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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2374/2023

ATA/958/2024 du 20.08.2024 sur JTAPI/99/2024 ( LDTR ) , REJETE

Recours TF déposé le 30.09.2024, 1C_578/2024
Descripteurs : TRAVAUX SOUMIS À AUTORISATION;RÉNOVATION D'IMMEUBLE;FIXATION DE L'AMENDE
Normes : LDTR.3.al1; LDTR.44.al1; LCI.137
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2374/2023-LDTR ATA/958/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 août 2024

 

dans la cause

 

A______ et B______ recourants
représentés par Me Pascal PÉTROZ, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 6 février 2024 (JTAPI/99/2024)


EN FAIT

A. a. A______ et B______ (ci-après : les propriétaires) sont propriétaires de la parcelle n° 24, sise rue C______ à Genève, sur laquelle est érigé un bâtiment, comportant notamment un appartement de cinq pièces de 124 m2 au 5e étage (ci-après : l’appartement).

b. Aucuns travaux n’y ont été entrepris entre 1991 et 2018.

Depuis le 1er décembre 1992, l’appartement était loué CHF 12'720.- par année (CHF 1'060.- par mois).

c. Le 22 mars 2018, les propriétaires ont transmis à l’office des autorisations de construire (ci-après : OAC) un avis d’ouverture de chantier pour des travaux d’un montant de CHF 39'598.-, soit : CHF 25'000.- pour la peinture des murs, plafonds et boiseries de l’appartement, le changement du meuble lavabo et de la pharmacie de la salle de bains, la pose de mitigeurs dans la cuisine, la baignoire et le lavabo de la salle de bains, et la pose d’un nouveau carrelage aux sols et murs de la cuisine et de la salle de bains ; CHF 6'800.- pour le remplacement des meubles de la cuisine, cuisinière comprise ; CHF 6'898.- pour des travaux d’électricité et de contrôle « OITB » ; CHF 900.- pour le réémaillage de la baignoire.

Les travaux ont duré trois mois.

d. Depuis le 1er juillet 2018, l’appartement a été loué à un nouveau locataire pour un loyer annuel de CHF 30'000.- du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019 (CHF 2'500.- par mois), de CHF 31'200.- du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 (CHF 2'600.- par mois) et de CHF 32'400.- du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 (CHF 2'700.- mois).

B. a. Le 28 mars 2019, après un échange de courriers concernant la nature et le coût des travaux, le département du territoire (ci-après : le département) a ordonné aux propriétaires de requérir une autorisation de construire, lesdits travaux étant susceptibles d’être soumis à la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20).

Une procédure d’infraction n° I-1______ a été ouverte.

b. Le 8 avril 2019, les propriétaires ont indiqué se résoudre à déposer la requête, faute de pouvoir recourir contre l’injonction du département, mais, les travaux relevant de l’entretien, avoir l’intention de contester l’autorisation ainsi que toute éventuelle amende.

c. Le 14 mai 2019, ils ont déposé une demande d’autorisation de construire, dans laquelle ils ont décrit les travaux comme relevant de l’entretien courant de l’appartement et concernant le remplacement des meubles de la cuisine (APA 2______).

d. Le 22 mai 2019, le département a requis des propriétaires la production de documents complémentaires, leur impartissant vainement plusieurs délais à cet effet.

e. Par décision du 24 octobre 2019, le département a refusé l’autorisation sollicitée au motif que les propriétaires n’avaient pas donné suite à la requête précitée, ce qui empêchait l’instruction de leur demande.

f. Les recours des propriétaires contre cette décision ont été successivement rejetés par jugement du 19 mai 2020 du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI), et par arrêts de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) du 29 septembre 2020 (ATA/957/2020) et du Tribunal fédéral du 10 mai 2021 (arrêt 1C_611/2020).

g. Le 14 novembre 2019, le département a fixé le loyer de l’appartement pour la période de trois ans à compter du 1er juillet 2018, ordonné aux propriétaires de rétablir une situation conforme au droit en établissant un nouveau contrat de bail à loyer et en remboursant le trop-perçu de loyer, et leur a infligé une amende de CHF 4'800.-.

h. Par jugement du 24 novembre 2020, le TAPI a admis le recours des propriétaires et annulé cette décision. L’ordre de remise en état et l’amende étaient prématurés, les propriétaires n’ayant pas encore produit les documents sollicités permettant d’examiner si les travaux étaient assujettis à la LDTR.

i. En octobre 2021, les propriétaires ont donné suite à une nouvelle requête du département de produire des documents complémentaires.

j. Le 24 mars 2023, le département a ordonné aux propriétaires de déposer une requête d’autorisation de construire, complète, en bonne et due forme, en procédure accélérée (ci-après : APA) d’ici au 21 avril suivant sous peine de mesure et sanction.

C. a. Le 19 avril 2023, les propriétaires ont déposé une demande d’APA, en décrivant l’objet comme des travaux d’entretien courant de l’appartement (APA 3______). Le 12 juin 2023, ils ont renouvelé leur demande, précisant qu’elle visait à régulariser l’infraction n° I-1______.

b. Les préavis recueillis dans le cadre de l’instruction de la demande, généralement sous conditions, ont été positifs.

En particulier, l’office cantonal du logement et de la planification foncière (ci‑après : OCLPF), après avoir requis des documents complémentaires, a émis son préavis favorable à condition que la LDTR soit respectée et que le loyer de l’appartement soit fixé rétroactivement à CHF 14'799.- par an, pour une durée de trois ans à partir de la remise en location après la fin des travaux, soit dès le 1er juillet 2018.

c. Par décision du 12 juin 2023, l’APA a été délivrée aux propriétaires selon les conditions fixées dans les différents préavis, avec pour effet de régulariser l’infraction n° I-1______.

d. Par décision du 30 juin 2023, le département a ordonné aux propriétaires de rétablir une situation conforme au droit dans un délai de 30 jours, en établissant un nouveau contrat de bail à loyer et un nouvel avis de fixation du loyer respectant la condition du préavis de l’OCLPF y relatif, et en remboursant le trop-perçu de CHF 49'203.- à la nouvelle locataire.

Une amende de CHF 9'800.- leur a au surplus été infligée.

D. a. Par acte du 12 juillet 2023, les propriétaires ont interjeté recours auprès du TAPI contre les décisions des 12 et 30 juin 2023, concluant à l’annulation de la première en tant qu’elle qualifiait les travaux effectués de travaux de rénovation, à l’annulation de la seconde et au constat que les travaux n’étaient pas assujettis à la LDTR.

b. Par jugement du 6 février 2024, le TAPI a rejeté le recours contre l’APA et admis partiellement celui contre la décision du 30 juin 2023, en réduisant le montant de l’amende à CHF 4'800.-. Un émolument de CHF 1'400.- était mis à la charge des recourants.

Les travaux concernaient tout l’appartement. Quoique, pris indépendamment, ils pouvaient relever de l’entretien courant, ils avaient été exécutés de manière regroupée à l’occasion d’un changement de locataire pour la première fois depuis 1991. Ils devaient donc être considérés comme de l’entretien différé. Le critère de leur coût, inférieur à CHF 10'000.- par pièce, n’excluait pas la nécessité d’une autorisation, des travaux de CHF 6'835.25 par pièce ayant déjà été qualifiés de transformation. L’autorité intimée n’avait pas abusé de son pouvoir d’appréciation en considérant que l’augmentation du loyer, à 135.85% la première année, puis à 145.30% et à 154.70% les deux années suivantes, était importante. Le critère de l’accroissement du confort n’était pas à lui seul décisif, le législateur genevois ayant en particulier renoncé à définir les travaux de transformation. La comparaison avec les loyers de logements similaires du quartier n’était pas pertinente, ce critère échappant à la compétence des juridictions administratives.

Les propriétaires n’avaient fait valoir aucun grief contre la fixation du montant du loyer LDTR par l’OCLPF, ni contre l’ordre d’établir un nouveau contrat de bail, un nouvel avis de fixation de loyer et de rembourser le trop-perçu de loyer.

En réalisant les travaux sans autorisation, ils avaient commis une infraction à la loi. À admettre qu’ils étaient dans l’erreur, celle-ci était évitable, de sorte qu’ils avaient à tout le moins agi par négligence. L’infraction était objectivement grave, les propriétaires ayant mis l’autorité devant le fait accompli. Celle-ci avait en revanche abusé de son pouvoir d’appréciation en s’écartant du montant de l’amende initialement fixé à CHF 4'800.- pour les mêmes faits, tenant déjà compte de l’absence d’autorisation et de collaboration des propriétaires, ainsi que de la répercussion non négligeable des travaux sur le loyer. Le montant précité respectait davantage le principe de proportionnalité, eu égard au fait que les travaux avaient porté sur un seul appartement et été annoncés à l’autorité.

E. a. Par acte du 11 mars 2024, les propriétaires ont interjeté recours auprès de la chambre administrative contre le jugement précité, concluant à l’annulation des décisions des 12 et 30 juin 2023, et contestant pour le surplus les frais à leur charge.

Sous l’angle du droit fédéral, primant le droit cantonal, les travaux, à examiner de manière séparée, relevaient de l’entretien dans la mesure où ils n’avaient apporté aucune plus-value au bien immobilier. Considérer que tel n’était pas le cas au motif qu’ils avaient été différés et effectués en une seule fois était erroné, la jurisprudence ayant retenu que ce critère était douteux. Un examen individuel des travaux mettait en évidence que le remplacement de chacun des éléments concernés, vieux d’environ 30 ans, était nécessaire selon le droit du bail. Aucun investissement excédant la remise en état n’avait été effectué. Les installations intérieures avaient été reposées à l’identique et légèrement modernisées sans modifier leur nature. Ils répondaient seulement au devoir du bailleur d’entretenir le bien loué.

L’augmentation du loyer avait suivi l’évolution du marché, de presque 2% par année depuis 1994, pour arriver à un total correspondant au loyer d’un logement loué à de nouveaux locataires. Les travaux n’avaient ainsi eu sur ce point aucune influence.

Le jugement querellé violait en tout état de cause la LDTR, à l’aune de laquelle les travaux relevaient de l’entretien eu égard à leur nature. La prise en considération de leurs ampleur, coût et incidence sur le loyer ne modifiait pas l’analyse. Le coût des travaux par pièce, de CHF 7'919.60, était en effet inférieur à CHF 10'000.-, ce qui constituait un indice fort de travaux non soumis à autorisation, et ils n’avaient pas eu d’influence sur le loyer comme vu précédemment.

Même à admettre une infraction, l’amende était injustifiée au vu de l’absence de faute. Ils s’étaient strictement limités à des travaux d’entretien de par leur nature, sans jamais les cacher à l’autorité.

b. Le département a conclu au rejet du recours et à la confirmation du jugement querellé.

L’instance précédente avait à bon droit constaté que les travaux étaient soumis à la LDTR puis écarté l’application du droit du bail. Le Tribunal fédéral avait admis que la législation cantonale soumettant à autorisation les transformations des maisons d’habitation et imposant un contrôle des loyers n’y était en principe pas contraire.

Les premiers juges avaient appliqué le critère des travaux différés, en le combinant à ceux de l’ampleur des travaux et de l’augmentation du loyer conformément à la jurisprudence. Ils avaient reconnu que pris individuellement, ceux-là relevaient de l’entretien, mais qu’ils avaient été réalisés de manière différée et groupée. Ils n’avaient pas non plus écarté sans autre considération le critère du coût par pièce, mais relativisé celui-ci, et exposé en quoi la référence au loyer moyen du quartier n’était pas pertinente.

Les propriétaires avaient fautivement contrevenu à la LTDR. Ils ne pouvaient pas s’abstenir de solliciter une autorisation en se fondant sur leur propre appréciation de la nature des travaux et leur erreur était évitable en usant des précautions voulues.

c. Les propriétaires n’ayant pas fait usage de leur droit de répliquer, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La présente cause a pour objet la qualification des travaux et le prononcé d’une amende.

L’application de la LDTR à l’appartement, sis en 2e zone et destiné à l’habitation, n’est en revanche pas litigieuse (art. 2 al. 1 LDTR). Les propriétaires ne critiquent pas non plus, en tant que telles, la fixation du loyer durant trois ans, ainsi que leur obligation d’établir un nouveau contrat de bail, respectivement un nouvel avis de fixation du loyer, et d’en rembourser le trop-perçu à la nouvelle locataire (art. 10 ss LDTR).

3.             Les recourants contestent en premier lieu leur obligation de requérir une autorisation pour réaliser les travaux, considérant que ceux-ci relèvent de l’entretien de l’appartement.

3.1 La LDTR soumet à autorisation toute transformation ou rénovation au sens de son art. 3 al. 1.

Selon cette disposition, par transformation, on entend tous les travaux qui ont notamment pour objet la rénovation, c’est-à-dire la remise en état, même partielle, de tout ou partie d’une maison d’habitation, en améliorant le confort existant sans modifier la distribution des logements, sous réserve de ce qui suit (let. d). Par travaux d’entretien, non assujettis à la LDTR, il faut entendre les travaux courants d’entretien faisant partie des frais d’exploitation ordinaires d’une maison d’habitation. Les travaux raisonnables d’entretien régulier ne sont pas considérés comme travaux de transformation, pour autant qu’ils n’engendrent pas une amélioration du confort existant (al. 2).

Pour opérer la distinction entre travaux d’entretien et travaux de transformation, le raisonnement, admis de manière constante par la chambre administrative, se décline en deux temps. Premièrement, il faut examiner, si, de par leur nature, les travaux en cause relèvent de l’entretien ou, au contraire, consistent en des travaux de rénovation, la jurisprudence de la chambre administrative précisant, sur ce point, que des travaux d’entretien sont susceptibles d’aboutir à une rénovation ou à une transformation soumise à la LDTR lorsque, n’ayant pas été exécutés périodiquement ou par rotation tout au long de l’existence de l’immeuble, ou encore parce qu’ils n’ont pas été exécutés du tout pendant de nombreuses années, leur accumulation, même en tenant compte d’une exécution rationnelle commandant un regroupement, leur confère une incidence propre à engendrer un changement de standing de l’immeuble (travaux différés). Secondement, il convient de s’attacher à l’ampleur et, partant, au coût desdits travaux et à leur répercussion sur le montant du loyer, dès lors qu’il pourrait en résulter un changement d’affectation qualitatif des logements (ATA/651/2022 du 23 juin 2022 consid. 7b ; ATA/422/2020 du 30 avril 2020 consid. 6).

Il ressort des travaux législatifs ayant précédé la modification de l’art. 3 al. 1 let. d et al. 2 LDTR adoptée en 1999 que le Grand Conseil désirait, pour tracer une limite précise entre travaux soumis et non soumis à la loi, que soient pris en compte le coût de ces derniers et leur incidence sur les loyers, comme prévu par la jurisprudence (MGC 1999 9/11 1076). Lors du deuxième débat, de nombreux amendements ont été soumis au Grand Conseil, notamment celui de préciser, à l’art. 3 al. 1 let. d LDTR, que devaient être considérés comme travaux de rénovation ceux dont le coût total engendrait une augmentation de loyer de plus de 20% (MGC 1999 9/1 1211). Cet amendement a été rejeté par 48 non contre 46 oui (MGC 1999 10/11 1212 ; ATA/382/2008 du 29 juillet 2008 consid. 2c).

La chambre de céans a considéré que n’étaient pas soumis à la LDTR des travaux d’entretien différés ou non dans le temps, dont le coût par pièce était inférieur à CHF 10'000.- (ATA/642/2013 du 1er octobre 2013 ; ATA/40/2010 du 26 janvier 2010). Elle a toutefois précisé qu’il ne lui appartenait pas de dicter au département de ne pas requérir de demande d’autorisation de construire pour des travaux de moins de CHF 10'000.- par pièce (ATA/694/2016 du 23 août 2016 consid. 6d ; ATA/574/2014 du 29 juillet 2014). Le département peut ainsi recourir au critère du coût par pièce des travaux, mais doit le relativiser. En réalité, pour déterminer la qualification de travaux et, partant, la nécessité de demander une autorisation, il convient de prendre en compte la situation dans son ensemble et d’appliquer à celle‑ci les différents critères précités, à savoir la nature des travaux, leur ampleur dans leur ensemble, le moment auquel ils interviennent, leur répercussion sur le loyer précédent ou futur et sa conformité aux besoins prépondérants de la population, sans que les travaux entrepris conduisent à un changement d’affectation qualitatif du logement, ainsi que leur rapport avec la valeur de l’immeuble de manière proportionnelle, tout en évaluant dans quelle mesure les travaux effectués permettent raisonnablement et de manière ordinaire de conserver la chose en bon état (ATA/651/2022 précité consid. 8f ; ATA/694/2016 précité consid. 6d).

3.2 Le Tribunal fédéral a reconnu que la distinction entre travaux d’entretien et travaux de transformation peut être délicate à opérer. Le critère de l’accroissement du confort existant est déterminant pour distinguer des travaux de transformation des travaux d’entretien, la LDTR ne devant pas instituer un contrôle général des loyers. Il est toutefois possible de s’en écarter lorsque l’importance des travaux justifie d’assimiler les travaux de rénovation à des travaux de transformation. L’exécution de travaux de remise en état auxquels le bailleur est tenu en vertu de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) ne procure en général pas un confort supplémentaire au locataire par rapport à ce qui est convenu dans le contrat de bail. Il s’agit, au contraire, de la suppression de défauts graves ou de moyenne importance, soit ceux qui empêchent ou restreignent l’usage prévu. À l’inverse, la plupart des gros travaux de rénovation, comme le présume le législateur fédéral, comprennent une part d’accroissement du confort (art. 14 al. 1 de l’ordonnance sur le bail à loyer et le bail à ferme d’habitation et de locaux commerciaux du 9 mai 1990 - OBLF – RS 221.213.11). Seules les remises en état qui vont au‑delà de ce qui est nécessaire pour assurer le maintien de la chose louée en l’état tombent sous le coup de l’art. 3 al. 1 let. d LDTR. Il n’est toutefois pas arbitraire de tenir compte à cet égard des circonstances dans lesquelles les travaux sont accomplis et notamment de leur accumulation en raison d’un défaut d’entretien courant des bâtiments concernés. Il est en particulier admissible pour les autorités cantonales, toujours sous l’angle de la prohibition de l’arbitraire, de considérer que les travaux d’entretien différés dans le temps dont le coût a eu des conséquences importantes sur les loyers, lesquels ne répondent plus aux besoins prépondérants de la population, doivent être soumis à autorisation de rénover fondée sur la LDTR. Dans un tel cas, l’accumulation des travaux confère une ampleur propre à engendrer un changement de niveau des loyers tel que la destination de l’immeuble en est modifiée. La pratique genevoise consiste à se référer à l’ampleur du coût des travaux et à leur répercussion sur le loyer pour déterminer si les travaux d’entretien par nature doivent être assimilés à des travaux de transformation et, partant, soumis à la LDTR (arrêt du Tribunal fédéral 1C_195/2021 du 28 octobre 2021 consid. 4.1.2 et les références citées).

3.3 Le Tribunal fédéral a tenu pour dénué d’arbitraire un arrêt cantonal selon lequel des travaux comprenant la réfection complète des sols, des murs et des plafonds, le ponçage et la vitrification des parquets, la réfection des agencements de cuisine et de salle de bains, de la douche et du WC devaient faire l’objet d’une autorisation au sens de la LDTR (arrêt du Tribunal fédéral 1C_624/2013 du 13 février 2014).

Dans l’arrêt ATA/263/2021 du 2 mars 2021, confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_195/2021 précité, les travaux ont consisté dans la pose de carrelage dans les WC et la salle de bains, d’une coque acrylique sur la baignoire et de peinture sur les murs et plafonds de toutes les pièces, dans un appartement de quatre pièces. Leur coût global s’était élevé à CHF 27'340.95, soit CHF 6'835.25 la pièce, ce qui était inférieur au montant de CHF 10'000.- retenu par la jurisprudence pour qualifier les travaux de grande ampleur. Le montant mensuel du loyer avait toutefois été porté à CHF 2'800.- (soit CHF 33'600.- par année), ce qui était élevé par rapport au loyer avant travaux de CHF 19'200.- (recte par le Tribunal fédéral : CHF 20'920.-). Un tel loyer était plus élevé que la moyenne des loyers dans un immeuble semblable, arrêté à CHF 2'038.- (soit CHF 24'456.- par an) selon les statistiques genevoises. Son augmentation de 75% (recte par le Tribunal fédéral : 60%) ne pouvait ainsi se justifier par la seule référence aux loyers du quartier, ni par le fait qu’il avait été inchangé depuis quatorze ans, ou encore qu’il était, préalablement aux travaux, supérieur au loyer correspond aux besoins prépondérants de la population.

Dans un précédent arrêt ATA/422/2020 du 30 avril 2020, il a été reconnu que des travaux de CHF 34'254.- dans un appartement de cinq pièces de 90 m2, soit CHF 6'850.- par pièce, équivalaient à des travaux de transformation, bien que, pris indépendamment les uns des autres, ils relevaient de l’entretien courant. Les travaux avaient porté sur le réagencement de la cuisine, le remplacement de l’équipement électroménager, l’installation d’une nouvelle hotte, la réfection du câblage électrique de la cuisine et du salon, la démolition du pan de la cloison séparant la cuisine du salon, la pose d’un carrelage et de faïence à la cuisine et à la salle de bains, le remplacement d’un lavabo, le remplacement du mélangeur et de la batterie de bain, la coupure, la vidange et la dépose des installations sanitaires en attendant la réfection du carrelage de la salle de bains, la réfection du tube de douche, le rafraîchissement de la peinture et le ponçage et l’imprégnation du parquet. Le loyer était passé à CHF 5'232.- la pièce par an, soit une augmentation de 77.95%, le faisant changer de catégorie d’appartements locatifs. Quand bien même les travaux entrepris n’apparaissaient pas somptuaires, ils avaient été suffisants pour que leur coût et leur impact sur le loyer eussent entrainé un changement ayant pour conséquence une modification de l’affectation qualitative de l’appartement.

Dans un arrêt plus récent du 22 août 2023 (ATA/870/2023), la chambre de céans a considéré que CHF 39'275.- de travaux (peinture dans l’entier de l’appartement, ponçage et vitrification du parquet, remise en état d’éléments électriques, réglage de portes, armoires et fenêtres, remplacement à l’identique de carrelage et des faïences, de la batterie du lavabo, du porte‑savon, du porte-verre et du siège des WC visiteurs) dans un appartement de quatre pièces, occupé par le même locataire pendant 14 ans, ayant fait l’objet de travaux d’entretien pendant cette durée pour un montant de CHF 1'228.- et le loyer ayant subi une hausse de 56% au départ du locataire, était soumis à autorisation s’agissant de travaux d’entretien différés. Le loyer/pièce passait de CHF 4'983.- avant travaux à CHF 7'800.- après travaux (augmentation de 56%), ces derniers représentant CHF 9'818.-/pièce. Un recours est actuellement pendant contre cet arrêt devant le Tribunal fédéral.

3.4 Le droit du bail est en principe un domaine exclu de la compétence des juridictions administratives (ATA/1334/2023 du 12 décembre 2023 consid. 7.1.3 ; ATA/870/2023 du 22 août 2023 consid. 6.3). Échappent en particulier à leur compétence les comparaisons établies dans le cadre de procédures de recours avec les loyers d’autres logements similaires dans un quartier (ATA/1334/2023 précité consid. 7.1.3). Le fait que le loyer en lui-même s’inscrit dans les limites de ceux usuellement pratiqués dans le quartier n’est pas pertinent dans l’examen du dossier sous l’angle de la LDTR (ATA/422/2020 du 30 avril 2020 consid. 8 ; ATA/372/2007 du 31 juillet consid. 6).

3.5 En l’espèce, les travaux ont duré trois mois. Ils ont certes concerné avant tout la cuisine et la salle de bains, ces deux pièces ayant été remises à neuf (changement intégral des meubles, cuisinière comprise, ainsi que du carrelage aux sols et aux murs, et réémaillage de la baignoire). Mais les boiseries, les plafonds et les murs ont été repeints et des travaux d’électricité ont été entrepris dans toutes les pièces.

Pris individuellement, les travaux auraient pu relever par leur nature de l’entretien courant de l’appartement. Ils ont cependant été effectués de manière groupée, durant trois mois, à l’occasion d’un changement de locataire, pour la première fois depuis 27 ans. Ils ont eu pour objet la remise à neuf de la cuisine et de la salle de bains, le rafraichissement des murs, plafonds et boiseries ainsi que la mise à jour du système électrique dans toutes les pièces. Ils dépassent ainsi ce qui est usuellement entrepris lors d’un changement de locataire. Ils ont eu pour effet de remettre au goût du jour tout l’appartement et d’ainsi procurer à ce dernier un confort supplémentaire. Il résulte de la jurisprudence susmentionnée que des travaux de cette nature, réalisés de manière groupée et différée, bien que n’apparaissant pas somptuaires, sont considérés comme de la rénovation. Les recourants objectent vainement que cette approche aurait été considérée comme douteuse par le Tribunal fédéral et qu’elle serait contraire au droit supérieur, alors qu’elle a été avalisée dans l’arrêt 1C_195/2021 précité. De manière plus générale, les dispositions cantonales qui soumettent à une autorisation les transformations de maisons d’habitation et imposent un contrôle des loyers ne sont en principe pas contraires aux règles du droit civil fédéral qui régissent les rapports entre bailleurs et locataires (ATF 116 Ia 401 ; 101 Ia 502 ; 99 Ia 604).

En sus de concerner l’ensemble du bien et d’avoir duré trois mois, les travaux ont coûté près de CHF 40'000.-, correspondant à environ CHF 8'000.- par pièce. Bien que ce montant n’atteigne pas les CHF 10'000.- caractérisant les travaux de grande ampleur, il est important. Ce critère n’est de toute manière pas décisif et doit être relativisé eu égard à la jurisprudence. Il résulte de la casuistique susmentionnée que des travaux dont le coût était inférieur à CHF 10'000.- par pièce, et même à CHF 8'000.- par pièce, ont été considérés comme soumis à autorisation. En outre dans le cas présent, le loyer a subi une augmentation considérable, échelonnée de CHF 2'500.- à CHF 2'700.- par mois, soit de 136% à 155%. Celle-ci est largement supérieure aux taux de 56% à 78% tirés des cas susmentionnés, pour lesquels la jurisprudence a admis la qualification de travaux de rénovation. Les travaux, au vu de leur ampleur, ont ainsi pour effet de relever qualitativement l’affectation de l’appartement.

Les recourants allèguent que le nouveau loyer a été fixé uniquement en référence avec les loyers moyens du quartier pour des habitations similaires. Outre que ce critère n’est pas pertinent sous l’angle de la LTDR, cette objection ne peut pas être suivie. Selon les statistiques que les recourants ont produites, le loyer mensuel moyen pour un appartement de cinq pièces dans le quartier des Eaux-Vives s’élevait en effet à CHF 2'208.- par mois, soit un montant sensiblement inférieur. Le loyer ne dépend en outre pas seulement de la localisation de l’appartement, mais également de son état et de son confort. Les travaux apparaissent en conséquence nécessaires dans le cas de la relocation d’un appartement n’ayant pas fait l’objet d’entretien depuis 27 ans pour un loyer dépassant la moyenne du quartier.

Le TAPI a ainsi considéré à bon droit que les travaux ne relevaient pas de l’entretien mais de la rénovation. Ceux-ci étaient dès lors soumis à autorisation et entraînent un contrôle des loyers, dont les recourants ne remettent pas en cause les montants, la durée ni les modalités.

4.             Les recourants contestent le prononcé d’une amende, considérant qu’aucune faute ne leur est imputable.

4.1 L’art. 44 al. 1 LDTR prévoit pour celui qui contrevient aux dispositions de la loi des mesures et des sanctions administratives prévues par les art. 129 à 139 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI ‑ L 5 05).

Aux termes de l’art. 137 LCI, celui qui contrevient à la loi est passible d’une amende de CHF 20'000.- lorsqu’une construction, une installation ou tout autre ouvrage a été entrepris sans autorisation, mais que les travaux sont conformes aux prescriptions légales (al. 1 let. a et al. 2). Il est tenu compte, dans la fixation du montant de l’amende, du degré de gravité de l’infraction. Constituent notamment des circonstances aggravantes l’infraction commise par cupidité et les cas de récidive (al. 3).

Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut exister. C’est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/159/2021 du 9 février 2021 consid. 7b).

En vertu de l’art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG – E 4 05), les dispositions de la partie générale du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) s’appliquent à titre de droit cantonal supplétif (ATA/440/2019 du 16 avril 2019 consid. 5c). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence. Selon la jurisprudence constante, l’administration doit faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi et jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu’en cas d’excès ou d’abus. Enfin, l’amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. ; ATA/260/2023 du 14 mars 2023 consid. 2c).

4.2 En l’espèce, les propriétaires ont contrevenu à la LDTR en réalisant les travaux sans autorisation.

S’ils pouvaient nourrir des doutes sur la nécessité d’une telle autorisation au vu de la nature des travaux, leur ampleur et leur durée, couplées à l’absence de tous travaux depuis près de 30 ans, cela ne leur permettait pas d’exclure d’emblée qu’une telle autorisation soit requise, eu égard à la loi et la jurisprudence constantes à ce sujet. Ils auraient ainsi dû pour le moins se renseigner auprès de l’autorité intimée avant de commencer les travaux.

Or, ils ont mis cette dernière devant le fait accompli, et rechigné par la suite à donner suite à ses demandes d’information et de documents durant plusieurs années.

Ils se sont ainsi montrés à tout le moins négligents, de sorte que le prononcé de l’amende n’est pas contestable sur le principe.

Les propriétaires ne remettent pas en cause sa proportionnalité. Située dans le quart inférieur de la fourchette de la sanction maximum de CHF 20'000.-, son montant est adéquat eu égard à leur faute, ces derniers ayant entrepris des travaux importants dans tout l’appartement, remettant en particulier à neuf la cuisine et la salle de bains, et adopté le comportement blâmable susrappelé. La fixation de l’amende à CHF 4'800.- n’emporte ainsi pas d’abus du pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée.

Mal fondé, le recours sera rejeté, étant relevé que la mise des frais de première instance à la charge des recourants, qui succombent, est conforme au droit (art. 87 LPA).

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge des recourants, qui ne peuvent se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 mars 2024 par A______ et B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 6 février 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge solidaire de A______ et B______ un émolument de CHF 1'500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pascal PÉTROZ, avocat des recourants, au département du territoire, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Michèle PERNET, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :