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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1515/2022

ATA/325/2024 du 05.03.2024 sur JTAPI/343/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1515/2022-PE ATA/325/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 mars 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ et B______ recourants
représentés par Me Delphine JOBIN et Me Matteo PEDRAZZINI, avocats

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 mars 2023 (JTAPI/343/2023)


EN FAIT

A. a. Le 6 juin 2016, l’office cantonal de la population et des migrations (ci- après : OCPM) a reçu un formulaire individuel de demande pour ressortissant UE/AELE concernant A______, né le ______1968, et sa fille, B______, née le ______2004, tous deux ressortissants français, indiquant qu'ils étaient arrivés à Genève le 1er mai 2016, et étaient domiciliés à la rue du C______.

Il était indiqué que la demande ne concernait pas D______, de nationalité roumaine, épouse, respectivement, mère, des précités.

b. A______ et sa fille ont été mis au bénéfice d’une autorisation de séjour UE/AELE (permis B) valable jusqu’au 5 juin 2021.

c. Par formulaire reçu par l'OCPM le 19 octobre 2018, A______ a annoncé, pour son compte et celui de sa fille, leur changement d’adresse. Résidant auparavant à la rue du E______ à Genève, ils avaient déménagé le 1er mai 2018 au chemin du F______ à Corsier. Il était indiqué que ce changement d'adresse ne concernait pas la « conjointe ».

d. Par courrier du 30 décembre 2019, G______, domicilié H______, à Veigy-Foncenex (France), a informé l'OCPM que ses locataires, soit les époux A______ et D______, étaient des fraudeurs. Alors qu’ils avaient signé un contrat de bail de résidence secondaire, ils avaient en réalité emménagé dans l’appartement à l’année avec leur fille. A______ avait enregistré le bail au nom de son épouse afin de ne pas apparaitre en France et de conserver son permis B. Il lui avait payé une année de loyers en avance. Il avait une adresse fictive en Suisse.

e. Le 1er juin 2021, A______ agissant également au nom de sa fille, alors mineure, a sollicité le renouvellement de leur autorisation de séjour. Dans le formulaire idoine, il a indiqué que son épouse ne vivait pas à Genève.

f. Par courriel du 28 juin 2021, l’OCPM a demandé à A______ de lui indiquer où se trouvait le domicile de son épouse et, le cas échéant, si une procédure de divorce avait été intentée.

g. Le 2 juillet 2021, A______ a répondu que son épouse et lui-même n’avaient pas déposé de demande en divorce. La précitée aurait dû le rejoindre en 2017. Toutefois, elle avait été victime d’un grave accident de la route et, « pour des raisons de procédure », elle devait rester en France. Il a transmis une attestation d’assurance responsabilité civile locative souscrite par son épouse concernant un logement sis à Veigy-Foncenex.

h. Lors d’une investigation menée le 4 août 2021 au chemin du F______, les enquêteurs mandatés par l’OCPM ont constaté que cette adresse correspondait à un chantier naval. Les personnes rencontrées sur place avaient confirmé le caractère professionnel de ce local. Il existait un logement à l’arrière, inoccupé depuis des années.

i. Le 13 septembre 2021, l’OCPM a fait part à A______ de son intention de constater la caducité de son permis B et de celui de sa fille, ainsi que d’enregistrer leur départ de Suisse six mois à compter de leur domiciliation fictive à Corsier, à savoir le 30 octobre 2018. Un délai de 30 jours leur était accordé pour faire valoir leur droit d’être entendu.

j. Les intéressés n’ont pas produit de déterminations.

k. Par décision du 28 mars 2022, l’OCPM a constaté la caducité des autorisations de séjour UE/AELE de A______ et de sa fille, six mois à compter de leur prise de domicile fictive à Corsier le 1er mai 2018, soit le 31 octobre 2018.

Compte tenu du résultat de l’enquête, ils ne vivaient pas dans le logis indiqué dans leur demande de renouvellement d’autorisation de séjour et n’avaient pas démontré résider de manière effective à Genève. A______ était par ailleurs toujours marié et son épouse vivait en France. Par conséquent, il ne pouvait être que constaté que le centre de ses intérêts et ceux de sa fille se trouvait dans cet État, ce d’autant plus qu’aucune observation n’avait été apportée au dossier qui démontrerait le contraire.

B. a. Par acte du 11 mai 2022, A______ et B______, sa fille, ont interjeté recours contre cette décision devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI), en concluant, préalablement, à ce qu’il leur soit donné acte de ce qu’ils avaient pris une nouvelle adresse à la route de I______à Thônex, dès le 1er avril 2022. Principalement, ils ont demandé l’annulation de ladite décision et le renouvellement de leur autorisation de séjour.

L’OCPM avait violé leur droit d’être entendus. En effet, ils s’attendaient, de bonne foi, à ce qu’il leur accorde un délai formel après que leur conseil se soit rendu dans ses locaux le 13 janvier 2022 pour prendre connaissance de leur dossier. Seule était litigieuse la question de leur séjour effectif en Suisse à partir du 1er mai 2018. Or, il ressortait des justificatifs produits qu’ils n’avaient pas transféré leur centre d’intérêts en France voisine. Subsidiairement, ils disposaient d’un droit à la prolongation de leur autorisation de séjour, fondé sur l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681). L’art. 61 al. 2 LEI, sur lequel l’OCPM s’était fondé dans la décision attaquée, ne leur était pas applicable, du fait de leur nationalité française.

Ils ont transmis un chargé de pièces dont, notamment, le bail à loyer portant sur un studio meublé à Corsier conclu le 27 avril 2018 avec J______, pour un loyer mensuel de CHF 450.- ; des photographies non datées dudit studio ; divers courriers attestant de démarches de A______ en vue de l’acquisition d’une villa en 2020 ; une attestation d’hébergement d'K______ du 12 janvier 2022 indiquant que A______ et sa fille logeaient chez elle au L______ au Grand-Saconnex, depuis fin février 2021 ; les factures portant sur la location de containers en 2021 ; diverses factures à l'adresse de A______ qui seront détaillées ci-après dans la mesure utile ; un contrat de bail à loyer portant sur un appartement de 4 pièces à Thônex à partir du 1er avril 2022 ; ainsi que diverses pièces relatives au litige opposant les époux A______ et D______ à G______ en lien avec l’appartement de Veigy-Foncenex.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours.

c. Dans le cadre de leur réplique, les recourants ont complété leur argumentation et remis un chargé de pièces complémentaire, dont des décomptes de primes d'Assura, des bilans et compte de perte et profits 2018-2020 de la société de A______, des quittances de l’office cantonal des véhicules et des factures liées à son véhicule.

d. Lors de l’audience du 14 décembre 2022 devant le TAPI, K______, entendue à titre de témoin et amie de A______ et de son épouse, a expliqué qu’en février 2021, elle avait proposé à A______ et à sa fille de venir loger chez elle, car ils rencontraient des difficultés à ce moment-là. Elle disposait d’un studio attenant à son domicile avec une entrée indépendante. Il était prévu qu’elle les héberge le temps que A______ acquière une villa à Collonge-Bellerive. Il n’avait finalement pas pu acheter la villa en raison de problèmes avec son titre de séjour (qui était en renouvellement) et la banque. Son logement de Corsier avait par ailleurs été cambriolé et sa fille craignait d'y retourner. Pendant cette période, l'épouse de A______ vivait à Veigy-Foncenex et souffrait de dépression suite au décès de sa mère, survenu lors d’un accident de voiture. Pour des raisons administratives et notamment de prise en charge psychiatrique, elle devait rester en France. Son mari et sa fille lui rendaient visite. Ils s’étaient installés dans son studio de février 2021 à fin mars 2022. Elle avait eu très peu de contacts avec eux durant cette période, notamment à cause du Covid-19. Elle voyait toutefois la voiture de A______ parquée sur sa propriété durant la semaine, mais jamais durant les weekends. Ils étaient déjà installés à Genève depuis 2016. Ils avaient quitté le studio, car ils avaient enfin trouvé un appartement. Elle n’était jamais allée chez eux ni en Suisse ni en France.

G______, également entendu en qualité de témoin, a confirmé que A______, son épouse et leur fille avaient habité l'appartement de Veigy-Foncenex du 5 avril 2018 au 5 avril 2022. Ils y vivaient toute la semaine. Il habitait au 1er étage et voyait le véhicule de A______ avec des plaques genevoises tous les jours devant la maison. En 2018, il avait été contacté par A______ suite à une annonce qu’il avait mise pour la location de son appartement. Ce dernier lui avait demandé de pouvoir faire un bail d'une année en résidence secondaire, au nom de son épouse, lui expliquant qu'il était en train de construire une maison à Meinier et que cette dernière n'était pas terminée. En janvier 2019, il lui avait finalement annoncé qu'il souhaitait rester dans l'appartement et, comme il était hors délai pour résilier le bail, celui-ci avait automatiquement été reconduit. Il avait ensuite dû « subir » la famille A______ durant trois ans, laquelle s’était notamment plainte de l'état de l'appartement et lui avait demandé des travaux. Ils avaient fait venir l'agence régionale de santé (ARS) sur place. Il a versé à la procédure leur rapport de visite du 12 mars 2021 duquel il ressortait expressément, de la bouche d'D______, que cette dernière vivait dans l'appartement avec son époux et leur fille. Il avait résilié le bail en juillet 2021 et ils étaient partis en avril 2022. Il était en litige avec la famille A______, qui lui réclamait EUR 17'000.- pour des problèmes d'humidité, EUR 3'000.- de dédommagement en raison de maux de tête dont souffrait D______ et EUR 2'000.- à titre de frais de justice. A______ lui avait expressément demandé de faire le contrat de bail avec son épouse, car il ne souhaitait pas apparaitre sur celui-ci, soit comme étant domicilié en France. Comme son épouse ne travaillait pas et qu’il n'avait dès lors pas de garantie de paiement du loyer, l'intéressé lui avait offert de payer le loyer d'une année, ce qu'il avait fait au moment de la signature du contrat. Les époux A______ et D______ avaient été à chaque fois présents, lors de la visite et pour la signature du bail. En aucun cas, les époux A______ et D______ l’avaient informé que la location de l'appartement était justifiée par l'état de santé d'D______. La première année de location, ils étaient en bons termes. Il allait régulièrement chez eux pour « l'apéro » dans l'appartement ou sur la terrasse. Il confirmait avoir vu A______ tous les jours, à l'exception des vacances, quand il sortait notamment le chien. Cela excluait évidemment les périodes de vacances. Il avait également vu sa voiture tous les jours dans la cour intérieure. Pour lui, il n’y avait aucun doute que A______ et sa famille étaient installés dans l'appartement, qu'ils y avaient leur vie de famille et le centre de leurs intérêts. Sa maison était sous caméras de surveillance pour des raisons de sécurité. Il disposait donc, si besoin, des vidéos couvrant la période de décembre 2019 à juillet 2020.

A______ a expliqué avoir quitté son logement à Genève suite à une résiliation du bail pour retard dans le paiement du loyer. Il avait emménagé à Corsier le 1er mai 2018. Depuis 2018, il cherchait à acheter une maison entre Corsier et Collonge-Bellerive. Cette maison devait être achetée au nom de la société M______, créée en 2021, dont il était administrateur, directeur et actionnaire à 100%. Il était prévu que sa mère lui prête de l'argent afin de financer l'achat de la villa. Lorsqu’il avait trouvé la villa en octobre 2020, il n'avait pas encore l'argent pour la financer. Cette somme, à hauteur de plus de quatre millions, était en train d'arriver mais, faute de permis, il n’avait pas pu ouvrir de compte à Genève. L'argent se trouvait sur le compte de son avocat. Il se rendait pratiquement tous les jours à l'appartement de Veigy-Foncenex pour rendre visite à sa femme. Il dormait sur place les vendredis, les samedis et les dimanches soirs. Sa fille y passait également la nuit les jours en question, ainsi que les mercredis soirs. Ils mangeaient presque tous les jours ensemble, compte tenu de l’état de santé de son épouse. Cette dernière avait fait plusieurs tentatives de suicide, suite à l'accident de 2017. Elle ne pouvait venir s'installer à Genève en raison de la procédure ouverte en Roumanie, de son état de santé et du fait qu’elle n’avait pas encore de passeport français. Il fallait qu'elle reste en France si elle ne voulait pas devoir recommencer toute la procédure. Lorsqu'elle avait tenté de se suicider en 2017, il avait été décidé qu’elle quitte Lyon pour venir s'installer à Veigy-Foncenex. Les semaines types, après avoir terminé l’école, sa fille se rendait en principe à Veigy-Foncenex chez sa mère pour y faire les devoirs et lui tenir compagnie. Il l'y amenait en voiture ou elle s'y rendait toute seule en transports publics. Il les rejoignait ensuite dans la soirée afin qu’ils mangent ensemble. Lorsque son épouse se rendait à Lyon, au minimum une fois tous les quinze jours, elle emmenait le chien et il restait avec sa fille à Corsier. Il n’était pas en mesure de produire des factures d'électricité, d’eau et de chauffage pour le studio de Corsier, car ces frais étaient inclus dans le bail et il n'y avait qu'une seule facture pour tout le chantier naval. Il a ajouté que les photographies nos 15ter et suivantes représentaient le studio de Corsier. Elles avaient été prises après son départ. Sa fille dormait dans la chambre et lui dans le salon. Deux anciens employés du chantier naval, dont il fournirait les noms, pourraient attester qu’il vivait bien sur place avec sa fille et qu’il y avait déplacé le centre de ses intérêts. Ils étaient entrés dans le studio et avaient pu voir qu’ils y avaient installé leurs lits et effets personnels. Il verserait à la procédure des photos du studio meublé, s’il en trouvait.

e. Après avoir laissé les parties se déterminer sur ces auditions et déposer des pièces complémentaires, le TAPI a, par jugement du 27 mars 2023, rejeté le recours.

Aucune violation du droit d'être entendu ne pouvait être reprochée à l'OCPM. Par ailleurs, le centre d’intérêt de l'intéressé et de sa fille se trouvait, durant la période concernée, non pas à Genève, mais à Veigy-Foncenex, auprès de l'épouse, respectivement mère des intéressés. En l’absence de preuves contraires, le studio de Corsier ne leur servait que d’adresse postale, soit tout au plus un lieu où ils dormaient ponctuellement sans aucune intention de s’y établir, mais en aucun cas un lieu de vie où ils auraient transféré le centre de leurs intérêts. Dans ces conditions, l'OCPM ne pouvait que constater que la validité des autorisations d'établissement des précités avait pris fin de jure six mois après leur départ de Suisse pour la France, soit au plus tard le 1er mai 2018, et c'était ainsi à juste titre qu’il avait constaté leur caducité.


 

 

C. a. A______ et B______ ont formé recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) le 15 mai 2023 contre ce jugement, concluant principalement à son annulation, de même qu'à celle de la décision de l'OCPM du 28 mars 2022.

Ils ont produit des pièces complémentaires, dont un constat d'huissier daté du 7 mai 2020 et une photographie des compteurs électriques de G______ et d'D______ « démontrant que l'appartement d'D______ ne pouvait pas être habité par trois personnes, mais qu'il était habité uniquement par Mme D______ ».

Le TAPI avait procédé à une constatation arbitraire et inexacte des faits en considérant que les nombreux documents au dossier ne permettaient pas de prouver l'existence d'un centre d'intérêts en Suisse et il avait totalement passé sous silence des faits, le témoignage d'K______ et des pièces qui tendaient pourtant à démontrer qu'ils avaient bien leur centre de vie en Suisse.

Le premier juge avait par ailleurs omis de se déterminer sur la dénonciation de G______ et sur ses déclarations qui auraient dû être écartées du dossier.

Le raisonnement du TAPI n'était par ailleurs pas conforme au droit. Il avait estimé que le centre d'intérêts d'un étranger s'appréciait uniquement sur le lien créé avec son domicile, ce qui n'était pas le cas. Par ailleurs, le fait que le recourant se rendît presque tous les jours dans l'appartement de sa femme pour le dîner et y passait ses weekends ne suffisait pas à considérer qu'il y avait déplacé son centre d'intérêts. Il en allait de même du fait que l'épouse, respectivement, mère des recourants vivait en France et que son état de nécessitait la présence et le soutien de sa famille. En tout état, le lieu de vie de l'épouse, respectivement, mère des recourants ne saurait avoir la moindre importance sur l'établissement de leur centre d'intérêts.

b. Le 13 juin 2023, l’OCPM a conclu au rejet du recours, se référant au jugement entrepris ainsi qu’à sa décision du 28 mars 2022. Il a précisé que les explications fournies par G______, témoin assermenté, étaient dotées d'une crédibilité accrue de par leur précision, au vu des différentes pièces qu'il avait soumises lors de l'audience et en considérant la relation proche, voire d'amitié, qu'il entretenait auparavant avec la famille A______.

c. Les recourants ont répliqué en date du 12 juillet 2023.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

e. Le détail des pièces et de l’argumentation des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur le bien-fondé de la caducité de l'autorisation de séjour des recourants constatée par l’OCPM à partir du 31 octobre 2018.

2.1 Le recours devant la chambre administrative peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 LPA). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

2.2 La constatation des faits, en procédure administrative, est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves, qui signifie que le juge forme librement sa conviction, en analysant la force probante des preuves administrées, dont ni le genre, ni le nombre n'est déterminant, mais uniquement leur force de persuasion (art. 20 al. 1 2e phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; ATA/769/2015 du 28 juillet 2015 consid. 6b).

3.             3.1 En vertu de son art. 2 al. 2, la LEI n’est applicable aux ressortissants des États membres de la Communauté européenne, aux membres de leur famille et aux travailleurs détachés par un employeur ayant son siège ou son domicile dans un de ces États que dans la mesure où l’ALCP n’en dispose pas autrement ou lorsque la LEI prévoit des dispositions plus favorables.

Ainsi, l'ALCP et l'ordonnance sur l'introduction progressive de la libre circulation des personnes entre, d'une part, la Confédération suisse et, d'autre part, la Communauté européenne et ses États membres ainsi qu'entre les États membres de l'Association européenne de libre-échange du 22 mai 2002 (OLCP - RS 142.203) s'appliquent en premier lieu aux ressortissants des pays membres de l'UE/AELE, la LEI ne s'appliquant à eux que pour autant que ses dispositions soient plus favorables que celles de l'ALCP et si ce dernier ne contient pas de dispositions dérogatoires (Directives OLCP-1/2024 éditées par le SEM, chiffre 1.2.3, p. 11). Les conditions au maintien d'une autorisation de séjour étant plus larges selon la LEI, l'art. 61 al. 2 LEI est applicable (ATA/1793/2019 consid. 3b).

3.2 En l’espèce, il n'est, à juste titre, plus contesté par les recourants que c'est la LEI qui régit ici la question de savoir si leur permis de séjour est devenu caduc, nonobstant leur nationalité française, conformément à la jurisprudence précitée.

3.3 Selon l’art. 61 al. 1 let. a LEI, l’autorisation prend fin lorsque l’étranger déclare son départ de Suisse. Si un étranger quitte la Suisse sans déclarer son départ, l’autorisation de courte durée prend automatiquement fin après trois mois, l’autorisation de séjour ou d’établissement après six mois. Sur demande, l’autorisation d’établissement peut être maintenue pendant quatre ans (art. 61 al. 2 LEI).

Les délais prévus à l’art. 61 al. 2 LEI, ne sont pas interrompus en cas de séjour temporaire en Suisse à des fins de visite, de tourisme ou d’affaires (art. 79 al. 1 OASA).

3.4 L’extinction de l’autorisation de séjour au sens de l’art. 61 LEI s’opère de jure (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-139/2016 du 11 avril 2017 consid. 5.1), quelles que soient les causes de l’éloignement et les motifs de l’intéressé (ATF 120 Ib 369 consid. 2c) ; peu importe ainsi si le séjour à l'étranger était volontaire ou non (arrêt du Tribunal fédéral 2C_691/2017 du 18 janvier 2018 consid. 3.1). Sous cet angle, les autorités ne jouissent pas d’un pouvoir d’appréciation dans le cadre duquel il y aurait lieu de procéder, conformément à l'art. 96 LEI, à un examen de la proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 2C_19/2017 du 21 septembre 2017 consid. 5).

Une autorisation ne peut subsister lorsque l'étranger passe l'essentiel de son temps hors de Suisse, voire y transfère son domicile ou le centre de ses intérêts, sans jamais toutefois y rester consécutivement plus du délai légal, revenant régulièrement en Suisse pour une période relativement brève, même s'il garde un appartement en Suisse. Dans ces conditions, il faut considérer que le délai légal n'est pas interrompu lorsque l'étranger revient en Suisse avant l'échéance de ce délai non pas durablement, mais uniquement pour des séjours d'affaires ou de visite (ATF ATF 145 II 322 consid. 2; 120 Ib 369 consid. 2c ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_19/2017 du 21 septembre 2017 consid. 4.1). Un étranger titulaire d'une autorisation d'établissement perd cette dernière s'il s'établit en France voisine et y vit comme un frontalier (ATA/1793/2019 du 10 décembre 2019 et les références citées).

Pour savoir si une personne réside à un endroit avec l'intention de s'y établir, ce n'est pas la volonté interne de cette personne qui importe, mais les circonstances reconnaissables pour des tiers, qui permettent de déduire une semblable intention (ATF 133 V 309 consid. 3.1 ; 119 II 64 consid. 2b/bb ; 113 II 5 consid. 2 ; 97 II 1 consid. 3 ; ATA/904/2014 du 18 novembre 2014 consid. 2 ; ATA/535/2010 du 4 août 2010 consid. 6).

3.5 En l'espèce, c'est le lieu de relever que la question ici est de savoir si les recourants étaient réellement domiciliés à Corsier à partir du 1er mai 2018, puisque le litige porte sur la décision de l'OCPM de constater la caducité de leur permis B en raison de leur départ de Suisse six mois à compter de cette domiciliation à Corsier, que tant l'OCPM que le premier juge ont considérée comme fictive. Aussi, les offres de preuve postérieures à cette période, telle que les factures portant sur la location de containers en 2021, le contrat de bail portant sur la location d'un logement à Thônex à partir d'avril 2022 ou l'attestation d’hébergement de leur amie, K______, et ses déclarations y relatives qui portent sur la location d'un logement à partir de février 2021, ne sont pas pertinentes. Pour les mêmes raisons, l'allégation des recourants selon laquelle le fait qu'ils avaient l'intention d'acquérir un bien immobilier en Suisse et que les négociations étaient à bout touchant lorsqu'ils avaient déposé leur demande de renouvellement de séjour permettraient de prouver qu'au fil des années ils avaient maintenu leur intention de s'établir en Suisse, et ce d'une manière durable, n'est pas pertinente. En effet, il ressort des pièces qu'ils ont produites à cet égard que les démarches en vue d'acquérir un bien immobilier à Genève n'ont été réalisées qu'à partir de 2020.

Par ailleurs, la conclusion du contrat de bail portant sur le studio de Corsier ne signifie pas encore que A______ et sa fille y ont effectivement résidé. S'agissant des pièces produites par les recourants en lien avec la location de ce studio, soit l'attestation de dépôt de plainte à la Police déposée le 29 décembre 2020 par A______, dans laquelle il a fait part d’une tentative de cambriolage survenue dans son appartement de Corsier le 21 décembre précédent, les factures semestrielles d’assurance responsabilité civile et d’assurance ménage couvrant les années 2018 à 2021, la facture médicale faisant état de soins prodigués à B______ en 2018, les justificatifs de primes d’assurance-maladie et de frais médicaux de A______ et de sa fille pour les années 2018 à 2021, les factures de garages de 2018 et 2020 concernant des véhicules automobiles immatriculés à Genève, la procuration pour le transfert d’un numéro de téléphone portable du recourant à l’opérateur SALT MOBILE SA, datée du 13 juillet 2019, les attestations de parcours scolaire dans l’enseignement public genevois pour B______, couvrant les années 2012 à 2019 et les factures de redevances de réception radio et télévision pour les années 2018 à 2022, l'attestation établie par N______ le 20 décembre 2022, contrairement à ce qu'ils soutiennent, ne sont pas aptes à démontrer qu’ils séjournaient effectivement à Genève, et en particulier dans ledit studio, durant la période litigieuse.

En effet, comme l'a retenu le TAPI, la mention d’une adresse genevoise sur diverses factures (assurance responsabilité civile et ménage, redevances radio et télévision), le fait de consulter des médecins genevois, de souscrire une assurance-maladie suisse, de recourir aux services de garagistes du canton, ainsi que de conclure un abonnement de téléphonie mobile suisse ne signifient pas encore que le domicile effectif et le centre d’intérêts du recourant et celui de sa fille se trouvaient à Genève. C’est si vrai que cette adresse était toujours utilisée par les recourants après qu’ils se soient installés, selon leurs dires, chez K______. En tout état, l’adresse en question a été fournie par le recourant lui-même à ses cocontractants, sans qu’ils n’aient en aucune manière à en vérifier l’effectivité. C’est d’ailleurs également cette adresse qui a été donnée à l’OCPM et vraisemblablement au DIP au moment d’inscrire B______ en vue de la poursuite de sa scolarisation en Suisse.

À cet égard et alors que les recourants prétendent y avoir vécu du 1er mai 2018 à décembre 2020, ils n’ont produit aucune photographie ou courrier de tiers attestant de la réalité de leur séjour et de l’existence d’une vie quotidienne et sociale dans le studio. Sur la base des photos du studio produites – studio qui, pour rappel, était situé dans un chantier naval, était loué meublé et ne contenait qu'une seule chambre, on constate qu'il ne contenait aucune affaire personnelle ni décoration – on ne distingue non plus ni lit ni cuisinière – l’on peine à imaginer que les recourants y aient effectivement vécu et transféré le centre de leurs intérêts durant plus de deux ans et ce alors que parallèlement, l’épouse du recourant louait en France voisine un appartement de plus de 100 m2 avec terrasse. L’on relèvera enfin qu’ils n’ont jamais fourni les noms des deux anciens employés du chantier naval qui, selon les dires du recourant en audience devant le TAPI, auraient pu attester qu’ils vivaient bien sur place et qu’ils y avaient déplacé le centre de leurs intérêts.

3.6 Les recourants soutiennent que le TAPI aurait procédé à un examen arbitraire et inexact des faits en lien avec la dénonciation de G______ et ses déclarations faites en audience, « dépourvues de toute objectivité » et qui ne pouvaient avoir une quelconque force probante. G______ tentait par tous les moyens de nuire aux intérêts de leur famille et ne les avait dénoncés à l'OCPM qu'à titre de vengeance. Ses déclarations à l'audience contenaient des contrevérités.

Ils ne sauraient être suivis. Les explications fournies par G______, entendu en qualité de témoin assermenté et après avoir été rendu attentif aux sanctions de l’art. 307 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), en cas de faux témoignage, sont corroborées par les pièces qu'il a soumises lors de son audition, notamment le rapport de l’ARS du 12 mars 2021, dont la rubrique « état d’occupation du logement le jour de la visite », indique que celui-ci est occupé par D______ avec son conjoint et sa fille. Comme retenu à juste titre par le TAPI, les démarches de l’intéressée pour faire modifier ce rapport sont restées vaines et l’on peine au demeurant à comprendre pour quel motif l’ARS aurait indiqué que celle-ci vivait avec son époux et leur fille dans le logement si tel n’était pas le cas. Le fait, comme les recourants le soutiennent, que ce document n'ait pas été signé n'y change rien. On ne voit pas en quoi les déclarations de G______ en lien avec les compteurs électriques seraient sujettes à caution.

Ce grief sera en conséquence écarté.

Enfin, il ressort des déclarations mêmes du recourant qu'il se rendait pratiquement tous les jours à Veigy-Foncenex pour rendre visite à sa femme, qu’il y dormait du vendredi au dimanche soir inclus, que sa fille y passait également la nuit les jours en question, ainsi que les mercredis soirs et qu’ils mangeaient presque tous les jours ensemble, compte tenu de l’état de santé de son épouse qui nécessiterait, selon les recourants, leur présence et leur soutien. A cet égard on précisera que le fait qu'D______ ne puisse résider en Suisse en raison d'une procédure ouverte en Roumanie ou de sa prise en charge psychiatrique, comme les recourants l'allèguent, n'est nullement démontré.

Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent que le centre d’intérêts du recourant et de sa fille se trouvait, durant la période concernée, non pas à Genève, mais à Veigy-Foncenex, auprès de leur épouse, respectivement mère. C'est donc en France voisine qu'ils ont, à tout le moins dès le 1er mai 2018, séjourné au sens de la loi.

Au vu de ce qui précède, la décision de l'OCPM prononçant la caducité de l'autorisation d'établissement des recourants, en application de l'art. 61 al. 2 LEI, six mois après leur départ de Suisse, soit au plus tard le 1er mai 2018, est conforme au droit et ne consacre aucun abus du pouvoir d’appréciation de cette autorité.

Il s’ensuit que le recours sera rejeté.

4.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge des recourants, et aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 mai 2023 par A______ et B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 mars 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge solidaire de A______ et B______;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Delphine JOBIN et Me Matteo PEDRAZZINI, avocats des recourants, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Claudio MASCOTTO, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.