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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/284/2024

ATA/1239/2024 du 22.10.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/284/2024-PRISON ATA/1239/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 22 octobre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Douglas HORNUNG, avocat

contre

ÉTABLISSEMENT FERMÉ DE LA BRENAZ intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1979, est incarcéré à l'établissement fermé de La Brenaz (ci‑après : la prison) depuis le 19 septembre 2023, en exécution anticipée de peine.

b. Le 10 octobre 2023, son avocat a écrit à la direction de la prison.

Son client avait passé plus de 20 ans dans différents établissements pénitentiaires, tant en Suisse qu'en France. Il s'intéressait beaucoup aux aspects juridiques, notamment les droits fondamentaux et les garanties de procédure. Il lui avait fait parvenir, à ses frais, divers livres de droit. A______ rédigeait lui-même les recours qui le concernaient, que ce soit en droit français ou en droit administratif suisse, lui-même ne s'occupant que de la défense pénale de droit suisse.

À sa demande, il avait voulu lui apporter lors de sa visite du jour des surligneurs, un stylo, du papier carbone (destiné à permettre à son client d'éviter de devoir recopier à la main ses divers recours) ainsi qu'une plaque de chocolat pour son anniversaire. La remise de ce matériel avait été refusée par le gardien, le stylo car il était rechargeable, les autres articles de papeterie car ils ne figuraient pas dans la liste des produits autorisés et le chocolat car le détenu avait déjà reçu un colis alimentaire durant le mois.

Il priait la direction de bien vouloir l'autoriser, lors de sa prochaine visite, à remettre à son client et après inspection : du papier carbone, des surligneurs, un stylo non rechargeable ainsi que du ruban effaceur, sans que ce petit matériel, nécessaire à l'exercice de ses droits fondamentaux, soit comptabilisé comme colis.

c. Le 9 novembre 2023, la direction de la prison a répondu à l'avocat de A______.

Elle lui communiquait le lien Internet permettant d'accéder à la liste des produits autorisés. Les détenus étaient autorisés à recevoir des colis alimentaires et non alimentaires. Leur contenu était vérifié par le personnel, et renvoyé si les produits qu'ils contenaient ne figuraient pas sur la liste.

Les explications données le 10 octobre 2023 par le personnel devaient être confirmées. Les fournitures de papeterie ne figuraient pas sur la liste des produits autorisés, et s'agissant du chocolat le détenu avait déjà reçu quatre jours plus tôt un colis alimentaire. Lesdites fournitures ne pouvaient pas non plus être amenées lors d'une prochaine visite d'avocat, pour des raisons d'égalité de traitement.

d. Le 14 novembre 2023, l'avocat de A______ a demandé à la prison, soit de rendre une décision formelle sujette à recours, soit, si le courrier du 9 novembre 2023 en constituait une, transmettre son courrier à l'autorité de recours.

La décision violait les droits constitutionnels de son client – notamment le droit à disposer du temps et des facilités nécessaires pour la préparation de sa défense, qui devait être interprété à la lumière des recommandations du Conseil de l'Europe, mais aussi le droit à la dignité humaine, l'interdiction de l'arbitraire, le principe de la bonne foi, la protection de la sphère privée et la liberté d'opinion et d'information.

La liste des produits autorisés n'était qu'un règlement interne non publié, qui ne pouvait faire barrage aux droits fondamentaux précités. Son client lui demandait une abondante documentation juridique et avait besoin d'organiser celle-ci avec un minimum de soins, devant notamment garder des traces de ses multiples recours. Il n'y avait aucun intérêt public pouvant exiger que le papier carbone, les surligneurs et autres menues fournitures soient interdits. Le refus attaqué ne pouvait être compris que comme une vexation gratuite et une volonté d'interdire pour le plaisir d'interdire.

e. Le 8 décembre 2023, la direction a répondu au conseil de A______.

Le courrier du 9 novembre 2023 avait uniquement une portée d'information et ne constituait pas une décision, faute de caractère juridique contraignant.

Le droit d'obtenir une décision, fondé sur l'art. 4A de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) supposait que l'acte matériel visé touche l'administré dans un intérêt digne de protection. En l'occurrence, les détenus pouvaient recevoir des colis tant alimentaires que non alimentaires. Dans cette catégorie entraient diverses fournitures de papeterie, soit blocs de papier, cahiers, classeurs, crayons, fourres en plastique, gommes, perforatrices et stylos à bille. Certaines fournitures pouvaient aussi être commandées auprès de l'épicerie, notamment par le biais de commandes spéciales en ce qui concernait les surligneurs ou le Tipp-Ex en « roller ». Les droits de A______ n'étant pas restreints, celui-ci ne pouvait revendiquer le prononcé d'une décision, et la prison respectait l'art. 74 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

B. a. Par acte posté le 25 janvier 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant principalement à la constatation d'un déni de justice, subsidiairement au constat que le courrier du 9 novembre 2023 était une décision, à l'annulation de celle-ci, à la possibilité de recevoir le matériel demandé sans que ces remises soient comptées comme des colis non alimentaires et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Le papier carbone devait lui permettre de ne plus avoir à rédiger ses actes en deux exemplaires manuscrits, ce qui prenait un temps fou en l'absence d'accès à une photocopieuse ; le ruban effaceur à ne pas devoir récrire toute une page en cas de rature. Ne disposant d'aucune ressource financière, il ne pouvait faire de commande spécialisée à l'épicerie de la prison, son très maigre pécule étant régulièrement diminué par des remboursements de dégâts qu'il causait ou l'achat de « suppléments alimentaires ».

Ses droits fondamentaux, et en particulier celui de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, était violé par le refus opposé par la prison à ce que son avocat lui fournisse le matériel en cause.

La prison ne discutait même pas l'intérêt public qui imposerait l'interdiction contestée. Or, il n'y en avait aucun. Un règlement interne non publié ne pouvait être qualifié de base légale matérielle. La restriction à ses droits fondamentaux n'avait donc pas de base légale. Le principe de la légalité primait celui de l'égalité de traitement en droit administratif. Quoi qu'il en fût, sa situation ne pouvait être comparée à celle de la très grande majorité de ses codétenus, qui ne se s'occupaient pas personnellement de leur situation juridique. L'atteinte ne respectait pas non plus le principe de la proportionnalité.

b. Le 1er mars 2024, la prison a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

Pour des raisons de sécurité, les produits en vente à l'extérieur ne sont pas tous admissibles au sein d'un établissement pénitentiaire. Le papier carbone était une feuille dont l'une des faces était recouverte d'une encre de duplication. Ce type de papier pouvait être utilisé pour dupliquer une signature ou un document officiel appartenant à un tiers et n'était ainsi pas autorisé. Le Tipp-EX devait être en « roller » et non sous forme liquide, car ce dernier était inflammable. Quant aux surligneurs, en cas de réception par colis de tels objets en provenance de l'extérieur, le personnel pénitentiaire devrait s'assurer que rien ne soit caché dedans et les démonter entièrement ; c'était pour cette raison que seuls ceux achetés auprès de l'épicerie de l'établissement étaient autorisés.

L'interdiction de certains produits était une mesure organisationnelle du ressort de la direction de l'établissement.

Pour le surplus, la prison reprenait, en la développant, son argumentation précédente.

c. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 12 avril 2024 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Aucune des parties ne s'est manifestée.

EN DROIT

1. La chambre de céans examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATA/925/2024 du 6 août 2024 consid. 1 ; ATA/602/2024 du 14 mai 2024 consid. 1), étant précisé que l'intimée soutient ne pas avoir rendu de décision et n'avoir pas eu l'obligation d'en rendre une.

1.1 Au sens de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits ou des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c).

1.2 Constitue ainsi une décision un acte étatique qui touche la situation juridique de l’intéressé, l’astreignant à faire, à s’abstenir ou à tolérer quelque chose, ou qui règle d’une autre manière obligatoire ses rapports avec l’État (arrêt du Tribunal fédéral 1C_150/2020 du 24 septembre 2020 consid. 5.2 et l’arrêt cité ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure genevoise, 2017, p. 18 n. 66).

1.3 En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral
(art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021), ce qui est également valable pour les cas limites, ou plus exactement pour les actes dont l’adoption n’ouvre pas de voie de recours. Ainsi, de manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions, de même que les avertissements ou certaines mises en demeure (arrêts du Tribunal fédéral 1C_150/2020 du 24 septembre 2020 consid. 5.2 et l’arrêt cité ; 1C_593/2016 du 11 septembre 2017 consid. 2.2 ; ATA/144/2023 du 14 février 2023 consid. 3d ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, p. 279 ss n. 783 ss ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8e éd., 2020, p. 199 n. 874 ss ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 179 ss n. 2.1.2.1 ss et 245 n. 2.2.3.3). Ces dernières peuvent constituer des cas limites et revêtir la qualité de décisions susceptibles de recours, lorsqu’elles apparaissent comme des sanctions conditionnant ultérieurement l’adoption d’une mesure plus restrictive à l’égard du destinataire. Lorsque la mise en demeure ou l’avertissement ne possèdent pas un tel caractère, ils ne sont pas sujets à recours (ATA/505/2021 du 11 mai 2021 consid. 4a ; ATA/1308/2018 du 5 décembre 2018 consid. 8c et les arrêts cités ; Alfred KÖLZ/Isabelle HÄNER/Martin BERTSCHI, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 3e éd., 2013, p. 309 s. ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 180 n. 2.1.2.1).

1.4 Toute décision administrative au sens de l’art. 4 LPA doit avoir un fondement de droit public. Il ne peut en effet y avoir décision que s’il y a application, au travers de celle-ci, de normes de droit public (Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 314 n. 857). De nature unilatérale, une décision se réfère à la loi dont elle reproduit le contenu normatif de la règle (Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 285 n. 798). Une décision tend à modifier une situation juridique préexistante. Il ne suffit pas que l’acte visé ait des effets juridiques, encore faut-il que celui-ci vise des effets juridiques. Sa caractéristique en tant qu’acte juridique unilatéral tend à modifier la situation juridique de l’administré par la volonté de l’autorité, mais sur la base et conformément à la loi (ATA/29/2023 du 17 janvier 2023 consid. 3b et l’arrêt cité ;
Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, op. cit., p. 320 n. 876).

1.5 Les décisions doivent être désignées comme telles, motivées et signées, et indiquer les voies et délais de recours (art. 46 al. 1 phr. 1 LPA). Elles sont notifiées aux parties, le cas échéant à leur domicile élu auprès de leur mandataire, par écrit (art. 46 al. 2 phr. 1 LPA). Elles peuvent être notifiées par voie électronique aux parties qui ont expressément accepté cette forme de communication (art. 46 al. 2 phr. 2 LPA). Une notification irrégulière ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties (art. 47 LPA).

Pour déterminer s'il y a ou non décision, il y a lieu de considérer les caractéristiques matérielles de l'acte. Un acte peut ainsi être qualifié de décision (matérielle), si, par son contenu, il en a le caractère, même s'il n'est pas intitulé comme tel et ne présente pas certains éléments formels typiques d'une décision, telle l'indication des voies de droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_282/2017 précité consid. 2.1 et les références citées).

1.6 Selon l’art. 64 al. 2 LPA, le recours adressé à une autorité incompétente est transmis d’office à la juridiction administrative compétente et le recourant en est averti ; l’acte est réputé déposé à la date à laquelle il a été adressé à la première autorité.

1.7 En l'espèce, si le courrier du 9 novembre 2023 informait l'avocat du recourant sur le moyen d'accéder à la liste des produits autorisés et ne constituait pas une décision sur ce point, il en va autrement de la confirmation du refus opposé par le personnel pénitentiaire et l'impossibilité pour l'avocat d'amener de telles fournitures lors d'une prochaine visite. En effet, ce refus constitue une mesure individuelle et concrète prise par l’autorité, fondée sur le droit public cantonal et ayant pour objet de rejeter une demande tendant à modifier ou constater les droits et obligations du recourant, sous forme de refus d'autorisation d'« importation » de certains objets au sein de l'établissement.

Le courrier en question constituait ainsi bien une décision, ce qui rend sans objet la question d'un éventuel déni de justice. Le fait qu'elle ne contienne pas la voie et le délai de recours est à cet égard indifférent.

Du point de vue procédural, le recourant avait expressément demandé dans son courrier du 14 novembre 2023 de transmettre son courrier à l'autorité de recours au cas où le courrier attaqué serait une décision. Dès lors que tel est bien le cas, il convient d'admettre que c'est ce courrier qui doit être considéré comme un recours, si bien que le délai de recours est respecté.

Il convient ainsi d'entrer en matière sur le recours. Cela étant, certains griefs de violation de plusieurs droits fondamentaux (en particulier le principe de la bonne foi et la liberté d'opinion et d'information) ne sont pas spécifiquement motivés, et l'on n'entrevoit pas, même en appliquant le droit d'office (art. 69 al. 1 LPA), en quoi ils seraient touchés, si bien qu'ils ne feront pas l'objet dans le présent arrêt de développements spécifiques.

2.             Le litige porte sur le refus de permettre à l'avocat du recourant de lui remettre un certain nombre de fournitures de papeterie, notamment du papier carbone, du Tipp‑Ex et des surligneurs.

2.1 L'art. 6 par. 3 let. b de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH – RS 0.101) prévoit que tout accusé a droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, texte qui a été repris tel quel à l'art. 14 par. 3 lit. b du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 (Pacte ONU II - RS 0.103.2).

La notion de « facilités nécessaires » est fortement indéterminée. Dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après : CourEDH), les facilités dont il est question à l'art. 6 par. 3 lit. b sont principalement la libre communication avec le défenseur (ou les possibilités de visite de l'avocat : ACEDH Öcalan c. Turquie [Grande Chambre], req. n° 46221/99, du 12 mai 2005, § 135) et la possibilité de consulter le dossier ou d'accéder au résultat des investigations (ACEDH Sigurđur Einarsson c. Islande [Grande Chambre], req. n° 39757/15, du 4 juin 2019, § 91 ; Murtazaliyeva c. Russie, req. n° 36658/05, du 18 décembre 2018, § 91). De nombreux ouvrages et commentaires ne mentionnent que ces aspects, auxquels s'ajoute la possibilité effective de déposer un éventuel appel (p. ex. Pieter VAN DIJK et al. [éd.], Theory and Practice of the European Convention on Human Rights, 5ème éd., 2018, n. 626-628 ; Christoph GRABENWARTER, European Convention on Human Rights – Commentary, 2014, n. 127-130 ad art. 6 CEDH).

En de rares occasions, la CourEDH a mentionné, à titre de facilités nécessaires à la préparation de la défense, la possibilité, pour les accusés détenus, de bénéficier de conditions-cadre de détention leur permettant d'assurer leur défense. Ainsi, en ce qui concerne les « facilités », la CourEDH n'exclut pas que, lorsqu'une personne est détenue dans l'attente de son procès, ce terme puisse inclure les conditions de détention qui permettent à la personne de lire et d'écrire avec un degré raisonnable de concentration, ainsi que de prendre des notes (ACEDH Moiseyev c. Russie, du 9 octobre 2008, req. n° 62936/00, § 221 ; Mayzit c. Russie, du 20 janvier 2005, req. n° 63378/00, § 81). Un auteur, se référant à une décision de l'ancienne Commission européenne des droits de l'Homme (dans une affaire Ross c. Royaume‑Uni, req. n° 11396/85), mentionne en tant que possible facilité l'accès à des textes légaux ou à de la doctrine juridique (« legal materials » : Stefan TRECHSEL, Human Rights in Criminal Procedure, 2005, p. 236 ; voir aussi Luc GONIN/Olivier BIGLER, Convention européenne des droits de l'homme [CEDH], 2018, n. 193 ad art. 6 CEDH).

Quoi qu'il en soit, l'art. 6 par. 3 CEDH ne s'applique que lorsque la procédure concerne une accusation en matière pénale au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH (ATF 131 I 350 consid. 3.2), ce qui découle de l'emploi de l'expression « tout accusé ».

2.2 La dignité humaine doit être respectée et protégée (art. 7 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101). Tout être humain a droit à la liberté personnelle, notamment à l’intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement (art. 10 al. 2 Cst.). Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations qu’elle établit par la poste et les télécommunications (art. 13 al. 1 Cst.).

Au niveau législatif, en matière de procédure pénale, l'art. 3 al. 1 du Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0) rappelle le principe du respect de la dignité humaine. Selon l’art. 74 CP, le détenu et la personne exécutant une mesure ont droit au respect de leur dignité ; l'exercice de leurs droits ne peut être restreint que dans la mesure requise par la privation de liberté et par les exigences de la vie collective dans l'établissement. À teneur de l’art. 75
al. 1 CP, l'exécution de la peine privative de liberté doit améliorer le comportement social du détenu, en particulier son aptitude à vivre sans commettre d'infractions. Elle doit correspondre autant que possible à des conditions de vie ordinaires, assurer au détenu l'assistance nécessaire, combattre les effets nocifs de la privation de liberté et tenir compte de manière adéquate du besoin de protection de la collectivité, du personnel et des codétenus.

Conformément aux exigences de l'art. 36 Cst., les restrictions aux droits constitutionnels doivent reposer sur une base légale et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire au but de l'incarcération et au fonctionnement de l'établissement de détention. Le principe de la proportionnalité, consacré de manière générale par la disposition susmentionnée, exige que chaque atteinte à ces droits fasse l'objet d'une pesée d'intérêts dans le cadre de laquelle l'autorité doit tenir compte de l'ensemble des circonstances, soit en particulier des buts de la détention, des impératifs de sécurité de l'établissement pénitentiaire, de la durée de l'incarcération et de la situation personnelle du prévenu (ATF 149 I 161 consid. 2.1 ; 145 I 318 consid. 2.1).

2.3 Différentes institutions internationales ont élaboré des règles non contraignantes en matière de détention.

Le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, en application de l'art. 15 (b) du Statut du Conseil de l'Europe (RS 0.192.030), a adopté le 11 janvier 2006 la Recommandation Rec(2006)2 sur les Règles pénitentiaires européennes (ci-après : RPE), lesquelles s'inscrivent dans la lignée des précédentes recommandations établies dès 1989. Elles ont été révisées et modifiées par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe le 1er juillet 2020. Ces règles prennent notamment en compte le travail mené par le CPT ainsi que les normes qu'il a développées dans ses rapports généraux, et visent à garantir des conditions de détention qui ne portent pas atteinte à la dignité humaine. Selon la règle 23.6, les détenus doivent pouvoir accéder aux documents relatifs aux procédures judiciaires les concernant, ou bien être autorisés à les garder en leur possession. Les RPE ne contiennent pas de règle plus spécifique concernant le matériel que les détenus devraient être autorisés à détenir pour assurer leur défense.

L'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (dites règles Nelson Mandela ; https://www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/Nelson_Mandela_Rules-F-ebook.pdf, consulté le 11 octobre 2024) est plus détaillé. Selon la règle 117, applicable plus spécifiquement aux personnes prévenues, le prévenu doit être autorisé à se procurer, à ses frais ou aux frais de tiers, des ouvrages, journaux, fournitures pour écrire et autres moyens de s’occuper, dans les limites compatibles avec l’intérêt de l’administration de la justice et avec la sécurité et le bon ordre de l’établissement. Selon la règle 120 ch. 2, le prévenu doit pouvoir, s’il le demande, recevoir de quoi écrire pour rédiger les documents nécessaires à sa défense, y compris des instructions confidentielles destinées à son conseil juridique ou prestataire d’aide juridictionnelle.

2.4 Selon l'art. 5 al. 1 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 (LOPP ‑ F 1 50), le directeur est chargé de la direction et de l’administration de son établissement pénitentiaire, conformément à la LOPP et aux instructions du département chargé de la sécurité et de la direction générale. Il prend toutes mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’établissement et à l’organisation du travail, selon les aptitudes et les besoins du personnel pénitentiaire (art. 5 al. 2 LOPP). L’organisation de l’établissement est définie par sa direction et validée par la direction générale (art. 5 al. 4 LOPP). Le Conseil d’Etat édicte les règlements nécessaires à l’application de la LOPP (art. 33 LOPP).

La direction de l'établissement adopte, conformément aux modalités de validation et d'émission fixées par la direction générale, les directives, les règlements internes, les ordres de service ou les procédures de travail (art. 9 al. 1 du règlement sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 22 février 2017 - ROPP ‑ F 1 50.01).

L'établissement fermé de La Brenaz reçoit les personnes condamnées à une ou plusieurs peines privatives de liberté, ainsi que les personnes détenues au bénéfice d'une décision d'exécution anticipée de peine privative de liberté (art. 5 al. 1 du règlement relatif aux établissements ouverts ou fermés d’exécution des peines et des sanctions disciplinaires – REPSD- F 1 50.08). Le directeur de l'établissement est l'autorité de décision ordinaire en matière de gestion des établissements (art. 17 al. 1 REPSD). Lors de son entrée, la personne détenue est autorisée à prendre avec elle ses effets personnels et objets, à l'exception de ceux qui sont sans aucune utilité pour elle durant son séjour dans l'établissement ou qui présentent un danger (art. 18 al. 1 REPSD). La correspondance et les colis peuvent être ouverts par le directeur de l'établissement ou, sur délégation, par les personnes désignées, en cas de doute quant à leur contenu (art. 31 al. 1 REPSD).

La direction de La Brenaz publie sur Internet une liste des produits autorisés dans les colis hebdomadaires (https://www.ge.ch/document/brenaz-liste-produits-autorises-dans-colis-hebdomadaire, visité le 11 octobre 2024). Y figurent les fournitures de papeterie suivantes : agenda ; agrafeuse (petit modèle) et/ou recharge agrafes ; bloc de papier / papier à écrire A4 ; cahier ; calendrier ; calculatrice (petit modèle) ; classeur (type classeur fédéral) ; crayons à papier, noir et couleur (porte‑mines avec recharges autorisés - néocolors interdits [fabrication à base de cire] - plumes pour écrire interdites) ; enveloppes ; fourres en plastique ; gomme ; perforatrice (petit modèle) ; fourres en plastique pour classeur ; règle en plastique (petit modèle, maximum 30 cm) ; stylos à bille non rechargeables ; taille-crayons (petit modèle) en plastique ou métal (sans gadget décoratif) ; timbres-poste ; trousse.

2.5 Dans les rapports de droit spéciaux – au nombre duquel se trouve celui liant les personnes détenues à l'État –, l'exigence de la base légale signifie en tout cas que l'institution concernée édicte un règlement qui détermine dans les grandes lignes le régime applicable à ses usagers (Giorgio MALINVERNI et al., Droit constitutionnel suisse, vol. I, 4ème éd., 2021, n. 1886).

2.6 En l'espèce, il n'est pas certain que l'art. 6 par. 3 let. b CEDH trouve application, dès lors que l'avocat du recourant dit assurer lui-même la défense de son client concernant les accusations pénales dont il fait l'objet en Suisse, les fournitures litigieuses ne lui étant nécessaires que par rapport à des procédures pénales étrangères ou à des procédures administratives. Quoi qu'il en soit, il n'est pas possible de considérer que l'usage de fournitures de papeterie aussi spécifiques que celles dont il est question dans la présente procédure soit couvert par cette disposition conventionnelle. En effet, le recourant ne soutient pas qu'il ne disposerait pas de quoi écrire, ce qui serait effectivement problématique, mais uniquement qu'il souhaite que son avocat puisse lui remettre des surligneurs, de l'effaceur et du papier carbone, lesquels ne sont en soi pas indispensables à la préparation de sa défense.

S'agissant de la restriction à ses autres libertés et plus particulièrement à sa liberté personnelle, la restriction querellée se fonde, quoi qu'en dise le recourant, sur une base légale matérielle, soit un règlement édicté par la direction de la prison, laquelle est compétente pour ce faire, et publié en ligne. L'intérêt public poursuivi est sans conteste la sécurité de l'établissement et son bon ordre intérieur, tout comme pour le contrôle de la correspondance (ATF 149 I 161 consid. 2.6). Quant à la proportionnalité de la mesure, la direction de la prison a indiqué de manière convaincante, dans sa réponse au recours, les problèmes que peuvent poser la mise à disposition de papier carbone et d'effaceur sous forme liquide, démontrant ainsi que l'interdiction y relative est bien en lien avec l'intérêt public précité, et non purement vexatoire ou chicanière. Pour le surplus, un effaceur sous forme de « roller » et des surligneurs peuvent se commander à l'épicerie de la prison et sont donc accessibles, si bien que concernant ces produits on ne peut même pas retenir de réelle ingérence dans ses droits constitutionnels. Le recourant ne saurait se prévaloir à cet égard que son pécule serait régulièrement diminué par des remboursements de dégâts, qu'il lui revient – comme à toute personne, détenue ou non – de ne pas causer.

Il résulte de ce qui précède que la restriction en cause aux droits fondamentaux du recourant est conforme au droit. Mal fondé, le recours sera rejeté.

3.             Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 novembre 2023 par A______ contre la décision de l'établissement fermé de La Brenaz du 9 novembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Douglas HORNUNG, avocat du recourant ainsi qu'à l'établissement fermé de La Brenaz.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. DESCHAMPS

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :