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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4123/2023

ATA/364/2024 du 12.03.2024 ( TAXE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4123/2023-TAXE ATA/364/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 mars 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

SERVICE DE LA TAXE D’EXEMPTION DE L’OBLIGATION DE SERVIR

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimés



EN FAIT

A. A______, né le ______ 1983, a été naturalisé le 1er décembre 2015 selon le registre informatisé « Calvin » de l’office cantonal de la population et des migrations.

B. a. Par décisions de taxation de l’administration fiscale cantonale (ci‑après : AFC‑GE), service de la taxe d’exemption de l’obligation de servir (ci‑après : STEO) des 27 novembre 2020 et 25 juin 2021, il a été assujetti à la taxe d’exemption de l’obligation de servir (ci‑après : TEO) pour les années 2019 puis 2020. Le montant dû a été fixé à CHF 2'043.- pour 2019 et à 1'872.90 pour 2020.

b. Il a formé réclamation contre chacune de ces décisions auprès du STEO, les 15 décembre 2020 et 6 juillet 2021.

Naturalisé en 2015, à l’âge de 32 ans, il lui était impossible de répondre aux exigences militaires : d’une part, les hommes âgés de plus de 25 ans ne pouvaient plus accomplir leur service militaire, d’autre part, il lui était impossible d’accomplir le service civil qui était limité aux personnes de moins de 30 ans. Il était ainsi injuste de l’assujettir alors que son pays d’adoption ne lui avait jamais donné l’occasion, ni même le droit, de pouvoir le servir.

Dans sa réclamation du 15 décembre 2020, il a indiqué contester son assujettissement pour les années 2018 et 2019. Dans celle du 6 juillet 2021, il a indiqué contester son assujettissement pour l’année 2020.

c. Par décisions séparées du 27 novembre 2023, le STEO a rejeté les réclamations. L’intéressé avait été naturalisé en 2015, soit l’année de ses 32 ans. Il n’avait pas effectué de service militaire ou de service de remplacement (service civil) durant les années 2019 et 2020, de sorte que son assujettissement à la TEO était maintenu.

La nouvelle loi fédérale sur la taxe d’exemption de l’obligation de servir du 12 juin 1959 (LTEO - RS 661), entrée en vigueur le 1er janvier 2019, s’appliquait également aux citoyens naturalisés comme l’avait confirmé le Tribunal fédéral.

L’assujettissement à la taxe prenait naissance, au plus tôt, au début de l’année au cours de laquelle l’homme atteignait l’âge de 19 ans et s’éteignait, au plus tard, à la fin de l’année au cours de laquelle il atteignait l’âge de 37 ans. Durant cette période, les assujettis qui n’étaient ni incorporés dans une formation de l’armée ni astreints au service civil devaient acquitter onze taxes d’exemption ce qui, comme sous l’ancien droit, correspondait à onze années (soit à compter de l’année des 20 ans jusqu’à l’année des 30 ans). La nouvelle LTEO ne créait donc pas de nouvelles obligations, respectivement de nouvelles charges, car il s’agissait des mêmes obligations, à savoir le paiement de onze taxes. Elles étaient depuis lors réparties différemment dans le temps en raison de la flexibilité dans l’étalement des années de service.

C. a. Par actes séparés du 11 décembre 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ces décisions. Il a conclu, préalablement, à la suspension de la procédure dans l’attente des décisions du Tribunal fédéral dans les causes 9C_648/2022 et 9C_707/2022. Principalement, il a conclu à l’annulation de la décision et à la confirmation qu’il n’était pas assujetti à la TEO pour les années 2019 et 2020.

a.a. Les décisions violaient le système de la LTEO et de la loi fédérale sur l’armée et l’administration militaire du 3 février 1995 (Loi sur l’armée ; LAAM - RS 510.10).

Naturalisé à l’âge de 32 ans, il n’avait pas pu participer au recrutement puisqu’il avait plus de 25 ans. Un recrutement volontaire était impossible les conditions posées par l’ordonnance sur le recrutement du 10 avril 2002 (OREC - RS 511.11 ; abrogée au 1er janvier 2018) n’étant pas remplies. La nouvelle loi ne lui permettait pas non plus de participer au recrutement : il était trop âgé et l’armée n’avait pas de besoins de sorte que l’exception prévue à l’art. 12 al. 2 de l’ordonnance sur les obligations militaires du 22 novembre 2017 (OMi - RS 512.21) ne lui était pas applicable. Dans la mesure où l’assujettissement à l’impôt dépendait de la participation au recrutement, il ne devait pas être assujetti à la TEO.

a.b. Les décisions violaient la qualification de taxe de remplacement.

La TEO était une taxe d’exemption et non un impôt. Or, comme il venait de l’expliquer, il n’avait jamais eu ni n’avait la possibilité de fournir la prestation remplacée par la taxe. Il ne pouvait donc y être assujetti.

a.c. Les décisions violaient le principe d’égalité de traitement et de non‑discrimination.

Dans deux affaires qui concernaient la Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : CourEDH) avait estimé que le fait de devoir payer la TEO constituait une violation de l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), en combinaison avec l’art. 14 de cette Convention. En raison de leur état de santé, les plaignants n’avaient pas la possibilité de s’acquitter de leurs obligations militaires autrement qu’en la payant. Cela constituait une discrimination par rapport à d’autres hommes suisses qui avaient une véritable alternative au paiement de la taxe. Lui‑même n’avait pas d’alternative au paiement de la TEO puisqu’il n’avait pas eu la possibilité d’être recruté pour le service militaire, le service civil ou la protection civile. Il n’avait ainsi pas eu la possibilité d’effectuer un seul jour de l’un de ces services et n’avait pas pu éviter ou réduire son assujettissement. Il avait donc été traité de manière discriminatoire par rapport aux personnes qui avaient eu l’une de ces possibilités.

a.d. Le principe de la non-rétroactivité avait été violé.

Sous l’ancien droit, l’obligation de payer la TEO pour les personnes astreintes au service militaire qui n’étaient pas incorporées dans une formation de l’armée et qui n’étaient pas soumises au service civil obligatoire durait jusqu’à la fin de l’année de leurs 30 ans. Il avait eu 30 ans en 2013. Sous l’ancien droit, il n’aurait plus été assujetti à partir de cette date. La nouvelle loi relançait une obligation qui avait pris fin et s’appliquait à lui rétroactivement. Selon le Tribunal fédéral, les conditions d’une rétroactivité proprement dite n’étaient pas réalisées concernant la LTEO. Celle-ci contenait certes une disposition transitoire, mais cette dernière ne réglait qu’une question relative à la TEO selon son art. 9a ainsi que l’application intertemporelle de la loi dans la procédure de recours. Il ne ressortait toutefois pas clairement de la formulation de l’art. 3 LTEO que cette disposition s’appliquait aussi à des faits passés. Par ailleurs, les considérations relatives à l’équité en matière de défense militaire n’atteignaient pas le poids d’un intérêt public digne de protection qui imposerait une application immédiate du nouveau droit à des faits passés.

a.e. Enfin, la loi ne respectait pas les droits acquis dès lors que lorsqu’il avait eu 30 ans, il avait été exempté du paiement de TEO sous l’ancienne loi.

a.f. Les recours ont été enregistrés sous les numéros de cause A/4123/2023 et A/4124/2023.

b. Le 9 janvier 2024, par écritures séparées pour chacune des causes précitées, l’AFC-GE s’en est rapportée à justice concernant la demande de suspension et a conclu au rejet du recours.

En 2019, le recourant, citoyen suisse né en 1983, était astreint à l’obligation de servir. Il n’était toutefois ni incorporé dans une formation de l’armée, ni astreint au service civil. Par conséquent, il était astreint durant cette période au paiement d’une TEO. Compte tenu de son âge, il ne pouvait plus satisfaire à ses obligations militaires sous forme de service militaire, ayant dépassé l’âge auquel il pouvait accomplir l’école de recrues. Néanmoins, le fait d’avoir dépassé l’âge auquel un recrutement pouvait avoir lieu ne déliait pas ipso facto les citoyens suisses de naissance ou naturalisés de leurs obligations militaires. Au demeurant, le recourant aurait pu demander à pouvoir accomplir le service militaire ou solliciter d’accomplir le service civil. Or, il n’avait proposé ni l’un ni l’autre.

La modification de la LTEO étant entrée en vigueur au 1er janvier 2019, il n’y avait dès lors pas de rétroactivité proprement dite puisque selon les règles générales régissant la détermination du droit applicable, qui s’appliquaient en l’absence de dispositions transitoires particulières, la loi applicable était celle en vigueur au moment où les faits pertinents devaient être régis. Les décisions litigieuses assujettissaient le recourant pour les TEO 2019 et 2020. Il avait certes été naturalisé sous l’ancienne teneur de la LTEO, soit une période où son assujettissement s’arrêtait en 2013, année de ses 30 ans. Néanmoins, son statut de citoyen suisse, acquis en 2015, déployait des effets dans la durée. Il demeurait donc soumis à l’obligation de servir, et ce jusqu’à l’année de ses 37 ans comme le prévoyait l’art. 3 al. 1 LTEO.

La LTEO telle que révisée n’avait pas créé de nouvelles obligations ou de nouvelles charges. Elle avait uniquement réparti cette obligation différemment dans le temps. En effet, la modification législative avait uniquement conduit les hommes entre 31 et 37 ans, qui n’avaient pas déjà payé onze taxes annuelles, à être soumis à la taxe. Peu importait au final s’ils atteignaient ou pas les onze TEO à leurs 37 ans.

c. Le 10 janvier 2024, l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC‑CH) a conclu au rejet du recours dans la cause A/4124/2023.

La Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) prévoyait que tout homme de nationalité suisse était astreint au service militaire, la loi prévoyant un service de remplacement. Tout homme de nationalité suisse qui n’effectuait ni l’un ni l’autre devait s’acquitter d’une taxe. La Cst. garantissait ainsi l’égalité face aux obligations militaires.

Selon la nouvelle LTEO, applicable dès l’année d’assujettissement 2019, le recourant était soumis, en tant qu’astreint à l’obligation de servir non incorporé dans une formation de l’armée respectivement pas astreint au service civil, à un assujettissement à la taxe. En effet, en 2019 et 2020, A______ avait fêté ses 36 puis 37 ans en tant que citoyen suisse. Il n’avait fourni aucun service personnel pour accomplir son obligation de servir, ne présentait pas onze taxes tout en étant, pendant plus de six mois, ni incorporé dans une formation de l’armée ni astreint au service civil.

L’assujettissement dès l’année 2019 se basait sur une nouvelle base légale applicable dès cette année-là. Il n’y avait donc pas atteinte au principe de la bonne foi. Le recourant ne pouvait faire valoir une discrimination du fait de l’absence d’alternatives réelles à l’obligation de s’acquitter de la TEO car il n’avait pas fait de démarche active visant à trouver une alternative à la TEO. D’après les vérifications effectuées auprès du commandement de recrutement, dont la réponse était versée à la procédure, le recourant n’avait en effet jamais fait de demande de recrutement ultérieur.

d. La réponse de l’AFC-CH a été transmise aux parties. L’AFC-GE a indiqué persisté dans ses conclusions. Le recourant ne s’est pas déterminé.

e. Sur ce, la cause a été gardé à juger.

D. Le 9 janvier 2024 puis le 25 janvier 2024, le Tribunal fédéral a rejeté les recours dans les causes 9C_648/2022 et 9C_707/2022.

EN DROIT

1.             Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 31 al. 1 LTEO ; art. 34 al. 1 et 37 al. 1 de l’ordonnance sur la taxe d’exemption de l’obligation de servir du 30 août 1995 - OTEO - RS 661.1 ; art. 2 de la loi d’application des dispositions fédérales sur la taxe d’exemption de l’obligation de servir du 14 janvier 1961 - LaTE - G 1 05).

2.             Il convient d'examiner en premier lieu une éventuelle jonction des deux procédures.

2.1 Selon l'art. 70 al. 1 LPA, l'autorité peut, d'office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune.

2.2 En l'espèce, les procédures A/4123/2023 et A/4124/2023 concernent deux recours émanant du même administré, contre deux décisions de la même autorité, pour une problématique concernant son assujettissement à la TEO, pour deux années différentes. De plus, les questions juridiques posées sont identiques.

Il se justifie ainsi de joindre les causes précitées sous le numéro de cause A/4123/2023.

3.             Le recourant demande la suspension de la procédure dans l'attente des arrêts du Tribunal fédéral dans les causes 9C_648/2022 et 9C_707/2022. Sa requête est devenue sans objet, le Tribunal fédéral ayant rendu des arrêts dans chacune de ces deux causes.

Dans les arrêts 9C_648/2022, qui est destiné à la publication, et 9C_707/2022 précités, le Tribunal fédéral a jugé des litiges similaires à la présente cause. Dans le premier arrêt, il a en effet confirmé l’assujettissement à la TEO pour l’année 2019 d’un homme né en janvier 1988 et naturalisé en septembre 2017 à l’âge de 29 ans. Dans le second arrêt, il a confirmé l’assujettissement à la TEO pour l’année 2019 d’un homme né en janvier 1984 et naturalisé en mai 2017 à l’âge de 33 ans. Le présent arrêt se référera ainsi largement à ces deux arrêts.

4.             L’objet du litige est principalement défini par l’objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. Il correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/504/2023 du 16 mai 2023 consid. 3.2 et les arrêts cités). La contestation ne peut excéder l’objet de la décision attaquée, c’est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l’autorité inférieure s’est prononcée ou aurait dû se prononcer (ATA/504/2023 précité consid. 3.2 et l'arrêt cité).

En l’espèce, dans sa première réclamation, le recourant a contesté devant l’intimée son assujettissement à la TEO pour les années 2018 et 2019, puis dans sa seconde réclamation, son assujettissement pour l’année 2020. Or, les décisions de taxation concernaient, pour la première l’année 2019 et pour la seconde l’année 2020. Dans ses recours devant la chambre de céans, le recourant n’a du reste plus contesté son assujettissement pour l’année 2018. Le litige porte ainsi sur la conformité au droit des décisions prononçant l'assujettissement du recourant à la TEO pour les années 2019 et 2020.

5.             Le recourant soulève les griefs de violation du système de la LTEO et de la LAAM, de la qualification de taxe de remplacement, du principe de la non-rétroactivité des lois et enfin des droits acquis.

6.             L’art. 59 Cst. prévoit que tout homme de nationalité suisse est astreint au service militaire. La loi prévoit un service civil de remplacement (al. 1). Tout homme de nationalité suisse qui n’accomplit pas son service militaire ou son service de remplacement s’acquitte d’une taxe. Celle-ci est perçue par la Confédération et fixée et levée par les cantons (al. 2). Cette taxe est régie par le droit fédéral, en particulier par la LTEO et l’OTEO. De jurisprudence constante, cette taxe qui constitue une contribution de remplacement, a pour but de garantir une égalité de traitement entre les personnes soumises à l’obligation de servir qui effectuent le service militaire ou le service civil et celles qui en sont exonérées (arrêts du Tribunal fédéral 9C_648/2022 précité consid. 3.1 ; 2C_339/2021 du 4 mai 2022 consid. 3.1 et les références).

6.1 Selon l’art. 1 LTEO, les citoyens suisses qui n’accomplissent pas ou n’accomplissent qu’en partie leur obligation de servir sous forme de service personnel (service militaire ou service civil) doivent fournir une compensation pécuniaire. Cette taxe est fixée chaque année en application de l’art. 25 al. 1 LTEO.

Aux termes de l’art. 2 al. 1 let. a LTEO, sont assujettis à la taxe les hommes astreints au service qui sont domiciliés en Suisse ou à l’étranger et qui, au cours d’une année civile (année d’assujettissement), ne sont, pendant plus de six mois, ni incorporés dans une formation de l’armée ni astreints au service civil.

6.2 L’art. 3 aLTEO, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018, prévoyait que l’assujettissement à la taxe commence au début de l’année en cours de laquelle la personne astreinte atteint l’âge de 20 ans (al. 1). Il se termine : pour les personnes qui ne sont pas incorporées dans une formation de l’armée et qui ne sont pas astreintes au service civil, à la fin de l’année au cours de laquelle elles atteignent l’âge de 30 ans (al. 2 let. a).

L’art. 3 LTEO, dans sa version entrée en vigueur le 1er janvier 2019, prévoit que l’assujettissement à la taxe commence au plus tôt au début de l’année au cours de laquelle l’homme astreint atteint l’âge de 19 ans. Il se termine au plus tard à la fin de l’année au cours de laquelle il atteint l’âge de 37 ans (al. 1). Pour les assujettis visés à l’art. 2 al. 1 let. a qui n’effectuent pas de service de protection civile, l’assujettissement à la taxe commence l’année qui suit le recrutement. Il dure onze ans (al. 2).

7.             Selon un principe général de droit intertemporel, les dispositions légales applicables à une contestation sont celles en vigueur au moment où se sont produits les faits juridiquement déterminants pour trancher celle-ci. Liée aux principes de sécurité du droit et de prévisibilité, l’interdiction de la rétroactivité des lois résulte du droit à l’égalité de traitement (art. 8 Cst.), de l’interdiction de l’arbitraire et de la protection de la bonne foi (art. 5 et 9 Cst.). L’interdiction de la rétroactivité (proprement dite) fait obstacle à l’application d’une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur, car les personnes concernées ne pouvaient, au moment où ces faits se sont déroulés, connaître les conséquences juridiques découlant de ces faits et se déterminer en connaissance de cause. Une exception à cette règle n’est possible qu’à des conditions strictes, soit en présence d’une base légale suffisamment claire, d’un intérêt public prépondérant, et moyennant le respect de l’égalité de traitement et des droits acquis. La rétroactivité doit en outre être raisonnablement limitée dans le temps (arrêt du Tribunal fédéral 9C_648/2022 précité consid. 6.1 et les références citées).

Il n’y a toutefois pas de rétroactivité proprement dite lorsque le législateur entend règlementer un état de chose qui, bien qu’ayant pris naissance dans le passé, se prolonge au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit. Cette rétroactivité improprement dite est en principe admise, sous réserve du respect des droits acquis (arrêt du Tribunal fédéral 9C_648/2022 précité consid. 6.1 et les arrêts cités).

7.1 En ce qui concerne les normes juridiques qui font dépendre la survenance de la conséquence juridique de plusieurs éléments de fait (état de fait dit composite), le Tribunal fédéral a jugé qu’il est déterminant de savoir sous l’empire de quelle norme l’ensemble des faits s’est produit de manière prépondérante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_648/2022 précité consid. 6.2 et les arrêts cités).

7.2 À l’occasion de la modification de la LTEO du 16 mars 2018, le Parlement n’a adopté aucune disposition transitoire spécifique relative à l’art. 3 LTEO (arrêt du Tribunal fédéral 2C_339/2021 du 4 mai 2022 consid. 4.2). Partant, en l’absence d’une disposition transitoire explicite ou qui pourrait se déduire d’une interprétation du texte légal, il convient de se référer aux principes généraux relatifs du droit intertemporel qui viennent d’être rappelés (ATF 148 V 70 consid. 5.3).

8.             En matière de prélèvement de la LTEO, le Tribunal fédéral a jugé que la TEO ne présentait pas les caractéristiques d’un état de fait durable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1005/2021 du 26 avril 2022 consid. 5.2). En effet, les éléments de base déterminants servant de fondement à la TEO sont : l’incorporation (ou non) dans une formation de l’armée, la soumission (ou non) à l’obligation de servir dans le civil et l’accomplissement (ou non) du service militaire ou civil pendant l’année d’exemption (art. 2 al. 1 LTEO), puis selon l’art. 3 al. 1 LTEO, l’âge de la personne astreinte à la taxe pendant l’année d’assujettissement et en enfin la date du début de l’assujettissement à la taxe selon les art. 3 al. 2, 3, 4 et 5 LTEO. À l’exception du début de l’obligation de remplacement consistant en le paiement d’une taxe, les autres éléments s’apparentent à des faits et des situations qui se produisent ou existent durant l’année d’assujettissement et qui sont limités dans le temps par celle‑ci. La circonstance que les faits pertinents existent encore à la fin de l’année d’assujettissement n’est pas déterminante, pas plus que les faits qui ne se produisent qu’après la fin de celle-ci (arrêts du Tribunal fédéral 9C_648/2022 précité consid. 6.1 et les références citées ; 2C_1005/2021 précité consid. 5.1).

9.             Bien qu’il existe un lien entre la LTEO et la LAAM du point de vue de la durée de l’obligation de remplacement, la LTEO règle de manière autonome la durée de l’obligation de remplacement par la TEO (arrêt du Tribunal fédéral 9C_648/2022 précité consid. 7.2). Partant, c’est uniquement à la lumière de la LTEO qu’il convient de répondre aux premiers griefs.

10.         Sous le terme de droit acquis est désigné un ensemble assez hétérogène de droits des administrés envers l’État dont la caractéristique commune est qu’ils bénéficient d’une garantie particulière de stabilité. Des droits acquis peuvent être conférés par la loi lorsque celle-ci les qualifie comme tels ou lorsqu’elle garantit leur pérennité, soit si le législateur a promis dans la loi que celle-ci ne serait pas modifiée ou serait maintenue telle quelle pendant un certain temps (ATA/48/2024 du 16 janvier 2024 consid. 4.13 et l’arrêt cité).

Un droit acquis peut être créé dans les mêmes conditions que par la loi par une décision individuelle. En tant que telle, la répétition de décisions successives de contenu identique ne crée pas non plus de droit acquis. La catégorie la plus importante de droits acquis est constituée de ceux qui sont créés par un contrat entre l’État et les administrés. La stabilité particulière du droit est ici fondée sur le principe pacta sunt servanda (principe de la confiance ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd. ; p.266 et 267).

11.         En l’espèce, la nouvelle LTEO n’a pas été appliquée à un état de fait antérieur à son entrée en vigueur. Le recourant a en effet été soumis à la TEO, pour les années d’assujettissement 2019 et 2020, sur la base des éléments de fait survenus en 2019 et 2020, ceci en application de la législation entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Les éléments de base déterminants servant de fondement aux TEO se sont produits ou existaient en 2019, respectivement en 2020, soit sous l’empire de la nouvelle loi : tant en 2019 qu’en 2020, le recourant, alors âgé de 36 ans, respectivement 37 ans, n’était ni incorporé dans une formation de l’armée, ni soumis à l’obligation de servir dans le civil, ni n’accomplissait du service militaire ou civil. Le fait que sous l’ancien droit l’année 2013 constituait la dernière année de son assujettissement à la TEO, parce qu’il avait atteint l’âge de 30 ans en juillet 2013, et qu’il a été soumis à nouveau, en vertu du nouveau droit, à l’obligation de payer la taxe d’exemption de servir ne constitue pas une application rétroactive de la loi. L’élévation de la limite d’âge de 30 ans à l’âge de 37 ans se rapporte à l’âge actuel de la personne concernée dans l’année considérée, de sorte qu’il n’y a pas rétroactivité à cet égard (arrêt du Tribunal fédéral 9C_648/2022 précité consid. 7.2).

Les griefs du recourant en lien avec la violation du principe de la non-rétroactivité des lois seront ainsi écartés. Il en ira de même avec le grief de violation des droits acquis dès lors qu’aucune loi ou décision ne garantit au recourant la pérennité de la situation qui prévalait avant l’entrée en vigueur du nouveau droit.

12.         Le recourant soutient qu’il lui serait impossible d’effectuer un recrutement volontaire au sens de l’art. 12 al. 2 OMi. Dans la mesure où l’assujettissement dépendrait de la participation au recrutement, il ne devait pas être assujetti à la TEO.

12.1 Selon l’art. 9 LAAM, les conscrits participent au recrutement. Le Conseil fédéral peut prévoir des exceptions pour les cas manifestes d’inaptitude au service (al. 1). Les conscrits passent le recrutement au plus tôt au début de leur 19e année et au plus tard à la fin de l’année au cours de laquelle ils atteignent l’âge de 24 ans (al. 2). Le Conseil fédéral peut prévoir un recrutement ultérieur si les services d’instruction obligatoires (art. 42) peuvent encore être accomplis dans les limites d’âge visées à l’art 13. Le recrutement ultérieur est soumis au consentement des personnes concernées (al. 3).

L’art. 12 al. 2 OMi prévoit qu’à leur demande, le cdmt Instr peut prévoir un recrutement ultérieur pour les Suissesses et les Suisses qui n’ont pas été convoqués au recrutement jusqu’à la fin de l’année au cours de laquelle ils ont atteint l’âge de 24 ans ou qui n’ont pas fait l’objet d’une décision définitive quant à leur aptitude dans ce délai, pour autant que les conditions de l’art. 9 al. 3 LAAM soient remplies et que le besoin de l’armée soit avéré. La demande ne peut être déposée qu’une seule fois.

12.2 En l’espèce, c’est à tort que le recourant soutient que n’ayant pas effectué de recrutement au sens de l’art. 12 al. 2 OMi, il ne peut être soumis à la TEO. En effet, l’art. 2 al. 1 let. a LTEO soumet à l’obligation de s’acquitter de la taxe tout homme astreint au service domicilié en Suisse, qui n’était, pendant plus de six mois, ni incorporé dans une formation de l’armée ni astreint au service civil. Or, comme l’a retenu le Tribunal fédéral (arrêt 9C_648 précité consid.8.1), le texte clair de cette disposition ne distingue pas les situations qui ont conduit à l’absence d’incorporation dans une formation de l’armée ou d’astreinte au service civil pendant plus de six mois. C’est en conséquence également à tort que le recourant s’en prend à la qualification de taxe de remplacement, ce grief étant fondé sur sa prétendue impossibilité de participer à un recrutement (voir à ce propos ci-dessous consid. 13.3), puisque le motif pour lequel la TEO doit être payée n’est pas déterminant.

13.         Le recourant soutient enfin que, n’ayant d’autre choix que de payer la TEO, il serait discriminé par rapport aux personnes qui ont eu la possibilité d’être recrutées. Cette situation serait, selon le recourant, contraire aux art. 8 et 14 CEDH et violerait la jurisprudence de la CourEDH.

13.1 Aux termes de l’art. 8 CEDH, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (al. 1). Quant à l’art 14 CEDH, il prévoit que la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. D'après la jurisprudence constante de la CourEDH, l'art. 14 CEDH complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante puisqu'il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu'elles garantissent (ATA/1091/2023 du 3 octobre 2023 consid. 3.3 et les arrêts cités).

13.2 Dans l’arrêt 9C_648/2002 (consid. 8.2), le Tribunal fédéral rappelle que, en relation avec les art. 8 et 14 CEDH, la CourEDH a, dans l’arrêt GLOR c. Suisse du 30 avril 2009, notamment jugé que, à la lumière du but et des effets de la taxe litigieuse, la différence opérée par les autorités suisses entre les personnes inaptes au service exemptées de ladite taxe et celles qui étaient néanmoins obligées de la verser, était discriminatoire. Aux yeux de la CourEDH, le fait que le contribuable avait toujours affirmé être disposé à accomplir son service militaire, mais qu’il avait été déclaré inapte audit service par les autorités militaires compétentes, était en l’occurrence essentiel. Selon la CourEDH, la discrimination résidait en particulier dans le fait que, contrairement à d’autres personnes qui souffraient d’un handicap plus grave, l’intéressé n’avait pas été exempté de la taxe litigieuse – son handicap n’étant pas assez important – et que, alors qu’il avait clairement exprimé sa volonté de servir, aucune possibilité alternative de service ne lui avait été proposée. À ce sujet, la CourEDH a notamment souligné « l’absence, dans la législation suisse, de formes de service adaptées aux personnes se trouvant dans la situation du requérant » (arrêt GLOR précité, par. 96).

Un intéressé ne peut pas se prévaloir d’une violation des art. 8 et 14 CEDH en lien avec l’arrêt GLOR précité, dans l’hypothèse où celui-ci ne s’était pas montré actif pour effectuer un service militaire ou un service civil (arrêt du Tribunal fédéral 9C_648/2022 précité consid. 8.2.2 et les nombreux arrêts cités).

13.3 En l’espèce, sans que cela ne soit remis en cause par le recourant, il apparaît que ce dernier n’a pas demandé à être mis au bénéfice d’un recrutement ultérieur au sens de l’art. 9 al. 3 LAAM, disposition concrétisée par l’art. 12 OMi, qui lui aurait permis, le cas échéant, d’accomplir un service militaire ou un service civil. Partant, le recourant n’a pas effectué, du point de vue individuel, toutes les démarches visant à profiter de la possibilité d’effectuer un tel recrutement ultérieur, de sorte qu’il ne peut pas se plaindre d’une discrimination fondée sur les art. 8 et 14 CEDH ou encore sur l’arrêt GLOR précité. L’argument selon lequel l’armée n’aurait pas de besoins n’est dans ce contexte pas pertinent, dès lors que ce qui est déterminant en l’espèce est la situation individuelle du recourant et les démarches qu’il a ou non concrètement effectuées (arrêt du Tribunal fédéral 9C/648/2022 précité consid. 8.2.3).

La protection de l’art. 14 CEDH en lien avec une autre garantie conventionnelle n’a pas de portée indépendante par rapport à l’art. 8 Cst. (égalité) (ATF 137 V 334 consid. 6.3). Dans la mesure où le recourant ne peut pas se prévaloir d’une discrimination fondée sur les art. 8 CEDH et 14 CEDH, puisqu’il n’a pas fait de démarches concrètes visant à effectuer un recrutement ultérieur, il ne saurait davantage se plaindre d’une discrimination fondée sur l’art. 8 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 9C/648/2022 précité consid. 8.2.4).

Les décisions de taxation 2019 et 2020 sont en conséquence conformes au droit. Mal fondés, les recours seront rejetés.

14.         Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe, et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA et 31 al. 2 et 2bis LTEO).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

préalablement :

ordonne la jonction des causes nos A/4123/2023 et A/4124/2023 sous le n° A/4123/2023 ;

 

 

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés le 11 décembre 2023 par A______ contre les décisions sur opposition du service de la taxe d’exemption de l’obligation de servir du 27 novembre 2023 ;

au fond :

les rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, au service de la taxe d'exemption de l'obligation de servir ainsi qu'à l'administration fédérale des contributions.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Valérie LAUBER, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :