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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/667/2024

ATA/1291/2024 du 05.11.2024 ( LAVI ) , REJETE

Descripteurs : LOI FÉDÉRALE SUR L'AIDE AUX VICTIMES D'INFRACTIONS;AIDE AUX VICTIMES;INFRACTIONS CONTRE LA VIE ET L'INTÉGRITÉ CORPORELLE;VICTIME;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);ATTEINTE À LA SANTÉ PHYSIQUE;MOYEN DE PREUVE;EXPERTISE
Normes : LAVI.1.al1; LAVI.1.al3; LAVI.2; LAVI.27; LAVI.30.al1; LAVI.20.al1; LPA.20; LPA.38
Résumé : Confirmation d’une décision l’instance d’indemnisation LAVI, niant le droit aux prestations de la recourante. L’existence d’une infraction selon le droit pénal suisse n’était pas établie, de sorte que la qualité de victime ne pouvait être retenue. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/667/2024-LAVI ATA/1291/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 novembre 2024

1re section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI intimée

 



EN FAIT

A. a. Le 27 octobre 2020, A______ a été percutée par un véhicule automobile, au Grand-Lancy. Dans ce contexte, elle a été gravement blessée. Selon un certificat médical du 20 mai 2022, elle souffrait de séquelles physiques avec douleurs invalidantes et psychologiques.

b. Le 18 décembre 2020, A______ a déposé plainte contre le conducteur du véhicule (ci-après : le conducteur), pour lésions corporelles graves par dol éventuel, subsidiairement par négligence.

c. Par ordonnance du 15 mars 2022, le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après : MP) a classé l’affaire. Le MP a retenu que le comportement du conducteur ne prêtait pas flan à la critique ; qu’il ressortait de ses déclarations et de celles des témoins présents sur les lieux de l’accident qu’il circulait à la vitesse prescrite sur le tronçon concerné et qu’il avait respecté les phases lumineuses des feux de circulation ; que la survenance de A______ sur la chaussée était imprévisible et subite, alors que la signalisation était à la phase rouge pour elle ; que le devoir de prudence n’imposait pas à un conducteur de compter avec le fait qu’un piéton qui chemine le long de la route s’élance soudainement sur la chaussée devant son véhicule ; que dans le cas concret, le comportement de A______, qui s’était soudainement élancée sur la chaussée devant le véhicule qui l’a percutée au moment où il passait à proximité, constituait un évènement imprévisible et une faute grave qui s’imposait comme la seule cause de l’accident, le lien de causalité adéquate entre le comportement du conducteur et les lésions subies par A______ devant dès lors être exclu ; que par conséquent, les éléments constitutifs de l’infraction de lésions corporelles par négligence (art. 125 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 [CP - RS 311.0]) n’étaient pas réunis concernant le conducteur, de sorte que le classement de la procédure devait être ordonné à son égard.

d. Le 28 mars 2022, A______ a recouru contre l’ordonnance de classement précitée.

e. Le 26 avril 2022, la chambre pénale de recours de la Cour de justice
(ci-après : la CPR) a confirmé le raisonnement du MP et retenu que le comportement de A______ était non seulement fautif mais également imprévisible et prépondérant, de telle manière qu’il semblait s’imposer comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’accident ; qu’aucune mesure d’instruction complémentaire n’était donc nécessaire et que l’ordonnance de classement devait être confirmée.

f. Le 9 juin 2022, A______ a interjeté recours auprès du Tribunal fédéral contre l’arrêt du 26 avril 2022.

g. Par arrêt du 7 juillet 2022, le Tribunal fédéral a déclaré le recours en question irrecevable pour cause de tardiveté.

h. Le 24 novembre 2022, A______ a intenté une action civile contre le conducteur. Le Tribunal civil a déclaré l’action irrecevable, faute de paiement de l’avance de frais.

B. a. Le 1er décembre 2022, A______ a sollicité auprès de l’instance d’indemnisation LAVI selon de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (LAVI - RS 312.5) le remboursement de ses frais médicaux, de ses frais de justice et d’avocat, ainsi que des frais à hauteur de CHF 8'752.85, qui lui étaient réclamés par l’assurance responsabilité civile du conducteur. A______ a également conclu à une indemnité pour tort moral, précisant également effectuer cette demande afin de « sauvegarder le délai de cinq ans ».

La version des faits retenue par le juge pénal était erronée. Contrairement à ce qu’il avait retenu, le conducteur avait dépassé la limite de vitesse autorisée et roulait à 60km/h, il l’avait percutée à cette vitesse alors qu’elle se trouvait sur le trottoir. Le conducteur avait été négligent sur sa vitesse et avait potentiellement menti – sa version des faits était changeante. Les témoins ne pouvaient pas prétendre avoir vu ses mouvements de loin. Contrairement à ce qu’ils avaient indiqué, son téléphone était dans sa poche et elle écoutait sa musique de cette manière. Enfin, la version établie par les autorités était incompatible avec les lieux de l’accident et sa localisation sur les photographies effectuées par la police sur la base des témoignages était erronée.

b. Par ordonnance du 9 février 2023, l’instance d’indemnisation LAVI a suspendu la procédure ouverte par-devant elle dans l’attente du jugement civil.

c. Le 3 juillet 2023, A______ a indiqué à l’instance d’indemnisation LAVI que le Tribunal civil avait déclaré sa cause irrecevable et que ses demandes d’assistance juridique avaient été rejetées en raison des faibles chances de succès.

d. Par décision du 21 septembre 2023, notifiée le 26 janvier 2024, l’instance d’indemnisation LAVI a rejeté la demande de A______.

Trois critères devaient être cumulativement remplis pour qu’une personne soit considérée comme victime au sens de l’art. 1 al. 1 LAVI : a) elle devait avoir subi une atteinte à son intégrité physique, psychique ou sexuelle ; cette atteinte était établie lorsque la vie quotidienne de la victime s’était détériorée de manière passagère ou permanente ; b) il existait une infraction selon le droit pénal suisse ; c) l’atteinte à l’intégrité devait être la conséquence directe de l’infraction.

Il ne faisait nul doute que A______ avait été gravement blessée dans le cadre de l’accident de la circulation survenu le 27 octobre 2020 et qu’elle avait subi une grave atteinte à son intégrité physique. La condition de l’existence d’une infraction selon le droit pénal faisait toutefois défaut, puisqu’il ressortait de la procédure pénale qu’aucune faute ne pouvait être imputée au conducteur du véhicule impliqué dans l’accident.

Les éléments de l’enquête avaient au contraire permis d’établir que c’était en réalité le comportement adopté par A______ au moment des faits qui avait été constitutif d’un évènement imprévisible et d’une faute grave et qu’elle s’imposait donc comme la seule cause de l’accident. Au vu de cela, les éléments constitutifs de l’infraction de lésions corporelles par négligence (art. 125 CP), de même que de toute autre infraction pénale par ailleurs, n’étaient pas réunis.

En l’absence d’infraction au sens du droit pénal, le statut de victime au sens de la LAVI ne pouvait être reconnu.

C. a. Par acte du 26 février 2024 adressé à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a recouru contre cette décision, concluant implicitement à son annulation.

Contrairement à ce que retenait la décision, elle avait le statut de victime. Selon l’art. 1 al. 3 LAVI elle était « une victime que ce soit de [s]a faute [à elle] ou non ». Elle avait donc le droit de demander des dommages et intérêts, aux termes de l’art. 2 LAVI, même si, en cas de faute de la victime, l’indemnisation pourrait être réduite. Elle souffrait de douleurs chroniques avec lesquelles elle devait vivre pour le reste de sa vie, ce qui interférait avec sa vie quotidienne et professionnelle.

b. Le 18 mars 2024, l’instance d’indemnisation LAVI a conclu au rejet du recours et à la confirmation de sa décision, reprenant sa motivation.

c. Le 7 avril 2024, A______ a persisté dans ses conclusions et sollicité la mise en œuvre d’une expertise médicale pour évaluer ses blessures.

Son statut de victime devait être reconnu pour les graves lésions corporelles qu’elle avait subies. Elle n’avait pas été informée de la clôture du dossier pénal par le procureur, si bien que ses droits constitutionnels avaient été violés. Elle était victime de discrimination sociale.

Elle a produit son courrier à l’instance LAVI du 1er décembre 2022, détaillant sa version des faits lors de l’accident du 27 octobre 2020.

d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 -
LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante sollicite une expertise pour évaluer ses blessures.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend aussi le droit pour la personne intéressée de produire ou obtenir la production des preuves pertinentes. Il n’empêche toutefois pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1).

2.2 En procédure administrative genevoise, l’autorité réunit les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision ; elle apprécie les moyens de preuve des parties (art. 20 al. 1 LPA) ; elle recourt s’il y a lieu notamment aux témoignages et renseignements de tiers (art. 20 al. 2 let. c LPA) ou à l’expertise (art. 20 al. 2 let. e LPA).

L’expertise représente un moyen de preuve (art. 38 LPA) ordonné lorsque l’établissement ou l’appréciation de faits pertinents requièrent des connaissances et compétences spécialisées – par exemple techniques, médicales, scientifiques, comptables – que l’administration ou le juge ne possèdent pas (ATA/656/2023 du 20 juin 2023 consid. 2.2 et les arrêts cités).

2.3 En l’occurrence, il n’est pas contesté que la recourante a été gravement blessée dans l’accident du 27 octobre 2020, qui a entrainé des séquelles physiques et psychologiques. Ces éléments sont en outre étayés par les pièces du dossier médical de la recourante et par les écritures. Dans ces conditions, il n’apparaît pas nécessaire de solliciter une expertise afin de confirmer des faits déjà établis et non contestés.

2.4 Il ne sera donc pas fait suite à la mesure d’instruction sollicitée par la recourante.

3.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision du 21 septembre 2023, par laquelle l’intimée a nié le droit de la recourante à toutes prestations.

3.1 À teneur de l'art. 1 al. 1 LAVI, toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle a droit au soutien prévu par la loi. Le troisième alinéa de cette disposition précise que le droit à l'aide aux victimes existe, que l'auteur de l'infraction ait été découvert ou non (let. a), ait eu un comportement fautif ou non (let. b), ait agi intentionnellement ou par négligence (let. c).

3.2 Selon l’art. 2 LAVI, l’aide aux victimes comprend notamment les conseils et l’aide immédiate (let. a), l’aide à plus long terme fournie par les centres de consultation (let. b), la contribution aux frais pour l’aide à plus long terme fournie par un tiers (let. c), l’indemnisation (let. d), la réparation morale (let. e), l’exemption des frais de procédure (let. f).

3.3 Pour reconnaître à une personne la qualité de victime LAVI, trois conditions doivent être réalisées : la personne doit avoir subi une atteinte à son intégrité physique, psychique ou sexuelle ; cette atteinte doit avoir été causée par une infraction ; l’atteinte doit être la conséquence directe de l’infraction (ATA/523/2021 du 18 mai 2021 consid. 4b ; ATA/304/2016 du 12 avril 2016 consid. 5). Ces trois critères doivent être, selon la lettre de la loi, remplis cumulativement (Cédric MIZEL, La qualité de victimes LAVI et la mesure actuelle des droits qui en découlent, JdT 2003 IV p. 42).

Ainsi, la reconnaissance de la qualité de victime au sens de la LAVI dépend de savoir, d’une part, si la personne concernée a subi une atteinte à son intégrité physique, psychique ou sexuelle et, d’autre part, si cette atteinte a été directement causée par une infraction au sens du droit pénal suisse. La qualité de victime au sens de la LAVI ne se confond donc pas avec celle de lésé, dès lors que certaines infractions n’entraînent pas d’atteintes – ou pas d'atteintes suffisamment importantes – à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle (ATF 120 Ia 157 consid. 2d ; ATA/1291/2022 du 20 décembre 2022 consid. 4c ; ATA/973/2015 du 22 septembre 2015 consid. 3c).

La notion de victime ne dépend pas de la qualification de l'infraction, mais exclusivement de ses effets sur le lésé (ATF 129 IV 216 consid. 1.2.1). Toutefois, l'atteinte subie ne confère la qualité de victime au sens de l'art. 1 LAVI que lorsqu'elle présente une certaine gravité (ATF 129 IV 95 consid. 3.1 ; ATF 129 IV 216 consid. 1.2.1 ; ATF 125 II 265 consid. 2a/aa), par exemple lorsqu'elle entraîne une altération profonde ou prolongée du bien-être (arrêt du Tribunal fédéral 1P.147/2003 du 19 mars 2003). Il ne suffit donc pas que la victime ait subi des désagréments, qu'elle ait eu peur ou qu'elle ait eu quelque mal
(ATF 129 IV 216 consid. 1.2.1).

Finalement, l’atteinte à l’intégrité doit être une conséquence directe, effective et immédiate de l’infraction (ATF 125 II 268 ; arrêt du Tribunal fédéral 6S_543/2006 du 20 février 2007 consid. 2). Une atteinte est directe lorsque l’intégrité physique, psychique ou sexuelle appartient aux biens juridiquement protégés de l’élément constitutif de l’infraction en question (ATF 129 IV 95 consid. 3.1).

3.4 S’agissant de la condition de l’existence d’une infraction, les faits à l’origine de l’atteinte à l’intégrité doivent correspondre à l’état de fait objectif et subjectif d’une infraction au sens du CP (Dominik ZEHNTNER, Opferhilfegesetz, 4e éd., 2020,
n. 5 ad art. 1).

L’existence d’une infraction au sens de l’art. 1 LAVI est établie quel que soit le degré de responsabilité pénale de l’auteur. L’existence de la typicité et de l’illicéité du comportement ne doit pas nécessairement être établie par un jugement pénal. Elle peut être constatée, en l’absence d’un tel jugement, par l’autorité compétente chargée d’indemniser, ceci sur la base des éléments de l’enquête, voire moyennant d’autres investigations qu’elle mènerait (ATF 122 II 211 consid. 3 ; Stéphanie CONVERSET, Aide aux victimes d’infractions et réparation du dommage, 2009, p. 152). Lorsque la procédure pénale fait défaut, parce que, par exemple l’auteur de l’infraction n’a pas été identifié, il convient d’admettre l’existence d’une infraction dès que celle-ci est hautement probable, une simple vraisemblance sur ce point étant insuffisante (Stéphanie CONVERSET, Aide aux victimes d’infractions et réparation du dommage, 2009, p. 153 ; Peter GOMM in Peter GOMM/Dominik ZEHNTNER [éd.], op cit., n. 16 -17 ad art. 29).

3.5 Lorsque la procédure pénale aboutit à une décision de classement de la plainte pénale faute d’éléments suffisants pour admettre l’existence d’une infraction, l’autorité compétente en matière d’aide aux victimes d’infractions tiendra compte de cette décision, sauf en cas de circonstances particulières susceptibles de justifier de s’écarter des constatations de faits opérées par l’autorité de poursuite pénale (arrêt du Tribunal fédéral 1A.170/2001 du 18 février 2002 consid. 3.2. ; ATA/578/2008 du 11 novembre 2008 ; ATA/110/2008 du 11 mars 2008).

Selon la jurisprudence, l'échec de la procédure pénale n'exclut pas nécessairement le droit à l'aide aux victimes telle que la définit l'art. 2 LAVI. L'art. 1 al. 3 LAVI précise au demeurant que ce droit existe, que l'auteur de l'infraction ait ou non été découvert (let. a), qu'il ait eu un comportement fautif ou non (let. b) ou qu'il ait agi intentionnellement ou par négligence (let. c).

Dans un arrêt de principe, publié aux ATF 144 II 406, le Tribunal fédéral a retenu que dans le domaine de l'aide aux victimes, au regard de la nature juridique des prestations prévues par la LAVI – lesquelles englobent des éléments propres à la sécurité sociale –, la vraisemblance prépondérante, telle que développée par la jurisprudence en matière d'assurances sociales, est applicable non seulement à l’établissement du lien entre l'infraction et l'atteinte à la santé, mais également pour arrêter le statut de victime, en cas d'absence ou d'échec de la procédure pénale. Cette règle sur le degré de preuve exigé dans le cadre de la procédure LAVI est applicable, quand bien même elle pourrait avoir pour conséquence de soumettre la victime, dont les prétentions sont en premier lieu examinées dans le cadre de la procédure pénale, à des exigences plus strictes en matière de preuve, que celles auxquelles est soumis le demandeur renonçant à la participation ou à l'ouverture d'une procédure pénale (consid. 3).

Le statut de victime LAVI doit donc être établi au degré de la vraisemblance prépondérante (au sujet de cette notion ATF 140 III 610 consid. 4.1).

3.6 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération (ATF 139 V 176 consid. 5.3 et les références). Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 324 consid. 3.2 et 3.3 ; 126 V 360 consid. 5b). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré
(ATF 126 V 322 consid. 5a).

3.7 Les Recommandations de CSOL-LAVI, du 21 janvier 2010 (ci-après : recommandations) précisent que les exigences liées à la preuve de la qualité de victime varient en fonction du genre et de l’étendue de l’aide demandée et du moment de la demande (ATF 134 II 33 ; 125 II 265 ; 122 II 216 et 321). On distingue trois niveaux : la consultation au sens étroit et l’aide financière immédiate ; l’aide à plus long terme fournie par un tiers ; l’indemnisation et la réparation morale. Lors de l’octroi d’indemnisation et de réparation morale, il faut retenir pour le degré de preuve celui de la vraisemblance prépondérante, en se basant sur le droit des assurances sociales. Le degré de vraisemblance qui plaide en faveur de la qualité de victime doit être si élevé qu’il ne reste plus aucune raison sérieuse d’envisager un autre état de fait. En d’autres termes, il est possible que les événements se soient passés autrement, mais cette possibilité ne doit pas être considérée comme déterminante. Exprimée en chiffre, la vraisemblance de la qualité de victime doit atteindre au moins 75%. L’autorité compétente ne peut pas exiger de la victime qu’elle ouvre une action pénale. Cependant, en l’absence de procédure pénale, la victime risque, dans les cas où il n’y a ni trace, ni indice ni aucun autre élément de preuve à disposition, de ne pouvoir également suffisamment prouver l’existence d’une infraction lors de la procédure relative à l’octroi de prestations d’aide aux victimes, que l’infraction ne puisse pas atteindre le degré de preuve exigé pour l’octroi d’une aide aux victimes. Lorsqu’il n’y a pas de procédure pénale, l’autorité compétente doit établir les faits d’office (recommandations 2.8.2).

Les allégations de la personne requérante doivent être vérifiées du mieux possible, à l’aide de rapports médicaux, dossiers des assurances sociales ou autres. Il faut examiner dans chaque cas concret si les conditions de la LAVI sont remplies et tenir compte du fait que les exigences posées à la preuve de la qualité de victime divergent selon la prestation envisagée (recommandations 2.8.2 ; ATA /1144/2023 consid. 2.4).

4.             Dans la décision entreprise, l’autorité intimée a constaté l’absence d’infraction au sens du droit pénal. Dans la mesure où cette condition faisait défaut, la qualité de victime de la recourante ne pouvait être retenue.

En l’espèce, le MP a classé la plainte de la recourante par ordonnance du 15 mars 2022. Ce classement a été confirmé le 26 avril 2022 par la CPR. Le Tribunal fédéral a par la suite déclaré irrecevable le recours formé par la recourante contre la décision de la CPR. L’ordonnance de classement du 15 mars 2022 est donc entrée en force, devenant définitive et exécutoire. Dans ces conditions et selon la jurisprudence précitée, l’autorité compétente en matière d’aide aux victimes doit tenir compte de cette décision de classement, sauf en cas de circonstances particulières susceptibles de justifier de s’écarter des constations de faits opérées par l’autorité de poursuite pénale. Or, comme on le verra, de telles circonstances n’existent pas en l’espèce.

Devant la chambre de céans, la recourante soutient que le statut de victime au sens de la LAVI doit lui être reconnu, même dans l’hypothèse où elle aurait été négligente. Certes, selon la jurisprudence précitée, l’échec de la procédure pénale ne fait pas forcément échec à une indemnisation au sens de la LAVI. Le statut de victime doit dans ce cas être déterminé selon la vraisemblance prépondérante.

Il ressort toutefois du dossier que les autorités pénales ont retenu qu’aucune faute ne pouvait être reprochée au conducteur du véhicule impliqué dans l’accident. Selon les déclarations des différents témoins présents sur les lieux de l’accident, ce dernier circulait à la vitesse prescrite sur le tronçon et avait respecté les phases lumineuses des feux de circulation. Le comportement adopté par la recourante au moment des faits avait quant à lui été imprévisible et était constitutif d’une faute grave, s’imposant ainsi comme la cause exclusive de l’accident.

Dans ses écritures devant la chambre de céans, se référant à ses écritures du 1er décembre 2022, la recourante fait valoir que la version établie par les autorités pénales est inexacte. Selon elle, certains éléments n’ont pas été pris en compte par le juge pénal et le conducteur, qui n’avait pas respecté la limite de vitesse autorisée et l’avait percutée alors qu’elle se trouvait sur le trottoir, avait agi de manière fautive, ou à tout le moins négligente. Les témoignages n’étaient par ailleurs pas crédibles sur certains points du fait de la distance la séparant des témoins lors des faits.

Avec cette argumentation, la recourante se limite toutefois à opposer sa version à celle du juge pénal, sans apporter d’éléments probants permettant d’accorder du crédit à ses allégations. La recourante fait certes valoir qu’elle n’a pas été informée de la clôture de son dossier et que le MP a statué sans tenir compte du « rapport de police ». Elle ne précise toutefois pas la date ou le contenu du rapport de police en cause, ni n’indique en quoi ces éléments justifieraient de s’écarter des faits retenus par le MP et par la CPR. Ainsi, en l’absence de raisons sérieuses permettant d’envisager un autre état de fait que celui retenu par les autorités pénales, il n’est pas possible de retenir que la recourante revêt, au degré de la vraisemblance prépondérante, la qualité de victime.

C’est le lieu de rappeler pour le surplus qu’il n’est pas contesté que la recourante a subi des séquelles importantes en raison de l’accident. Or, comme exposé ci-avant, il ne suffit pas, pour se voir reconnaître la qualité de victime, que la personne ait subi une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle, encore faut-il que cette atteinte ait été causée par une infraction au sens du droit pénal suisse. Or, cette condition fait défaut en l’occurrence.

Partant, le recours sera rejeté.

5.             Il ne sera pas perçu d’émolument, la procédure étant gratuite (art. 30 al. 1 LAVI) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 février 2024 par A______ contre la décision de l’Instance d'indemnisation LAVI du 21 septembre 2023 notifiée le 26 janvier 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à l'instance d'indemnisation LAVI ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MICHEL

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :