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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/606/2023

ATA/96/2024 du 30.01.2024 ( PROF ) , REJETE

Recours TF déposé le 07.03.2024, 2C_144/2024
Descripteurs : DROIT DISCIPLINAIRE;PROCÉDURE DISCIPLINAIRE;MESURE DISCIPLINAIRE;AVOCAT;PROFESSION JURIDIQUE;AUTORITÉ DE SURVEILLANCE;DEVOIR PROFESSIONNEL;DILIGENCE;NOTION JURIDIQUE GÉNÉRALE;LANGUE;AVERTISSEMENT(SANCTION);PROPORTIONNALITÉ;LIBERTÉ ÉCONOMIQUE
Normes : Cst.5.al2; Cst.8; Cst.27; Cst.36; LLCA.12; LLCA.12.leta; LLCA.17.al1; LLCA.17.al1.leta; CPP.66; Cst-GE.5; LaCP.13; LPA.19; LPA.20; CSD.6
Résumé : confirmation d'un avertissement prononcé à l'encontre d'un avocat pour violation de son devoir de diligence. Le recourant a accepté d'assister des prévenus en qualité de défenseur d'office alors qu'il n'était pas en mesure d'assumer pleinement ces mandats et les audiences tenues dans ce cadre, vu les difficultés d'expression – en langue française – et de compréhension qu'il rencontrait. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/606/2023-PROF ATA/96/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 janvier 2024

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Michel VALTICOS, avocat

contre

COMMISSION DU BARREAU intimée

 



EN FAIT

A. a. A______, de nationalité brésilienne, exerce la profession d'avocat à Genève.

b. Il est titulaire d'un baccalauréat universitaire brésilien en droit délivré en 1991, ainsi que d'un bachelor en droit suisse depuis 2009 et d'un master en droit international et européen depuis 2013, délivrés par la faculté de droit de l'Université de Genève.

c. Il est inscrit respectivement depuis les mois de juillet et décembre 2017 au registre des avocats du Brésil et du Portugal, ainsi qu'au tableau genevois des avocats membres de l'UE/AELE depuis 2018.

B. a. Le 25 octobre 2021, la présidente du Tribunal pénal a dénoncé A______ à la commission du barreau (ci-après : CB).

Lors de trois audiences au cours desquelles ce dernier avait assisté des prévenus en qualité de défenseur d'office, les magistrats ayant siégé avaient constaté, entre autres problèmes, que l'intéressé ne maîtrisait pas suffisamment la langue française. Il ne saisissait pas le sens de certaines questions qui lui étaient posées et, lorsqu'il plaidait, les juges ne comprenaient pas certains mots qu'il prononçait. Il avait également buté sur des mots en lisant sa plaidoirie, préalablement rédigée.

b. La CB a informé A______ qu'une instruction avait été ouverte à son encontre et lui a imparti un délai pour se déterminer. Elle l'a également convoqué à une audience de comparution personnelle.

c. A______ a indiqué qu'il avait conseillé et assisté, seul ou avec le concours de confrères genevois, des clients, principalement lusophones, dans divers domaines du droit suisse ou étranger. Certains de ses confrères avaient confirmé ses compétences et son aptitude à s'exprimer en français et à rédiger dans cette langue. Il bénéficiait de compétences en droit suisse et s'investissait pleinement dans la défense des intérêts de ses clients.

Il ne contestait pas s'exprimer avec un fort accent brésilien et user de tournures de phrases parfois inhabituelles, qui n'altéraient cependant pas sa compréhension ni celle de ses interlocuteurs. Jusqu'à la dénonciation du Tribunal pénal, il n'avait jamais fait l'objet d'une quelconque incompréhension de la part de clients, confrères ou magistrats.

 

 

d. A______ a été entendu par une sous-commission de la CB.

Il a contesté les reproches formulés à son encontre et indiqué que les magistrats du Tribunal pénal ne lui avaient pas demandé de clarifier ses propos. Ces derniers l'avaient parfaitement compris.

Il plaidait depuis quatre années « dans » les tribunaux genevois. Il avait eu six mandats pénaux en trois ans, dont trois plaidés en 2021. Il prenait des cours collectifs de diction française depuis deux ans et commencerait prochainement des cours avec un professeur particulier.

e. Faisant suite à une demande de la CB, la présidente du Tribunal pénal a fourni des renseignements complémentaires.

Lors d'une audience devant le Tribunal de police, le 19 décembre 2019, la plaidoirie de A______ était très difficilement compréhensible sous l'angle du français. Le juge avait dû se fier à certains termes et dispositions légales énoncés par l'intéressé pour saisir le sens de son intervention.

À l'occasion d'une autre audience devant le Tribunal de police, le 21 avril 2021 (recte : le 29 avril 2021), il avait plaidé pendant environ une heure l'acquittement de son client sur des faits que ce dernier avait reconnus, en invoquant de façon incompréhensible des dispositions du droit conventionnel et l'inégalité de traitement au regard du droit pénal des mineurs. Il avait lu sa plaidoirie « écrite » dans un français difficilement compréhensible, se trompant parfois dans sa lecture et devant reprendre certains passages.

Enfin, lors d'une audience devant le Tribunal correctionnel, le 4 octobre 2021, il avait lu sa plaidoirie en donnant l'impression de ne pas la comprendre. Il n'avait pas compris certaines questions posées par la présidente. Ses conclusions étaient incompréhensibles, y compris dans leur contenu, et celle-ci avait dû lui demander de les préciser.

f. Dans le délai imparti à cet effet, A______ s'est déterminé sur les renseignements complémentaires apportés par la présidente du Tribunal pénal.

Il persistait à contester les griefs formulés à son encontre. La procédure devait ainsi être classée, ce d'autant plus que son fort accent brésilien ne l'avait jamais empêché de se faire comprendre et que, vu son statut d'avocat étranger, on ne pouvait exiger de lui une maîtrise parfaite du français.

g. Par décision du 16 janvier 2023, la CB a prononcé un avertissement à l'encontre de A______, ce dernier ayant violé son devoir de diligence.

Eu égard aux détails et précisions apportées par les magistrats ayant présidé les audiences visées par la dénonciation, les difficultés d'expression et de compréhension rencontrées par l'intéressé en audiences paraissaient prima facie établies, avec un degré de vraisemblance suffisante. Elle-même avait pu constater, lors de l'audience de comparution personnelle, qu'il s'exprimait avec difficulté en français et que ses propos n'étaient pas toujours compréhensibles, au-delà d'une simple question d'accent.

À l'occasion des trois cas dénoncés, l'intéressé ne maîtrisait pas suffisamment le français pour pouvoir assurer de manière satisfaisante sa participation à l'audience et notamment ses plaidoiries en défense pénale. Il avait ainsi accepté des mandats en connaissance de ses carences linguistiques au risque de malentendus, voire d'incompréhension. L'intérêt public commandait que les manquements constatés fussent sanctionnés, compte tenu notamment de leur caractère répétitif et des potentielles conséquences pour les justiciables concernés.

Elle a en revanche retenu à sa décharge que jusqu'à la dénonciation du Tribunal pénal, il avait plaidé à de multiples reprises sur une longue période, apparemment sans qu'aucune juridiction lui eût fait part de difficultés de compréhension linguistiques. En outre, il n'avait fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire jusque‑là.

C. a. Par acte remis à la poste le 20 février 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation. Il a repris l'argumentation déjà développée et ajouté ce qui suit.

Les faits avaient été établis de façon inexacte à plusieurs égards.

Ses difficultés d'expression, qui résultaient essentiellement de son accent, ne l'avaient jamais privé d'exercer ses défenses avec soin et diligence. Les griefs formulés à son encontre étaient contredits par les actes de procédure produits et s'avéraient insuffisants pour établir une violation de son obligation de soin et diligence.

Il avait obtenu des notes supérieures à 5 sur 6 à des examens oraux passés à l'occasion de ses études de droit suisse, ce qui confirmait ses aptitudes d'expression en français. Deux de ses confrères avaient attesté qu'au-delà d'un fort accent, il ne rencontrait pas de difficultés à se faire comprendre et bénéficiait de compétences juridiques indiscutables. Il prenait des cours de français qui contribueraient progressivement à dissiper son accent.

La décision de la CB était disproportionnée et contraire à sa liberté économique.

b. La CB a conclu au rejet du recours, persistant dans les termes de sa décision.

 

c. Le 3 mai 2023, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle de A______, à laquelle la CB a renoncé à participer.

L'intéressé a confirmé ce qu'il avait déjà déclaré jusque-là.

d. A______ a transmis à la chambre de céans une attestation de B______faisant état de ce que l'évaluation de ses compétences en langue française effectuée le 11 juillet 2023 avait donné comme résultat un niveau B2 pour le test « PC Bright Language » (compréhension orale, écrite, grammaire et structure) et C1 pour leur propre évaluation, tant à l'oral qu'à l'écrit.

e. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit de l'avertissement prononcé par l'intimée à l'encontre du recourant.

3.             Le recourant se plaint de la constatation inexacte des faits. Il soutient que l'intimée aurait omis de prendre en compte ses connaissances solides de droit suisse et ses aptitudes d'expression en français. De plus, lors de l'audience du 19 décembre 2019, le magistrat n'avait pas formulé de remarques à son encontre. Enfin, l'audience du 29 avril 2021 n'avait duré que 20 minutes, si bien que la magistrate ne pouvait lui reprocher d'avoir plaidé une heure.

3.1 Le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 LPA). La chambre administrative n'a toutefois pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

3.2 En application de la maxime inquisitoire, qui prévaut en particulier en droit public (art. 19 et 20 LPA), l'autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés ; cette maxime oblige notamment les autorités compétentes à prendre en considération d'office l'ensemble des pièces pertinentes qui ont été versées au dossier. Elle ne dispense pas pour autant les parties de collaborer à l'établissement des faits (ATF 124 II 361 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 4.1) ; il leur incombe d'étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

La constatation des faits est, en procédure administrative, gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 phr. 2 LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_668/2011 du 12 avril 2011 consid. 3.3). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n'est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/1278/2023 du 28 novembre 2023 consid. 2.6 et les arrêts cités).

3.3 En l'espèce, l'intimée s'est fondée sur les faits tels que rapportés par la présidente du Tribunal pénal pour rendre la décision entreprise, soit les faits qui se sont déroulés lors des trois audiences ayant mené à la dénonciation.

Il est exact que l'audience du 29 avril 2021 n'a duré, comme il ressort du procès‑verbal y relatif, que 45 minutes, de sorte que le recourant ne peut avoir plaidé une heure à cette occasion. Toutefois, l'intimée n'a retenu à son encontre que les carences linguistiques constatées lors des trois audiences en question, si bien que la durée de sa plaidoirie n'a eu aucune influence sur la décision entreprise et n'est ainsi pas pertinente.

Ensuite, dans la mesure où seules sont reprochées au recourant des carences linguistiques, la question de savoir s'il dispose de « connaissances solides de droit suisse » est exorbitante à l'objet du litige et n'est donc pas non plus pertinente.

S'agissant du niveau d'expression française du recourant, l'intimée n'a pas ignoré les pièces susceptibles d'en rendre compte, puisque la décision entreprise les mentionne en page 2. L'intimée a considéré, implicitement à tout le moins, que ces pièces ne suffisaient pas à établir une maîtrise suffisante du français chez le recourant. L'appréciation de l'intimée sur ce point relève du droit et non pas des faits, et sera examinée en tant que de besoin ci-après.

Enfin, dans la mesure où le magistrat siégeant lors de l'audience du 19 décembre 2019 a rapporté que la plaidoirie du recourant était très difficilement compréhensible pour ce qui était du français, il n'est pas pertinent que ledit magistrat ne lui ait pas adressé de remarques directement lors de l'audience, celle‑ci concernant le client du recourant et non ce dernier.

Il s'ensuit que rien ne permet de retenir que des faits pertinents auraient été omis.

Le grief sera ainsi écarté.

 

4.             Le recourant conteste avoir violé son devoir de soin et diligence. Il allègue que ses difficultés d'expression résulteraient essentiellement de son accent et ne l'auraient jamais privé d'exercer ses défenses avec soin et diligence. De plus, il avait obtenu des notes supérieures à 5 sur 6 à des examens oraux passés à l'occasion de ses études de droit suisse, ce qui confirmerait ses aptitudes d'expression en français. Deux de ses confrères avaient attesté qu'au-delà d'un fort accent, il ne rencontrait pas de difficultés à se faire comprendre et bénéficiait de compétences juridiques indiscutables. Enfin, il prenait des cours de français qui contribueraient progressivement à dissiper son accent.

4.1 L’avocat autorisé à pratiquer doit respecter les règles professionnelles énoncées à l’art. 12 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61). Ce dernier définit exhaustivement les règles professionnelles applicables aux avocats (ATF 136 III 296 consid. 2.1 ; 131 I 223 consid. 3.4 ; 130 II 270 consid. 3.1). Ces règles professionnelles sont des normes destinées à réglementer, dans l’intérêt public, la profession d’avocat, afin d’assurer son exercice correct et de préserver la confiance du public à l’égard des avocats (ATF 135 III 145 consid. 6.1).

Selon l'art. 12 let. a LLCA, l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence. Cette disposition constitue une clause générale, visant le soin et la diligence de l’avocat dans l’exercice de son activité professionnelle. Ceci l’astreint à se comporter de façon correcte vis-à-vis de ses clients, mais aussi envers les autorités judiciaires ou administratives, ses confrères et le public (ATF 130 II 270 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_555/2014 du 9 janvier 2015 publié in SJ 2015 I 229).

La formulation très large de l’art. 12 let. a LLCA demande à être interprétée, permettant de la sorte aux tribunaux de dessiner les devoirs professionnels de l’avocat d’une façon assez libre et étendue, l’énumération exhaustive des devoirs professionnels dans la loi étant impossible. De fait, la jurisprudence donne à cette clause générale un sens qui va bien au-delà de la lettre du texte légal. En effet, le soin et la diligence visés par l’art. 12 let. a LLCA constituent des devoirs qui n’ont pas les clients pour seuls bénéficiaires. Ces devoirs s’étendent à tous les actes professionnels de l’avocat qui, en tant qu’auxiliaire de la justice, doit assurer la dignité de la profession, qui est une condition nécessaire au bon fonctionnement de la justice (arrêt du Tribunal fédéral 2C_167/2020 du 13 mai 2020 consid. 3.4 et les références citées ; Benoît CHAPPUIS/Jérôme GURTNER, La profession d’avocat, 2021, p. 48).

L’autorité de surveillance doit faire preuve d’une certaine réserve dans son appréciation du comportement de l’avocat (arrêt du Tribunal fédéral 2C_103/2016 du 30 août 2016 consid. 3.2.3). L’art. 12 let. a LLCA est une disposition subsidiaire. Pour que le comportement d’un avocat justifie une sanction au sens de cette disposition, la violation du devoir de prudence doit atteindre une certaine gravité qui, au-delà des sanctions relevant du droit des mandats, nécessite, dans l’intérêt public, l’intervention proportionnée de l’État (arrêt du Tribunal fédéral 2C_933/2018 du 25 mars 2019 consid. 5.1). Toute violation du devoir de diligence contractuel n’implique donc pas l’existence d’un manquement de nature disciplinaire au sens de l’art. 12 let. a LLCA. Cette disposition suppose l'existence d'un manquement significatif aux devoirs de la profession. L’avocat ne risque une sanction disciplinaire que lorsqu’il viole de manière intentionnelle ou gravement négligente son devoir de diligence (ATF 144 II 473 consid. 4).

Des sanctions disciplinaires contre un avocat présupposent, du point de vue subjectif, une faute, dont le fardeau de la preuve incombe à l'autorité disciplinaire. La faute peut consister en une simple négligence ; peut être sanctionné un mandataire qui a manqué du soin habituel qu'en toute bonne foi on peut et doit exiger de chaque avocat (ATF 110 Ia 95 = JdT 1986 I 142 ; ATA/831/2022 du 23 août 2022 consid. 7b et la référence citée).

4.2 L'avocat ne peut accepter un mandat que s'il est d'emblée en mesure de le traiter de manière satisfaisante et dans les délais (arrêt du Tribunal fédéral 1B_196/2022 du 25 avril 2022 consid. 3.2). À l'égard du client, il sera exigé de lui qu'il s'efforce par tout moyen utile et approprié de sauvegarder ses intérêts, non seulement dans le strict cadre de son mandat, par la qualité de ses conseils juridiques ou démarches judiciaires, mais encore par un ensemble de contraintes nécessaires à créer et entretenir un lien de confiance indispensable (Michel VALTICOS, in Michel VALTICOS/Christian REISER/Benoît CHAPPUIS/François BOHNET [éds.], Commentaire romand – Loi sur les avocats, 2ème éd., 2022, n. 9 ad art. 12 LLCA).

La maîtrise de la langue est, et demeurera, une compétence clef dans le métier d'avocat (Manuel BIANCHI DELLA PORTA/Edgar PHILIPPIN, Pratique du métier d'avocat en société de capitaux - Une réponse adéquate à l'évolution de la profession, GesKR 2010 p. 163, 164).

4.3 La LLCA définit de manière exhaustive les règles professionnelles auxquelles les avocats sont soumis. Les règles déontologiques conservent toutefois une portée juridique en permettant de préciser ou d'interpréter les règles professionnelles, dans la mesure où elles expriment une opinion largement répandue au plan national (ATF 140 III 6 consid. 3.1 ; 136 III 296 consid. 2.1 ; 131 I 223 consid. 3.4). Dans le but d'unifier les règles déontologiques sur tout le territoire de la Confédération, la Fédération Suisse des Avocats (FSA) a précisément édicté l'ancien Code suisse de déontologie (ci-après : CSD ; consultable sur http://www.sav-fsa.ch) entré en vigueur le 1er juillet 2005, et abrogé par le CSD du 9 juin 2023, entré en vigueur le 1er juillet 2023.

Selon l'art. 6 CSD, l’avocat assure sa formation continue et fait en sorte de disposer de connaissances appropriées pour l'exercice du mandat.

4.4 La chambre administrative examine librement si le comportement incriminé contrevient à l’art. 12 let. a LLCA (art. 67 LPA ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.318/2006 du 27 juillet 2007 consid. 12.1 ; ATA/258/2021 du 2 mars 2021 consid. 7).

4.5 En l'espèce, le recourant, avocat brésilien exerçant à Genève, a été sanctionné d'un avertissement par l'intimée. Celle-ci lui reproche exclusivement des difficultés de compréhension entre lui et certains magistrats du Tribunal pénal à l'occasion de trois audiences différentes ayant eu lieu devant ledit tribunal. Elle estime que l'intéressé ne maîtrisait pas suffisamment le français pour pouvoir assurer de manière satisfaisante sa participation aux audiences et notamment ses plaidoiries en défense pénale.

4.5.1 Il convient au préalable de préciser qu'en Suisse, la maîtrise de la langue officielle du canton dans lequel un avocat exerce est une compétence cardinale pour la pratique du contentieux judiciaire. Elle fait partie des aptitudes minimales dont doit disposer un avocat pour l'exercice correct du mandat. En effet, elle permet notamment d'assurer une bonne communication avec les magistrats et les autres acteurs de la justice ainsi que la correcte compréhension de tous les éléments d'un dossier, et ce notamment dans l'intérêt du mandant. La maîtrise de la langue officielle est d'autant plus importante dans le cadre de procédures pénales puisque la procédure devant les autorités pénales est en principe orale (art. 66 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 - CPP - RS 312.0).

Ainsi, un avocat qui accepterait un mandat en sachant qu'il n'est pas capable de s'exprimer, devant les juridictions concernées, de manière suffisamment claire dans la langue officielle du tribunal devant lequel il plaide est susceptible de violer son devoir de soin et diligence. Cela s'impose d'autant plus que l'art. 6 CSD prévoit que l'avocat doit disposer de connaissances appropriées pour l'exercice du mandat. Quand bien même la disposition précitée n'est pas applicable au présent litige puisqu'elle est entrée en vigueur après les faits litigieux, elle ne fait que confirmer une obligation qui s'impose aux avocats depuis toujours et qui découle directement de l'art. 12 let. a LLCA, lequel est en revanche pleinement applicable au présent litige.

4.5.2 Il ressort des explications complémentaires des magistrats du Tribunal pénal que le recourant a rencontré à plusieurs reprises, lors de trois audiences distinctes espacées dans le temps de presque deux ans, des difficultés à se faire comprendre par les juges pénaux en français, soit la langue officielle du canton de Genève (art. 5 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst‑GE ‑ A 2 00) et celle dans laquelle la procédure pénale y est conduite (art. 13 de loi d’application du code pénal suisse et d’autres lois fédérales en matière pénale du 27 août 2009 - LaCP - E 4 10), et n'a pas compris certaines questions que ces derniers lui ont posées. Il apparaît ainsi qu'il a accepté des mandats sans disposer des capacités de les assumer à satisfaction en tant qu'ils impliquaient la tenue de débats oraux et qu'il a ainsi pris le risque de contrevenir aux intérêts de ses mandants, ce qui emporte violation de son devoir de soin et diligence.

Les arguments contraires soulevés par le recourant n'emportent pas conviction. Le fait qu'il ait obtenu des notes égales ou supérieures à 5 sur 6 lors d'examens universitaires oraux n'est pas pertinent, les notes portant sur les réponses aux questions et les examinateurs pouvant facilement interrompre l'impétrant ou lui demander de répéter une phrase. Il en va de même des attestations qu'il a produites, à teneur desquelles il ne rencontrerait pas de difficultés à se faire comprendre, puisque ces attestations sont unanimement contredites par l'appréciation des magistrats du Tribunal pénal et de l'intimée.

Les difficultés d'expression qu'il rencontre, ou a rencontrées, en langue française ont été confirmées par son audition devant l'intimée, qui a constaté que ces difficultés ne se limitaient pas à son accent. Si, lors de son audition devant la chambre de céans, le juge délégué n'a pas rencontré de difficultés à comprendre le recourant, il convient toutefois de relativiser la portée de cette audition, puisqu'il s'agissait d'une comparution personnelle, et non d'une audience où le recourant défendait l'un de ses mandants, et qu'elle s'est ainsi déroulée dans des conditions plus favorables que celles qui prévalent devant le Tribunal pénal. En outre, elle a eu lieu plus d'un an et demi après l'audience pénale lors de laquelle son expression était difficilement compréhensible. Compte tenu de l'écoulement du temps, il n'est pas possible de considérer que la qualité de l'expression orale du recourant lors de l'audience devant la chambre de céans était la même que devant les juges du Tribunal pénal.

4.5.3 Les manquements du recourant sont suffisamment importants pour justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire. En effet, sur le plan objectif, il n'a pas été en mesure, à plusieurs reprises, d'assurer de façon satisfaisante sa participation lors d'audiences pénales et de se faire comprendre aisément par les différents magistrats, ce qui est toutefois attendu d'un avocat diligent. Il sied de préciser que les cas dénoncés ne constituent pas de simples « incidents de parcours », puisque le recourant a rencontré des difficultés d'expression sur trois des six procédures pénales dans lesquelles il dit être engagé. Il n'a pas non plus progressé, ou à tout le moins pas suffisamment, dans le laps de temps, soit presque deux ans, qui sépare la première de la dernière audience pénale.

Sur le plan subjectif, il a librement accepté d'intervenir en qualité de défenseur d'office dans le cadre de procédures pénales. Or, il ne pouvait ignorer ni que des débats oraux y seraient tenus ni que ses difficultés d'expression orale pourraient provoquer des malentendus ou des incompréhensions. Ainsi, si l'on ne peut certes pas lui imputer une volonté de mal agir, il a toutefois négligé de façon fautive les risques qu'il prenait pour ses mandants sans en prendre la mesure, ce qui aurait pu entraîner de lourdes conséquences pour eux. Une intervention de l'État s'imposait donc, et le fait qu'il prenne des cours de français n'était à l'évidence pas encore suffisant.

Le grief sera par conséquent écarté.

5.             Reste à examiner la proportionnalité de la sanction prononcée par l'intimée.

5.1 L’art. 17 al. 1 LLCA prévoit qu’en cas de violation d’une règle professionnelle, l’autorité de surveillance (cantonale) peut prononcer à l’encontre d’un avocat un avertissement (let. a), le blâme (let. b), une amende de CHF 20'000.- (let. c), l’interdiction temporaire de pratiquer pour une durée maximale de deux ans (let. d) ou l'interdiction définitive de pratiquer (let. e). L’avertissement est la sanction prévue la moins grave et est réservée aux cas bénins (arrêt du Tribunal fédéral 2C_868/2022 du 23 février 2023 consid. 5.1).

5.2 Pour déterminer la sanction, l’autorité doit, en application du principe de la proportionnalité, tenir compte tant des éléments objectifs, telle l’atteinte objectivement portée à l’intérêt public, que de facteurs subjectifs. Elle jouit d’un large pouvoir d’appréciation que la chambre administrative ne censure qu’en cas d’excès ou d’abus. L’autorité tiendra notamment compte de la gravité de la faute commise, des mobiles et des antécédents de son auteur, ou encore de la durée de l’activité répréhensible. Elle pourra également prendre en considération, suivant les cas, des éléments plus objectifs extérieurs à la cause, comme l’importance du principe de la règle violée ou l’atteinte portée à la dignité de la profession. Elle devra enfin tenir compte des conséquences que la mesure disciplinaire sera de nature à entraîner pour l’avocat, en particulier sur le plan économique, ainsi que des sanctions ou mesures civiles, pénales ou administratives auxquelles elle peut s’ajouter (ATA/479/2023 du 9 mai 2023 consid. 4.1.2 et l'arrêt cité).

5.3 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé ‑, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 144 I 306 consid. 4.4.1 ; ATA/775/2023 du 18 juillet 2023 consid. 7.2).

5.4 En l'espèce, l'avertissement prononcé à l'encontre du recourant est apte à lui faire prendre conscience des risques qu'il a fait courir à ses mandants en acceptant des mandats qu'il n'était pas en mesure d'assumer pleinement. L'avertissement est également apte à prévenir la répétition de son comportement fautif.

La mesure satisfait au principe de nécessité puisqu'elle constitue la sanction la moins incisive parmi celles à disposition de l'autorité. Enfin, elle ménage suffisamment les intérêts privés du recourant, ce dernier pouvant continuer à exercer sa profession malgré l'inscription de l'avertissement dans son casier disciplinaire.

L'avertissement respecte donc le principe de la proportionnalité. Le choix de cette mesure, compte tenu de la gravité de la faute et de l'absence d'antécédents du recourant, ne constitue ainsi ni un excès ni abus du pouvoir d'appréciation de l'intimée.

6.             Dans un ultime grief, le recourant se plaint de la violation de sa liberté économique garantie par l'art. 27 Cst., en tant que la décision entreprise constituerait une restriction inadmissible à son droit d'exercer la profession d'avocat dans le respect des dispositions légales.

6.1 La liberté économique comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2 Cst.). Elle protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF 143 II 598 consid. 5.1 et les références citées).

La liberté économique n'est toutefois pas absolue. Les restrictions doivent reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public prépondérant et, selon le principe de la proportionnalité, se limiter à ce qui est nécessaire à la réalisation des buts d'intérêt public poursuivis (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 143 II 598 consid. 5.1 et les références citées). La profession d'avocat bénéficie de la liberté économique, de sorte que toute limitation de son exercice doit respecter les exigences de l'art. 36 Cst. (ATF 130 II 87 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_138/2015 du 6 août 2015 consid. 4.1).

6.2 En l'espèce, il apparaît plus que douteux que l'avertissement prononcé à l'encontre du recourant constitue une restriction à sa liberté économique, dans la mesure où cette sanction ne l'empêche pas de continuer à exercer sa profession, et qu'elle ne fait pas l'objet d'une publication, susceptible de décourager de potentiels clients.

Même à retenir une telle restriction, celle-ci serait admissible puisqu'elle repose sur une base légale formelle, soit l'art. 17 LLCA, poursuit un intérêt public, celui de préserver la confiance du public à l’égard des avocats et, comme exposé supra, respecte le principe de la proportionnalité. Le grief sera donc écarté, ce qui conduit au rejet du recours.

7.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 février 2022 par A______ contre la décision de la commission du barreau du 16 janvier 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Michel VALTICOS, avocat du recourant, ainsi qu'à la commission du barreau.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, Gaëlle VAN HOVE, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :