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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2998/2024

ATA/1236/2024 du 21.10.2024 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2998/2024-FPUBL ATA/1236/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 21 octobre 2024

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Romain JORDAN, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA COHÉSION SOCIALE intimé



Vu, en fait, le recours interjeté le 13 septembre 2024 devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) par A______ contre la décision, déclarée exécutoire nonobstant recours, du département de la cohésion sociale (ci-après : le département) du 11 juillet 2024, constatant que A______ avait porté atteinte à la personnalité de B______ sous la forme d’un harcèlement sexuel en tenant à cette dernière des propos à caractère sexuel non désirés lors de conversations via la messagerie JABBER en octobre 2021 et en l’ayant embrassée dans le cou sans son consentement, lors de la soirée du personnel du 16 décembre 2022 ;

que A______ a conclu à l’annulation de la décision et au constat de l’inexistence de toute atteinte à la personnalité de B______ sous la forme d’un harcèlement sexuel ; que, préalablement, une comparution personnelle des parties devait être ordonnée et dix témoins auditionnés ; qu’il a requis la restitution de l’effet suspensif ;

qu’il a précisé avoir été engagé le 1er juin 2018 en qualité de gestionnaire au secteur des subsides de l’assurance maladie ; que B______, engagée le 1er septembre 2019, avait intégré le bureau dans lequel il travaillait durant 2020 ; qu’ils avaient rapidement développé une relation d’amitié qui s’était transformée en flirt et échanges mutuels inappropriés sur leur lieu de travail ; que B______ avait mis fin à cette relation en octobre 2021, mais que leur amitié avait perduré jusqu’à fin 2022 ; qu’ils avaient eu un différend professionnel le 19 janvier 2024 [recte : 2023] ; que lors d’un entretien de « recadrage », le 2 mai 2023, il avait reconnu avoir fait usage de la messagerie JABBER à des fins personnelles et pour des échanges grossiers et malséants pendant ses heures de travail de façon inappropriée et avait présenté ses excuses, assurant que cela ne s’était plus produit depuis octobre 2021 ; que B______ avait saisi le groupe de confiance (ci-après : GdC) le 4 octobre 2023 ; que ce dernier avait écarté plusieurs accusations qu’elle avait formulées à son encontre ; qu’il ne s’était pas opposé à la décision le libérant de son obligation de travailler ; que lors de l’entretien de service du 20 août 2024, il avait été informé que son employeur envisageait la résiliation des rapports de service pour les motifs relevés dans le rapport du GdC ;

que la motivation de la décision sur effet suspensif était inexistante, se limitant à évoquer « un intérêt public prépondérant à son exécution immédiate compte tenu des faits reprochés » ; qu’aucun intérêt public n’était susceptible d’être servi par l’exécution immédiate de la décision, de nature constatatoire ; que les intéressés travaillaient dans des bureaux distincts depuis un an et demi ; qu’il était libéré de son obligation de travailler depuis le 15 juillet 2024 ; qu’il existait au contraire un intérêt évident à ce que le bien-fondé de la décision contestée soit tranché au fond sans que l’intégralité de la procédure subséquente soit poursuivie, sans fondement ; que le principe de la coordination des procédures l’imposait ; que la restitution de l’effet suspensif était nécessaire, sauf à vider la procédure de sa substance puisque, à défaut, cela permettrait à l’autorité intimée de statuer sur l’avenir du recourant en se fondant exclusivement sur un rapport d’investigation rendu de manière non contradictoire et qui ne pouvait faire l’objet d’un recours ; que l’autorité intimée n’avait rien entrepris depuis que les faits avaient été portés à sa connaissance en janvier 2023 ;

qu’au fond, il sollicitait une audition contradictoire et une confrontation avec la plaignante et les témoins ; que l’autorité intimée avait abusé de son pouvoir d’appréciation, avait procédé à une appréciation arbitraire des preuves, avait violé la présomption d’innocence garantie par l’art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101) et l’art. 3 al. 3 du règlement relatif à la protection de la personnalité à l’État de Genève du 12 décembre 2012 (RPPers - B 5 05.10) ; que s’il ne niait pas que les propos concernés pouvaient paraître inconvenants et avaient une nature sexuelle, ils s’inscrivaient dans la relation consensuelle de flirt qui avait prévalu entre les intéressés jusqu’en octobre 2021 ; que s’il était vrai que l’ambiance dans le bureau qu’ils partageaient également avec C______ puis D______ avait pu manquer de professionnalisme et que des propos de nature sexuelle étaient notamment échangés, tant oralement que par écrit, la plaignante était partie prenante et utilisait elle-même un langage cru jusqu’à la fin de 2022 et jouait aux jeux « de l’élastique » et « de la baguette » ; qu’enfin le « baiser dans le cou » était intervenu en dehors du lieu de travail ;

que le département a conclu au rejet de la requête en restitution de l’effet suspensif ; que, fin janvier 2023, suite à l’envoi par A______ de deux courriels et d’un message WhatsApp, B______ avait interpellé son supérieur hiérarchique ; qu’elle avait évoqué un langage vulgaire et des attouchements depuis plusieurs mois ; qu’après avoir entendu l’intéressé, ledit supérieur avait décidé de changer A______ de bureau ; que la direction et le service des ressources humaines avaient entendu la plaignante, deux témoins ainsi que, à deux reprises, A______ ; que le GdC avait pour sa part auditionné B______ et A______, chacun à deux reprises, ainsi que neuf témoins ; que B______ était en incapacité de travailler depuis le 18 avril 2023 et A______ depuis le 4 septembre 2024 ; que la décision querellée était incidente ; que le recourant ne démontrait pas que les conditions de recevabilité de son recours étaient remplies ; qu’en tous les cas la demande de restitution de l’effet suspensif était infondée ;

que dans sa réplique, le recourant a contesté qu’il s’agisse d’une décision incidente ; que l’autorité intimée n’avait pas encore ouvert de procédure disciplinaire ; qu’il s’agissait d’une décision constatatoire finale ; qu’elle lui causait un préjudice irréparable puisqu’il ne pourrait plus remettre en cause le constat de l’existence d’une atteinte à la personnalité de B______ ; que la décision de résilier ses rapports de service avait été reportée en raison de son incapacité de travailler ; qu’il n’avait aucun lien hiérarchique avec B______ ; que les faits dénoncés remontaient à près de deux ans ; que son intérêt privé à ne pas s’exposer à une sanction tant que le bien-fondé du constat querellé n’avait pas été admis par la chambre de céans l’emportait sur l’intérêt public ;

que, sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif ;

vu, en droit, l’art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par le président de ladite chambre, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d’empêchement de ceux-ci, par un ou une juge ;

que l’art. 66 LPA prévoit que, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3) ;

que selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l’effet suspensif - ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/795/2021 du 4 août 2021 ; ATA/1043/2020 du 19 octobre 2020 ; ATA/303/2020 du 19 mars 2020) ;

qu’elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265) ;

que lorsque l’effet suspensif a été retiré ou n’est pas prévu par la loi, l’autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution ; qu’elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation qui varie selon la nature de l’affaire ; que la restitution de l’effet suspensif est subordonnée à l’existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

qu’à teneur de l’art. 2B de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), il est veillé à la protection de la personnalité des membres du personnel, notamment en matière de harcèlement psychologique et de harcèlement sexuel (al. 1) ; que dans ce contexte, le Conseil d’État a instauré le GdC, dont la mission principale consiste à traiter les demandes des personnes qui font appel à lui et à contribuer à ce que la hiérarchie fasse cesser les atteintes à la personnalité (art. 4 al. 1 et 5 al. 3 RPPers) ; que dès réception du rapport définitif du GdC, l’autorité d’engagement dispose d’un délai de 60 jours pour entendre les parties et leur notifier une décision motivée, par laquelle elle constate l’existence ou non d’une atteinte à la personnalité et son auteur (art. 30 al. 1 RPPers) ; que sa décision peut être contestée auprès de la chambre administrative (art. 30 al. 2 RPPers) ; que vis-à-vis de l’auteur d’un harcèlement ou d’une atteinte à la personnalité, l’autorité d’engagement peut prendre – ou proposer à l’autorité compétente – toute mesure disciplinaire utile (art. 30 al. 3 RPPers) ; que le fait qu’une ou des sanctions ont été prises à la suite des faits dénoncés est porté à la connaissance de la personne plaignante (art. 30 al. 4 RPPers) ; que dès la prise des décisions ou mesures disciplinaires visées aux al. 1 et 3, l’autorité d’engagement informe le GdC de leur existence ; qu’à l’expiration du délai de recours de 30 jours, elle lui en adresse par ailleurs une copie intégrale, en mentionnant si ces décisions ou mesures ont fait ou non l’objet d’un recours (art. 30 al. 5 RPPers) ;

qu’en l’espèce, le recourant sollicite la restitution de l’effet suspensif à son recours contre la décision de constatation de l’existence d’un harcèlement sexuel ; qu’il considère qu’il n’existe aucun intérêt public à l’exécution immédiate de la décision ; que le bien-fondé de l’existence d’un cas de harcèlement sexuel devrait être tranché au fond avant qu’une éventuelle procédure subséquente soit poursuivie ;

que conformément à la jurisprudence précitée, la question n’est pas de savoir si l’exécution immédiate de la décision est justifiée par l’urgence, mais de déterminer si les raisons pour l’exécuter immédiatement sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution ;

que l’intérêt public apparaît important, tant au regard de la poursuite de la procédure disciplinaire, avant que la prescription des faits de la cause n’intervienne, qu’à celui de la protection de la personnalité de ses collaborateurs, étant rappelé que la plaignante est en arrêt maladie depuis le 18 avril 2023 ;

qu’admettre la restitution de l’effet suspensif reviendrait à figer la procédure disciplinaire jusqu’à l’examen des griefs contre le bien-fondé de la constatation d’un cas de harcèlement sexuel, ce qui irait à l’encontre de la ratio legis de la LPAC et de la pratique de la chambre de céans (ATA/921/2022 du 13 septembre 2022 ; ATA/1033/2020 du 13 octobre 2020 consid. 8 et 9 ; ATA/818/2020 du 27 août 2020) ;

qu’il n’existe ainsi aucun intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ;

que le Tribunal fédéral a par ailleurs confirmé, dans un cas similaire, qu’une décision de l’employeur constatant l’existence d’un harcèlement était incidente et pourrait faire l’objet d’un recours une fois la décision sur la sanction disciplinaire rendue par l’autorité intimée (arrêt du Tribunal fédéral 8D_6/2023 du 27 octobre 2023 consid. 1.3) ;

qu’ainsi, à première vue et sans préjudice de l’examen au fond, les chances de succès du recours ne paraissent pas à ce point manifestes qu’elles justifieraient à elles seules la restitution de l’effet suspensif ;

que la requête de restitution de l’effet suspensif sera, partant, rejetée ;

qu’il sera statué ultérieurement sur les frais du présent incident.

 

******

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête de restitution de l’effet suspensif ;

réserve le sort des frais de la procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15’000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15’000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15’000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, avenue du Tribunal-Fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Romain JORDAN, avocat du recourant, ainsi qu’au département de la cohésion sociale.

 

 

 

Le juge siégeant :

 

J.-M. VERNIORY

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :