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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/846/2021

ATAS/659/2021 du 21.06.2021 ( AVS ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/846/2021 ATAS/659/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 21 juin 2021

6ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à ECUBLENS VD, comparant avec élection de domicile en l’étude de Maître Adrien GUTOWSKI

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, service juridique, 12, rue des Gares, GENEVE

 

 

intimée

 


EN FAIT

A. a. La société B______ Sàrl, devenue C______ Sàrl (ci-après : la société) en février 2006, avait pour but l’exploitation d’une entreprise de gypserie, de plâtrerie et de peinture. Son personnel était affilié auprès de la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse ou l’intimée). Messieurs D______ et A______ (ci-après : l’intéressé ou le recourant) en étaient tous deux les associés gérants entre le 2 février 2006 et le 11 mai 2011, date à laquelle l’intéressé a assumé en plus la fonction de président. À partir du 7 mai 2017, date du décès de M. D______, il n’y avait plus, au sein de la société, d’autre associé gérant que l’intéressé lui-même.

b. Dans un rapport du 10 mai 2017, la doctoresse E______, cheffe de clinique adjointe auprès du Service de soins palliatifs du CHUV, a certifié que dans le contexte d’une maladie évolutive, M. D______ avait perdu sa capacité de discernement à partir du mois de mai 2015.

c. Après avoir pris connaissance, au décès de M. D______, de la situation financière de la société, l’intéressé en a requis la faillite le 8 juin 2017, que le Tribunal de première instance a prononcée avec effet au 3 août 2017 (Jugement
JTPI/9587/2017 du 3 août 2017).

B. a. Par décision du 6 mars 2020, notifiée à l’intéressé, la caisse a expliqué en préambule que la société dont il était l’associé gérant du 2 février 2006 au 11 mai 2011, puis l’associé gérant et le président du 11 mai 2011 au 3 août 2017, avait été déclarée en faillite et qu’en l’absence de tout dividende en deuxième et troisième classe, la créance que la caisse avait produite dans la faillite n’avait pas été couverte. De ce fait, la caisse avait subi un dommage que l’intéressé était invité à réparer en lui versant, sous trente jours, un montant de CHF 178’463.25 représentant les cotisations paritaires afférentes aux années 2012, 2013, 2014, 2015, 2016 et au premier semestre 2017, y compris les frais et les intérêts moratoires, après déduction des versements déjà effectués. Il était indiqué qu’il s’agissait des sommes dues et exigibles lorsqu’il avait pris ses fonctions ou qui étaient arrivées à échéance au cours de son mandat

b. Le 3 avril 2020, l’intéressé, représenté par un avocat, a formé opposition à cette décision et demandé à la caisse l’octroi d’un délai pour produire un complément d’opposition une fois que la caisse lui aurait transmis l’intégralité du dossier. En l’état, il se disait tout de même étonné qu’aucun dividende n’ait été distribué en deuxième et troisième classe dès lors qu’au moment de la faillite, un solde restait sur le compte de la société et que des créances devaient être encaissées par l’office des faillites.

c. Malgré le délai au 8 mai 2020 que lui avait imparti la caisse pour compléter son opposition, l’intéressé – qui était en arrêt maladie au moment de la notification de la décision du 6 mars 2020 et dans les mois qui avaient suivi – n’a pas avancé d’élément remettant en cause le bien-fondé du montant du dommage retenu par la caisse.

d. Par décision du 3 février 2021, la caisse a rejeté l’opposition.

C. a. Le 5 mars 2021, l’intéressé a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour
de justice (ci-après : la chambre de céans) d’un recours contre cette décision, concluant, principalement, à son annulation et, subsidiairement, à sa réforme, en ce sens que le montant du dommage réclamé devait être rectifié et recalculé sur la base des salaires réellement versées par la société pour les années 2012 à 2017.

b. Par réponse du 6 avril 2021, l’intimée a conclu au rejet du recours en faisant valoir que le comportement du recourant était constitutif d’une violation des obligations de diligence et de surveillance qui lui incombaient en tant qu’organe de la société. En outre, il n’y avait pas lieu de revenir sur le montant du dommage dès lors que celui-ci était fondé, d’une part, sur les créances de cotisations établies sur la base des attestations de salaire communiquées par la société et, d’autre part, sur un contrôle d’employeur suite auquel les décisions de reprise de cotisations rendues par la caisse n’avaient pas été contestées par la société.

c. Par pli du 10 mai 2021, le recourant a informé la chambre de céans qu’il renonçait à répliquer.

d. Le 14 mai 2021, une copie de cette écriture a été transmise, pour information, à l’intimée.

e. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.        a. Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire,
du 26 septembre 2010 (LOJ – E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56
de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du
6 octobre 2000 (LPGA – RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS – RS 831.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie, le recours étant dirigé contre une décision rendue sur opposition fondée sur la LAVS.

b. Selon l’art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. L’art. 52 al. 5 LAVS doit être compris en ce sens que les actions en réparation du dommage contre les personnes morales et leurs organes doivent être ouvertes au for du siège de la société, respectivement au for du siège qui était le sien avant la faillite, ceci indépendamment du domicile des organes recherchés (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

Dès lors que la société avait son siège dans le canton de Genève avant sa faillite, la chambre de céans est également compétente ratione loci.

c. Le recours a été interjeté en temps utile (art. 60 LPGA), dans le respect des exigences de forme et de contenu prévues par la loi (art. 61 let. b LPGA ; cf. aussi art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA –
E 5 10).

Touché par la décision attaquée et ayant un intérêt digne de protection à son annulation ou sa modification, le recourant a qualité pour recourir (art. 59 LPGA).

Son recours est donc recevable.

2.        L’objet du litige porte sur la responsabilité du recourant pour le dommage subi par l’intimée du fait du défaut de paiement des cotisations sociales par la société.

3.        L’art. 14 al. 1 LAVS, en corrélation avec les art. 34 et suivants du règlement du 31 octobre 1947 sur l’assurance-vieillesse et survivants (RAVS – RS 831.101), prescrit que l’employeur doit déduire, lors de chaque paie, la cotisation du salarié et verser celle-ci à la caisse de compensation en même temps que sa propre cotisation. Les employeurs doivent remettre périodiquement aux caisses les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs employés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l’objet de décisions. L’obligation de l’employeur de percevoir les cotisations et de régler les comptes est une tâche de droit public prescrite par la loi (ATF 118 V 193 consid. 2a et les références).

4.        L’art. 52 LAVS régissant la responsabilité de l’employeur a été modifié le
1er janvier 2020. Eu égard au principe de droit intertemporel selon lequel les dispositions légales applicables sont celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 130 V 445 consid. 1), c’est la teneur de cette disposition en vigueur jusqu’au 31 décembre 2019 qui est applicable au cas d’espèce, et la loi sera citée dans son ancienne version (art. 52 aLAVS).

En vertu de l’art. 52 aLAVS, l’employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n’observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à la caisse de compensation est tenu à réparation (al. 1). Si l’employeur est une personne morale, les membres de l’administration et toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d’un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage (al. 2). Le droit à réparation est prescrit deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. Ces délais peuvent être interrompus. L’employeur peut renoncer à invoquer la prescription. Si le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est applicable (al. 3). La caisse de compensation fait valoir sa créance en réparation du dommage par voie de décision (al. 4).

5.        À titre liminaire, il convient d’examiner si la prétention de la caisse est prescrite.

a. Les délais prévus par l’art. 52 al. 3 aLAVS doivent être qualifiés de délais de prescription, non de péremption, comme cela ressort du texte légal et des travaux préparatoires de la LPGA (SVR 2005 AHV n° 15 p. 49 consid. 5.1.2 ; FF 1994 V 964 ; FF 1999 p. 4422). Alors que le délai de prescription de deux ans commence à courir dès la connaissance du dommage, celui de cinq ans débute, en revanche, dès la survenance du dommage (ATF 129 V 193 consid. 2.2). Cela signifie qu’ils ne sont plus sauvegardés une fois pour toutes avec la décision relative aux dommages-intérêts ; le droit à la réparation du dommage au sens de l’art. 52 al. 1 aLAVS peut donc aussi se prescrire durant la procédure d’opposition ou la procédure de recours qui s’ensuit (ATF 135 V 74 consid. 4.2).

Le dommage survient dès que l’on doit admettre que les cotisations dues ne peuvent plus être recouvrées, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 129 V 195 consid. 2.2 ; 126 V 444 consid. 3a ; 121 III 384 consid. 3bb). Tel sera le cas lorsque des cotisations sont frappées de péremption, ou en cas de faillite, en raison de l’impossibilité pour la caisse de récupérer les cotisations dans la procédure ordinaire de recouvrement. Le dommage subi par la caisse est réputé être survenu au moment de l’avènement de la péremption ou le jour de la faillite; ce jour marque également celui de la naissance de la créance en réparation et la date à partir de laquelle court le délai de 5 ans de l’ancien art. 82 al. 1 in fine RAVS (ATF 129 V 195 consid. 2.2 ; 123 V 16 consid. 5c).

Selon la jurisprudence rendue à propos de l’ancien art. 82 al. 1 RAVS, et valable sous l’empire de l’art. 52 al. 3 aLAVS (arrêt du Tribunal fédéral H.18/06 du 8 mai 2006 consid. 4.2), il faut entendre par moment de la « connaissance du dommage », en règle générale, le moment où la caisse de compensation aurait dû se rendre compte, en faisant preuve de l’attention raisonnablement exigible, que les circonstances effectives ne permettaient plus d’exiger le paiement des cotisations, mais pouvaient entraîner l’obligation de réparer le dommage (ATF 129 V 193 consid. 2.1).

En cas de faillite, ce moment correspond en règle générale à celui du dépôt de l’état de collocation, ou celui de la publication de la suspension de la liquidation de la faillite faute d’actifs (ATF 129 V 193 consid. 2.3), la date de la publication de cette mesure dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC) étant déterminante (arrêt du Tribunal fédéral H.142/03 du 19 août 2003 consid. 4.3 ; ATF 129 V 193 consid. 2.3).

S’agissant des actes interruptifs de prescription, il sied de retenir ce qui suit : tandis que le juge ne peut interrompre la prescription que par une ordonnance ou une décision, « chaque acte judiciaire des parties » suffit à produire cet effet (art. 138
al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse – CO, Code des obligations – RS 220). Cette notion d’acte judiciaire des parties doit être interprétée largement (ATF 106 II 35 consid. 4), tout en ayant égard à la ratio legis de la disposition citée, qui est de sanctionner l’inaction du créancier. Il faut donc considérer comme acte judiciaire d’une partie tout acte de procédure relatif au droit invoqué en justice et susceptible de faire progresser l’instance (cf. ATF 130 III 202 consid. 3.2). Par ailleurs, tant la décision que l’opposition interrompent le délai de prescription de deux ans et font courir un nouveau délai de même durée (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2).

6.        En l’espèce, le dommage s’est produit le 3 août 2017, soit au moment du prononcé de la faillite. Quant au moment auquel l’intimée est réputée avoir eu connaissance du dommage, il peut être situé au moment de la publication du dépôt de l’état de collocation dans la Feuille d’avis officielle (FAO) du 8 mai 2018. En rendant sa décision en réparation du dommage le 6 mars 2020, l’intimée a agi dans les limites des délais de prescription relatif et absolu de deux, respectivement cinq ans.

Par ailleurs, le délai absolu de prescription de cinq ans courant dès le 3 août 2017 et le délai de prescription de deux ans courant dès le 8 mai 2018 ont été interrompus tant par la décision en réparation du dommage du 6 mars 2020, que par la décision sur opposition du 3 février 2021 puis le recours du 5 mars 2021.

7.        a. Dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2012, l’art. 52 al. 2 aLAVS codifie la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle, si l’employeur est une personne morale, la responsabilité peut s’étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom (ATAS/610/2013 du 18 juin 2013 consid. 4a).

Le caractère subsidiaire de la responsabilité des organes d’une personne morale signifie que la caisse de compensation ne peut agir contre ces derniers que si le débiteur des cotisations (la personne morale) est devenu insolvable (ATF 123 V 12 consid. 5b).

L’art. 52 aLAVS ne permet ainsi pas de déclarer l’organe d’une personne morale directement débiteur des cotisations d’assurances sociales. En revanche, il le rend responsable du dommage qu’il a causé aux différentes assurances sociales fédérales, intentionnellement ou par négligence grave, en ne veillant pas au paiement des cotisations sociales contrairement à ses obligations (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 96/05 du 5 décembre 2005 consid. 4.1).

b. La notion d’organe selon l’art. 52 aLAVS est en principe identique à celle qui se dégage de l’art. 754 al. 1 CO (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 234/02 du 16 avril 2003 consid. 7.3 publié in REAS 2003 p. 251).

En matière de responsabilité des organes d’une société anonyme, l’art. 52 aLAVS vise en première ligne les organes statutaires ou légaux de celle-ci, soit les administrateurs, l’organe de révision ou les liquidateurs (ATF 128 III 29 consid. 3a; ATF 117 II 432 consid. 2b ; ATF 117 II 570 consid. 3 ; ATF 107 II 349 consid. 5a ; Thomas NUSSAUMER, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure de réparation d’un dommage selon l’art. 52 aLAVS, in RCC 1991,
p. 403).

Au contraire des organes de fait, les organes formels répondent indépendamment de leur fonction ou de leur influence sur la marche des affaires de la société. Le fait qu’ils disposent d’un pouvoir de signature et les motifs de leur mandat sont également sans importance (cf. ATF 114 V 211 consid. 4). En présence d’un organe formel, il n’est pas nécessaire d’examiner s’il répond à la notion d’organe matériel (cf. arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 34/04 du 15 septembre 2004
consid. 5.3.2).

Dans le cas d’une Sàrl, les gérants qui ont été formellement désignés en cette qualité, ainsi que les personnes qui exercent cette fonction en fait, sont soumis à des obligations de contrôle et de surveillance étendues, dont le non-respect peut engager leur responsabilité (art. 827 CO en corrélation avec l’art. 754 CO). Ils répondent selon les mêmes principes que les organes d’une société anonyme pour le dommage causé à une caisse de compensation suite au non-paiement des cotisations d’assurances sociales (ATF 126 V 237 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances
H 252/01 du 14 mai 2002, in VSI 2002 p. 176 s. consid. 3b et d ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 3.2). C’est ainsi qu’ils ont l’obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires, ce qui inclut notamment la surveillance du paiement des cotisations sociales paritaires; ils sont tenus, en corollaire, de prendre les mesures appropriées lorsqu’ils ont connaissance ou auraient dû avoir connaissance d’irrégularités commises dans la gestion de la société (arrêt du Tribunal fédéral 9C_657/2015 du 19 janvier 2016 consid. 5.3 et les références).

c. En l’occurrence, le recourant a été inscrit au registre du commerce en qualité d’associé gérant du 2 février 2006 au 11 mai 2011 puis d’associé gérant et de président de la société à partir du 11 mai 2011. Il revêtait donc la qualité d’organe formel, de sorte qu’il répond en principe – et de manière subsidiaire (ci-dessus : consid. 7a) – du dommage subi par l’intimée.

8.        Il sied d’examiner à présent si le recourant a violé intentionnellement ou par négligence grave les devoirs lui incombant et s’il existe un lien de causalité naturelle et adéquate entre le manquement qui lui est imputable et le préjudice subi, dont le montant est contesté.

9.        La négligence grave mentionnée à l’art. 52 al. 1 aLAVS est admise très largement par la jurisprudence. Se rend coupable d’une négligence grave l’employeur qui ne respecte pas la diligence que l’on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d’un employeur de la même catégorie. Dans le cas d’une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l’attention que la société doit accorder, en tant qu’employeur, au respect des prescriptions de droit public sur le paiement des cotisations d’assurances sociales. Les mêmes exigences s’imposent également lorsqu’il s’agit d’apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l’employeur (arrêt du Tribunal fédéral 4C_31/2006 du
4 mai 2006 consid. 4.6). La haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion est une attribution intransmissible et inaliénable du conseil d’administration conformément à l’art. 716a CO (arrêt du Tribunal fédéral 9C_839/2016 du 4 juillet 2017 consid. 5.2). Dans le cadre de l’exercice de cette haute surveillance, l’administrateur répond de la cura in custodiendo. C’est ainsi qu’il a non seulement le devoir d’assister aux séances du conseil d’administration, mais également l’obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires. Il est tenu de prendre les mesures appropriées lorsqu’il a connaissance ou aurait dû avoir connaissance d’irrégularités commises dans la gestion de la société. Ce devoir de surveillance incombe à tous les membres du conseil d’administration, nonobstant le mode de répartition interne des tâches au sein du conseil d’administration (ATF 114 V 219 consid. 4a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.3 et les références).

Celui qui appartient au conseil d’administration d’une société et qui ne veille pas au versement des cotisations courantes et à l’acquittement des cotisations arriérées est réputé manquer à ses devoirs (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 96/03 du 30 novembre 2004 consid. 7.3.1 in SJ 2005 I 272). Il en va de même lorsque, en raison de la répartition interne des fonctions administratives, il incombe en premier lieu à certains administrateurs de veiller au paiement des cotisations (arrêts du Tribunal fédéral 9C_961/2012 du 18 mars 2013 consid. 4.2 et 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.3 et les références, arrêt du Tribunal fédéral des assurances
H 40/05 du 29 novembre 2005 consid. 4). Les autres administrateurs n’en sont pas moins tenus de s’enquérir de la situation et de prendre les mesures nécessaires en cas de retard dans le paiement des cotisations (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 262/03 du 14 octobre 2004 consid. 4.2).

La négligence grave est également donnée lorsque l’administrateur n’assume pas son mandat dans les faits. Ce faisant, il n’exerce pas la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion, attribution incessible et inaliénable du conseil d’administration conformément à l’art. 716a CO. Une personne qui se déclare prête à assumer ou à conserver un mandat d’administrateur tout en sachant qu’elle ne pourra pas le remplir consciencieusement viole son obligation de diligence (ATF 122 III 195 consid. 3b). Sa négligence peut être qualifiée de grave sous l’angle de l’art. 52 aLAVS (ATF 112 V 1 consid. 5b). Un administrateur, dont la situation est à cet égard proche de celle de l’homme de paille, ne peut s’exonérer de ses responsabilités légales en invoquant son rôle passif au sein de la société (arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 87/04 du 22 juin 2005 consid. 5.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 234/00 du 27 avril 2001 consid. 5d). L’administrateur qui, de facto, est exclu de la gestion doit s’efforcer de manière d’autant plus durable d’avoir accès aux livres de compte (arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2011 du
8 juillet 2011 consid. 4.2).

Commet également une faute grave l’organe qui verse des salaires pour lesquels les créances de cotisations qui en découlent de par la loi ne sont pas couvertes (SVR 1995 AHV n° 70 p. 214 consid. 5 ; voir également l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_338/2007 du 21 avril 2008 consid. 3.1) ou celui qui ne démissionne pas de ses fonctions alors qu’il se trouvait, en raison de l’attitude du tiers, dans l’incapacité de prendre les mesures qui s’imposaient s’agissant du paiement des cotisations ou qui se trouvait dans l’incapacité d’exercer son devoir de surveillance (cf. par exemple : arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 4.3, arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2, arrêt du Tribunal fédéral 9C_351/2008 consid. 5.2 et arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 224/06 du 10 décembre 2007 consid. 6).

10.    a. La survenance d’un dommage ne suffit pas à conclure à une faute qualifiée au sens de l’art. 52 al. 1 LAVS. Toutefois, la caisse de compensation qui subit un dommage du fait d’une violation des prescriptions peut partir du principe que l’employeur ou ses organes ont transgressé ces prescriptions de manière intentionnelle ou par négligence grave, lorsqu’il n’existe pas d’indication plaidant en faveur de la licéité de leur comportement (arrêt du Tribunal fédéral 9C_228/2008 du 5 février 2009 consid. 4.2.1). Ainsi, il existe une présomption d’une faute qualifiée de l’employeur ou de ses organes, ce qui implique un devoir de collaborer accru de la personne recherchée sur ce point. L’employeur et ses organes doivent ainsi procéder aux offres de preuve nécessaires pour exclure une intention ou une négligence grave (arrêt du Tribunal fédéral 9C_325/2010 du 10 décembre 2010 consid. 4.1).

b. Dans certaines circonstances, un employeur peut causer intentionnellement un préjudice sans être dans l’obligation de le réparer, lorsqu’il retarde le paiement des cotisations pour maintenir son entreprise en vie, lors d’une passe de trésorerie difficile. Mais il faut alors, pour qu’un tel comportement ne tombe pas ultérieurement sous le coup de l’art. 52 LAVS, que l’on puisse admettre que l’employeur avait, au moment où il a pris sa décision, des raisons sérieuses et objectives de penser qu’il pourrait s’acquitter des cotisations dues dans un délai raisonnable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_338/2007 du 21 avril 2008 consid. 3.1). À cet égard, la seule expectative que la société retrouve un équilibre financier ne suffit pas ; il faut des éléments concrets et objectifs selon lesquels on peut admettre que la situation économique de la société se stabilisera dans un laps de temps déterminé et que celle-ci recouvrera sa capacité financière (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 163/06 du 11 juin 2007 consid. 4.4). Ce qui est déterminant, ce n’est pas de savoir si l’employeur croyait réellement que l’entreprise pouvait être sauvée et que les cotisations seraient payées dans un proche avenir ; il s’agit bien plutôt d’examiner si une telle attitude était alors défendable, objectivement, aux yeux d’un tiers responsable (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 19/07 du 10 décembre 2007 consid. 4.1).

Le fait de s’alarmer de la situation, de négocier avec les créanciers ou encore de tabler sur la promesse d’un actionnaire majoritaire ne sont pas des circonstances qui feraient apparaître comme légitime ou non fautive l’inobservation par un administrateur des prescriptions en matière d’AVS (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 163/00 du 19 octobre 2000 consid. 3b).

11.    En ce qui concerne la causalité adéquate, la jurisprudence admet en règle générale un tel lien entre l’inaction de l’organe et le non-paiement des cotisations.

Il n’y a pas de lien de causalité lorsque même un comportement conforme au droit n’aurait pas empêché la survenance du dommage (Felix FREY / Hans-Jakob MOSIMANN / Susanne BOLLINGER [éd.], AHVG-IVG, 2018, n. 20 ad art. 52 LAVS ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 77/03 du 18 janvier 2005 consid. 6.5).

Au plan temporel, un administrateur ne peut être tenu pour responsable que du dommage résultant du non-paiement des cotisations qui sont venues à échéance et qui auraient dû être versées entre le jour de son entrée effective au conseil d’administration et celui où il a quitté ses fonctions (ATF 134 V 401 consid. 5.1). Ce n’est ainsi pas la date de la radiation de ses pouvoirs au registre du commerce qui est déterminante, pour autant que la personne concernée n’ait plus été en mesure d’exercer une influence sur la marche des affaires après sa démission et qu’elle n’ait plus perçu de jetons de présence pour sa position d’administrateur (ATF 126 V 61 consid. 4a). Demeurent réservés les cas où le dommage résulte d’actes qui n’ont déployé leurs effets qu’après le départ du conseil d’administration (arrêt du Tribunal fédéral 9C_716/2013 du 30 mai 2014 consid. 4.3.2 et les références).

S’agissant des cotisations qui auraient dû être payées avant l’entrée en fonction de l’organe recherché, sa responsabilité est admise s’il existe un lien de causalité entre ses agissements et le dommage (cf. Ueli KIESER, Alters- und Hinterlassenen-versicherung, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3ème éd., 2016, p. 1329 n. 451).

12.    En l’espèce, la société ne s’est pas acquittée entièrement des cotisations dues pour les années 2012 à 2017. Ce faisant, elle a violé les prescriptions découlant des
art. 14 al. 1 LAVS en lien avec les art. 34ss RAVS, commettant ainsi un acte illicite au sens de l’art. 52 LAVS. Selon la jurisprudence, il s’ensuit que la commission d’une faute qualifiée (intention ou négligence grave) de l’employeur ou de ses organes est présumée (cf. ci-dessus : consid. 10a). Cette présomption s’applique également au demandeur puisqu’il revêtait la qualité d’organe formel de la société de février 2006 jusqu’à la faillite de cette dernière le 3 août 2017.

13.    Pour renverser la présomption d’une faute qualifiée le concernant, le recourant soutient avoir agi avec toute l’attention et la diligence requise par les circonstances et qu’ainsi, les conditions de l’art. 52 aLAVS ne seraient pas remplies. Il précise qu’il était également en charge de la gestion de l’entreprise mais que dans le cadre de la collaboration avec le second associé gérant de la société – qui avait duré jusqu’au décès de ce dernier le 7 mai 2017 –, feu M. D______ était principalement en charge de la gestion des tâches administratives de la société, ce qui incluait notamment la rémunération des employés et le paiement des cotisations sociales. Il ajoute que malgré ses entretiens réguliers avec feu M. D______, lesquels avaient pour objet de faire le point sur la marche des affaires, cet associé, atteint d’un cancer dès 2015, avait omis de lui annoncer qu’il existait des cotisations sociales impayées. Avec le recul, il avait constaté que feu M. D______ n’était plus en mesure d’assumer la gestion des tâches administratives de la société. Cependant, comme il avait été « dans un certain déni quant à l’état de santé de son associé », ce n’était qu’à son décès qu’il avait pu prendre connaissance de la situation financière de la société.

En argumentant de la sorte, le recourant oublie qu’en endossant la charge d’associé gérant au bénéfice d’une signature individuelle dès février 2006, doublée de la fonction de président à partir du 11 mai 2011, il aurait dû non seulement se renseigner périodiquement sur la marche des affaires mais aussi surveiller le paiement des cotisations paritaires (arrêt du Tribunal fédéral 9C _657/2015 du 19 janvier 2006 consid 5.3 et les références) et prendre les mesures appropriées pour effectuer les paiements des cotisations sociales en souffrance (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_80/2017 du 31 mai 2017 consid. 5.2) et ce, indépendamment de la répartition interne des tâches entre associés (arrêt du Tribunal fédéral 9C_37/2019 du 1er juillet 2019 consid. 5.3.3.2). On rappellera à cet égard qu’est précisément constitutive d’une négligence grave la passivité d’un administrateur ; s’il se trouve tenu à l’écart, dans les faits, de la gestion opérationnelle, il doit s’efforcer d’autant plus durablement d’avoir accès aux livres de compte (cf. arrêt 9C_289/2011 précité, consid. 4.2). En outre, si feu M. D______ tenait à maintenir la répartition interne des tâches entre associés malgré le cancer et l’incapacité de discernement qui l’accablaient dès le mois de mai 2015, ces déclarations d’intention auraient également dû inciter le recourant à procéder à une surveillance et des vérifications plus étroites des obligations de la société en matière de prélèvement et/ou règlement des cotisations paritaires.

14.    Compte tenu des développements qui précèdent, le comportement et les omissions du recourant sont bel et bien constitutifs d’une négligence grave. Cette dernière présente en outre un lien de causalité adéquate avec le dommage. En effet, si le recourant avait fait preuve de la diligence requise dans la surveillance du paiement des cotisations paritaires, le dommage ne se serait pas produit. Partant, c’est à juste titre que l’intimée a admis la responsabilité du recourant pour le dommage représenté par les cotisations impayées relatives aux années 2012 à 2017.

15.    Il reste à déterminer l’étendue du dommage.

a. En l’espèce, le recourant ne conteste pas que la créance que l’intimée a produite dans la faillite de la société n’a pas été couverte et qu’ainsi, l’intimée a subi un dommage au sens de l’art. 52 LAVS. En revanche, il remet en cause le montant de
CHF 178’463.25 retenu à ce titre par l’intimée, motif pris que les salaires que la société avait versés au personnel entre 2012 et 2017 étaient en réalité inférieurs aux montants sur lesquels les cotisations avaient été prélevées. Il en veut pour preuve le récapitulatif des salaires versés sur les années en question, qui ne concorde pas avec les montants indiqués dans les attestations de salaires que la société a adressées à la caisse pour les années 2012, 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017. Pour sa part, l’intimée se réfère à deux rapports datés respectivement des 27 octobre 2016 et 13 novembre 2017, relatant des contrôles d’employeur qu’elle avait effectués le 6 novembre 2015 (pour la période 2011-2013), respectivement le 13 novembre 2016 (pour la période 2014-2017). Elle précise avoir rendu, à la date de chacun de ces rapports, une décision de reprise de cotisations, soit le 27 octobre 2016, respectivement le 13 novembre 2017 (cf. pce 5 intimée), compte tenu d’une masse salariale supérieure à celle découlant des attestations de salaires sur certaines années.

b. En tant qu’il est admis par les parties que la société n’a pas contesté lesdites décisions de reprise de cotisations dans le délai d’opposition de trente jours, la chambre de céans constate que celles-ci sont en principe devenues définitives (cf. art. 52 al. 1 et 54 al. 1 let. a LPGA). Sans remettre en cause ce point précis, le recourant fait valoir qu’il pas été en mesure de s’opposer à ces décisions en temps utile en raison de problèmes de santé.

c. Selon l’art. 41 LPGA, si le requérant ou son mandataire a été empêché, sans sa faute, d’agir dans le délai fixé, celui-ci est restitué pour autant que, dans les 30 jours à compter de celui où l’empêchement a cessé, le requérant ou son mandataire ait déposé une demande motivée de restitution et ait accompli l’acte omis.

Aux termes de l’art. 53 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passée en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant (al. 1). L’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable (al. 2).

Selon la jurisprudence, seule l’autorité administrative qui a rendu la décision entrée en force de chose décidée a la compétence pour la réviser, et non pas l’autorité de recours (qui n’a précisément pas été appelée à examiner la conformité au droit
du prononcé initial) ; la révision procédurale n’a donc pas d’effet dévolutif (cf.
Margit MOSER-SZELESS, in Commentaire romand de la LPGA, n. 57 ad art. 53 LPGA et la référence citée).

Contrairement à ce qui est le cas en matière de révision procédurale (art. 53 al. 1 LPGA), l’assureur social n’est pas tenu de reconsidérer les décisions qui réalisent les conditions de l’art. 53 al. 2 LPGA ; il en a simplement la faculté, qui relève de son pouvoir d’appréciation, et ni la personne assurée ni le juge ne peuvent l’y contraindre (arrêt du Tribunal fédéral 9C_901/2007 du 8 octobre 2008 consid. 3 non publié in ATF 134 V 401).

16.    a. Dans le domaine des assurances sociales notamment, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Mais ce principe n’est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2 et les références).

b. Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3, ATF 126 V 353 consid. 5b, ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

17.    a. En l’occurrence, la chambre de céans constate que les certificats médicaux produits par le recourant portent sur la période comprise entre le 21 octobre 2019 et le 31 août 2020, de sorte qu’il n’est pas établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’intéressé aurait été empêché de s’opposer en temps utile aux décisions de reprise de cotisations des 27 octobre 2016 et 13 novembre 2017 ou de s’attacher les services d’un tiers à cet effet (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_538/2017 du 30 novembre 2017 consid. 4.3). Étant donné, en outre, que le recourant n’a pas demandé à la caisse la révision et/ou la reconsidération desdites décisions et que la caisse ne les a pas non plus révisées et/ou reconsidérées, la chambre de céans ne saurait se livrer à un examen du montant du dommage mentionné dans la décision litigieuse par le biais d’un réexamen de la masse salariale telle qu’elle a été arrêtée dans les décisions de reprise de cotisations des
27 octobre 2016 et 13 novembre 2017, à moins que celles-ci ou les décisions de cotisations entrées en force soient entachées d’une erreur manifeste (ATF 134 V 401 consid. 5.1). Selon ce dernier arrêt, dans la procédure en réparation du dommage ouverte contre un organe, un libre examen par le juge des décisions de cotisations entrées en force est toutefois possible si le/la destinataire de la décision en réparation du dommage n’avait plus la qualité d’organe au moment où les décisions de cotisations ont été notifiées à la société (ATF 134 V 401 consid. 5.5). En dehors de cette exception (non pertinente pour le cas d’espèce), le juge est lié par l’appréciation de l’autorité, pour autant que celle-ci repose sur une détermination correcte et complète des faits et une pondération adéquate de l’ensemble des circonstances déterminantes, l’autorité compétente disposant d’une certaine marge de manœuvre pour l’évaluation chiffrée des résultats de ses investigations ; tant que l’estimation faite par l’autorité reste dans le cadre du pouvoir d’appréciation qui lui est ainsi accordé, le juge ne saurait intervenir (cf. l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_223/2019 du 23 mai 2019 consid. 6.1, dans lequel la Haute Cour applique par analogie les principes valables pour l’examen des décisions de taxation en matière d’impôt fédéral direct).

b. Selon les explications du recourant, les divergences qui concernent le montant de la masse salariale sont de l’ordre de quelques centimes pour 2016 et 2017. Elles sont en revanche plus substantielles pour les années 2012 à 2015 puisque le recourant soutient qu’il existe une différence de CHF 20’095.05 pour 2012,
CHF 12’129.40 pour 2013, CHF 74’670.30 pour 2014 et CHF 20’503.25 pour 2015.

Pour l’année 2012, il ressort du rapport établi le 27 octobre 2016, suite au contrôle d’employeur du 6 novembre 2015, que faute d’avoir obtenu de la part de la société, entre le 6 novembre 2015 et le 27 octobre 2016, trois éléments demandés par le contrôleur (une copie du compte « 3040 sous-traitants », les factures de plusieurs sous-traitants et des « explications sur la différence de salaire pour l’année 2012 »), ce dernier avait repris une différence non expliquée de CHF 18’835.- entre l’attestation de salaires 2012 (CHF 330’452.45) et les salaires comptabilisés
(CHF 349’287.-), différence facturée à la société au moyen d’une « attestation de salaires complémentaire 2012 » de CHF 18’835.-, annexée à la décision de reprise de cotisations du 27 octobre 2016. Pour sa part, le recourant produit un récapitulatif des salaires versés par la société en 2012 (pce 11), faisant état d’une masse salariale d’un montant de CHF 329’194.- ; il précise que les différences relevées par rapport à l’attestation de salaires 2012 concernent Monsieur I______
(- CHF 475.50) et Madame G______ (- CHF 782.45) (cf. pce 10).

S’agissant de l’année 2013, qui n’a pas fait l’objet d’une décision de reprise de cotisations, le recourant indique que la société s’est vu facturer des cotisations
sur la base de la masse salariale de CHF 400’340.-, annoncée dans l’attestation de salaires 2013 ; il relève pour sa part, au moyen du récapitulatif des salaires versés par la société en 2013 (pces 21 et 22) que la masse salariale s’élevait en réalité à CHF 388’210.90.

Pour l’année 2014, il ressort du rapport du 13 novembre 2017, qui faisait suite au contrôle d’employeur du 13 novembre 2016 (pce 5 intimée), que les cotisations avaient bien été facturées sur la base de la masse salariale de CHF 529’331.- annoncée dans l’attestation de salaires 2014 mais que des « acomptes de sous-traitance » payés à Monsieur F______ pour la période de janvier à mai – alors que celui-ci était devenu employé dès avril 2014 –, portaient la masse salariale à CHF 570’602.-, justifiant ainsi une reprise de cotisations sur la différence (soit : CHF 41’271.-). Pour sa part, le recourant relève au moyen du récapitulatif des salaires versés par la société en 2014 (pce 13), lequel ne mentionne M. F______ qu’à partir du mois d’avril, que la masse salariale versée en 2014 s’élevait en réalité à CHF 495’931.70.

S’agissant de l’année 2015, le rapport de contrôle du 13 novembre 2017 – lequel faisait suite au contrôle d’employeur du 13 novembre 2016 – et ses annexes indiquent que les cotisations avaient bien été facturées sur la base d’une masse salariale de CHF 396’039.25 mais qu’il convenait d’y ajouter un « cadeau » d’une valeur de 3’000.- en faveur de Madame G______ ainsi que CHF 2’668.- bruts en faveur de Monsieur H______, portant ainsi la masse salariale à
CHF 401’707.25 et justifiant par conséquent une reprise de cotisations sur la différence (soit : CHF 5’668.-). Quant au recourant, il relève au moyen du récapitulatif des salaires versés par la société en 2015 (pce 15), dont le total s’élève à CHF 396’036.20 (sans faire mention des éléments à la base de la décision de reprise de cotisations du 13 novembre 2017), que les montants de CHF 3’522.60, CHF 5’562.- et CHF 5’747.40 versés en faveur de M. F______ en octobre, respectivement novembre et décembre (soit la somme de CHF 14’832.-) n’auraient pas dû entrer dans la masse salariale telle qu’elle ressortait de l’attestation de salaire 2015 (CHF 396’036.20) puisque M. F______ était malade. Aussi le recourant en conclut que la masse salariale s’élevait en réalité à CHF 381’204.20.

c. La chambre de céans constate que dans la mesure où le recourant avait la qualité d’organe formel au moment où la caisse a rendu les décisions de cotisations et de reprise de cotisations entrées en force, il n’est possible de revenir sur celles-ci que si elles sont entachées d’une erreur manifeste (ci-dessus : consid. 17a), ce qui n’est clairement pas le cas en tant qu’elles concernent les années 2016 et 2017. Partant, l’analyse de la chambre de céans sera retreinte aux années 2012 à 2015.

Selon la jurisprudence en matière d’impôt fédéral direct, que l’arrêt 9C_223/2019 déclare applicable par analogie à l’examen des décisions de cotisations entrées en force dans le cadre de la contestation du dommage au sens de l’art. 52 aLAVS, la preuve de l’erreur manifeste doit être apportée de manière complète et ne saurait se limiter à quelques postes d’une décision de taxation d’office. Le contribuable doit en particulier accomplir les actes requérant sa collaboration, qu’il a jusqu’alors omis (déclaration d’impôts), et expliquer clairement, preuve à l’appui, sur quel point précis la taxation d’office est manifestement fausse ou quels aspects essentiels ont été ignorés ou mal évalués par l’autorité. La contestation d’une taxation
d’office nécessite donc d’abord une motivation qualifiée. L’objection selon laquelle le revenu a été estimé à un montant trop élevé s’avère trop générale et dépourvue
de signification (« nichtssagend » ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_441/2008 du 30 janvier 2009 consid. 2.4 et 3.2).

En l’occurrence, la chambre de céans constate que les décisions de cotisations et de reprise de cotisations reposent sur les attestations de salaire, respectivement des contrôles d’employeur couvrant notamment les années 2012 à 2015. Par opposition, les récapitulatifs de salaires que le recourant a produits pour les années 2012 à 2015 ne permettent de savoir ni sur quelles bases ni à quelle date ils ont été établis,
ni pourquoi les décisions de cotisations et de reprise de cotisations reposeraient
sur une détermination incorrecte et incomplète des faits. S’agissant de l’année 2014, la mention manuscrite « maladie », au demeurant non documentée, apposée sur le récapitulatif de salaires pour M. F______ (pce 15), ne permet pas de savoir si en lieu et place de son salaire (cf. art. 324a CO), la personne en question était au bénéfice d’éventuelles indemnités journalières d’une assurance-maladie perte de gain. Enfin, le recourant n’intègre pas à son raisonnement les éléments qui ne ressortaient déjà pas, à l’époque, des attestations de salaires 2012, 2014 et 2015, et qui avaient motivé, après deux contrôles d’employeur en 2015 et 2016, les décisions de reprises de cotisations sur les montants additionnels de
CHF 18’835.- (2012), CHF 41’271.- (2014) et CHF 5’668.- (2015).

Compte tenu des récapitulatifs de salaires produits, au caractère insuffisant desquels s’ajoute la renonciation du recourant à répliquer – et donc à compléter et étayer ses explications par des pièces justificatives –, la chambre de céans considère que la preuve d’une erreur manifeste des décisions de cotisations et de reprise de cotisations portant sur la période 2012 à 2015 n’a pas été apportée. En conséquence, elle s’en tiendra au montant de CHF 178’463.25 retenu au titre des cotisations afférentes aux années 2012, 2013, 2014, 2015, 2016 et au premier semestre 2017, ce montant incluant les frais administratifs, de sommation, de poursuite et les intérêts moratoires, ce qui est conforme aux prescriptions en vigueur (cf. Directives sur la perception des cotisations – DP n° 8016 et 8017), sous réserve des précisions qui suivent.

18.    Dans un arrêt de principe du 31 janvier 2020, la chambre de céans a rappelé que
la responsabilité des organes de l’AVS, au sens de l’art. 49 LAVS, est réglée à
l’art. 78 LPGA, ainsi qu’aux art. 52, 70 et 71a LAVS, qui s’appliquent par analogie. Elle a ensuite constaté que la loi genevoise instituant une assurance en cas de maternité et d’adoption (LAMat – RSG J 5 07) ne reprend pas la responsabilité prévue à l’art. 52 aLAVS et ne prévoit pas non plus l’application de cette loi par analogie. En renvoyant uniquement à la loi fédérale du 25 septembre 1952 sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité (LAPG – RS 834.1), et plus précisément – mais certes non exclusivement – à des dispositions sans lien avec la responsabilité de l’employeur, la LAMat n’évoque ni la responsabilité de l’employeur, ni même les dispositions matérielles de la LAVS, de sorte qu’elle ne satisfait pas aux exigences découlant du principe de la légalité, notamment en matière de précision et de prévisibilité, et dont le respect doit être apprécié avec rigueur, dès lors que la condamnation à la réparation du dommage résultant du défaut de paiement des cotisations sociales constitue une mesure incisive (ATAS/79/2020 du 31 janvier 2020).

19.    Force est ainsi de constater que si la responsabilité du recourant au sens de
l’art. 52 aLAVS doit être confirmée, il n’existe pas de base légale suffisante pour le rechercher pour le dommage résultant du défaut de paiement des cotisations dues en vertu de la LAMat.

20.    Eu égard à ce qui précède, le recours est très partiellement admis, et la cause sera renvoyée à l’intimée pour nouveau calcul du dommage excluant les cotisations impayées découlant de la LAMat, les intérêts moratoires et frais administratifs afférents à ces montants, et nouvelle décision sur ce point.

Le recourant obtenant très partiellement gain de cause, l’intimée lui versera un montant de CHF 500.- à titre de dépens (art. 61 let. g LPGA).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA).

 

*****

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet très partiellement.

3.        Annule la décision de l’intimée du 3 février 2021.

4.        Renvoie la cause à l’intimée pour nouveaux calculs et nouvelle décision au sens de considérants.

5.        Condamne l’intimée à verser CHF 500.- au recourant, à titre de dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110). Selon l’art. 85 LTF, s’agissant de contestations pécuniaires, le recours est irrecevable si la valeur litigieuse est inférieure à 30’000 francs (al. 1 let. a). Même lorsque la valeur litigieuse n’atteint pas le montant déterminant, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (al. 2). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

 

 

La greffière

 

 

 

 

Julia BARRY

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le