Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/4004/2024

ATA/269/2025 du 18.03.2025 ( NAT ) , REJETE

Descripteurs : NATURALISATION;ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ;RESSORTISSANT ÉTRANGER;INTÉGRATION SOCIALE;ORDRE PUBLIC(EN GÉNÉRAL);OFFICE DES POURSUITES;EXTRAIT DU REGISTRE;REGISTRE DES POURSUITES;ACTE DE DÉFAUT DE BIENS;SAISIE DE SALAIRE;DEVOIR DE COLLABORER;CASIER JUDICIAIRE;EXTRAIT DU CASIER JUDICIAIRE;PRINCIPE DE LA BONNE FOI;PROPORTIONNALITÉ;PRÉSOMPTION D'INNOCENCE;APPRÉCIATION DES PREUVES;POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : Cst; LDCG.69.al1; LN.50; LN.51; LN.11; LN.12.al1.leta; OLN.4.al1.letb; LN.12.al2; LNat.1.al1.letb; Cst-GE.210.al2; LNat.12; LNat.13.al1.letc; LNat.14.al1; RNat.1.al1; RNat.1.al2; RNat.11.al1.letd; OLN.21.letb; LNat.14.al4; LNat.14.al6; RNat.13.al5; RNat.13.al6; RNat.14.al1; Cst; Cst
Résumé : L'intégration des recourants n'étant pas réussie, la naturalisation genevoise ne peut leur être octroyée. Par leurs nombreux actes de défaut de biens et poursuites et leurs arriérés d'impôts, ils n'ont pas démontré qu'ils respectaient les institutions et l'ordre public suisses. De surcroît, l'époux n'a pas informé les autorités de l'ouverture de deux procédures pénales à son encontre en cours de procédure de naturalisation, ce qui constitue une violation de son devoir de collaboration. Recours rejeté.
En fait
En droit

république et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4004/2024-NAT ATA/269/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 mars 2025

 

dans la cause

 

A______ et B______ recourants

contre

CONSEIL D'ÉTAT intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, né le ______1963, et son épouse B______, née le ______ 1954, ressortissants français, résident à Genève.

A______ est arrivé en Suisse le 4 novembre 2003. Il est titulaire d'une autorisation d'établissement et travaille en qualité de médecin indépendant.

B______ est arrivée en Suisse le 3 août 2003. Elle est titulaire d'une autorisation d'établissement et est à la retraite.

b. L’extrait de l'office des poursuites (ci-après : OP) du 2 octobre 2024 concernant A______ fait état de poursuites de moins de cinq ans pour un total de plus de CHF 607'000.- et d'actes de défaut de biens de moins de cinq ans pour un total de plus de CHF 257'000.-.

L’extrait de poursuites concernant B______ du 4 octobre 2024 fait état de poursuites de moins de cinq ans pour un total de plus de CHF 376'000.- et d'actes de défaut de biens de moins de cinq ans pour un total de plus de CHF 240'000.-.

c. Selon l'extrait du casier judiciaire informatisé VOSTRA du 24 septembre 2024, A______ fait également l'objet de deux procédures pénales en cours, pour détournement de valeurs patrimoniales mises sous main de justice.

B. a. Le 20 septembre 2019, les époux ont adressé à l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande de naturalisation suisse et genevoise.

Le même jour, les requérants ont signé une déclaration confirmant leur prise de conscience de la possibilité de voir rejeter leur demande de naturalisation en raison d'arriérés d'impôts et/ou de poursuites entrées en force ou d'actes de défaut de biens de moins de cinq ans.

Ils ont également signé une déclaration confirmant l'absence de procédure pénale en cours ainsi que l'absence de condamnation ou de mesures pénales en Suisse et à l'étranger. Cette déclaration rappelait notamment l'obligation de collaborer des parties.

b. Après une mise à l'enquête, le service naturalisations de l'OCPM (ci-après : SN ; anciennement secteur naturalisations) a rendu un avis défavorable, les époux n'ayant pas acquitté l'intégralité de leurs impôts auprès de l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) et faisant l'objet de nombreuses poursuites et actes de défaut de biens.

c. Pour les raisons susmentionnées, le SN a informé les requérants qu'il suspendait la procédure du 26 août 2020 jusqu'au 25 août 2023 au plus tard. Bien que l'autorité ait donné trois ans aux époux pour combler les carences constatées, leurs efforts n'avaient pas suffi pour régler la totalité des poursuites.

d. A______ a demandé un délai supplémentaire jusqu'au mois de mai 2024.

e. Le SN a refusé la demande de nouvelle suspension, le cadre légal fixant la durée de suspension d'une procédure à trois ans au maximum. Il serait ainsi amené à statuer sur le fond.

f. Complétant son rapport d'enquête initial, le SN a rendu un nouvel avis défavorable, au regard des mêmes motifs que ceux précités.

Malgré des saisies sur leur salaire, les dettes des requérants restaient très élevées.

L'AFC-GE a par ailleurs informé le SN qu'ils comptabilisaient plus de CHF 199'000.- de dettes fiscales pour les années 2017 à 2022.

g. Le SN a informé les époux de son intention de soumettre au Conseil d'État une proposition d'arrêté de refus de naturalisation. Les requérants étaient invités à transmettre leurs observations, ce qu'ils n'ont pas fait dans le délai imparti.

h. Par arrêté du 30 octobre 2024, le Conseil d'État a refusé la naturalisation genevoise de A______ et de B______. L’intégration de ceux‑ci n’était pas réussie. Par leurs nombreux actes de défaut de biens et poursuites et leurs arriérés d'impôts, ils n'avaient manifestement pas démontré qu'ils respectaient la sécurité et l'ordre publics suisses. Les actes de défaut de biens n'étaient pas non plus justifiés par un événement particulier, tel qu'une maladie, un accident ou le chômage. De surcroît, A______ n'avait pas informé spontanément le SN en cours de procédure de naturalisation de l'ouverture de deux procédures pénales à son encontre, violant son devoir de collaboration.

C. a. Par acte remis à la poste le 2 décembre 2024, A______, agissant en son nom personnel et en qualité de représentant de son épouse, a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cet arrêté, concluant à son annulation et au renvoi du dossier pour admission de leur demande. Il sollicitait leur audition.

B______ a transmis un complément au recours, reprenant quasiment à l'identique les griefs de son époux, à l'exception de l'argumentation liée au casier judiciaire VOSTRA.

Le Conseil d'Était avait violé les principes de proportionnalité et de bonne foi en négligeant les efforts constants et soutenus qu'ils avaient déployés pour améliorer leur situation économique. Il ne pouvait, sans heurter la présomption d'innocence, retenir une violation de l'obligation de collaborer de A______ en prenant en considération les deux procédures pénales ouvertes à son encontre. Enfin, il avait fait fi des considérations humaines et de leur intégration culturelle et sociale effective.

Les recourants ont produit, notamment, divers échanges de courriels avec une société active dans l'assainissement de dettes informant le recourant de ses conditions de rémunération et avec le Centre C______ établissant un budget selon les normes de poursuites et des « décomptes globaux », non produits.

b. Les recourants ayant sollicité un délai pour compléter leur recours, la chambre administrative les a informés qu’ils pouvaient le faire avec leur réplique.

c. Le Conseil d'État a conclu au rejet du recours. Il n'existait pas de solution moins incisive que le refus de naturalisation, étant précisé que rien n'empêchait les recourants de déposer une nouvelle demande dès que leur situation financière aurait été assainie.

d. Les recourants ont répliqué, soulignant que malgré leurs dettes, ils continuaient à travailler beaucoup.

Le recourant avait approché une société active dans le domaine du désendettement, mais les frais de celle-ci lui avaient paru disproportionnés, de sorte qu’il avait renoncé à ses services. Pendant les trois ans de suspension de la procédure de naturalisation, il avait dû faire face à des difficultés avec ses confrères, l’ayant contraint à déménager ses locaux professionnels. Il avait, en outre, pris en charge les frais médicaux de sa sœur malade. La modification législative visant à ce que les personnes inscrites au registre du commerce puissent être mises en faillite pour des dettes de droit public conduirait, si elle était admise par le parlement fédéral, à ce que la naturalisation puisse être refusée sur la seule base du reproche de surendettement ou d’insolvabilité. Le recourant souhaitait être entendu pour que la chambre administrative entende « l’ensemble des détails qui lui paraissaient dignes d’intérêt ». Il souhaitait également pouvoir bénéficier d’une prolongation de délai comme celle dont l’autorité intimée avait bénéficié.

Les recourants ont produit des pièces complémentaires, notamment des factures de 2018 de frais médicaux liés à la maladie de la sœur du recourant ainsi qu'une plainte de celui-ci à la chambre de surveillance de l'OP à l'encontre du procès-verbal du 16 août 2024 ordonnant la saisie de ses revenus.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

L'intimé a émis des doutes sur la recevabilité du recours signé de la main de la recourante en raison de sa tardiveté.

Dans la mesure où son époux, qui a déposé son recours dans les délais, pouvait valablement représenter l'intéressée, et compte tenu du sort du litige, la question du respect du délai de recours par la recourante pourra souffrir de rester indécise.

2.             Les recourants sollicitent leur audition ainsi qu’à pouvoir compléter leur recours.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Le droit d'être entendu n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1). Le droit d'être entendu n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).

2.2 En l'espèce, les recourants ont pu s'exprimer par écrit et fournir des pièces tant devant la chambre de céans que devant les autorités précédentes. Comme exposé ci-après, la question décisive s'agissant de leur intégration est celle de leur réputation financière. Celle-ci ressort des pièces du dossier. Les recourants n'indiquent pas quels détails « dignes d'intérêt », qu'ils évoquent, n'auraient pas pu être présentés par écrit. La chambre de céans dispose ainsi de tous les éléments lui permettant de statuer en toute connaissance de cause.

Il s'ensuit que leur demande d'audition sera rejetée.

Par ailleurs, les recourants ont été informés qu’ils pouvaient compléter leur recours à l’occasion de leur réplique, ce qu’ils ont fait. Il n’y a donc plus lieu de leur accorder un délai pour compléter leur recours.

3.             Le litige porte sur le refus du Conseil d'État d'octroyer la naturalisation genevoise aux recourants.

3.1 L'art. 69 al. 1 de la loi sur le droit de cité genevois du 2 mars 2023 (LDCG - A 4 05), entrée en vigueur le 1er septembre 2024, prévoit que les art. 50 et 51 de la loi sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN - RS 141.0) sont applicables à toutes les demandes d'octroi de la nationalité suisse pendantes lors de l'entrée en vigueur de la loi.

L’acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s’est produit (art. 50 al. 1 LN). Les demandes déposées avant l’entrée en vigueur de ladite loi sont traitées conformément aux dispositions de l’ancien droit jusqu’à ce qu’une décision soit rendue (art. 50 al. 2 LN).

Les recourants ayant déposé leur demande de naturalisation auprès de l’autorité compétente en 2019, soit avant l’entrée en vigueur de la LDCG, elle doit être traitée selon l’ancien droit, à savoir la loi sur la nationalité genevoise du 13 mars 1992 (LNat - A 4 05) et le règlement d’application de la LNat du 15 juillet 1992 (RNat - A 05.01).

3.2 Selon l'art. 11 LN, l’autorisation fédérale de naturalisation est octroyée si le requérant remplit les conditions suivantes : son intégration est réussie (let. a) ; il s’est familiarisé avec les conditions de vie en Suisse (let. b) ; il ne met pas en danger la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (let. c).

Une intégration réussie se manifeste en particulier par le respect de la sécurité et de l'ordre publics (art. 12 al. 1 let. a LN). L'ordonnance sur la nationalité suisse du 17 juin 2016 (OLN - RS 141.01) précise que l’intégration du requérant n’est pas considérée comme réussie lorsqu’il ne respecte pas la sécurité et l’ordre publics parce qu’il n’accomplit volontairement pas d’importantes obligations de droit public ou privé (art. 4 al. 1 let. b OLN). Les critères d'intégration fixés à l'art. 12 al. 1 LN sont cumulatifs, et non exemplatifs, ce qui signifie notamment que le non‑respect de l'ordre juridique constitue en soi un obstacle à la naturalisation (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-5493/2021 du 3 janvier 2023 consid. 7.2.2). La situation des personnes qui, du fait d'un handicap ou d'une maladie ou pour d'autres raisons personnelles majeures, ne remplissent pas ou remplissent difficilement les critères d'intégration prévus à l'art. 12 al. 1 let. c et d est prise en compte de manière appropriée (art. 12 al. 2 LN).

3.3 Selon le Message du Conseil fédéral du 26 août 1987 concernant la révision de la loi sur la nationalité du 23 mars 1990 (FF 1987 III 285, 296), le candidat à la naturalisation doit avoir bonne réputation en matière pénale et en matière de poursuites et faillites. De plus, son comportement lors de l'exercice de ses droits et de l'accomplissement de ses devoirs doit pouvoir être pris en compte. D'après le Message du Conseil fédéral du 4 mars 2011 concernant la révision totale de la loi fédérale sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse (FF 2011 2639, 2647), le respect de l'ordre juridique comprend notamment le respect de décisions des autorités et l'observation des obligations de droit public ou des engagements privés (par exemple, absence de poursuites ou de dettes fiscales, paiement ponctuel des pensions alimentaires).

3.4 Dans le domaine de la nationalité, le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) a établi le « Manuel sur la nationalité pour les demandes dès le 1.1.2018 » (ci-après : Manuel ; consultable sur internet à l'adresse « https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/publiservice/weisungen‑kreisschreiben/buergerrecht.html »), dont la chambre de céans, bien qu'elle n'y soit pas liée, peut tenir compte au titre de l'expression d'une pratique (ATA/269/2019 du 19 mars 2019 consid. 6i et les références citées). Le chapitre 3 du Manuel porte sur la naturalisation ordinaire (ci-après : chapitre 3 du Manuel).

Le terme d'intégration comprend une vaste gamme de critères, parmi lesquels figure la conformité à l'ordre juridique suisse. S'agissant de la conformité à la législation suisse, il s'agit, d'après la pratique, d'un critère se référant tant à la situation en matière de droit pénal qu'à la réputation financière (chapitre 3 du Manuel, p. 20). L'examen de la réputation financière est généralement laissé aux cantons qui disposent d'une grande marge de manœuvre. Une réputation financière exemplaire inclut, selon le SEM, la satisfaction aux obligations fiscales à l'égard de la collectivité, mais aussi l'absence de poursuite et d'acte de défaut de biens (chapitre 3 du Manuel, p. 21). La naturalisation est impossible en cas de retard dans le paiement des impôts durant les cinq dernières années précédant le dépôt de la demande de naturalisation (chapitre 3 du Manuel, p. 22-23). Le requérant ne saurait invoquer, lors du dépôt de sa demande de naturalisation, des raisons personnelles majeures pour justifier le non-respect de ses obligations fiscales. En effet, ces raisons sont, en principe, déjà prises en compte par l'administration fiscale afin de déterminer la charge fiscale du requérant (chapitre 3 du Manuel, p. 23). Une poursuite ou plusieurs poursuites représentant un montant de plus de CHF 1'500.- et figurant dans l'extrait de l'office des poursuites et faillites, pour lesquelles aucune procédure d'opposition n'est formée et qui n'ont pas été payées, constituent également un empêchement pour octroyer la naturalisation ordinaire (chapitre 3 du Manuel, p. 24). La naturalisation n'est pas non plus possible tant que le requérant fait l'objet d'une saisie sur son salaire (ibid.)

3.5 Dans une affaire concernant une réglementation du canton de Bâle-Ville, selon laquelle une personne n'est pas intégrée si entre autres elle ne respecte pas ses obligations financières, le Tribunal fédéral a rejeté le recours constitutionnel subsidiaire d'un couple recourant contre le refus de sa demande de naturalisation ordinaire. Il n'était pas arbitraire, du point de vue du résultat, d'estimer que la condition de l'intégration n'était alors pas remplie (arrêt du Tribunal fédéral 1D_3/2012 du 29 avril 2013 consid. 2.6).

Dans une autre affaire, le Tribunal fédéral a confirmé le rejet d'une demande de naturalisation ordinaire par une commune vaudoise. Selon la loi cantonale, pour demander la naturalisation vaudoise, l'étranger doit, outre les conditions posées par le droit fédéral, « être prêt à remplir ses obligations publiques ». Lors du dépôt de sa demande, le requérant faisait l'objet de poursuites pour un montant de presque CHF 38'000.- et d'actes de défaut de biens à hauteur d'environ CHF 24'600.‑. La juridiction cantonale avait également relevé qu'au vu des montants dus par l'intéressé à ses créanciers, l'autorité communale pouvait raisonnablement estimer que les conditions de la demande ne seraient pas remplies dans un délai d'un an au plus et renoncer à suspendre la procédure. Le refus de la naturalisation étant fondé sur le fait que l'intéressé avait des dettes qu'il n'établissait pas pouvoir honorer dans l'année qui suivait, le Tribunal fédéral a jugé que cette motivation n'était ni arbitraire ni discriminatoire (arrêt du Tribunal fédéral 1D_6/2016 du 5 janvier 2017 consid. 4).

D'après le Tribunal fédéral, lorsqu'il s'agit d'examiner l'intégration d'un candidat à la naturalisation, notamment son intégration locale, les autorités cantonales et communales bénéficient d'un large pouvoir d'appréciation dont la Haute Cour ne revoit l'exercice qu'avec retenue (arrêt du Tribunal fédéral 1D_2/2017 du 22 mars 2017 consid. 3.1).

3.6 À Genève, le candidat à la naturalisation doit remplir les conditions fixées par le droit fédéral et celles fixées par le droit cantonal (art. 1 al. 1 let. b LNat). Selon l'art. 210 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), l'État facilite la naturalisation des personnes étrangères. La procédure est simple et rapide. Les dispositions de la LN contenant des conditions formelles et matérielles minimales en matière de naturalisation ordinaire, les cantons peuvent définir des exigences concrètes en matière de résidence et d'aptitude supplémentaires, en respectant toutefois le droit supérieur, pour autant qu'ils n'entravent pas l'application du droit fédéral, par exemple en posant des exigences élevées au point de compliquer inutilement la naturalisation ou de la rendre tout simplement impossible (ATF 139 I 169 consid. 6.3 ; 138 I 305 consid. 1.4.3 ; 138 I 242 consid. 5.3).

Le candidat doit notamment remplir les conditions d’aptitude prévues à l’art. 12 LNat, à savoir : avoir avec le canton des attaches qui témoignent de son adaptation au mode de vie genevois (let. a) ; respecter la sécurité et l'ordre publics (let. b) ; jouir d'une bonne réputation (let. c) ; avoir une situation permettant de subvenir à ses besoins et à ceux des membres de sa famille dont il a la charge (let. d) ; ne pas être, par sa faute ou par abus, à la charge des organismes responsables de l’assistance publique (let. e) ; s’être intégré dans la communauté genevoise et respecter les droits fondamentaux garantis par la Cst-GE (let. f).

Sous l'intitulé « Introduction de la requête », l'art. 11 al. 1 RNat précise les documents qui doivent obligatoirement accompagner la demande de naturalisation, parmi lesquels : une attestation de l'administration fiscale, datant de moins de trois mois, certifiant que le candidat a intégralement acquitté ses impôts (let. c) ; une attestation de l'office cantonal des poursuites, datant de moins de trois mois, certifiant qu'il n'a fait l'objet d'aucune poursuite en force ni acte de défaut de biens dans les cinq ans (let. d).

3.7 L'étranger adresse sa demande de naturalisation au Conseil d'État (art. 13 al. 1 LNat). Le Conseil d'État délègue au département chargé d'appliquer la loi la compétence de procéder à une enquête sur la personnalité du candidat et sur celle des membres de sa famille ; il s'assure notamment que les conditions fixées à l'art. 12 LNat sont remplies (art. 14 al. 1 LNat). Le département de la sécurité, de la population et de la santé est chargé de l'application de la LNat (art. 1 al. 1 RNat). Il délègue cette tâche au service Suisses (secteur naturalisations) sous réserve – in casu non pertinente – des attributions conférées au service état civil et légalisations (art. 1 al. 2 RNat).

3.8 Les parties sont tenues de collaborer à la constatation des faits déterminants pour l'application de la LN. Elles doivent en particulier informer immédiatement l'autorité compétente de tout changement dans la situation du requérant dont elles doivent savoir qu'il s'opposerait à une naturalisation (art. 21 let. b OLN). L'art. 14 al. 4 et 6 LNat précise que le candidat doit fournir les renseignements utiles sur les faits qui motivent sa demande et produire les pièces y relatives qui sont en sa possession. Il est tenu d’informer le service compétent de tout changement survenant dans sa situation économique et familiale pendant la procédure.

3.9 La procédure peut être suspendue à l’échéance du titre de séjour ou d’établissement jusqu’à son renouvellement ou jusqu'à amélioration notoire des carences constatées lors de l'enquête (art. 13 al. 5 et 6 RNat). Cette dernière disposition fait référence à des « carences » liées à des critères d'aptitude tels que l'intégration dans la communauté suisse et genevoise (connaissance de la langue, participation à la vie locale, réseau d'amitiés) ou les moyens d'existence pouvant être améliorés pendant la suspension de la procédure (ATA/313/2015 du 31 mars 2015 consid. 5). Une procédure est classée, soit à la demande du candidat, soit par décision du département, si la requête est déclarée irrecevable ou si elle a été suspendue pendant plus de trois ans (art. 14 al. 1 RNat).

3.10 Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l'une et l'autre se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l'administration doit s'abstenir de toute attitude propre à tromper l'administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; 129 I 161 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_227/2015 du 31 mai 2016 consid. 7 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 568).

Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 141 V 530 consid. 6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1).

Selon la jurisprudence, les assurances ou les renseignements erronés donnés par les autorités confèrent des droits aux justiciables lorsque les cinq conditions cumulatives suivantes sont remplies. Tout d'abord, on doit être en présence d'une promesse concrète effectuée à l'égard d'une personne déterminée. Il faut également que l'autorité ait agi dans le cadre et dans les limites de sa compétence, que la personne concernée n'ait pas été en mesure de se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement fourni, qu'elle se soit fondée sur ce renseignement pour prendre des dispositions qu'elle ne peut ensuite modifier sans subir de préjudice et, enfin, que la loi n'ait pas subi de changement depuis le moment où la promesse a été faite (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; ATA/1385/2021 du 21 décembre 2021 consid. 13).

3.11 En l'espèce, les recourants se prévalent des efforts qu'ils ont réalisés pour remédier à leur situation économique défavorable et de l'absence d'intention d'éluder leurs obligations légales, dont il n'aurait pas été tenu compte sous l'angle de la proportionnalité et de la bonne foi.

Or, la réputation financière ne peut pas être considérée comme exemplaire en cas d'arriérés d'impôts, de poursuites ou d'actes de défaut de biens. L'intimé devait ainsi prendre en compte, lors de la décision au fond, la question de l'existence d'actes de poursuite et de défaut de biens en tant que critère de l'appréciation de la condition de la bonne réputation financière. Les recourants ne contestent d'ailleurs pas les montants des dettes et poursuites mentionnées dans l'arrêté, qu'ils reconnaissent être importants. L'époux allègue contribuer au système économique en tant que « contributeur fiscal consistant », ce qui est manifestement contredit par les pièces du dossier. Dans ces circonstances, il importe peu que les recourants n'aient pas délibérément éludé leurs obligations financières.

Les recourants se plaignent en vain de l'absence d'un examen bienveillant de leur situation. En effet, le SN a accepté de suspendre leur procédure de naturalisation, et ce pendant le délai maximal prévu, afin qu'ils puissent régler leurs dettes auprès de l'OP et de l'AFC-GE et ainsi remplir les conditions requises. Or, même après les trois ans de suspension de la procédure de naturalisation, leur endettement est resté très important.

Par ailleurs, les recourants n'expliquent pas concrètement en quoi le principe de la bonne foi aurait été violé. Tel n'apparaît, au demeurant, pas être le cas. En effet, il ne ressort pas du dossier qu'une assurance aurait été donnée ou qu'un comportement contradictoire aurait été adopté par les autorités à leur égard, ce d'autant moins que les recourants ont signé, dès le dépôt de leur demande de naturalisation, une déclaration confirmant qu'ils étaient conscients de la possibilité de voir leur demande rejetée en raison d'arriérés d'impôts et/ou de poursuites entrées en force ou d'actes de défaut de biens de moins de cinq ans.

Les recourants prétendent que l'intimé avait considéré les procédures pénales en cours à l'encontre de l'époux comme des faits établis. Or, le Conseil d'État n'a pas violé la présomption d'innocence du recourant, puisqu'il s'est référé à ces faits uniquement pour lui reprocher un manquement à son obligation de collaborer. Même si le candidat contestait les accusations portées à son encontre, il avait le devoir d'informer l'autorité compétente des changements intervenus dans sa situation, ce qu'il ne pouvait au demeurant ignorer après avoir signé une déclaration à cet égard. Il lui appartenait ainsi de signaler qu'il faisait l'objet de deux procédures pénales en cours.

Même si les recourants font valoir qu'ils maîtrisent les langues nationales, participent à la vie locale et ont des attaches avec la communauté genevoise, ces éléments ne s'opposent pas à un refus de naturalisation après un examen global de la situation. En effet, les critères d'intégration étant cumulatifs, le respect de certains d'entre eux n'exempte pas les candidats du respect des autres critères.

Il incombait aux recourants de prouver l'existence de raisons personnelles majeures telles qu'ils n'avaient, en trois ans de suspension de procédure, pas été en mesure de remplir les conditions de naturalisation. Malgré des difficultés personnelles évoquées, le recourant n'apporte pas d'éléments concrets permettant d'en attester. En outre, ses explications, selon lesquelles il avait pris en charge les frais du traitement médical de sa sœur, ne suffisent pas à justifier les carences très importantes constatées. En particulier, il ne démontre pas que son soutien financier, en 2018, à sa sœur malade l'aurait empêché d'honorer ses propres obligations financières. Au demeurant, alors qu'il savait l'importance qu'il y avait à résorber ses dettes et qu'il avait approché une société pour ce faire, il a finalement renoncé à mettre en place un plan de remboursement en raison des frais demandés qu'il estimait trop élevés.

Il en découle que la réputation financière des recourants ne peut être considérée comme bonne. Or, l'observation des obligations de droit public, qui témoigne du respect des institutions et de l'ordre public suisses, est une condition indispensable à l'octroi de la naturalisation selon la volonté claire du législateur. Dès lors, les griefs des recourants doivent être écartés, étant précisé qu'il n'y a pas lieu d'analyser plus en avant si les autres conditions à l'octroi de la naturalisation sont remplies.

Mal fondé, le recours doit être rejeté.

4.             Aucun émolument ne sera perçu, la procédure étant gratuite. Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 décembre 2024 par A______ et B______ contre l'arrêté du Conseil d'État du 30 octobre 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourants, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ et B______, au Conseil d'État ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

 

la greffière-juriste :

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

 

le président siégeant :

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :