suite d'un échange de correspondances avec la CCGC, par décision du 27 juin 2023, l'OAI a indiqué à l'assuré que le montant de la rente d'invalidité s'élevait à CHF 0.-, la condition de la durée minimale de cotisations n'étant pas réalisée.

b. Cette décision a été annulée par la chambre de céans en date du 19 février 2024, laquelle a de nouveau invité l'OAI à communiquer à la CCGC le prononcé concernant la rente d'invalidité de l'assuré pour calcul de son montant (ATAS/115/2024).

E. a. L'assuré avait par ailleurs déposé une « demande de révision » auprès de l'OAI en date du 30 mars 2022 ; il invoquait souffrir d'une atteinte psychique incapacitante en s'appuyant sur les rapports du Dr E______ des 14 janvier 2020 et 26 octobre 2021.

b. Dans le cadre de cette demande, figurent au dossier :

-          un rapport du Dr E______ du 11 avril 2022, posant le diagnostic de trouble dépressif sévère sans symptômes psychotiques, avec un stress post-traumatique probable, qui entrainait une incapacité de travail totale depuis mars 2019, date de la première consultation ;

-          un avis du service médical régional de l'assurance-invalidité (ci-après : SMR) du 5 mai 2022, considérant que le rapport du psychiatre traitant précité permettait de rendre plausible une aggravation de l'état de santé de l'assuré, raison pour laquelle il convenait d'instruire le dossier en questionnant le Dr E______ ainsi que les autres médecins traitants ;

-          un rapport du Dr E______ du 16 mai 2022, retenant, avec effet sur la capacité de travail, le diagnostic d'épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques (F32.2) ;

-          des rapports des HUG relatifs aux consultations ambulatoires de la douleur des 14 novembre 2018, 11 mars 2019, 10 septembre 2019, 19 novembre 2020, et 5 mai 2021 ;

-          un rapport du docteur H______, spécialiste FMH en médecine interne générale, médecin chef de clinique au service de médecine de premier recours des HUG, du 1er juin 2023, indiquant avoir repris le suivi de l'assuré depuis janvier 2023, et faisant état de l'absence d'une évolution favorable des douleurs du membre supérieur gauche malgré une prise en charge multidisciplinaire ;

-          un avis du SMR du 18 juillet 2023, préconisant, sur la base des rapports médicaux sus-cités, une expertise bidisciplinaire (neurologique et psychiatrique avec bilan neuropsychologique et tests de validations des symptômes).

c. Par communication du 19 juillet 2023, l'OAI a avisé l'assuré de la nécessité de mettre en œuvre une expertise psychiatrique et neurologique.

d. Par pli du 3 août 2023, l'assuré a sollicité une décision à ce sujet.

e. Ladite expertise a été attribuée par SuisseMED@P-Team au centre Swiss Expertises Médicales, aux docteurs I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et J______, spécialiste FMH en neurologie, ce dont l'OAI a été informé le 17 août 2023.

f. Le 21 août 2023, l'OAI a communiqué ces informations à l'assuré.

g. Le 25 août 2023, l'assuré a réitéré sa demande de décision sujette à recours.

h. Le 4 septembre 2023, l'OAI a reçu un rapport du Dr E______ du 16 août 2023 mentionnant que l'état de santé de l'assuré ne lui permettait pas de se soumettre à des expertises.

i. Par décision incidente du 28 septembre 2023, l'OAI a confirmé que l'expertise serait effectuée auprès du centre Swiss Expertises Médicales par les Drs I______ et K______.

F. a. Par acte du 30 octobre 2023, l'assuré a formé recours contre ladite décision auprès de la chambre de céans, en concluant, sous suite de dépens, à son annulation, à la constatation que les conditions pour la mise en œuvre d'une expertise (bi- ou mono-disciplinaire) n'étaient pas réalisées, et à ce que l'intimé soit invité à statuer sur la demande de révision sans recourir à une expertise, cas échéant, en interpellant le Dr E______, et/ou en requérant une prise de sang.

Il a fait valoir qu'une nouvelle expertise neurologique (et neuropsychologique) ne se justifiait pas, dès lors que ce volet avait été récemment et suffisamment instruit dans le cadre d'une précédente procédure judiciaire, et que son état de santé somatique n'avait pas connu d'évolution depuis lors.

Quant au volet psychiatrique, l'intimé devait, conformément au principe de la proportionnalité, s'enquérir auprès du psychiatre traitant et faire réaliser des tests de laboratoire pour vérifier le dosage médicamenteux, avant d'envisager une expertise longue, coûteuse et intrusive.

Le recourant a indiqué être épuisé et ne comprenait pas pourquoi il ne percevait pas encore sa rente d'invalidité malgré deux arrêts en sa faveur. Selon lui, le processus d'expertise visait à remettre en cause l'octroi de sa rente. Il a ajouté, en se basant sur un constat de l'association Inclusion Handicap du 3 octobre 2020, que certains experts mandatés par l'intimé rendaient des rapports constamment favorables à ce dernier.

À l'appui de son recours, l'assuré a produit :

-          un rapport du Dr E______ du 28 septembre 2023, rappelant que son patient avait déjà subi de nombreuses expertises, difficiles, envahissantes, effectuées par des personnes peu empathiques, suivies d'un mal-être ;

-          un rapport du Dr H______ du 26 octobre 2023, répétant que l'évolution du syndrome douloureux chronique du membre supérieur gauche que présentait l'assuré était stable, sans aggravation ni amélioration.

b. Dans sa réponse du 29 novembre 2023, l'intimé a conclu au rejet du recours.

Il a exposé qu'il lui appartenait d'instruire et d'évaluer l'impact des atteintes à la santé sur la capacité de gain dans son ensemble, d'autant que le Dr E______ mentionnait que l'atteinte psychiatrique était liée aux problèmes somatiques du patient.

L'intimé a relevé une discordance entre l'importance de l'atteinte annoncée (épisode dépressif sévère) et le suivi thérapeutique (mensuel), l'absence d'une évaluation de la compliance, et la mise en évidence de limitations subjectives importantes (incapacité à utiliser la main gauche même pour les gestes quotidiens) qui s'écartaient des constatations objectives des experts judiciaires. Dans ces circonstances, la situation médicale n'était pas claire.

Par ailleurs, une demande de prestations comportait des obligations, dont notamment celle de se soumettre aux examens médicaux nécessaires à l'appréciation du cas.

c. Dans sa réplique du 15 janvier 2024, le recourant a persisté dans ses conclusions.

Il a soutenu que l'intimé ne pouvait pas revoir une décision en force en l'absence d'une modification notable de l'état de santé somatique, en rappelant n'avoir ni sollicité une révision ni présenté une nouvelle demande dans ce contexte.

Il a considéré que les limitations fonctionnelles décrites par le Dr H______ dans son rapport du 1er juin 2023 ne s'écartaient pas de manière sensible de celles retenues par les experts judiciaires.

Enfin, la chambre de céans pouvait au besoin clarifier l'absence d'évaluation de la compliance et l'éventuelle discordance entre l'importance de l'atteinte psychique invoquée et le suivi thérapeutique par d'autres mesures (production des rapports des résultats sanguins, interpellation du médecin traitant).

 

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connait, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-invalidité, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

4.              

4.1 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 ([RAI - RS 831.201] ; RO 2021 706). Dans le sillage de cette modification, la LPGA a aussi connu plusieurs modifications qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2022, dont notamment l'art. 44 sur l'expertise.

4.2 Sur le plan matériel, le point de savoir quel droit s’applique doit être tranché à la lumière du principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et les références). Sur le plan de la procédure, les nouvelles dispositions sont applicables, sauf dispositions transitoires contraires, à tous les cas en cours, dès l’entrée en vigueur du nouveau droit (ATF 129 V 113 consid. 2.2 ; Milena PIREK, L'application du droit public dans le temps : la question du changement de loi, Thèse, 2018, n. 779). Ceci concerne en particulier les dispositions du chapitre 4 de la LPGA (« Dispositions générales de procédure »), soit les art. 27-62 LPGA (cf. ATF 130 V 1 consid. 3.2).

4.3 La décision litigieuse ayant été rendue le 28 septembre 2023, les dispositions de procédure en vigueur depuis le 1er janvier 2022 sont applicables.

5.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 et 60 LPGA).

5.1 Selon l'art. 52 al. 1 LPGA, les décisions peuvent être attaquées dans les trente jours par voie d'opposition auprès de l'assureur qui les a rendues, à l'exception des décisions d'ordonnancement de la procédure. Ces dernières visent les décisions incidentes que le législateur a soustraites à la procédure d'opposition, afin d'éviter des retards excessifs dans le déroulement de la procédure (ATF 131 V 42 consid. 2.1).

5.1.1 Lorsqu'il y a désaccord quant à l'expertise telle qu'envisagée par l'assureur, celui-ci doit rendre une décision incidente au sens de l'art. 5 al. 2 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021). Il s'agit d'une décision d'ordonnancement de la procédure contre laquelle la voie de l'opposition n'est pas ouverte (art. 52 al. 1 LPGA ; cf. ATF 131 V 42 consid. 2.1) et qui est directement susceptible de recours devant le tribunal cantonal des assurances (art. 56 al. 1 LPGA).

5.1.2 Le recours contre les décisions incidentes n’est admis qu’à des conditions restrictives pour éviter qu’une multiplication de recours ne ralentisse excessivement le déroulement d’une procédure. Ces conditions reposent sur des motifs d’économie de procédure ou, en cas de risque de préjudice irréparable, sur la nécessité de garantir des voies de droit effectives conformément à l’art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. ‑ RS 101). Dans tous les cas, le recours contre la décision incidente rendue séparément n’est recevable qu’à la condition que le recours soit ouvert contre la décision finale à rendre ultérieurement (Jean MÉTRAL, in Commentaire romand, LPGA, 2018, n. 28 ad art. 56 LPGA et les références citées).

5.1.3 En vertu de l’art. 45 al. 1 PA, applicable par renvoi de l’art. 55 al. 1 LPGA, les décisions incidentes qui sont notifiées séparément et qui portent sur une demande de récusation – au sens de l’art. 10 al. 1 PA, respectivement 36 al. 1 LPGA – peuvent faire l’objet d’un recours (ATAS/270/2022 du 22 mars 2022 consid. 4.2.1 ; Jean MÉTRAL, op. cit., n. 31 ad art. 56 LPGA). Ces décisions ne peuvent plus être attaquées ultérieurement (art. 45 al. 2 PA). Selon l’art. 46 al. 1 PA, par renvoi de l’art. 55 al. 1 LPGA, les autres décisions incidentes notifiées séparément peuvent faire l’objet d’un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable (let. a), ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. b).

Dans un arrêt de principe portant notamment sur les droits de participation des assurés lors de la désignation d'un expert, le Tribunal fédéral a admis que selon une interprétation conforme à la Constitution fédérale et à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) de la notion de préjudice irréparable en tant que condition de recevabilité d'un recours, cette condition doit être considérée comme réalisée s'agissant d'une décision incidente portant sur une expertise (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.7). Cet arrêt porte certes sur les expertises pluridisciplinaires confiées à des centres d’observation médicale de l’AI (COMAI). Les exigences qui s'en dégagent sont toutefois également applicables aux expertises mono- ou bi-disciplinaires (Ulrich KIESER, ATSG‑Kommentar, 3ème éd. 2015, n. 29 ad art. 44 LPGA ; ATF 139 V 349 consid. 3 à 5 ; ATAS/444/2019 du 21 mai 2019 consid. 2).

5.2 En l'espèce, le recours contre la décision incidente du 28 septembre 2023 portant sur la mise en œuvre d'une expertise bidisciplinaire a été interjeté dans la forme (art. 61 let. b LPGA) et le délai prévus par la loi (art. 38 al. 3 LPGA en lien avec l'art. 60 al. 2 LPGA). Le recourant satisfait par ailleurs à la condition du préjudice irréparable (dans ce sens : ATAS/444/2019 précité consid. 2). Partant, le recours est recevable.

6.             Le litige, tel que circonscrit pas la décision querellée, porte uniquement sur le bien-fondé de la décision de l'intimé de mettre sur pied une expertise psychiatrique et neurologique.

7.              

7.1 L'art. 43 LPGA dispose que l'assureur examine les demandes, prend d'office les mesures d'instruction nécessaires et recueille les renseignements dont il a besoin. Les renseignements donnés oralement doivent être consignés par écrit (al. 1). L'assuré doit se soumettre à des examens médicaux ou techniques si ceux‑ci sont nécessaires à l'appréciation du cas et qu'ils peuvent être raisonnablement exigés (al. 2).

7.2 L'assuré peut faire valoir contre une décision incidente d'expertise médicale non seulement des motifs formels de récusation contre les experts, mais également des motifs matériels, tels que par exemple le grief que l'expertise constituerait une « second opinion » superflue, contre la forme ou l'étendue de l'expertise, par exemple le choix des disciplines médicales dans une expertise pluridisciplinaire, ou contre l'expert désigné, en ce qui concerne notamment sa compétence professionnelle (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.7 ; 138 V 271 consid. 1.1).

7.3 Selon la jurisprudence, le devoir de prendre d'office les mesures d'instruction nécessaires à l'appréciation du cas au sens de l'art. 43 al. 1 LPGA ne comprend pas le droit de l'assureur de recueillir une « second opinion » sur les faits déjà établis par une expertise, lorsque celle-ci ne lui convient pas. L'assuré ne dispose pas non plus d'une telle possibilité. Il ne s'agit en particulier pas de remettre en question l'opportunité d'une évaluation médicale au moyen d'un second avis médical, mais de voir dans quelles mesure et étendue une instruction sur le plan médical doit être ordonnée pour que l'état de fait déterminant du point de vue juridique puisse être considéré comme établi au degré de la vraisemblance prépondérante. La nécessité de mettre en œuvre une nouvelle expertise découle du point de savoir si les rapports médicaux au dossier remplissent les exigences matérielles et formelles auxquelles sont soumises les expertises médicales. Cela dépend de manière décisive de la question de savoir si le rapport médical traite de manière complète et circonstanciée des points litigieux, se fonde sur des examens complets, prend également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, a été établi en pleine connaissance de l'anamnèse et contient une description du contexte médical et une appréciation de la situation médicale claires, ainsi que des conclusions dûment motivées de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1012/2008 du 30 juin 2009 consid. 3.2.2 et les références).

8.              

8.1 En l'espèce, le recourant s’oppose au principe même de l'expertise bidisciplinaire, qu’il estime superflue, au motif que l’intimé est en possession de tous les éléments lui permettant de statuer sur son droit aux prestations, cas échéant en s'enquérant auprès de ses médecins traitants. Il s’agit là d’une objection matérielle que le recourant peut faire valoir conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral.

8.2 Sous l'angle neurologique, par arrêt du 31 janvier 2022 (ATAS/79/2022), entré en force, la chambre de céans a considéré que le rapport d'expertise judiciaire du 30 octobre 2019 établi par les Drs C______ et D______ répondait aux réquisits jurisprudentiels pour qu'il lui soit reconnu une pleine valeur probante.

8.2.1 Ces experts ont retenu que le recourant présentait un névrome de la branche sensitive (superficielle) du nerf radial gauche et une neuropathie principalement axonale de la branche sensitive (superficielle) du nerf radial gauche ainsi que des douleurs neuropathiques chroniques de la branche sensitive (superficielle) du nerf radial gauche, reliées à un substrat organique.

Ils ont estimé que la capacité de travail du recourant, nulle dans l'activité habituelle, était de 75% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles, compte tenu d’une limitation de l’attention et de la performance sur restriction temporelle non adaptable, dans le contexte de douleurs chroniques neuropathiques et possible effet médicamenteux (vertiges, nausées, trouble de la vigilance, fatigue, insomnie, irritabilité, agitation, confusion, troubles attentionnels).

Les limitations fonctionnelles, qui s'expliquaient par les lésions accidentelles objectivées, étaient le port de charges lourdes nécessitant une manipulation bimanuelle, une activité nécessitant une préhension de force avec la main gauche ou des mouvements répétitifs avec la main gauche, le travail de force, précision et motricité fine avec la main gauche, le travail en hauteur, sur engin dangereux (industriel ou « coupant ») et machine avec utilisation bimanuelle, la conduite automobile professionnelle, une attention soutenue (dans le contexte de douleurs chroniques), et une performance sur restriction temporelle, non adaptable (dans le contexte de douleurs chroniques). L’utilisation effective de la main était limitée à une fonction de stabilisation par la main gauche par les quatre derniers doigts uniquement.

Dans leur complément d’expertise du 25 mai 2021, les experts ont souligné que les conclusions de l’examen neuropsychologique (effectué par Madame G______) rejoignaient leurs propres conclusions et objectivaient un déficit de l’attention soutenue (confirmé par des tests de validation des symptômes), en lien avec les douleurs neuropathiques, avec des fluctuations de concentration et de la fatigue.

La chambre de céans a relevé que la capacité de travail réduite à un taux de 60% dans une activité adaptée d'après le rapport complémentaire des experts du 15 octobre 2020 ne pouvait pas être suivie, dès lors qu'ils tenaient compte des limitations liées aux répercussions psychologiques des douleurs, lesquelles outrepassaient l'évaluation neurologique et ne pouvaient pas être prises en considération dans le cadre de la procédure, car elles avaient été constatées postérieurement à la date de la décision litigieuse du 19 février 2018. L'état de santé du recourant du point de vue psychiatrique devait donc, cas échéant, faire l'objet d'une nouvelle décision administrative.

En définitive, la chambre de céans a retenu que le recourant, inapte à exercer son activité habituelle, était apte à travailler dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles à 75% dès le 27 octobre 2016, date de l'aptitude à la réadaptation.

8.2.2 Les documents au dossier afférents à la « demande de révision » du 30 mars 2022 comprennent en particulier :

-          l'avis du 5 mai 2022 par lequel le SMR, en se référant au rapport du psychiatre traitant du 11 avril 2022, admet une aggravation de l'état de santé sous l'angle psychiatrique uniquement ;

-          les rapports des HUG relatifs aux consultations ambulatoires de la douleur datés entre le 14 novembre 2018 et le 5 mai 2021, antérieurs au rapport d'expertise judiciaire du 30 octobre 2019 et à son complément du 25 mai 2021, font état des douleurs chroniques neuropathiques du recourant (déjà connues), ne posent pas de diagnostics différents de ceux retenus par les experts judiciaires, et ne se prononcent pas sur la capacité de travail résiduelle du recourant ;

-          un rapport du 1er septembre 2022 du Dr F______, chef de clinique au service de médecine de premier recours des HUG, qui mentionne que la situation est globalement stable (dans un contexte de douleurs neuropathiques) avec la persistance de symptômes « invalidants » ;

-          un rapport du 1er juin 2023 du Dr H______, également chef de clinique au service précité, faisant état de l'absence d'une évolution favorable des douleurs du membre supérieur gauche, et ajoutant qu'il n'est pas nécessaire de procéder à des examens médicaux complémentaires pour déterminer le diagnostic au niveau du membre supérieur gauche, étant relevé que, dans son rapport du 26 octobre 2023, ce médecin répète que l'état de santé neurologique du recourant est stable, sans aggravation ni amélioration.

Contrairement à ce que prétend l'intimé, les limitations mises en évidence dans les rapports précités ne s'écartent pas des constatations objectives des experts judiciaires. Ainsi, dans son rapport du 1er juin 2023, le Dr H______ a indiqué « l'incapacité quasi complète » du recourant d'utiliser la main gauche pour les gestes de la vie quotidienne, tels que se laver et s'habiller (dossier intimé p. 1089). Dans son rapport du 23 janvier 2020 (p. 937), sur lequel les experts judiciaires se sont déterminés en date du 15 octobre 2020 (p. 662), le Dr F______ avait également relevé que les douleurs du recourant le limitaient dans les activités de la vie quotidienne (se boutonner, se laver, …) pour lesquelles il avait besoin de l'aide de son épouse. Dans leur rapport du 15 octobre 2020, les Drs C______ et D______ avaient souligné que les conséquences fonctionnelles chez le recourant étaient les mêmes que celles d'une véritable amputation de la main (p. 663). Dans leur rapport du 30 octobre 2019, ces experts mentionnaient aussi que les difficultés à réaliser les activités de la vie quotidienne persistaient (exclusion du pouce) à cause des douleurs et de l'hypersensibilité au niveau de la main gauche, le contact et la stimulation sensitive restaient intolérables et l'allodynie importante (p. 632).

Force est ainsi de constater qu'il n'y a pas eu une modification de l'état de santé du recourant du point de vue neurologique ni de ses effets incapacitants depuis l'appréciation probante des Drs C______ et D______ sus-évoquée. Il n'y a dès lors pas matière à révision puisque les circonstances sont demeurées inchangées (cf. ATF 147 V 167 consid. 4.1). Par conséquent, la décision de l'intimé, qui s'appuie sur l'avis du SMR du 18 juillet 2023, d'ordonner une expertise neurologique se révèle infondée.

8.3 Sous l'angle psychiatrique, l'intimé a déjà recueilli les avis du psychiatre traitant, qui, pour les mêmes troubles psychiques retenus, évalue la capacité de travail du recourant à 0% depuis la première consultation en mars 2019 dans ses rapports des 11 avril 2022 (p. 870) et 16 mai 2022 (p. 879), mais à 50% dans son rapport du 26 octobre 2021 (p. 866). Vu la divergence d'appréciation de la capacité de travail du recourant par le psychiatre traitant, la nécessité d'une expertise psychiatrique n'apparait pas contestable.

Certes, les troubles psychiques du recourant sont réactionnels aux douleurs neuropathiques, comme le relève le psychiatre traitant (p. 864). Il ne se justifie pas pour autant de mettre sur pied une expertise bidisciplinaire. En effet, quand bien même les douleurs engendrent une baisse de moral (p. 864), il appartient au spécialiste en psychiatrie d'indiquer si le tableau clinique comporte des éléments pertinents au plan psychiatrique caractéristiques d'une atteinte à la santé psychique équivalant à une maladie durable et influençant de manière autonome la capacité de travail. Quant au fait qu'il faut procéder à une approche globale de l’influence du trouble avec l’ensemble des pathologies concomitantes, y compris somatiques, selon la jurisprudence applicable en cas d'affections psychiques (ATF 143 V 418 consid. 6 et 7), c'est le lieu de rappeler qu'il n'est pas inhabituel que l'expert psychiatre s'entretienne avec les médecins traitants (in casu les Drs F______, H______ et E______) avant de livrer son appréciation du cas. Aussi pourra et devra-t-il prendre tous les renseignements utiles auprès de ces derniers pour intégrer dans un résultat global les restrictions de la capacité de travail qui en découlent, sans qu'il ne soit nécessaire de mettre sur pied une expertise neurologique pour les raisons exposées supra.

Dès lors qu'il y a lieu de réaliser une expertise psychiatrique en application de la maxime inquisitoire, le recourant est tenu de s'y soumettre (art. 43 al. 2 LPGA), étant relevé que le rapport du psychiatre traitant du 28 septembre 2023 fait état de l'appréciation subjective du recourant pour s'opposer au caractère raisonnablement exigible de cet examen, ce qui ne suffit pas (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_259/2022 du 20 septembre 2022 consid. 5.1.1). En particulier, aucun rapport médical n'objective en temps réel le mal-être important et les idées noires du recourant en raison des expertises antérieures subies.

8.4 Le mandat d'expertise bidisciplinaire a été attribué au centre Swiss Expertises Médicales, aux Drs I______ (psychiatre) et K______ (neurologue), de manière aléatoire, conformément à l'art. 72bis RAI (relatif aux expertises médicales bi- et pluridisciplinaires), en vigueur depuis le 1er janvier 2022. Cette disposition prévoit que les expertises impliquant deux disciplines médicales doivent être réalisées par un centre d’expertises médicales ou un binôme d’experts, liés dans les deux cas à l’OFAS par une convention (al. 1bis) et que l’attribution du mandat d’expertise doit se faire de manière aléatoire (al. 2).

Selon l'art. 7j al. 3 de l'ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales du 11 septembre 2002 (OPGA - RS 830.11), en vigueur depuis le 1er janvier 2022, si un mandat d’expertise est attribué de manière aléatoire, il n’y a pas lieu de rechercher un consensus.

Or, comme on l'a vu supra, il convient de réaliser une expertise mono-disciplinaire seulement. Par conséquent, le recourant a droit à la désignation consensuelle de l'expert psychiatre (art. 7j al. 3 OPGA a contrario).

9.             Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis, la décision litigieuse annulée et la cause renvoyée à l'intimé afin qu'il mette en œuvre une expertise psychiatrique exclusivement, dans le respect du choix consensuel de l'expert.

10.         Le recourant, représenté, qui obtient partiellement gain de cause, a droit à une indemnité à titre de participation à ses frais et dépens, que la chambre de céans fixe en l'espèce à CHF 1’000.- (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

11.         La procédure ne portant pas sur l'octroi ou le refus de prestations, elle est gratuite (cf. art. 69 al. 1bis LAI a contrario).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement.

3.        Annule la décision incidente du 28 septembre 2023.

4.        Renvoie la cause à l'intimé, dans le sens des considérants.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 1'000.-, à titre de dépens, à charge de l'intimé.

6.        Renonce à percevoir un émolument.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le