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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/707/2018

ATAS/755/2023 du 09.10.2023 ( AI )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/707/2018 ATAS/755/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 9 octobre 2023

Chambre 1

 

En la cause

A______
représenté par Me Liza SANT'ANA LIMA, avocate

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré ou le recourant), ressortissant kosovar né en 1970, sans formation professionnelle, est arrivé en Suisse en 1999. En dernier lieu, il a travaillé comme aide-jardinier paysagiste dès le mois de septembre 2009. Le 5 novembre 2010, durant son travail, il est tombé d'une benne de camion, soit d'une hauteur d'environ 2,5 mètres et a percuté le sol avec son côté droit. Il a souffert depuis lors de douleurs de la région lombaire, de la face externe de la hanche, de la fesse et du coude droits.

b. Le 13 juin 2012, l'assuré a déposé une demande de prestations auprès de l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l'OAI ou l’intimé) en raison d'une hernie discale protrusive extraforaminale gauche L4-L5 avec léger conflit L3 à gauche, ainsi qu’une discopathie protrusive L5-S1 médiane et phénomène inflammatoire, avec impaction post-traumatique au plateau supérieur droit de L4 versus hernie intraspongieuse.

c. Par décision du 12 septembre 2013, l’OAI, se fondant sur le rapport établi le 9 avril 2013 par deux médecins du service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : le SMR), le docteur B______, spécialiste FMH en rhumatologie, et la docteure C______, spécialiste FMH en psychiatrie, a considéré que l'activité habituelle d'aide-jardinier n'était plus exigible depuis le 5 novembre 2010, mais que dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, la capacité de travail de l’assuré était entière depuis mai 2011, soit six mois après l'accident. Il a rejeté la demande de prestations, au motif que le degré d'invalidité déterminé selon la méthode de comparaison des revenus était nul.

d. Par arrêt du 25 novembre 2014 (ATAS/1222/2014), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la CJCAS ou la chambre de céans) a rejeté le recours formé par l’assuré contre ladite décision. Elle a retenu que le rapport d'examen rhumatologique et psychiatrique du SMR du 9 avril 2013 avait valeur probante et a fait siennes ses conclusions. Elle a également confirmé le calcul du degré d'invalidité de l’OAI.

B. a. Le 12 janvier 2016, l'assuré a déposé une nouvelle demande de prestations de l'assurance-invalidité, alléguant souffrir d'un flexum du coude droit irréductible apparu après deux opérations en 2014.

b. Après avoir interrogé le docteur D______, spécialiste FMH en médecine interne, ainsi que le docteur E______, médecin adjoint à l’unité de la main des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), l’OAI a transmis à l’assuré un projet de décision le 6 mars 2017, selon lequel sa demande de prestations était rejetée. L'exigibilité médicale était entière dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles de l'assuré, soit alterner les positions assises et debout deux fois par heure, ne pas soulever régulièrement de charges supérieures à 5 kg du côté gauche, ne pas travailler en porte-à-faux statique prolongé du tronc, ne pas être exposé aux vibrations et accomplir un travail mono-manuel exclusivement à gauche. Le délai de carence d'une année ouvrant le droit à des prestations avait pris fin en janvier 2017. Le taux d'invalidité arrêté à 10% ne donnait droit ni à des mesures professionnelles, ni à une rente d’invalidité.

c. Le 28 mars 2017, l'assuré a contesté le projet de décision. Il était toujours dans l'incapacité d'utiliser son bras droit malgré les interventions chirurgicales. Son coude restait bloqué à 90° et il vivait au quotidien avec beaucoup de douleurs physiques. Cette situation l'épuisait moralement et affectait son état psychologique de manière importante. Il a joint un rapport daté du 28 mars 2017 de la docteure F______, spécialiste FMH en psychiatrie, cheffe de clinique aux HUG, selon lequel la capacité de travail de l’assuré était, d’un point de vue psychiatrique, nulle. Ce médecin a retenu un trouble dépressif récurrent avec un épisode dépressif sévère, des symptômes psychotiques et autres modifications durables de la personnalité. La Dre F______ précisait que l’assuré était suivi au Centre ambulatoire de psychiatrie et de psychothérapie intégrée des HUG (CAPPI-Jonction) depuis octobre 2013 et bénéficiait d’un traitement médicamenteux antidépresseur et d’entretiens réguliers.

d. L’OAI a alors mandaté le docteur G______, spécialiste FMH en psychiatrie, pour examiner l’assuré. Celui-ci a rendu son rapport le 23 novembre 2017. Selon lui, l’assuré ne souffrait d’aucun trouble majeur de la personnalité assimilable à une atteinte à la santé mentale. L’expert a retenu « un éventuel épisode dépressif majeur atypique d’intensité impossible à déterminer ». Il a fait état d’un tableau d’amplification grossier et caricatural des plaintes.

e. Dans une note du 13 décembre 2017, le médecin du SMR a considéré que l'expertise du Dr G______ était convaincante, de sorte qu'il maintenait ses précédentes conclusions.

f. Par décision du 23 janvier 2018, l’OAI a confirmé son refus du 6 mars 2017.

C. a. L’assuré, représenté par son avocate, a interjeté recours le 23 février 2018 auprès de la CJCAS contre ladite décision. Il a conclu, principalement, et sous suite de frais et dépens, à l'octroi de mesures professionnelles et d'une rente entière d'invalidité, eu égard à son incapacité de travail de 100%, tant dans l'activité habituelle que dans une activité adaptée, et, subsidiairement, à l'évaluation de sa capacité résiduelle de travail et à la prise en compte d'un abattement d'au moins 20% du salaire statistique.

b. Suivant la réponse de l’OAI du 26 mars 2018, les parties ont échangé réplique et duplique, respectivement les 11 et 24 avril 2018.

c. Après avoir interrogé la Dre F______ et invité le médecin du SMR à se déterminer, le 23 octobre 2019, la chambre de céans a, considérant que l’expertise du Dr G______ n’avait pas valeur probante, ordonné une expertise psychiatrique et commis à ces fins le docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie (ATAS/963/2019). Elle a relevé que le Dr G______ ne s'était pas prononcé sur la capacité de travail de l'assuré, ni sur les ressources personnelles dont celui-ci disposait, pas plus qu'il n'avait discuté les raisons pour lesquelles il s'était écarté des conclusions de la Dre F______. Certes, selon le médecin du SMR, la décision négative de l’OAI avait entraîné une réaction psychique de colère chez l’assuré ne pouvant pas être considérée comme une atteinte psychique invalidante. Toutefois, la psychiatre traitante retenait le diagnostic de trouble dépressif récurrent, ainsi que celui d’autres modifications durables de personnalité en raison d’un changement significatif et durable de sa personnalité et de son comportement suite à la perte de fonction de son membre supérieur droit avec une altération significative du fonctionnement social. La chambre de céans a dès lors estimé qu’elle n’était pas, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, en mesure de statuer en l’état actuel du dossier.

d. Le Dr H______ a établi son rapport d’expertise le 23 décembre 2019, après s’être entretenu avec l’assuré, assisté d’un interprète albanais, les 21 novembre et 5 décembre 2019, et avoir pris contact par téléphone avec la psychiatre traitante et le médecin traitant.

L’expert n’a retenu aucun diagnostic avec répercussion sur la capacité de travail. Il a en revanche relevé des troubles dépressifs récurrents moyens avec syndrome somatique léger depuis 2011 au présent « sans indice de jurisprudence rempli », un trouble mixte de la personnalité émotionnellement labile de type impulsif et dépendante actuellement non décompensé, trouble « qui n’avait pas empêché l’assuré de gérer son quotidien sans limitation, de travailler à 100% dans le passé et d’avoir une vie conjugale stable », et des facteurs psychologiques ou comportementaux associés à des troubles ou des maladies classés ailleurs, « sans indice de gravité jurisprudentielle rempli », étant précisé que le diagnostic était probable après les séquelles post-accident.

e. L'assuré et l'OAI ont formulé leurs observations par écritures du 19 février 2020, respectivement du 24 février 2020.

f. Par courriel du 5 mai 2020, l’OAI a transmis à la chambre de céans un rapport du 24 avril 2020 du docteur I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie et psychiatre traitant du recourant, dans lequel ce dernier a retenu le diagnostic d’épisode dépressif récurrent, épisode actuel sévère avec symptômes psychotiques.

Le psychiatre traitant observait également un important trouble de la mémoire et de la concentration. Le recourant cherchait les documents pour se rappeler l'âge de ses parents et enfants, la durée de son mariage et la séquence des événements de sa vie. Il parvenait en outre difficilement à mobiliser son attention sur une tâche (télévision, conversations, lecture…). En consultation, le psychiatre avait par ailleurs observé que le patient peinait à rester attentif et présentait de nombreuses absences. La résistance psychique était également décrite comme nulle (0%), la thymie et les troubles cognitifs entraînant une fatigabilité importante avec apathie, anhédonie et aboulie. L’intéressé présentait des idées noires. Il présentait des difficultés à s’adapter, à appliquer des compétences professionnelles, à établir des contacts avec des tiers et à évoluer dans un groupe, à entretenir des relations familiales, à réaliser des activités spontanées.

Le psychiatre traitant faisait enfin état d'un syndrome dysexécutif modéré à sévère, « selon les tests ». Le patient présentait des difficultés de compréhension et une importante difficulté à s’exprimer, probablement due à une altération cognitive.

g. Invité à se déterminer, l’OAI a soumis le rapport du Dr I______ au SMR, lequel a considéré, le 9 juin 2020, que ce médecin n’amenait pas de nouveaux éléments médicaux objectifs permettant de remettre en question les conclusions de l’expertise du Dr H______. L’OAI a dès lors maintenu ses conclusions en rejet du recours.

h. Par arrêt du 5 mars 2021 (ATAS/182/2021), la chambre de céans a jugé que les conclusions de l'expertise du Dr H______ n'apparaissaient pas convaincantes. Elle a en particulier relevé qu'il était difficilement compréhensible que l’expert soit, d’une part, en mesure de constater que « lors des décompensations, comme durant quelques semaines en 2018 quand [l'assuré] a été hospitalisé, il peut présenter des idées suicidaires actives, voire des idées hétéros agressives dans des contextes de frustration. Durant ces périodes de décompensation, il peut présenter ponctuellement des symptômes d'allure de trouble dépressif sévère avec des symptômes psychotiques, vu son agitation, les idées noires et le fait qu'il se sent persécuté par l'OAI s'il ne reçoit pas une rente », et, d’autre part, de conclure que « cependant, les critères de gravité et de durée de la CIM-10 ne sont pas remplis pour un tel trouble dépressif récurrent sévère ». La description donnée par l’expert paraissait plutôt être compatible avec le diagnostic retenu par les Drs I______ et F______ d’épisode dépressif récurrent, épisode actuel sévère avec symptômes psychotiques. Par ailleurs, alors que l'expert ne retenait aucun diagnostic invalidant, il avait vivement recommandé une réévaluation de la situation dans six à douze mois en fonction de l’évolution, l’état n’étant pas stabilisé. Il estimait ainsi que la capacité de travail pouvait encore être améliorée de façon sensible « dans le sens d’une réadaptation professionnelle et d’une aide à la réinsertion professionnelle après mise en place d’un suivi psychiatrique hebdomadaire avec un travail spécifique sur la question du status algique et des avantages secondaires avec mise en place d’un traitement antidépresseur suffisant avec monitoring sanguin », ce qui paraissait pour le moins contradictoire avec ses conclusions. La chambre de céans a, partant, ordonné une nouvelle expertise psychiatrique, qu'elle a confiée au docteur J______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.

i. Les 15 mai et 14 juin 2021, le Dr J______ a examiné l'assuré, assisté d'une traductrice, puis, après s'être entretenu avec le Dr I______, a rendu son rapport d'expertise le 24 juillet 2021. L'expert a retenu une dysthymie, sans effet sur la capacité de travail, laquelle était entière dans toute activité adaptée à l'état physique.

j. Dans sa détermination du 10 août 2021, l'OAI, se ralliant à l'avis joint du SMR du même jour, a persisté dans ses conclusions.

k. Le 23 août 2021, l'assuré a également maintenu ses conclusions. Il a produit un article intitulé « Le Mini-Mental State Examination (MMSE) : un outil pratique pour l'évaluation de l'état cognitif des patients par le clinicien », publié le 12 juin 1999 dans la Presse Médicale, ainsi qu'un rapport du Dr I______ du 10 août 2021. Le psychiatre traitant s’écartait du diagnostic de dysthymie posé par l'expert, en réitérant que son patient souffrait d'un trouble dépressif ayant valeur de maladie psychiatrique. Selon le Dr I______, compte tenu de l'efficacité du traitement antidépresseur (dont la compliance était optimale, ainsi que l'avait constaté le Dr J______), il fallait plutôt retenir un épisode dépressif en rémission partielle.

l. Par ordonnance du 20 mai 2022, la chambre de céans a ordonné une expertise rhumatologique et psychiatrique, complétée par un bilan neuropsychologique du recourant.

L’appréciation du Dr J______ n’emportait en effet pas la conviction de sorte que sa valeur probante ne pouvait qu’être mise en doute. Au vu notamment des éléments objectifs mis en évidence par le psychiatre traitant (altération cognitive), force était de constater que l’expert psychiatre n’avait pas suffisamment instruit la situation du recourant. Le Dr J______ avait déclaré péremptoirement qu'aucun substrat médical n'expliquait l'amnésie du recourant, jugeant la coopération de ce dernier au test MMSE non optimale. Or, on attendait d'un expert, en présence d'un expertisé se plaignant de troubles de la mémoire (et dont les réponses sont en conséquence lacunaires), qu'il prenne les mesures qui s'imposaient et adapte son examen, cas échéant, au moyen d'autres tests, pour confirmer ou infirmer les troubles mnésiques, ce d'autant qu'on se demandait si le syndrome dysexécutif modéré à sévère évoqué par le Dr I______ pouvait impacter ou non la mémoire du recourant. Or, le Dr J______ ne s'exprimait pas à ce propos. De même, si le recourant ne présentait certes pas un trouble du langage, ni un trouble moteur ou un trouble gnosique ‒ reconnaissance des objets ‒ (rapport du 24 juillet 2021, p. 9 ; avis du SMR du 31 août 2021), cela ne renseignait pas ‒ à défaut d'explications circonstanciées étayées par des tests complémentaires ‒ sur l'existence ou non d'un trouble mnésique. En outre, dans son rapport du 10 août 2021, le Dr I______ s'était écarté du diagnostic de dysthymie posé par l'expert, en réitérant que son patient souffrait d'un trouble dépressif ayant valeur de maladie psychiatrique. Selon le psychiatre traitant, compte tenu de l'efficacité du traitement antidépresseur (dont la compliance avait été constatée optimale par le Dr J______ [rapport d'expertise, p. 19]), il fallait plutôt retenir un épisode dépressif en rémission partielle.

m. La nouvelle expertise pluridisciplinaire a été confiée au K______ (ci-après : K______). Elle a été mise en œuvre par les docteurs L______ (rhumatologie et médecine interne) et M______ (psychiatrie), ainsi que par Madame N______ (neuropsychologie). Le rapport d’expertise a été adressé à la chambre de céans le 11 septembre 2022.

-          L’expert en rhumatologie a retenu les diagnostics incapacitants d’ankylose partielle du coude droit avec flessum irréductible d’origine indéterminée depuis le 29 avril 2014, date de la première arthrolyse du coude droit et de syndrome lombaire non déficitaire sur hernie discale gauche L3-L4, et une petite impaction post-traumatique du plateau supérieur droit de L4 depuis l’accident du 5 novembre 2010. La capacité de travail est considérée nulle dans l’activité habituelle depuis le 29 avril 2014.

Dans une activité adaptée, la capacité de travail est également décrite comme nulle dès le 29 avril 2014. Elle était cependant à nouveau entière dès septembre 2016, soit six mois après la troisième arthrolyse, moyennant une diminution de la performance de 20% en raison de l’atteinte au membre supérieur dominant. Était considérée comme adaptée, une activité légère bimanuelle sans port de charge fréquent supérieur à 10 kg, ni station debout et assise prolongées.

-          Aucun diagnostic incapacitant n’était retenu sous l’angle psychiatrique. Seul était admise par l’expert une dysthymie, sans incidence sur la capacité de travail, laquelle était considérée comme entière, dans toute activité depuis toujours.

-          Sous l’angle neuropsychologique, l’experte a indiqué que les troubles évoquaient une atteinte neurocognitive majeure, ne pouvant s’expliquer ni par les diagnostics, ni par le niveau socio-éducatif, ni par la fatigue évoquée par l’expertisé. Sur la base de dépistage cognitifs, les troubles étaient même en discrète aggravation, sans que cela ne puisse non plus s’expliquer. Vu cependant l’échec et les incohérences relevées lors de deux tests simples spécialement conçus pour détecter l’amplification des troubles, ainsi que des comportements inadéquats, de surcharge et de théâtralisation, un diagnostic de « majoration de symptômes pour raisons psychologiques » était finalement retenu par l’experte. Celle-ci en faisait mention tant dans la partie diagnostic « avec répercussion sur la capacité de travail » que dans celle « sans répercussion sur la capacité de travail ». Enfin, elle relevait que « l’évaluation ne pouvait [peut] pas être jugée comme concluante et un défaut d’effort était [est] avancé. Ce constat avait [a] déjà été évoqué par les précédents experts psychiatres ». La capacité de travail ne pouvait donc pas être évaluée.

Au terme de l’évaluation consensuelle pluridisciplinaire, les experts ont repris les conclusions de l’expert rhumatologue concernant les diagnostics incapacitants, les limitations fonctionnelles et la capacité de travail, laquelle était donc considérée entière, avec diminution de la performance de 20% en raison de l’atteinte au membre supérieur dominant, dès septembre 2016, dans une activité adaptée aux limitations d’ordre somatique exclusivement.

Sous la rubrique « constatations/diagnostics d’éléments ayant une incidence sur les capacités fonctionnelles » est également mentionnée, au plan neuropsychologique, la majoration de symptômes pour raisons psychologiques.

n. Dans ses déterminations du 4 octobre 2022, l’intimé a, conformément à l’avis du SMR, considéré l’expertise comme globalement convaincante et a ainsi reconnu à l’assuré une rente entière limitée dans le temps, soit, vu la date de dépôt de la demande, de juillet à novembre 2016. Il était relevé, pour le surplus, que l’expert rhumatologue ne s’était pas prononcé sur la capacité de travail pour une activité mono-manuelle légère, considérée exigible par le SMR et justifiant, selon l’intimé, un abattement de seulement 10% (et non 20% comme retenu dans l’expertise pour une activité bimanuelle).

o. Le 15 novembre 2022, le recourant a émis diverses critiques à l’encontre de l’expertise.

Il était étonnant que l’expert rhumatologue ne retienne qu’une baisse de performance de 20% dans une activité adaptée, alors qu’il ressortait des autres volets du rapport d’expertise qu’il était peu probable que le recourant soit en mesure d’apprendre et de comprendre ce qui était attendu de lui.

Quant à l’expert psychiatre, son objectivité était remise en cause, dans la mesure notamment où il avait très mal accueilli le recourant, l’avait immédiatement antagonisé, avait ricané lors de ses réponses aux questions et ne lui avait pas laissé le temps d’organiser ses pensées. Le recourant avait eu l’impression que la consultation n’avait été qu’une formalité sans importance, ce qui était corroboré par le fait que l’appréciation de l’expert psychiatre se fondait au final essentiellement sur les conclusions de l’expertise du Dr J______ dont les manquements avaient pourtant été relevés précédemment. Un rapport du Dr I______ du 1er novembre 2022 était par ailleurs produit dans lequel le psychiatre traitant faisait part de son incompréhension face à l’interprétation par l’expert des éléments objectifs et notamment de la difficulté évidente du recourant à répondre mais également à comprendre les questions. Il semblait inexact de retenir une majoration de symptômes alors qu’il s’agissait d’un problème d’acculturation et d’inadaptation.

Enfin, concernant le volet neuropsychologique, le recourant a précisé que, même avec l’aide de l’interprète, il n’était pas parvenu à comprendre la plupart des consignes données. L’ensemble des expertises figurant au dossier faisaient d’ailleurs état de facultés cognitives extrêmement limitées, confirmées d’ailleurs par l’attestation du 1er novembre 2022 du Dr I______, relevant que des réelles difficultés de compréhension étaient présentes dans le cadre du suivi psychothérapeutique, même en l’absence de bénéfice objectivable. Ces éléments n’avaient pas été pris en compte par la neuropsychologue.


 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

3.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

4.             Le litige porte sur le droit du recourant à une rente d’invalidité, plus particulièrement, sur sa capacité de travailler à partir du mois de novembre 2016.

5.              

5.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois-quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28a al. 1 LAI).

Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale ; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

En vertu des art. 28 al. 1 et 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à la date dès laquelle l’assuré a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne pendant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins, mais au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA. Selon l’art. 29 al. 3 LAI, la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance.

5.2  

5.2.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V 165 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

En 2017, le Tribunal fédéral a modifié sa pratique lors de l'examen du droit à une rente d'invalidité en cas de troubles psychiques. La jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux, selon laquelle il y a lieu d'examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d'une procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs (ATF 141 V 281), s'applique dorénavant à toutes les maladies psychiques. En effet, celles-ci ne peuvent en principe être déterminées ou prouvées sur la base de critères objectifs que de manière limitée. La question des effets fonctionnels d'un trouble doit dès lors être au centre. La preuve d'une invalidité ouvrant le droit à une rente ne peut en principe être considérée comme rapportée que lorsqu'il existe une cohérence au niveau des limitations dans tous les domaines de la vie. Si ce n'est pas le cas, la preuve d'une limitation de la capacité de travail invalidante n'est pas rapportée et l'absence de preuve doit être supportée par la personne concernée (ATF 143 V 409 consid. 4.5 et ATF 143 V 418 consid. 6 et 7).

Même si un trouble psychique, pris séparément, n'est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l'appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n'est pas invalidante, mais peut l'être lorsqu'elle est accompagnée d’un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).

5.2.2 Il convient dorénavant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs limitant les capacités fonctionnelles et, d'autre part, les potentiels de compensation (ressources), à l’aide des indicateurs developpés par le Tribunal fédéral suivants :

Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l’étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic. Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l’atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés.

Il convient encore d'examiner le succès du traitement et de la réadaptation ou la résistance à ces derniers. Ce critère est un indicateur important pour apprécier le degré de gravité. L’échec définitif d’un traitement indiqué, réalisé lege artis sur un assuré qui coopère de manière optimale, permet de conclure à un pronostic négatif. Si le traitement ne correspond pas ou plus aux connaissances médicales actuelles ou paraît inapproprié dans le cas d’espèce, on ne peut rien en déduire s’agissant du degré de gravité de la pathologie. Les troubles psychiques sont invalidants lorsqu'ils sont graves et ne peuvent pas ou plus être traités médicalement. Des déductions sur le degré de gravité d’une atteinte à la santé peuvent être tirées non seulement du traitement médical mais aussi de la réadaptation.

La comorbidité psychique ne doit être prise en considération qu’en fonction de son importance concrète dans le cas d’espèce, par exemple pour juger si elle prive l’assuré de ressources. Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l’influence du trouble psychique avec l’ensemble des pathologies concomitantes. Un trouble qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidant en tant que tel n’est pas une comorbidité, mais doit à la rigueur être pris en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité.

Il convient ensuite d'accorder une importance accrue au complexe de personnalité de l’assuré (développement et structure de la personnalité, fonctions psychiques fondamentales). Le concept de ce qu’on appelle les « fonctions complexes du Moi » (conscience de soi et de l’autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation) entre aussi en considération. Comme les diagnostics relevant des troubles de la personnalité sont, plus que d’autres indicateurs, dépendants du médecin examinateur, les exigences de motivation sont particulièrement élevées.

Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles ne doivent pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l’assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut s’assurer qu’une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d’autres difficultés de vie.

Il s’agit, encore, de se demander si l’atteinte à la santé limite l’assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l’exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple, les loisirs). Le critère du retrait social se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l’assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d’activité sociale de l’assuré avant et après la survenance de l’atteinte à la santé.

Il faut examiner ensuite la mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés, pour évaluer le poids effectif des souffrances. Tel n’est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours. Il ne faut pas conclure à l’absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d’une incapacité (inévitable) de l’assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie). Les mêmes principes s’appliquent pour les mesures de réadaptation. Un comportement incohérent de l'assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d’autres raisons que l'atteinte à la santé assurée.

5.2.3 Le juge vérifie librement si l’expert médical a exclusivement tenu compte des déficits fonctionnels résultant de l’atteinte à la santé et si son évaluation de l’exigibilité repose sur une base objective.

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 et 141 V 281 consid. 2.2 et 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_841/2016 du 30 novembre 2017 consid. 4.5.2).

Ce diagnostic doit être justifié médicalement de telle manière que les personnes chargées d’appliquer le droit puissent vérifier que les critères de classification ont été effectivement respectés. Il suppose l’existence de limitations fonctionnelles dans tous les domaines de la vie (tant professionnelle que privée). Les médecins doivent en outre prendre en considération les critères d’exclusion de ce diagnostic retenus par la jurisprudence (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1. et 2.2). Ainsi, si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la discordance entre les difficultés décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses difficultés dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact (cf. ATF 131 V 49 consid. 1.2).

5.3  

5.3.1 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. Dans le cas des maladies psychiques, les indicateurs sont importants pour évaluer la capacité de travail, qui - en tenant compte des facteurs incapacitants externes d’une part et du potentiel de compensation (ressources) d’autre part -, permettent d’estimer la capacité de travail réellement réalisable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_286/2020 du 6 août 2020 consid. 4 et la référence).

5.3.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3). Il faut en outre que le médecin dispose de la formation spécialisée nécessaire et de compétences professionnelles dans le domaine d’investigation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_555/2017 du 22 novembre 2017 consid. 3.1 et les références).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (ATF 125 V 351 consid. 3a ; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

On ajoutera qu'en cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. A cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2008 du 5 mars 2009 consid. 2.2).

5.4 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; ATF 126 V 353 consid. 5b ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

5.5 Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3).

5.6 Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

6.             En l’espèce, le volet neuropsychologique de l’expertise comporte diverses lacunes importantes de sorte qu’il ne remplit pas les conditions matérielles permettant de lui reconnaître une valeur probante. L’experte neuropsychologue semble d’ailleurs l’admettre elle-même, vu qu’elle relève dans le cadre de la discussion consensuelle entre experts que « la présente évaluation ne peut pas être jugée comme concluante » (p. 12).

Pour justifier cette conclusion, elle avance un défaut d’effort du recourant, tout en indiquant dans le paragraphe précédent que « les troubles évoquent une atteinte neurocognitive majeure, mais qui ne peut s’expliquer ni par les diagnostics, ni par le niveau socio-éducatif ou ni même par la fatigue évoquée par l’expertisé. De plus, sur la base du test de dépistage cognitif, les troubles sont discrètement en aggravation » (p. 12). La juxtaposition de ces éléments rend les conclusions de l’experte quant à l’absence d’effort peu convaincantes et compréhensibles. C’est d’autant plus le cas que la neuropsychologue indique initialement « qu’un défaut d’effort est seulement suspecté » (p. 49), avant de le considérer comme avéré essentiellement du fait qu’il a été « attesté à trois reprises en expertise » (p. 52).

Les limites de ces expertises ont pourtant été mises en exergue par la chambre de céans dans l’ordonnance ayant conduit à la mise en œuvre de l’expertise du K______ et en particulier de son volet neuropsychologique. La valeur probante de la dernière expertise, soit celle du Dr J______, a d’ailleurs été remise en cause par la chambre de céans précisément du fait que, compte tenu des éléments objectifs mis en évidence par le psychiatre traitant (notamment l’altération cognitive), la situation du recourant n'avait pas été suffisamment instruite. « Or, on attend d'un expert, en présence d'un expertisé qui se plaint de troubles de la mémoire (et dont les réponses sont en conséquences lacunaires), qu'il prenne les mesures qui s'imposent et adapte son examen, cas échéant, au moyen d'autres tests, pour confirmer ou infirmer les troubles mnésiques, ce d'autant qu'on se demande si le syndrome dysexécutif modéré à sévère évoqué par le Dr I______ peut impacter ou non la mémoire du recourant. » (ATAS/460/2022, consid. 8.4.1).

Ainsi, alors que ces lacunes ont motivé la mise en œuvre d’un bilan neuropsychologique, force est de constater que celui-ci ne les comble pas et se contente au contraire de les répéter. La neuropsychologue ne se prononce jamais sur les constatations objectives du psychiatre traitant, dont les rapports circonstanciés relèvent pourtant l’ampleur des difficultés et limites du recourant notamment en terme de mémoire, de concentration et de compréhension (cf. notamment le rapport du 24 avril 2020). Mme N______ ne mentionne même pas le syndrome dysexécutif modéré évoqué par le Dr I______ (diagnostic qui n’est abordé par aucun des experts) et ne soumet donc pas le recourant aux tests pertinents pour confirmer ou exclure ce diagnostic (tel que le Behavioural Assessment of the Dysexecutive Syndrome - BADS), alors que plusieurs éléments relevés par la neuropsychologue semblaient compatibles avec un tel syndrome (oublier ce qui vient d’être entendu, difficulté à suivre des directives ou une séquence d’étapes, surplus émotif et fixation sur un élément, difficulté de gestion du temps).

D’une manière générale, la neuropsychologue ne prend absolument pas en compte les constatations du psychiatre traitant dont les rapports ne sont pas cités dans l’anamnèse médicale (qui fait uniquement mention des trois expertises précédentes) et semblent avoir été omises, alors qu’elles avaient en grande partie justifié la mise en œuvre du bilan neuropsychologique. Ce faisant, elle a ignoré des éléments objectivement vérifiables et suffisamment pertinents pour remettre en cause ses conclusions et les conclusions générales de l’expertise pluridisciplinaire.

Au-delà de ces éléments, la chambre de céans relève encore que la neuropsychologue ne détaille pas les tests effectués dans le cadre de son bilan, ni les résultats précis obtenus. Elle indique uniquement avoir procédé au test de Rey et à celui du comptage des points, spécifiquement conçus pour détecter une amplification des troubles et dont les résultats seraient fortement inadéquats (p. 49), sans préciser ces résultats, ni fournir d’explications complémentaires, de sorte que l’affirmation de l’experte est à cet égard également difficilement appréciable. Un argumentaire développé et une analyse plus fine semblaient nécessaires au vu non seulement des éléments précités mais également du fait que l’experte neuropsychologue considère que le recourant « n’est pas en mesure de comprendre les conséquences » (p. 52) du manque d’effort dont elle fait état.

Enfin, une théâtralisation est également retenue par la neuropsychologue en lien avec des constatations faites lors de l’entretien, soit par exemple le fait de changer de main au milieu d’exercices, se tenir la tête en écrivant ou parler systématiquement avec sa main devant sa bouche. Aucune explication à cet égard n’a cependant été sollicitée de l’intéressé lors de l’entretien. Il a ainsi uniquement pu justifier ses comportements dans le cadre de ses observations subséquentes à la chambre de céans : les tâches d’écriture et de dessin avaient été rendues difficiles du fait de l’ankylose du bras droit, qui avait requis des changements de bras fréquents ; le fait de parler avec la bouche couverte par sa main, s’expliquait quant à lui par le fait qu’il portait un dentier qui n’était pas tout à fait ajusté à sa mâchoire et qu’il perdait régulièrement lorsqu’il parlait.

Pour l’ensemble de ces raisons, le bilan neuropsychologique n’est pas convaincant et ne saurait se voir reconnaître une valeur probante suffisante. Il convient donc d’en ordonner un nouveau.

6.1 En l’état, il n’apparaît pas nécessaire de faire procéder à une nouvelle expertise pluridisciplinaire. Les conclusions des experts du K______ sur le plan somatique sont en effet convaincantes et pas sérieusement remises en question par les critiques du recourant. Quant au volet psychiatrique, la chambre de céans en réserve son appréciation en fonction des résultats du bilan neuropsychologique. L’expert psychiatre ne faisant en effet aucune référence au volet neuropsychologique de l’expertise, le seul fait que celui-ci soit écarté ne porte pas atteinte à la valeur probante sur le plan psychiatrique. Il pourrait cependant en aller autrement s’il appert que les constatations et résultats du bilan neuropsychologique à venir peuvent avoir une incidence ou donner un éclairage différent sur l’appréciation psychiatrique et pluridisciplinaire de la situation.


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

I.            Ordonne un bilan neuropsychologique de Monsieur A______. Le confie à Madame O______, neuropsychologue, en s'adjoignant les services d'un interprète en albanais.

II.              Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

A. Prendre connaissance du dossier de la cause.

B. Si nécessaire prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité l’intéressé, notamment le docteur I______, ainsi que ceux ayant procédé à l’expertise pour le compte du K______, soit les docteurs M______, L______ et Madame N ______.

C. Examiner la personne expertisée et, si nécessaire, ordonner d'autres examens ;

D. Effectuer des tests de validation des symptômes, et les commenter.

E. Établir un rapport comprenant les éléments et les réponses aux questions suivantes :

1.             Anamnèse détaillée (avec la description d’une journée-type)

2.             Plaintes de la personne expertisée

3.             Status et constatations objectives

4.             Diagnostics (selon un système de classification reconnu)

Précisez quels critères de classification sont remplis et de quelle manière (notamment l’étiologie et la pathogenèse).

4.1 Avec répercussion sur la capacité de travail

4.1.1   Dates d'apparition

4.2         Sans répercussion sur la capacité de travail

4.2.1 Dates d'apparition

4.3 Quel est le degré de gravité de chacun des troubles diagnostiqués (faible, moyen, grave) ?

4.4         Dans quelle mesure les atteintes diagnostiquées limitent-elles les fonctions nécessaires à la gestion du quotidien ? (N’inclure que les déficits fonctionnels émanant des observations qui ont été déterminantes pour le diagnostic de l’atteinte à la santé, en confirmant ou en rejetant des limitations fonctionnelles alléguées par la personne expertisée).

4.5         Y a-t-il exagération des symptômes ou constellation semblable (discordance substantielle entre les douleurs décrites et le comportement observé ou l’anamnèse, allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, absence de demande de soins médicaux, plaintes très démonstratives laissant insensible l'expert, allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact) ?

4.6         Dans l’affirmative, considérez-vous que cela suffise à exclure une atteinte à la santé significative ?

5. Limitations fonctionnelles

5.1. Indiquer les limitations fonctionnelles en relation avec chaque diagnostic.

5.1.1 Dates d'apparition

5.2 Les plaintes sont-elles objectivées ?

6. Cohérence

6.1 Est-ce que le tableau clinique est cohérent, compte tenu du ou des diagnostic(s) retenu(s) ou y a-t-il des atypies ?

6.2 Est-ce que ce qui est connu de l'évolution correspond à ce qui est attendu pour le ou les diagnostic(s) retenu(s) ?

6.3 Est-ce qu'il y a des discordances entre les plaintes et le comportement de la personne expertisée, entre les limitations alléguées et ce qui est connu des activités et de la vie quotidienne de la personne expertisée ? En d’autres termes, les limitations du niveau d’activité sont-elles uniformes dans tous les domaines (professionnel, personnel) ?

6.4 Quels sont les niveaux d’activité sociale et d’activités de la vie quotidienne (dont les tâches ménagères) et comment ont-ils évolué depuis la survenance de l’atteinte à la santé ?

6.5 Dans l’ensemble, le comportement de la personne expertisée vous semble-t-il cohérent et pourquoi ?

7. Ressources

7.1 Quelles sont les ressources résiduelles de la personne expertisée sur le plan somatique ?

7.2 Quelles sont les ressources résiduelles de la personne expertisée sur les plans :

a) mental

b) social et familial. En particulier, la personne expertisée peut-elle compter sur le soutien de ses proches ?

8. Capacité de travail

8.1 Dater la survenance de l’incapacité de travail durable dans l’activité habituelle pour chaque diagnostic, indiquer son taux pour chaque diagnostic et détailler l’évolution de ce taux pour chaque diagnostic.

8.2 La personne expertisée est-elle capable d’exercer son activité lucrative habituelle ?

8.2.1 Si non, ou seulement partiellement, pourquoi ? Quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ?

8.2.2 Depuis quelle date sa capacité de travail est-elle réduite / nulle ?

8.3 La personne expertisée est-elle capable d’exercer une activité lucrative adaptée à ses limitations fonctionnelles ?

8.3.1 Si non, ou dans une mesure restreinte, pour quels motifs ? Quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ?

8.3.2 Si oui, quel est le domaine d’activité lucrative adaptée ? À quel taux ? Depuis quelle date ?

8.3.3 Dire s’il y a une diminution de rendement et la chiffrer.

8.4 Des mesures médicales sont-elles nécessaires préalablement à la reprise d’une activité lucrative ? Si oui, lesquelles ?

8.5 Quel est votre pronostic quant à l’exigibilité de la reprise d’une activité lucrative ?

9. Traitement

9.1 Examen du traitement suivi par la personne expertisée et analyse de son adéquation.

9.2 Propositions thérapeutiques et analyse de leurs effets sur la capacité de travail de la personne expertisée.

10. Appréciation d'avis médicaux du dossier

Commenter et discuter, pour autant qu’ils relèvent de votre domaine de spécialité, les avis médicaux du SMR, des experts (notamment Mme N______) s'étant déjà prononcés et des médecins traitants (notamment le Dr I______) et indiquer - cas échéant - pour quelles raisons ces avis sont confirmés ou écartés, en particulier concernant le diagnostic de syndrome dysexécutif, les déficits cognitifs et la majoration de symptômes.

11.         Quel est le pronostic ?

12.         Des mesures de réadaptation professionnelle sont-elles envisageables ?

13.         Faire toutes autres observations ou suggestions utiles.

F. Invite l’experte à déposer son rapport en trois exemplaires dans les meilleurs délais auprès de la chambre de céans.

G. Réserve le fond ainsi que le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.

 

 

La greffière

 

 

 

 

Stefanie FELLER

 

La présidente

 

 

 

 

Fabienne MICHON RIEBEN

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties par le greffe le