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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2421/2020

ATAS/241/2022 du 17.03.2022 ( AVS )

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2421/2020 ATAS/241/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 17 mars 2022

5ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée ______, à LAUSANNE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Filippo RYTER

recourante

contre

CAISSE DE COMPENSATION DE LA SSE, AGENCE DE GENÈVE, AVS 66.2, sise rue de Malatrex 14, GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Pierre VUILLE

et

CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DE L’INDUSTRIE ET DE LA CONSTRUCTION (CAFINCO), sise rue de Malatrex 14, GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Pierre VUILLE

 

intimée

 

 

 

intimée

EN FAIT

 

A.      a. Madame A______ (ci-après : l'administratrice ou la recourante) est inscrite auprès du registre du commerce (ci-après : RC) en qualité d’administratrice de la société anonyme B______SA (ci-après : B______ ou la société), avec signature individuelle, depuis le 12 juillet 2013.

b. La société a été déclarée en faillite une première fois, par jugement prononcé en date du 13 juillet 2017 par le Tribunal de première instance (ci-après : TPI). Suite à la révocation du jugement et à une nouvelle commination, la faillite définitive de la société a été prononcée par jugement du TPI du 18 mars 2019.

c. La caisse de compensation de la SSE, agence de Genève, AVS 66.2 (ci-après : la caisse SSE ou l’intimée 1) a produit ses créances en paiement des cotisations sociales (2ème classe), pour les mois de décembre 2018, janvier 2019 et février 2019, dans la faillite de la société, pour un montant total de CHF 56'930.45.

d. La caisse d’allocations familiales de l’industrie et de la construction (CAFINCO) (ci-après : la CAFINCO ou l’intimée 2) a produit ses créances en paiement des cotisations sociales (2ème classe), pour les mois de décembre 2018, janvier 2019 et février 2019, dans la faillite de la société, pour un montant total de CHF 111.55.

e. Les actifs de la société en faillite n’ont pas permis de désintéresser la caisse SSE et la CAFINCO.

B.       a. En date du 25 novembre 2019, la caisse SSE a rendu une décision de réparation du dommage causé par l’employeur à l’encontre de l’administratrice et lui a réclamé le paiement du montant du dommage, arrêté à CHF 63'229.60.

b. En date du 25 novembre 2019, la CAFINCO a rendu une décision de réparation du dommage causé par l’employeur à l’encontre de l’administratrice et lui a réclamé le paiement du montant du dommage, arrêté à CHF 111.55.

c. Par courriers du 24 décembre 2019, adressés respectivement à la caisse SSE et à CAFINCO, l'administratrice a fait opposition aux décisions du 25 novembre 2019. Elle a allégué ne pas se considérer solidairement responsable des dettes de la société, en sa qualité d’administratrice. Elle invoquait le fait que les véritables dirigeants étaient les actionnaires majoritaires, soit Messieurs C______ et D______, alors qu’elle-même n'avait pas de pouvoir, ni de signature bancaire et n’avait jamais bénéficié d’aucun avantage de par sa fonction dans la société.

d. Par décisions sur opposition du 17 juin 2020, la caisse SSE et la CAFINCO ont écarté les oppositions de l’administratrice à leurs décisions respectives et ont confirmé leurs décisions du 25 novembre 2019 au motif que l’administratrice était un organe formel de la société et qu’elle était tenue de réparer le dommage qui leur avait été causé du fait du non-paiement des contributions sociales. Les devoirs de l’administratrice étaient rappelés, ainsi que sa négligence grave pour n’avoir pas assumé, dans les faits, son mandat.

C.      a. Par deux mémoires du 17 août 2020, postés le jour même, l’avocat de l’administratrice a recouru contre les décisions sur opposition rendues le 17 juin 2020, respectivement par la caisse SSE et par CAFINCO, auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans). Les moyens invoqués dans les deux recours étaient similaires ; il était allégué que les créances étaient prescrites et que l’administratrice n'avait pas de pouvoir dans la société et ne s’était jamais occupée de la question du paiement des salaires, ce qui n’entrait pas dans ses compétences. Pour ces raisons, elle n’était pas responsable du dommage causé aux intimées et les décisions querellées devaient être annulées.

b. Par deux mémoires de réponse datés du 15 octobre 2020, l’avocat de la caisse SSE et de la CAFINCO a infirmé que la prescription soit acquise et a confirmé que la responsabilité de l’administratrice était engagée en raison de sa qualité d'organe. Les deux intimées ont conclu à la jonction des deux causes, au rejet des recours et à la condamnation de la recourante aux frais et dépens. La recourante ne s’est pas opposée à la jonction des causes.

c. Par ordonnance de jonction de la chambre de céans, datée du 24 novembre 2020, les causes ont été jointes.

d. Par réplique du 5 février 2021, le conseil de la recourante a renvoyé la chambre de céans aux conclusions prises dans les recours du 17 août 2020.

e. Lors de l’audience de comparution personnelle du 3 février 2022, la recourante a exposé avoir suivi une formation de comptable, en Argentine, qu’elle avait ensuite complétée en Suisse. Jusqu’en 2003, elle avait travaillé dans des fiduciaires internationales en qualité de comptable ; après 2003, elle avait travaillé dans sa propre société fiduciaire, E______ Sàrl, qui était encore active.

Elle exposait que c’était M. C______ qui lui avait demandé de prendre la fonction d'administratrice de B______, autour de 2013 ; elle était rémunérée à hauteur de CHF 4'800.- par an, uniquement pour être administratrice. Elle signait les bilans une fois par année et reconnaissait que sur le bilan, la plus grosse charge était constituée des charges salariales. Sur question du Président, elle admettait qu’elle ne pouvait ignorer, à la lecture des bilans, que la société allait mal mais se justifiait en exposant que les deux autres associés, MM. D______ et C______, l’avaient rassurée en lui disant, notamment, que l'on trouverait une solution.

La recourante ne contestait pas la quotité des montants réclamés, expliquant qu’elle n’était pas en possession des éléments chiffrés qui lui permettaient de dire si ceux-ci étaient corrects ou non. Questionnée sur sa propre responsabilité, elle répondait avoir appris, par M. C______, la faillite de la société, en mars 2019. Elle avait alors demandé à voir les bilans avec un réviseur, Monsieur F______, de la société CR Gestion et fiduciaire SA ; après examen des bilans, M. F______ et l’administratrice avaient considéré que la faillite était inéluctable, en dépit des garanties reçues de M. C______. Elle n’avait pas été contactée par l'office des faillites.

f. À la demande du Président, la caisse SSE s’est engagée à communiquer un tableau mis à jour, ventilant le montant du capital, des intérêts et détaillant les frais réclamés par l’intimée 1, ce qui a été fait par courrier du 11 février 2022, transmis également à la recourante, qui n’a pas réagi.

g. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

h. Les autres faits seront repris - en tant que de besoin - dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Selon l’art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. Cette disposition est également applicable lorsque la caisse recherche un organe de l’employeur en réparation du dommage, et ce quel que soit le domicile dudit organe (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

La société étant domiciliée dans le canton de Genève depuis sa fondation jusqu’au moment de sa faillite, la chambre de céans est compétente ratione loci, quand bien même l’administratrice est domiciliée à Lausanne.

3.      À teneur de l’art. 1 al. 1 LAVS, les dispositions de la LPGA s’appliquent aux art. 1 à 97 LAVS, à moins que la loi n’y déroge expressément. Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Toutefois, dans la mesure où le recours était, au 1er janvier 2021, pendant devant la chambre de céans, il reste soumis à l'ancien droit (cf. art. 82a LPGA ; RO 2020 5137 ; FF 2018 1597 ; erratum de la CdR de l’Ass. féd. du 19 mai 2021, publié le 18 juin 2021 in RO 2021 358).

4.      Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais pour la période du 15 juillet au 15 août inclusivement (art. 38 al. 4 let. b LPGA et art. 89C let. b LPA), le recours est recevable.

5.      L'objet du litige porte sur la responsabilité de l’administratrice pour le dommage subi par les intimées du fait du défaut de paiement des cotisations sociales par la société.

6.       

6.1 À titre liminaire, il convient d’examiner si la prétention des intimées est prescrite, comme l’allègue la recourante.

6.2 Le 1er janvier 2020 est entrée en vigueur la révision du droit de la prescription de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), entraînant la modification de l’art. 52 al. 3 LAVS avec pour résultat un allongement du délai de prescription relative de deux à trois ans et celui de prescription absolue de cinq à dix ans.

Eu égard au principe de droit intertemporel selon lequel les dispositions légales applicables sont celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 130 V 445 consid. 1), c’est la teneur de cette disposition en vigueur jusqu’au 31 décembre 2019 qui est applicable au cas d’espèce.

6.3 Les délais prévus par l’art. 52 al. 3 LAVS doivent être qualifiés de délais de prescription, non de péremption, comme cela ressort du texte légal et des travaux préparatoires de la LPGA (SVR 2005 AHV n° 15 p. 49 consid. 5.1.2 ; FF 1994 V 964 ; FF 1999 p. 4422). Alors que le délai de prescription de deux ans commence à courir dès la connaissance du dommage, celui de cinq ans débute, en revanche, dès la survenance du dommage (ATF 129 V 193 consid. 2.2).

Cela signifie que les délais ne sont plus sauvegardés une fois pour toutes avec les décisions relatives aux dommages-intérêts ; le droit à la réparation du dommage au sens de l'art. 52 al. 1 LAVS peut donc aussi se prescrire durant la procédure d'opposition ou la procédure de recours qui s'ensuit (ATF 135 V 74 consid. 4.2).

6.4 Le dommage survient dès que l’on doit admettre que les cotisations dues ne peuvent plus être recouvrées, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 129 V 193 consid. 2.2 ; ATF 126 V 443 consid. 3a). Ainsi, en matière de cotisations, un dommage se produit au sens de l’art. 52 LAVS lorsque l’employeur ne déclare pas à l’AVS tout ou partie des salaires qu’il verse à ses employés et que, notamment, les cotisations correspondantes se trouvent ultérieurement frappées de péremption selon l’art. 16 al. 1 LAVS. Dans un tel cas, le dommage est réputé survenu au moment de l’avènement de la péremption (ATF 112 V 156 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 35/06 du 4 octobre 2006 consid. 6). Ce jour marque également celui de la naissance de la créance en réparation et la date à partir de laquelle court le délai de cinq ans (ATF 129 V 193 consid. 2.2 ; ATF 123 V 12 consid. 5c).

Un dommage se produit également en cas de faillite, en raison de l’impossibilité pour la caisse de récupérer les cotisations dans la procédure ordinaire de recouvrement. Le dommage subi par la caisse est réputé être survenu le jour de la faillite (ATF 129 V 193 consid. 2.2). En cas de faillite, le moment de la connaissance du dommage correspond en règle générale à celui du dépôt de l’état de collocation ou celui de la publication de la suspension de la liquidation de la faillite faute d’actifs (ATF 129 V 193 consid. 2.3).

6.5 Tandis que le juge ne peut interrompre la prescription que par une ordonnance ou une décision, « chaque acte judiciaire des parties » suffit à produire cet effet (art. 138 al. 1 CO). Cette notion d’acte judiciaire des parties doit être interprétée largement tout en ayant égard à la ratio legis de la disposition citée, qui est de sanctionner l’inaction du créancier. Il faut donc considérer comme acte judiciaire d’une partie tout acte de procédure relatif au droit invoqué en justice et susceptible de faire progresser l’instance (ATF 130 III 202 consid. 3.2). Par ailleurs, tant la décision que l’opposition interrompent le délai de prescription de deux ans et font courir un nouveau délai de même durée (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2).

7.      En l’espèce, la faillite de la société a été prononcée définitivement en date du 18 mars 2019. Les intimées ont produit leurs créances et l’état de collocation a été déposé, en date du 22 octobre 2019, avec l’indication d’un dividende de 0 % pour les créances de 2ème classe.

La recourante prétend que le moment de la connaissance du dommage devrait être fixé au jour du premier prononcé de la faillite, soit le 13 juillet 2017, alors même que la faillite a été révoquée en date du 24 octobre 2017.

Ce raisonnement ne saurait être suivi. En effet, le prononcé de la faillite en date du 13 juillet 2017 ne saurait être assimilé à la réalisation du dommage dès lors que ladite faillite a été révoquée en date du 24 octobre 2017 et que les cotisations sociales réclamées sont postérieures, datant respectivement des mois de décembre 2018, janvier 2019 et février 2019.

Le jugement du TPI du 12 mars 2018 (JTPI/4186/2018) faisant suite à l’avis de surendettement formé le 10 juillet 2017 par Société fiduciaire d'Expertise et de Révision SA (ci-après : SFER SA), en sa qualité d'organe de révision statutaire de B______, fait au contraire apparaître « qu'en l'espèce, il ressort des comptes arrêtés au 31 décembre 2017 que B______SA n'est pas (plus) en situation de surendettement, réalisant par ailleurs un bénéfice de CHF 165'322.88 à cette même date. Que les conditions d'application de l'art. 729 c CO n'étant pas réunies, la faillite de B______SA ne sera pas prononcée ( ) celle-ci ayant rétabli la situation ensuite des mesures d'assainissement prises notamment par ses deux actionnaires ».

Compte tenu de ce qui précède, le raisonnement de la recourante ne saurait être suivi, ce d’autant moins qu’en vertu des mesures d’assainissement prises par les actionnaires et du jugement rendu le 12 mars 2018, les intimées pouvaient être rassurées sur le sort de leurs créances, de sorte qu’aucun élément ne permet d’admettre que le moment de la connaissance du dommage devrait être fixé au jour du premier prononcé de faillite, soit en juillet 2017.

Ce n’est qu’à la suite de l'avis de surendettement formé le 4 mars 2019 par la société que la faillite a été prononcée définitivement, par le TPI, en date du 18 mars 2019 (JTPI/3928/2019).

Dès lors, il convient de se fonder, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, sur le moment du prononcé de la faillite pour fixer le dies a quo de la survenance du dommage et le moment du dépôt de l’état de collocation, soit le 22 octobre 2019, pour fixer le dies a quo de la connaissance du dommage.

Les décisions de réparation du dommage rendues par les intimées datent toutes deux du 25 novembre 2019 ; dès lors, ni le délai relatif de deux ans ni le délai absolu de cinq ans ne sont échus. Étant précisé que même en retenant comme dies a quo le jour du prononcé de la faillite (survenance du dommage), soit le 18 mars 2019, la prescription absolue n’est pas non plus échue.

8.      L’art. 14 al. 1 LAVS, en corrélation avec les art. 34 ss du règlement sur l’assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS - RS 831.101), prescrit que l’employeur doit déduire, lors de chaque paie, la cotisation du salarié et verser celle-ci à la caisse de compensation en même temps que sa propre cotisation. Les employeurs doivent remettre périodiquement aux caisses les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs employés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l’objet de décisions.

9.       

9.1 Selon l’art. 52 al. 1 LAVS, l’employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n’observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l’assurance, est tenu à réparation. L’obligation de l’employeur de percevoir les cotisations et de régler les comptes est une tâche de droit public prescrite par la loi. À cet égard, le Tribunal fédéral a déclaré, à réitérées reprises, que la responsabilité de l’employeur au sens de l’art. 52 LAVS est liée au statut de droit public. L’employeur qui ne s’acquitte pas de cette tâche commet une violation des prescriptions au sens de l’art. 52 LAVS, ce qui entraîne pour lui l’obligation de réparer entièrement le dommage ainsi occasionné (ATF 118 V 193 consid. 2a et les références).

9.2 À teneur de l’art. 52 al. 2 LAVS, si l’employeur est une personne morale, les membres de l’administration et toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d’un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage.

9.3 Selon la jurisprudence, si l’employeur est une personne morale, la responsabilité peut s’étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom, notamment quand la personne morale n’existe plus au moment où la responsabilité est engagée (ATF 123 V 12 consid. 5b ; ATF 122 V 65 consid. 4a). Le caractère subsidiaire de la responsabilité des organes d’une personne morale signifie que la caisse de compensation ne peut agir contre ces derniers que si le débiteur des cotisations (la personne morale) est devenu insolvable (ATF 123 V 12 consid. 5b).

L’art. 52 LAVS ne permet ainsi pas de déclarer l’organe d’une personne morale directement débiteur de cotisations d’assurances sociales. En revanche, il le rend responsable du dommage qu’il a causé aux différentes assurances sociales fédérales, intentionnellement ou par négligence grave, en ne veillant pas au paiement des cotisations sociales contrairement à ses obligations (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 96/05 du 5 décembre 2005 consid. 4.1).

La notion d’organe selon l’art. 52 LAVS est en principe identique à celle qui se dégage de l’art. 754 al. 1 CO. En matière de responsabilité des organes d’une société anonyme, l’art. 52 LAVS vise en première ligne les organes statutaires ou légaux de celle-ci, soit les administrateurs, l’organe de révision ou les liquidateurs (ATF 128 III 29 consid. 3a ; Thomas NUSSBAUMER, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure de réparation d’un dommage selon l’art. 52 LAVS, in RCC 1991 p. 403).

10.  En l’occurrence, à teneur de l’extrait du RC, la recourante avait la qualité d’organe formel de la société, soit administratrice, depuis l’année 2013 jusqu’au prononcé de la faillite.

Compte tenu de ce qui précède, la recourante répond, à titre subsidiaire, du dommage causé par l’omission de la société de payer les cotisations sociales.

11.  Reste à examiner si les autres conditions de la responsabilité de l’art. 52 al. 1 LAVS sont réalisées.

11.1 L’obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l’employeur, des prescriptions régissant l’assurance-vieillesse et survivants (RCC 1978 p. 259 ; RCC 1972 p. 687). Il faut donc un manquement d’une certaine gravité. Pour savoir si tel est le cas, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret (ATF 121 V 243 consid. 4b).

Selon la jurisprudence constante, se rend coupable d’une négligence grave l’employeur qui manque de l’attention qu’un homme raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes circonstances. La mesure de la diligence requise s’apprécie d’après le devoir de diligence que l’on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d’un employeur de la même catégorie que celle de l’intéressé. En présence d’une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l’attention qu’elle doit accorder au respect des prescriptions. Une différenciation semblable s’impose également lorsqu’il s’agit d’apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l’employeur (ATF 108 V 189). Les faits reprochés à une entreprise ne sont pas nécessairement imputables à chacun des organes de celle-ci. Il convient bien plutôt d’examiner si et dans quelle mesure ces faits peuvent être attribués à un organe déterminé, compte tenu de la situation juridique et de fait de ce dernier au sein de l’entreprise. Savoir si un organe a commis une faute dépend des responsabilités et des compétences qui lui ont été confiées par l’entreprise (ATF 108 V 199 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.2). La négligence grave mentionnée à l’art. 52 LAVS est admise très largement par la jurisprudence (ATF 132 III 523 consid. 4.6).

Commet notamment une faute grave, l’organe qui verse des salaires pour lesquels les créances de cotisations qui en découlent de par la loi ne sont pas couvertes (SVR 1995 AHV n° 70 p. 214 consid. 5 ; voir également l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_338/2007 du 21 avril 2008 consid. 3.1). Commet également une faute grave celui qui ne démissionne pas de ses fonctions alors qu’il se trouvait, en raison de l’attitude du tiers, dans l’incapacité de prendre les mesures qui s’imposaient s’agissant du paiement des cotisations ou qui se trouvait dans l’incapacité d’exercer son devoir de surveillance (voir par exemple : arrêts du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 4.3 ; 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2).

11.2 Selon une jurisprudence constante, c'est la démission effective de l'organe qui fixe en principe les limites temporelles de la responsabilité (ATF 123 V 172 consid. 3a ; ATF 112 V 1 consid. 3c p. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_713/2013 du 30 mai 2014 consid. 4.3.2). Un administrateur ne peut alors être tenu pour responsable que du dommage résultant du non-paiement des cotisations qui sont venues à échéance et qui auraient dû être versées entre le jour de son entrée effective au conseil d'administration et celui où il a quitté effectivement ses fonctions, soit pendant la durée où il a exercé une influence sur la marche des affaires. Demeurent réservés les cas où le dommage résulte d'actes qui n'ont déployé leurs effets qu'après le départ du conseil d'administration (ATF 126 V 61 consid. 4a ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 263/02 du 6 février 2003 consid. 3.2).

11.3 La responsabilité de l’employeur au sens de l’art. 52 LAVS suppose enfin un rapport de causalité (naturelle et) adéquate entre la violation intentionnelle ou par négligence grave des prescriptions et la survenance du dommage. La causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2).

La causalité adéquate peut être exclue, c’est-à-dire interrompue, l’enchaînement des faits perdant alors sa portée juridique, lorsqu’une autre cause concomitante - la force majeure, la faute ou le fait d’un tiers, la faute ou le fait de la victime - constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre. L’imprévisibilité de l’acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate ; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener, en particulier le comportement de l’auteur (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 95/05 du 10 janvier 2007 consid. 4).

12.  En l’espèce, la recourante prétend ne pas être responsable du dommage en raison du fait qu’elle ne s’occupait pas du paiement des salaires des employés et ignorait la situation financière difficile de la société.

Or, ce cas est précisément celui qui est visé par la jurisprudence du Tribunal fédéral (homme de paille), qui considère que commet également une faute grave celui qui ne démissionne pas de ses fonctions alors qu’il se trouvait, en raison de l’attitude de tiers, dans l’incapacité de prendre les mesures qui s’imposaient s’agissant du paiement des cotisations ou qui se trouvait dans l’incapacité d’exercer son devoir de surveillance (voir par exemple : arrêts du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 4.3 ; 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2).

Cette description vise la situation de la recourante, comme cela a été confirmé en audience de comparution personnelle le 3 février 2022, lors de laquelle la recourante a déclaré être payée à raison de CHF 4'800.- par an, uniquement pour apparaitre en qualité d’administratrice, ses tâches consistant, notamment, à signer les bilans. Cette négligence est d’autant plus grave qu’avec sa formation de comptable et au vu de l’expérience invoquée dans des « fiduciaires internationales », la recourante était à même de lire et de comprendre un bilan et d’en tirer les conséquences financières, notamment de s’apercevoir d’un surendettement et d’amener les associés à intervenir, en injectant des fonds dans la société. Elle pouvait aussi choisir de démissionner, si elle estimait ne pas obtenir les informations ou les moyens nécessaires à l’exercice de son mandat, ce qu’elle n’a pas fait. Les prétendues garanties données par MM. D______ et C______ quant à l’avenir de la société ne reposaient sur aucun élément objectif, de telle sorte que la recourante avait les moyens de réaliser que la situation financière de la société était définitivement obérée.

La recourante invoque dans ses mémoires de recours que, compte tenu du fait que c’étaient MM. D______ et C______ qui s’occupaient des paiements des salaires, elle-même ne devrait répondre du dommage « qu’en dernière ligne ».

C’est méconnaître le principe même posé par l’art. 52 al. 2 LAVS deuxième phrase, à savoir que les personnes responsables du dommage répondent « solidairement de la totalité du dommage ».

À l’aune de ce qui précède, il y a lieu de retenir que la négligence de la recourante, seule administratrice, entraîne sa responsabilité solidaire.

Étant encore précisé que les intimées ont également notifié des décisions en réparation du dommage à l’encontre de MM. D______ et C______, considérés comme administrateurs de fait.

13.  Enfin, il sied de fixer le montant du dommage.

Le dommage selon l’art. 52 LAVS comprend les cotisations impayées dues selon la LAVS, la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20 ; art. 66 LAI), la loi fédérale sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité du 25 septembre 1952 (LAPG - RS 834.1 ; art. 21 al. 2 LAPG), la loi fédérale sur les allocations familiales dans l’agriculture du 20 juin 1952 (LFA - RS 836.1 ; art. 25 al. LFA), la loi fédérale sur les allocations familiales du 24 mars 2006 (LAFam - RS 836.2 ; art. 25 let. c LAFam), et la loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité du 25 juin 1982 (LACI - RS 837.0 ; art. 6 LACI).

Le montant du dommage correspond à celui pour lequel la caisse de compensation subit une perte. Appartiennent à ce montant les cotisations paritaires (cotisations patronales et d’employés ou ouvriers) dues par l’employeur, les contributions aux frais d’administration, les intérêts moratoires, les taxes de sommation et les frais de poursuite (Directives sur la perception des cotisations - DP, n. 8016 et 8017). Les éventuelles amendes prononcées par la caisse de compensation ne font pas partie du dommage et doivent le cas échéant être déduites (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 142/03 du 19 août 2003 consid. 5.5).

14.  En l’espèce, le montant du dommage subi par la CAFINCO comprend le montant de CHF 111.55, soit les cotisations pour les allocations familiales pour les mois de décembre 2018, janvier et février 2019. Ce montant est exact et la décision de la CAFINCO sera donc confirmée.

En ce qui concerne la caisse SSE, il y a lieu de rectifier le montant du dommage, celui allégué en premier lieu – soit CHF 63'229.60 – étant supérieur au dommage subi, en ajoutant les intérêts et les frais admis soit, selon décompte actualisé joint au courrier du 11 février 2022 : les cotisations sociales par CHF 55'748.40, les intérêts par CHF 716.60 et les frais par CHF 14.60, le tout ascendant à CHF 56'479.60.

15.  Eu égard à ce qui précède, le recours est très partiellement admis et le montant du dommage réclamé par la Caisse SSE sera réduit à CHF 56'479.60.

16.  La recourante obtenant très partiellement gain de cause sur un point qu’elle n’a, de surcroit, pas invoqué, il ne se justifie pas de lui octroyer des dépens (art. 61 let. g LPGA et art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

17.  Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA, dans sa version – applicable en l’occurrence – en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020).

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare les recours recevables.

Au fond :

2.        Rejette le recours contre la décision sur opposition rendue par la caisse d’allocations familiales de l’industrie et de la construction, CAFINCO, en date du 17 juin 2020.

3.        Admet très partiellement le recours contre la décision sur opposition rendue par la caisse de compensation de la SSE, agence de Genève, AVS 66.2, en date du 17 juin 2020 et la réforme en ce sens que le montant du dommage est réduit à CHF 56'479.60.

4.        Dit qu’il ne sera pas octroyé de dépens.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le