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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/597/2024

ATA/656/2024 du 31.05.2024 ( EXPLOI ) , REFUSE

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/597/2024-EXPLOI ATA/656/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 31 mai 2024

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Andrea VON FLÜE, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé



Vu en fait que, par décision du 9 février 2024 adressée à A______, le département des institutions (ci-après : le département) a ordonné la cessation immédiate de toute activité tombant sous le coup de la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49) au sein de huit appartements pris à bail par celui-là, ainsi que la fermeture immédiate de l'agence d’escortes B______ (ci-après : B______) ; que ces injonctions ont été déclarées immédiatement exécutoires nonobstant recours au sens de l'art. 66 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et assorties de la menace de la peine d'amende prévue par l'art. 292 du Code pénal du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) ; que A______ a en outre été condamné à une amende administrative de CHF1'500.-, un émolument de CHF 300.- étant par ailleurs mis à sa charge ;

que le département a retenu dans le cadre de cette décision qu’en mettant à la disposition de travailleuses du sexe, soit notamment d'« escortes » inscrites en cette qualité auprès de B______ dont il était le responsable, les appartements susmentionnés afin qu'elles s'y prostituent, l'intéressé exploitait un salon de massage au sens des art. 8 ss LProst ; que, dans la mesure où il entendait poursuivre cette activité mais refusait de se soumettre aux obligations incombant aux personnes physiques exploitant un salon de massage, au premier rang desquelles celle de s'annoncer auprès des autorités compétentes, le département n'avait d'autre choix que d'ordonner la fermeture des locaux concernés ; qu'il était par ailleurs établi qu'en sa qualité de responsable de B______ l'intéressé avait failli aux obligations de tenue d'un registre et de vérification du respect de la législation par les travailleuses du sexe lui incombant en vertu de l'art. 19 let. a et b LProst ; qu'il avait par ailleurs démontré au cours de l'instruction conduite par le département qu'il entendait se prévaloir d'une distinction artificielle entre ses activités de responsable d'agence et de sous-bailleur de locaux, ce dans le but de se soustraire à ses responsabilités ; qu'ainsi, dans la mesure où l'agence d’escortes était utilisée par l'intéressé pour contourner la loi, sa fermeture devait également être ordonnée en application de l'art. 21 al. 2 let. c LProst ; qu'au vu de la gravité de sa faute, une amende administrative de CHF 1'500.- devait en outre être infligée à l'intéressé ;

que, par acte du 20 février 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation ainsi que, à titre préalable, à ce que l'effet suspensif soit restitué ; qu'il a fait valoir que les huit appartements visés par la décision contestée, dont il était effectivement locataire, étaient certes offerts à la sous-location sur le site internet de B______ mais pouvaient être sous-loués par n'importe qui, et pas seulement par des personnes souhaitant s'y adonner à la prostitution ; le fait de sous-louer lesdits appartements à des travailleuses du sexe exerçant cette activité en qualité d'indépendantes ne pouvait être assimilé à l'exploitation d'un salon de massage au sens des art. 8 ss LProst ; il ne pouvait non plus lui être reproché de ne pas avoir respecté les devoirs lui incombant en qualité de responsable d'une agence d’escortes dès lors qu'il s'était borné à exploiter un site internet sur lequel, en toute indépendance, des travailleuses du sexe pouvaient publier des annonces ; l'instruction avait été conduite de manière incomplète et à charge ; dans la mesure où il avait dans l'intervalle renoncé à offrir les appartements concernés à la sous-location sur le site internet de B______, aucune urgence ne justifiait la cessation immédiate de son activité, qui constituait sa principale source de revenus ; l'effet suspensif devait donc être restitué à son recours ;

que, dans ses observations sur effet suspensif et sur le fond du 4 mars 2024, le département a notamment conclu au rejet de la requête de restitution de l'effet suspensif ; il fallait admettre, au vu du dossier, que les huit appartements visés par la décision contestée étaient « régulièrement » mis à disposition de travailleuses du sexe par le recourant, lequel savait que celles-ci s'y adonnaient à la prostitution, ce qui correspondait à la définition légale d'un salon de massage ; le fait que ces mêmes appartements puissent être occasionnellement mis à disposition de tiers ne s'y livrant pas à la prostitution n'y changeait rien ; comme le recourant n'avait jamais annoncé exploiter un salon de massage, la décision querellée lui interdisant cette activité était de nature négative, ce qui faisait obstacle à l'octroi de l'effet suspensif ; par le biais de son agence d’escortes, le recourant ne se bornait pas à mettre en relation des travailleuses du sexe avec des clients – ce qui, contrairement à ce qu'il soutenait, correspondait à une activité d'agence d’escortes au sens de l'art. 15 al. 2 LProst – mais proposait également des lieux où l'activité de prostitution pouvait prendre place ; il existait un intérêt public majeur, l'emportant sur l'intérêt privé du recourant, à mettre un terme aux pratiques du recourant non conformes à la législation ;

que, répliquant sur effet suspensif et sur le fond le 26 avril 2024, le recourant a persisté dans son argumentation et ses conclusions sur restitution de l'effet suspensif ;

qu'il résulte du dossier, en particulier des rapports établis les 24 juin 2022, 2 novembre 2022, 5 décembre 2022 et 12 janvier 2023 par la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite (ci-après : la BTPI), qu'en sa qualité de responsable de B______ le recourant avait omis, en octobre 2022, de tenir un registre des personnes exerçant la prostitution par l'intermédiaire de l'agence, conformément à l'art. 19 let. a LProst ; que les listes remises après coup à la BTPI étaient incomplètes et comportaient des inexactitudes ; que, selon un cinquième rapport de la BTPI, établi le 9 octobre 2023, une travailleuse du sexe s'était présentée le 26 septembre 2023 dans ses locaux pour y être recensée, indiquant comme lieu de travail l'un des appartements offerts à la location sur le site internet de l'agence d’escortes exploitée par le recourant ; que, lors d'un entretien téléphonique ultérieur entre un inspecteur et le recourant, celui-ci avait confirmé que la travailleuse du sexe était sa locataire mais a nié toute relation de travail ; que, selon lui, les appartements proposés sur le site de son agence étaient utilisés par des travailleuses du sexe mais également par des tiers ;

que, dans le cours de l'instruction conduite par le département, le recourant a essentiellement fait valoir que l'exploitation de son agence d’escortes, par le biais d'annonces sur les sites internet dont celle-ci disposait, était distincte de son activité de sous-location ; qu'à cet égard les appartements dont il disposait n'étaient pas loués qu'à des travailleuses du sexe mais également à des tiers ; dans un courrier adressé le 8 mars 2023 au département, le recourant a par ailleurs indiqué qu'il arrivait qu' « une fille de passage pour une semaine à Genève » et qu'elle choisisse le « paquet » CHF 900.- tout inclus, comprenant la publicité sur le site plus une semaine de mise à disposition gratuite d'un appartement, plutôt que la seule publicité sur le site pour un prix de CHF 190.- à 250.- par semaine ;

Considérant, en droit, l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par le président de ladite chambre, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par un juge ;

qu'aux termes de l'art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3) ;

que selon la jurisprudence constante, les mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l’effet suspensif – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis, et ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/288/2021 du 3 mars 2021 ; ATA/1043/2020 du 19 octobre 2020) ; qu'ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265) ;

que lors du prononcé de mesures provisionnelles, l'autorité de recours dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

que, par ailleurs, l'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3) ;

que la restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

que la prostitution dite de salon est celle qui s'exerce dans des lieux de rencontre soustraits à la vue du public (art. 8 al. 1 LProst) ; que ces lieux, quels qu'ils soient, doivent être qualifiés de salon au sens de la loi (art. 8 al. 2 LProst) ; que, par exception à ce principe, n'est pas qualifié de salon le local utilisé par une personne qui s'y prostitue seule, sans recourir à des tiers (art. 8 al. 3 LProst) ;

que toute personne physique qui, en tant que locataire, sous-locataire, usufruitière, propriétaire ou copropriétaire, exploite un salon et met à disposition de tiers des locaux affectés à l'exercice de la prostitution doit s'annoncer, préalablement et par écrit, aux autorités compétentes en indiquant le nombre et l'identité des personnes qui y exercent la prostitution (art. 9 al. 1 LProst) ;

qu'est réputée agence d’escortes, au sens de la loi, toute personne ou entreprise qui, contre rémunération, met en contact des clients potentiels avec des personnes qui exercent la prostitution (art. 15 al. 2 LProst) ;

que toute personne physique qui exploite une agence d’escortes est tenue de s'annoncer, préalablement et par écrit, aux autorités compétentes en indiquant le nombre et l'identité des personnes qui exercent la prostitution par son intermédiaire (art. 16 al. 1 LProst) ;

que la personne responsable de l'agence a notamment pour obligation de tenir constamment à jour et en tout temps à disposition de la police, à l'intérieur de l'agence, un registre mentionnant l'identité, le domicile, le type d'autorisation de séjour et/ou de travail et sa validité, les dates d'arrivée et de départ des personnes exerçant la prostitution par l'intermédiaire de l'agence ainsi que les prestations qui leur sont fournies et les montants demandés en contrepartie, lesquels doivent faire l'objet d'une quittance détaillée et contresignée par les deux parties (art. 19 let. a LProst) ;

qu'en cas de violation des obligations d'annonce prévues aux art. 9 et 16 LProst ainsi qu'aux obligations prévues par l'art. 19 LProst, l'autorité compétente prononce, selon la gravité ou la réitération de l'infraction, l'avertissement, la fermeture temporaire du salon ou de l'agence d’escortes ou leur fermeture définitive, assortie d'une interdiction d'exploiter (art. 14 al. 2 et 21 al. 2 LProst) ;

qu'il paraît en l'espèce pouvoir être retenu, au degré de la vraisemblance, que le recourant dispose de plusieurs « adresses » de sites internet sur lesquels il publie, contre rémunération, des annonces de travailleuses du sexe ; qu'une telle activité est susceptible, prima facie, de devoir être qualifiée d'exploitation d'une agence d’escortes au sens de l'art. 15 al. 2 LProst ; qu'une telle qualification entraînerait pour le recourant l'obligation de tenir un registre conforme aux exigences de l'art. 19 let. a LProst, ce qu'il n'a de prime abord pas fait ; qu'une infraction à cette disposition paraît ainsi, à première vue, pouvoir être retenue ;

que le recourant paraît par ailleurs admettre mettre à disposition de travailleuses du sexe faisant de la publicité sur le site de son agence des appartements dans lesquels il a conscience qu'elles exercent une activité de prostitution, leur proposant même un prix global pour les deux prestations (publicité et sous-location) ; que cette mise à disposition de locaux en vue de l'exercice de la prostitution est susceptible, prima facie, d’être qualifiée d'exploitation d'un salon de massage au sens de l'art. 8 al. 2 LProst, ni le fait que les locaux concernés ne sont pas réunis en un seul lieu ni celui qu'ils seraient occasionnellement également mis à la disposition de tiers n'excluant a priori une telle qualification ; que l'application au cas d'espèce de la disposition restrictive de l'art. 8 al. 3 LProst ne peut être retenue d'emblée, dans la mesure où les appartements visés sont certes occupés par une seule personne à la fois mais, sur des périodes relativement courtes, successivement par plusieurs travailleuses du sexe et où, dans certains cas en tout cas, ces dernières ont fait appel aux services de l'agence d’escortes exploitée par le recourant ;

qu'au vu de ce qui précède, l'argumentation du recourant selon laquelle la mise à disposition de ses appartements, serait-ce à des travailleuses du sexe, ne relèverait pas de l'exploitation d'un salon et le placement sur le site de son agence d’escortes de publicités pour des travailleuses du sexe ne serait pas soumis aux obligations de l'art. 19 let. a LProst ne paraît de prime abord pas présenter des perspectives de succès de nature à justifier la restitution de l'effet suspensif ;

que compte tenu de cette argumentation du recourant, et de son refus en résultant de s'annoncer auprès des autorités compétentes en qualité d'exploitant d'un salon de massage ainsi que de respecter les obligations de l'exploitant d'une agence d’escortes, les mesures prises par le département paraissent à première vue nécessaires et proportionnées aux fins de protéger les intérêts publics et privés visés par la LProst, en particulier d'instaurer un régime de contrôle étatique permettant d'assurer la protection des travailleuses du sexe et de réglementer l'exercice de la prostitution (art. 1 LProst) ;

que, toujours à première vue, l'intérêt privé économique du recourant ne semble pas de nature à faite obstacle à ces mesures, étant relevé que la décision contestée ne lui interdit pas de mettre à disposition les appartements qu'il loue à des tiers n'y exerçant pas la prostitution ;

qu'au vu de ce qui précède, la requête de restitution de l'effet suspensif sera rejetée ;

qu'il sera statué ultérieurement sur les frais de la présente décision.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête de restitution de l’effet suspensif ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Andrea VON FLÜE, avocat du recourant ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

 

 

Le président :

 

 

 

C. MASCOTTO

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :