Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3753/2023

ATA/31/2024 du 11.01.2024 ( MARPU ) , ACCORDE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3753/2023-MARPU ATA/31/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 11 janvier 2024

sur effet suspensif et suspension de la procédure

 

dans la cause

 

A______ SA recourante
représentée par Mes Paul HANNA et Baptiste LANINI, avocats

contre

B______ SA et C______
représentées par Mes Amanda BURNAND SULMONI

et Yves JEANRENAUD, avocats

et

AÉROPORT INTERNATIONAL DE GENÈVE

représenté par Me Nicolas WISARD, avocat

et

D______

représentée par Me Jean-Yves REBORD, avocat intimés




EN FAIT

A. a. L’Aéroport international de Genève (ci-après : AIG), établissement de droit public autonome, a pour mission de gérer et d’exploiter l’aéroport et ses installations dans le respect du droit supérieur et notamment du plan sectoriel de l’infrastructure aéronautique, en considérant sa situation urbaine et en offrant, de manière efficiente, les conditions optimales de sécurité, d’efficacité et de confort pour ses utilisateurs.

b. A______ SA (ci-après : A______) est une société ayant son siège à Frauenfeld dont le but est notamment l’acquisition et la construction de terrains, la construction, l’administration et la vente de biens immobiliers.

c. B______ SA (ci-après : B______) est une société ayant son siège principal à Berne et dont le but est notamment le développement, la planification, l’étude de projets et la réalisation de constructions de tous types en tant qu’entreprise de construction, entreprise générale et entreprise totale.

d. C______ (ci-après : C______), ayant son siège en France, est la filiale de C______ CONSTRUCTION, laquelle est « spécialisée dans les projets de bâtiments complexes au grand international ».

e. D______ (ci-après : D______) est une société ayant son siège à Nanterre, France, active notamment en matière d’acquisition d’établissements se rattachant directement ou indirectement à l’industrie des travaux publics ou à toute forme de construction, études, recherche, obtention et exécution de travaux publics.

B. a. Le 27 septembre 2021, l’AIG a publié sur la plate-forme simap.ch un concours portant sur la conception, la construction et la maintenance du projet intitulé « E______ ».

Le concours devait se dérouler en deux tours, le premier consistant en un appel à candidatures, au terme duquel trois candidats seraient sélectionnés. Le second consistait en un mandat d’étude parallèles (ci-après : MEP) au terme duquel la réalisation du projet serait adjugée à l’un de ces trois candidats.

Le premier tour du concours était notamment réglementé par des « conditions administratives de l’appel à candidatures » (ci-après : CAAC).

b. Le second tour a commencé le 8 juin 2022 avec pour candidats : D______, le consortium B______, et C______ (ci-après : le consortium F______) ainsi que A______, réintégrée à la procédure suite à un désistement.

Le second tour était notamment réglementé par les conditions administratives des MEP, après qu’elles ont été révisées en avril 2023 (ci-après : CA-MEP).

Le but de la procédure était d’aboutir, par des échanges entre les candidats et l’AIG (par le biais du jury et des spécialistes internes et/ou mandataires d’AIG), à des solutions permettant de répondre au mieux à ses besoins. Il était ainsi prévu dans le cadre des MEP que les candidats interagissent avec le jury lors des trois temps forts de la procédure : le lancement des MEP, les critiques intermédiaire et finale. Les candidats auraient par ailleurs l’opportunité d’échanger avec les spécialistes internes d’AIG ou ses mandataires lors des ateliers thématiques (art. 3.4 CA-MEP).

Les offres devaient parvenir à l’AIG soit par voie postale, soit par dépôt en main propre au plus tard le lundi 28 août 2023 à 11 heures (art. 3.9.3 CA-MEP).

c. Par décision du 1er novembre 2023, l’AIG a informé D______ que son offre était déclarée irrecevable.

Par courrier du même jour, il a informé le consortium F______ qu’il lui avait adjugé le marché pour le montant de CHF 711’962’265.-.

Le même jour, il a informé A______ que le marché avait été adjugé au consortium F______.

d. Le 2 novembre 2023, l’AIG a publié sur la plateforme simap.ch le résultat du concours en indiquant qu’elle avait adjugé le marché au consortium F______.

C. a. Par acte du 13 novembre 2023, D______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision d’exclusion de son offre du 1er novembre 2023.

La cause a été ouverte sous les références A/3755/2023.

Le 16 novembre 2023, l’effet suspensif au recours a été octroyé sur mesures superprovisionnelles.

b. Le même jour, D______ a déposé un recours contre la décision d’adjudication.

La cause a été ouverte sous les références A/3756/2023.

D. a. Par acte du 13 novembre 2023, A______ a interjeté auprès de la chambre administrative un recours « contre la décision de non adjudication du 1er novembre 2023, respectivement d’adjudication ». Elle a conclu à l’annulation de l’adjudication en faveur des adjudicataires, à leur exclusion et à ce que le marché lui soit attribué, subsidiairement à ce que la cause soit renvoyée au pouvoir adjudicateur pour nouvelle décision, plus subsidiairement à ce que l’illicéité de la décision soit constatée et qu’un délai lui soit octroyé pour chiffrer son indemnité. Préalablement, sur mesures superprovisionnelles et effet suspensif, il devait être fait interdiction à l’autorité adjudicatrice de conclure le contrat avec les adjudicataires et l’effet suspensif devait être octroyé.

L’offre de l’adjudicataire devait être exclue en raison de sanctions prononcées par la Banque mondiale contre C______ et le sous-traitant G______, des conflits d’intérêts et de l’impartialité de trois membres du jury et de deux experts, de la tardiveté de l’offre remise par l’adjudicataire, du non-respect de l’exigence de la structuration des coûts. Le pouvoir adjudicateur avait fait preuve d’arbitraire dans l’évaluation de son offre et de celle de l’adjudicataire en ce qui concernait les notes des critères « fonctionnalité », « mise en œuvre et organisation » ainsi que « qualité technique ».

La cause a été ouverte sous les références A/3753/2023.

b. Des mesures superprovisionnelles ont été prononcées le 14 novembre 2023 faisant interdiction à l’AIG de conclure le contrat d’exécution de l’offre jusqu’à droit jugé sur la requête en octroi de l’effet suspensif.

c. Par correspondance du 17 novembre 2023, l’AIG a relevé que le sort du présent recours dépendait de celui déposé par D______ contre son exclusion de la procédure (cause A/3755/2023). Si la chambre de céans devait annuler la décision d’exclusion de son offre, ladite société serait réintégrée dans la procédure de MEP. Il devrait alors révoquer les décisions rendues le 1er novembre 2023 et, après avoir évalué l’offre de D______, rendre de nouvelles décisions d’adjudication et de non adjudication. L’instruction du présent recours devait donc être suspendue jusqu’à droit jugé sur le recours de D______ contre la décision d’exclusion. Il ne conclurait pas le contrat avec les adjudicataires et, partant, ne s’opposait pas à ce que l’effet suspensif soit octroyé dans la présente procédure jusqu’à ce qu’une décision exécutoire dans la procédure contre la décision d’exclusion soit rendue.

d. D______ a pris acte de la position de l’AIG. Elle ne s’opposait pas à l’octroi de l’effet suspensif dans la présente procédure conformément aux conclusions de A______ et ne voyait pas d’inconvénient à ce que l’instruction soit suspendue, tel que proposé par l’AIG.

e. A______ a conclu au rejet de la demande de suspension de la procédure. Ses arguments seront repris dans la partie en droit.

f. Le consortium F______ s’en est rapporté à justice s’agissant de la requête de suspension de la procédure et a conclu au rejet de la requête en octroi de l’effet suspensif. Ses arguments seront repris dans la partie en droit.

g. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif et suspension de la procédure.

EN DROIT

1.             Le recours, interjeté en temps utile devant l’autorité compétente, est prima facie recevable de ces points de vue, en application des art. 15 al. 2 de l’Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0) et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01).

2.             Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose.

3.             L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/217/2021 du 1er mars 2021 consid. 2 ; ATA/1170/2020 du 19 novembre 2020 consid. 3 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, 2010, 311-341, p. 317 n. 15).

4.             L’octroi de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics (arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 du 17 août 2018 consid. 5.2), et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/1170/2020 précité consid. 3).

5.             5.1 L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés et à transposer les obligations découlant de l’accord GATT/OMC ainsi que de l’accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre
ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 let. a et b AIMP).

5.2 Aux termes de l’art. 24 RMP, l’autorité adjudicatrice choisit des critères objectifs, vérifiables et pertinents par rapport au marché ; elle doit les énoncer clairement et par ordre d’importance au moment de l’appel d’offres.

En vertu de l’art. 43 RMP, l’évaluation des offres dans les procédures visées aux art. 12 à 14 RMP est faite selon les critères prédéfinis conformément à
l’art. 24 RMP et énumérés dans l’avis d’appel d’offres et/ou les documents d’appel d’offres (al. 1). Le résultat de l’évaluation des offres fait l’objet d’un tableau comparatif (al. 2). Le marché est adjugé au soumissionnaire ayant déposé l’offre économiquement la plus avantageuse, c’est-à-dire celle qui présente le meilleur rapport qualité/prix. Outre le prix, les critères suivants peuvent notamment être pris en considération : la qualité, les délais, l’adéquation aux besoins, le service
après-vente, l’esthétique, l’organisation, le respect de l’environnement (al. 3).

5.3 La jurisprudence reconnaît une grande liberté d’appréciation au pouvoir adjudicateur (ATF 141 II 353 consid. 3). Si elle substitue son pouvoir d'appréciation à celui de l'adjudicateur, l'autorité judiciaire juge en opportunité, ce qui est interdit tant par l'art. 16 al. 2 AIMP (ATF 141 II 14 consid. 2.3 in fine) que par l'art. 61 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA ‑ E 5 10). En outre, pour que le recours soit fondé, il faut encore que le résultat, considéré dans son ensemble, constitue un usage abusif ou excessif du pouvoir d’appréciation (ATF 143 II 120 consid. 7.2).

6.             6.1 Aux termes de l'art. 31 RMP, ne peuvent présenter d'offre les membres de l'autorité adjudicatrice qui participent à la préparation et à l'élaboration des documents d'appel d'offres ou aux procédures de passation des marchés publics (al. 1 let. a) ainsi que les mandataires qui assistent l'autorité adjudicatrice dans l'organisation de la procédure d'appel d'offres ou l'établissement des documents d'appel d'offres (al. 1 let. b). L'autorité adjudicatrice indique, dans les documents d'appel d'offres, si le prestataire ayant effectué une prestation préalable en lien avec le marché à adjuger peut présenter une offre et pour quels motifs (al. 2).

6.2 Il y a préimplication lorsqu'un soumissionnaire a participé à la procédure d'appel d'offres, par exemple en établissant les bases du projet, en élaborant les documents d'appel d'offres ou encore en fournissant au pouvoir adjudicateur des informations sur des données spécifiques techniques concernant les biens à acquérir (arrêt du Tribunal fédéral 2P.164/2004 du 25 janvier 2005 consid. 3.1 ; ATA/265/2022 du 15 mars 2022 consid. 3d et les références citées). Une telle préimplication est susceptible de porter atteinte au principe de l'égalité de traitement entre concurrents ; le soumissionnaire se trouvant dans une telle situation peut en effet être tenté d'influencer le pouvoir adjudicateur en ce sens que le nouveau marché soit configuré en fonction de son produit ou de sa prestation ; il peut aussi mettre à profit les connaissances acquises durant la préparation de la procédure de passation ou encore tenter d'influencer le pouvoir adjudicateur en se servant des contacts établis avec les personnes (arrêt du Tribunal fédéral 2P.164/2004 précité consid. 3.1).

6.3 Le seul fait qu'un soumissionnaire, en exécutant un mandat dans le cadre d'un projet déjà défini, s'est procuré des avantages qu'il peut mettre à profit lors de la mise au concours d'autres étapes du même projet, ne conduit pas nécessairement à son exclusion. Le principe de l'utilisation économique des deniers publics, qui doit être pris en compte à l'instar du principe de non-discrimination, peut même imposer d'exploiter de telles synergies, pour autant que les règles du droit des marchés soient respectées (arrêt du Tribunal fédéral 2P.164/2004 précité consid. 5.7.1). Il n'y a pas lieu d'exclure un soumissionnaire si l'avantage concurrentiel peut être compensé par le pouvoir adjudicateur. Que la préimplication entraîne un avantage concurrentiel est une présomption légale ; en revanche, établir qu'aucun avantage de ce type n'a été obtenu dans le cas d'espèce ou que l'avantage a été suffisamment compensé incombe, selon les circonstances, soit au pouvoir adjudicateur, soit au soumissionnaire préimpliqué (ATAF 2020 IV/6 consid. 3.1.3 et les références citées).

6.4 Selon la jurisprudence en matière de marchés publics fédéraux, lorsque le recourant bénéficiait de toutes les connaissances nécessaires au moment de l'appel d'offres pour contester la non-exclusion des entreprises concernées ou pour demander la compensation des avantages en cas d'études effectivement déjà menées par celles‑ci (ce qui est le cas lorsque l'appel d'offres précise quels soumissionnaires sont exclus pour cause de préimplication, quels soumissionnaires sont admis malgré leur préimplication et quelles sont les mesures de compensation), son grief est tardif s'il n'a pas fait recours contre l'appel d'offres (arrêt du Tribunal administratif fédéral B_255/2021 du 30 juin 2021 consid. 2.2).

7.             7.1 Selon l’art. 2 al. 1 L-AIMP, en cas de violation du droit des marchés publics, pendant la procédure d’adjudication ou l’exécution du contrat, l’autorité adjudicatrice peut infliger les sanctions et/ou ordonner les mesures suivantes : a) l’exclusion de la procédure ; b) la révocation de l’adjudication ; c) une amende administrative pouvant aller jusqu’à 10% du prix total du marché ; d) le rétablissement d’une situation conforme au droit ; la mesure est immédiatement exécutoire. En cas de violation des dispositions relatives à la protection des travailleurs, aux conditions de travail et à l’égalité de traitement entre femmes et hommes, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail peut en outre prononcer à l’encontre des entreprises en infraction les sanctions prévues par la loi sur l’inspection et les relations du travail, du 12 mars 2004 (LIRT – J 1 05 ; art. 2 al. 2 L-AIMP).

7.2 L’art. 42 RMP prévoit que l’offre est écartée d’office notamment lorsque le soumissionnaire ne répond pas ou plus aux conditions pour être admis à soumissionner (al. 1 let. b) ou qu’il fait l’objet, à la date du dépôt de l’offre ou en cours de procédure (al. 1 let. f) : d’une sanction entrée en force prononcée en application de l’art. 13 LTN (ch. 1) ou de l’art. 9 al. 2 let. b LDét (ch. 2) ou d’une mesure exécutoire prononcée en application de l’art. 45 al. 1 let. a ou c LIRT (ch. 3).

7.3 Statuant sur effet suspensif, l'autorité judiciaire peut procéder à un examen sommaire du droit et se contenter d'une analyse juridique globale (arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 précité consid. 4.4.1). Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu’un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 145 I 73 consid. 7.2.3.2 ; 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_516/2019 du 22 octobre 2019 consid. 2.2).

8.             La recourante a conclu à l’octroi de l’effet suspensif. L’AIG a acquiescé à cette conclusion, le soumissionnaire exclu ne s’y opposant pas. Le consortium adjudicataire s’y oppose.

8.1 Aux termes des art. 17 al. 1 de l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05) et 58 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01), le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose.

L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/217/2021 du 1er mars 2021 consid. 2 ; ATA/1170/2020 du 19 novembre 2020 consid. 3 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, Zurich 2010, pp. 311-341, p. 317 n. 15).

L’octroi de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics (arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 du 17 août 2018 consid. 5.2), et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/1170/2020 précité consid. 3).

Statuant sur effet suspensif, l'autorité judiciaire peut procéder à un examen sommaire du droit et se contenter d'une analyse juridique globale (arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 précité consid. 4.4.1).

8.2 En l’espèce, le recours est prima facie recevable.

Les chances de succès du recours ne sont, à première vue, pas manifestes. Un diagnostic positif prépondérant ne peut non plus être retenu. La chambre de céans a déjà eu l’occasion d’écarter, sur effet suspensif, et dans une analyse prima facie, le grief en lien avec les sanctions de la Banque Mondiale à l’encontre de deux sociétés associées à B______, en relevant que : « s’agissant du grief en lien avec les sanctions de la Banque Mondiale à l’encontre de deux sociétés associées à B______, les explications données par le pouvoir adjudicateur apparaiss[ai]ent à priori fondées. On ne vo[ya]it en effet pas que les CAAC aient pu se référer à une intégrité morale universelle, se référant bien plutôt à d’éventuelles sanctions prononcées en Suisse, et tant que le caractère géographiquement et temporellement lointain des faits que la gravité toute relative de la sanction qui y était associée ne plaid[ai]ent pas pour une exclusion de la présente procédure relative aux MEP ». L’identité des membres du jury et les personnes pré-impliquées étant, de prime abord, connues des soumissionnaires depuis le début de la procédure, la question de la tardiveté du grief relatif aux conflit d’intérêt pourrait, prima facie, se poser. Il n’est pas contesté que l’offre en tant que telle soit parvenue dans le délai fixé. Savoir comment traiter la question du temps mis à réceptionner les cartons d’annexes ne permet pas à elle seule d’infléchir l’analyse des chances de succès du recours, à l’instar du grief d’arbitraire dans l’évaluation de certains critères.

À teneur du communiqué de presse de l’AIG du 22 novembre 2023, l’investissement pour le présent marché est « estimé aujourd’hui à quelque 600 millions de francs ».

L’intérêt privé de la recourante à ce que le contrat puisse être conclu le plus rapidement possible est évident. Il existe de même un intérêt public important à ce que le marché puisse se concrétiser dans les meilleurs délais.

L’intérêt public à ce que la réglementation en matière de marchés publics soit scrupuleusement respectée, que les procédures judiciaires puissent entretenir entre elles un lien cohérent et une certaine coordination aux fins de garantir une saine administration de la justice, le respect du principe d’économie de procédure et éviter que des décisions de justice ne puissent être contradictoires, afin que le meilleur adjudicataire soit désigné pour des travaux d’une telle envergure est toutefois capital au vu de l’importance du marché et prime les intérêts privés précités ;

L’AIG ne s’oppose pas à l’octroi de l’effet suspensif au présent recours afin de traiter prioritairement celui interjeté par D______ contre son exclusion, relativisant ainsi l’urgence que les travaux soient entrepris. Il est évident que l’issue du recours contre la décision d’exclusion de D______ pourrait influencer la présente cause, dans l’hypothèse où cette dernière devait obtenir gain de cause et être réintégrée dans la procédure d’adjudication. À teneur de la recommandation d’adjudication des MEP, l’offre de D______ n’a pas été, en l’état, dûment évaluée, conformément à l’art. 42 al. 3 RMP, qui prévoit que les offres écartées ne sont pas évaluées.

Il convient en conséquence d’octroyer l’effet suspensif au recours.

9.             Le pouvoir adjudicateur conclu à la suspension de l’instruction de la présente cause. La recourante s’y oppose, le consortium adjudicataire s’en rapporte à justice alors que le soumissionnaire exclu n’y voit pas d’objection.

9.1 Une suspension au sens de l'art. 78 LPA n'est pas envisageable en l'espèce, faute d'accord des parties ou de réalisation de l'une des autres hypothèses de cette disposition.

9.2 Selon l’art. 14 al. 1 LPA, lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l’objet d’une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut, le cas échéant, être prononcée jusqu’à droit connu sur ces questions.

Cette disposition est une norme potestative et son texte clair ne prévoit pas la suspension systématique de la procédure chaque fois qu'une autorité civile, pénale ou administrative est parallèlement saisie (ATA/444/2023 du 26 avril 2023 consid. 3.1).

La suspension de la procédure ne peut pas être ordonnée chaque fois que la connaissance du jugement ou de la décision d’une autre autorité serait utile à l’autorité saisie, mais seulement lorsque cette connaissance est nécessaire parce que le sort de la procédure en dépend (ATA/630/2008 du 16 décembre 2008 consid. 5). Une procédure ne saurait dès lors être suspendue sans que l’autorité saisie ait examiné les moyens de droit qui justifieraient une solution du litige sans attendre la fin d’une autre procédure. Il serait en effet contraire à la plus élémentaire économie de procédure et à l’interdiction du déni de justice formel fondée sur l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. – RS 101) d’attendre la décision d’une autre autorité, même si celle-ci est susceptible de fournir une solution au litige, lorsque ledit litige peut être tranché sans délai sur la base d’autres motifs (ATA/812/2021 du 10 août 2021 consid. 2a ; ATA/1493/2019 précité consid. 3b).

9.3 Dans un premier argument, la recourante soutient qu’il serait douteux que la suspension puisse être prononcée au sens de l’art. 14 LPA, dès lors que la chambre de céans est en charge des trois procédures de recours et qu’il ne s’agirait pas d’une « autre autorité » au sens de la disposition précitée.

Tant la jurisprudence que la doctrine reconnaissent qu’il peut être fait application de cet article en cas de « contentieux de masse » (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, Berne 2017, n. 207 ad art. 14 LPA ; ATA/1257/2021 du 22 novembre 2021) devant la chambre de céans. La même solution s’applique a fortiori lorsque la chambre de céans est saisie, comme en l’espèce, de trois procédures.

Cette solution respecte le principe d’économie de procédure. Elle est conforme à une saine administration de la justice et respecte le principe de coordination des procédures. En effet, si D______ devait obtenir gain de cause dans le recours contre son exclusion, la décision dont est présentement recours serait annulée. Une nouvelle évaluation des offres serait alors effectuée avec pour corollaire une nouvelle décision d’adjudication dont pourrait, par hypothèse, être bénéficiaire A______.

9.4 Dans un second argument, A______ relève que le sort de la présente procédure ne dépendrait pas de l’issue de la procédure de recours contre la décision d’exclusion de D______. La présente procédure ne deviendrait pas sans objet et, partant, la cause ne serait pas rayée du rôle du fait de l’annulation de la décision d’exclusion de D______. Si, certes, dans ce cas, l’AIG serait amené à révoquer la décision d’adjudication et en rendre une nouvelle, celle‑ci dépendrait du sort de la présente procédure, puisqu’en cas d’admission du présent recours, la candidature du consortium F______ serait exclue et l’offre de A______ devrait à nouveau être évaluée. Il ne ferait ainsi aucun sens de rendre une nouvelle décision d’adjudication sans connaître l’issue de la présente procédure. Dans ces circonstances, il appartiendrait au pouvoir adjudicateur, par souci d’économie de procédure et pour éviter des décisions contradictoires, de suspendre la procédure, respectivement de surseoir à rendre la décision de nouvelle adjudication jusqu’à ce que la chambre de céans ait statué sur le recours interjeté par A______. Même si l’AIG devait rendre une nouvelle décision d’adjudication n’attribuant pas le marché à A______ avant qu’il ne soit statué sur le présent recours, la chambre administrative devrait décider de continuer à traiter le recours à moins que l’AIG n’ait dans l’intervalle exclu la candidature des adjudicataires, remplacé les membres du jury et les experts qui devaient faire l’objet d’une récusation et procédé à une nouvelle évaluation de A______ dénuée d’arbitraire. Dans cette hypothèse A______ recourrait contre la nouvelle décision et requerrait la jonction des causes eu égard au principe selon lequel le prononcé de décisions contradictoires doit être évité. Le sort de la procédure de recours, initiée par A______, ne dépendant pas de l’annulation de l’exclusion de D______, la demande de suspension de l’AIG semblait être motivée uniquement par la volonté de « se dégager du temps » pour répondre aux différents recours. L’AIG devait assumer son choix de superposer les deux délais de recours. La requête du pouvoir adjudicateur relevait de l’abus de droit.

La recourante ne peut être suivie, pour les mêmes motifs que ceux précédemment invoqués, principalement le fait qu’en cas d’admission du recours déposé contre la décision d’exclusion, l’adjudication au consortium F______ serait annulée et une nouvelle décision devrait être rendue et pourrait, par hypothèse, être favorable à A______. L’hypothèse évoquée par la recourante, soit qu’à nouveau elle n’obtienne pas le marché et que les griefs présentement invoqués restent pertinents, ne peut être exclue. Elle ne suffit cependant pas à rejeter la demande de suspension de la procédure et à justifier le bien-fondé de l’instruction immédiate du présent recours. En effet, rien n’établit en l’état que les griefs présentement invoqués resteront pertinents dans l’hypothèse d’un recours contre la nouvelle décision de non adjudication, dont il ne peut être exclu que certaines modalités évoluent.

En conséquence, dans l’attente de l’issue de la procédure A/3755/2023 dirigée contre la décision d’exclusion, la présente cause sera suspendue en application de l’art. 14 LPA.

10.         Les écritures au fond versées à la procédure par les deux parties le 14 décembre 2023 sont transmises par pli séparé à l’instar d’un échange de deux courriers, des 22 décembre 2023 et 9 janvier 2024, relatifs à une demande de révocation formulée à l’AIG.

11.         Le sort des frais sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

octroye l’effet suspensif au recours ;

transmet les écritures au fond de l’Aéroport international de Genève et de B______ SA et C______ du 14 décembre 2023 et les courriers des 22 décembre 2023 et 9 janvier 2024 ;

prononce la suspension de la présente procédure jusqu’à droit jugé dans la procédure A/3755/2023 ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

si elle soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Mes Paul HANNA et Baptiste LANINI, avocats de la recourante, à Mes Amanda BURNAND SULMONI et Yves JEANRENAUD, avocats de B______ SA et C______, à Me Jean‑Yves REBORD, avocat de D______, ainsi qu'à Me Nicolas WISARD, avocat de l'Aéroport international de Genève.

 

 

 

Le président

 

 

C. MASCOTTO

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :