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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3382/2022

ATA/1305/2023 du 05.12.2023 sur JTAPI/856/2023 ( LCI ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3382/2022-LCI ATA/1305/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 décembre 2023

3ème section

 

dans la cause

 

A______, B______, C______ et D______, E______ et F______ recourants
représentés par Me Nathalie BÜRGISSER SCHEURLEN, avocate

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 août 2023 (JTAPI/856/2023)


EN FAIT

A. a. A______, B______, C______ et D______, E______ et F______ (ci-après : les copropriétaires), membres de l’hoirie de feue G______, sont copropriétaires de la parcelle n° 7’383 de la commune de H______, sise en zone agricole, d’une surface de 3’772 m2.

b. Le 28 juin 2022, par le biais d’une notaire, ils ont sollicité que ladite parcelle soit désassujettie à la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11).

c. Le 7 juillet 2022, la commission foncière agricole (ci-après : CFA) a transmis son ordonnance préparatoire du 5 juillet 2022 au département du territoire (ci‑après : le département) pour décision au sens de l’art. 4a de l’ordonnance sur le droit foncier rural du 4 octobre 1993 (ODFR - RS 211.412.110).

Aucun transport sur place n’a été effectué par la CFA.

d. Le 13 juillet 2022, le département a informé la notaire précitée qu’il allait procéder aux vérifications d’usage, établir un constat des constructions et installations existantes et vérifier les informations recueillies en relation avec ses archives. Au terme de l’instruction, lors de laquelle les copropriétaires pourraient, cas échéant, être entendus, une décision serait rendue sur la légalité de la situation constatée. S’il devait être constaté que des constructions ou installations étaient illégales, des mesures visant à rétablir une situation conforme au droit pourraient être prises.

e. Le 18 août 2022, une collaboratrice du département a effectué un constat sur place en présence de E______, documenté par six photographies.

f. Par décision du 9 septembre 2022, le département s’est déterminé au sens de l’art. 4a ODFR et a ouvert la procédure d’infraction I-8’266.

Il résultait du dossier établi par la CFA, de ses propres archives, du compte-rendu du procès-verbal constatatoire du 5 juillet 2022 et de la visite sur place du 18 août 2022 la présence de dix constructions ou installations sur la parcelle. Certaines avaient été construites avant toute législation en matière d’aménagement du territoire (objets A et C), une avait été autorisée (objet F) et d’autres ne pouvaient être définies comme relevant d’une situation non conforme, au vu du dossier DD 2______, détruit, et étaient par conséquent tolérées (objets B, D, G, H, I et J).

En revanche, l’abri n° 1______, l’annexe et le couvert (objet E) situés au centre, le long de la limite sud de la parcelle, d’une surface totale d’environ 45 m2, n’avaient pas été autorisés et dataient des années 1960 selon E______. L’abri était visible sur la photo aérienne dès 1972, tandis que l’annexe et le couvert avaient été réalisés, selon les photos aériennes, entre 1983 et 2001.

Dans la mesure où le dépôt d’une demande d’autorisation de construire en vue de les régulariser serait superfétatoire, le département a ordonné aux copropriétaires de rétablir, d’ici au 4 novembre 2022, une situation conforme au droit en procédant à la suppression et l’évacuation des constructions répertoriées sous la lettre E, ainsi qu’à la remise en état du terrain naturel, reportage photographique ou tout autre élément attestant de manière univoque de la remise en état à l’appui. Une sanction administrative était réservée.

Au cas où ils considéraient que leur droit d’être entendus n’avait pas été totalement respecté, il leur était loisible de lui communiquer par écrit, dans un délai de dix jours, tout complément d’explication et/ou d’observations quant aux faits relevés.

Le département a joint à sa décision des photographies de la parcelle situant les objets répertoriés, dont une aérienne. Les constructions répertoriées sous la lettre E apparaissaient sur les photographies nos 4 et 17 et étaient localisées au moyen de la lettre E sur la photographie aérienne de la parcelle.

B. a. Le 21 septembre 2022, les copropriétaires ont contesté cette décision, laquelle violait leur droit d’être entendus et était incompréhensible. Ils ont conclu à son annulation et requis des compléments d’informations.

b. Le 10 octobre 2022, le département a informé les copropriétaires qu’il maintenait les termes de sa décision dans leur intégralité. Au vu de son contenu et pour raison de compétence, leur lettre était communiquée au Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

C. a. Par acte du 11 octobre 2022, les copropriétaires ont interjeté recours auprès du TAPI contre la décision du 9 septembre 2022, concluant à son annulation.

Selon une phrase manifestement « type », le département leur avait fait savoir qu’ils disposaient d’un délai de dix jours pour lui adresser des observations écrites. Dans la mesure où la décision indiquait que les constructions à supprimer avaient une surface totale d’environ 45 m2 et que celle-ci était sans commune mesure avec les constructions qui semblaient visées, ils avaient sollicité des éclaircissements, mais leur courrier du 21 septembre 2022 était resté lettre morte. Ils n’avaient pas été interpellés avant que la décision querellée ne soit prise. De telles violations de leur droit d’être entendus ne pouvaient être réparées devant le TAPI.

De plus, la décision présentait un défaut de motivation, dès lors qu’il était impossible de discerner non seulement les attentes du département, mais également les motifs ayant guidé sa décision.

b. Le 14 décembre 2022, les copropriétaires ont fait valoir devant le TAPI que le courrier du département du 10 octobre 2022, reçu alors qu’ils avaient déjà déposé leur recours, ne répondait nullement à leur demande d’éclaircissement.

c. Le département a conclu au rejet du recours.

Les copropriétaires avaient pu s’exprimer avant que la décision litigieuse ne leur soit adressée, tant dans le cadre de la requête en désasujettissement à la LDFR – étant rappelé que dans une procédure initiée sur requête d’un administré, celui-ci était censé motiver sa requête en apportant tous les éléments pertinents et qu’il n’avait pas un droit à être encore entendu par l’autorité avant que celle-ci ne prenne sa décision – que lors de la visite sur place du 18 août 2022 à l’occasion de laquelle E______ avait pu faire valoir des observations, particulièrement quant à la date de construction des bâtiments présents. En outre, ils avaient eu la possibilité, dans un délai de dix jours, de faire valoir d’éventuelles observations supplémentaires s’ils estimaient devoir le faire, ce qu’ils avaient d’ailleurs fait le 21 septembre 2022. En tout état, même à considérer qu’il y aurait eu un vice en matière du droit d’être entendu, celui-ci s’avérerait avoir été valablement réparé par le biais du recours déposé devant le TAPI.

Il ressortait de l’acte de recours que les recourants savaient pertinemment sur quels éléments l’ordre de remise en état portait, puisqu’ils citaient l’abri en cause et avançaient des précisions quant à son année de construction. La décision indiquait que lesdites installations concernées avaient été construites et/ou modifiées sans autorisation, soit en infraction à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) et faisait référence aux art. 129 ss LCI.

En tout état, la remise en état s’avérait pleinement fondée. La question essentielle n’était pas de savoir si les objets litigieux existaient avant le 1er juillet 1972, ce qui n’était au demeurant pas le cas du couvert et de l’annexe, mais de déterminer s’ils avaient été construits ou modifiés conformément au droit matériel en vigueur à l’époque, à savoir avant que les parcelles ne soient attribuées à un territoire inconstructible. Or, tel n’était pas le cas. Aucune autorisation de construire n’avait été délivrée pour les objets litigieux alors que la LCI exigeait, tant dans sa teneur du 27 avril 1940 que dans celle du 25 mars 1961, qu’aucun travail ne soit entrepris avant l’octroi d’une autorisation. Dès lors, il ne saurait être retenu une quelconque situation acquise au sens de l’art. 24c de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700) qui justifierait leur maintien. Enfin, la prescription trentenaire ne trouvait pas application pour les constructions illégales situées hors de la zone à bâtir.

d. Par réplique du 6 février 2023, les copropriétaires ont formé des conclusions « très subsidiaires ».

Ils n’avaient pas pu faire valoir leur droit d’être entendus dans le cadre de la requête en désassujettissement à la LDFR, puisqu’un ordre de démolition n’était alors pas même envisagé. Lors de la visite sur place du 18 août 2022, E______ avait répondu à certaines questions s’agissant de la date de construction des installations présentes, mais n’avait pas pu faire valoir des arguments sur le fond. Le procès-verbal de cette visite attestait qu’elle n’avait pas été interrogée au sujet de la légalité des installations édifiées sur la parcelle. Elle n’avait pas non plus été informée que le département se heurtait à un dossier d’autorisation détruit dans l’intervalle.

L’autorité intimée leur avait adressé un courrier type la veille du délai de recours pour exposer, sans autre, qu’elle persistait intégralement dans sa décision.

Le couvert litigieux avait été démoli en octobre 2022, de sorte que l’ordre de remise en état y relatif n’avait plus d’objet. L’abri n° 1______, de 6 m2, avait été érigé avant le 1er juillet 1972, plus précisément dans la deuxième moitié des années 1960, en même temps que les autres constructions/installations listées. Le département ne démontrait pas que cet abri n’aurait pas été autorisé. Alors qu’il considérait qu’au vu de la destruction du dossier DD 2______, les objets B, D, G, H, I et J, construits, de 1967 à 1969, ne pouvaient pas être définis comme relevant d’une situation non conforme au droit, il excluait de ce raisonnement, arbitrairement et sans aucune explication, l’abri litigieux. En outre, la parcelle n’ayant plus aucun usage agricole dans les années 1960, la question se posait de savoir s’il était certain que l’abri litigieux devait impérativement, en 1967, faire l’objet d’une autorisation, notamment au regard de sa surface de quelques mètres carrés. Enfin, il fallait tenir compte du fait que le Parlement fédéral avait adopté une motion visant à introduire un délai de prescription de trente ans pour les bâtiments construits illégalement hors des zones à bâtir. Cet ordre de remise en état violait aussi le principe de proportionnalité.

Par souci de pragmatisme, attendu qu’ils avaient un besoin impérieux de vendre leur bien et que la présente procédure leur portait préjudice, puisqu’elle retardait la procédure indispensable de désassujettisement pour de mauvaises raisons, ils ne verraient pas d’inconvénient à ce que l’ordre de remise en état de l’abri litigieux soit simplement suspendu dans l’attente du résultat inhérent à la motion parlementaire d’ores et déjà actée, le cas échéant sous la garantie d’une mention au registre foncier afin d’être opposable à un tiers acheteur, à la condition que la procédure de désassujettisement puisse suivre son cours.

e. Dans sa duplique, le département a relevé que les copropriétaires, vu son courrier du 13 juillet 2022, étaient informés que la visite sur place viserait à vérifier la légalité des constructions existantes et que des mesures pourraient être prises à sa suite. Le droit d’être entendu ne conférait pas celui de se prononcer au préalable sur les mesures administratives que l’autorité prévoyait d’ordonner, mais uniquement d’être entendu sur la situation du cas d’espèce.

Aucune autorisation de construire n’avait été délivrée pour l’abri ; il n’en avait aucune trace et la preuve en incombait aux copropriétaires.

S’agissant des objets B, D, G, H, I et J, il avait fait preuve d’une certaine souplesse au regard de la destruction de l’autorisation de construire DD 2______ et du fait que les six objets en question dataient, selon explications et photographies apportées par E______, de la même période (1967 et 1969). En revanche, l’abri litigieux n’y figurait pas et E______ avait indiqué que sa construction ne datait pas de ces années. Partant, il se justifiait de considérer qu’il n’était pas en lien avec les autres constructions et de ne pas le mettre au profit de la DD 2______.

S’agissant de la motion parlementaire, il n’y avait pas lieu d’appliquer de manière anticipée une disposition légale dont l’adoption n’était au demeurant pas sûre. L’ordre de remise en état se justifiait vu le principe de la séparation de l’espace bâti et non bâti, étant relevé que même si la parcelle n’était pas exploitée à des fins agricoles et si une procédure de désassujettissement à la LDFR avait été initiée, il n’en demeurait pas moins qu’elle conservait son affectation agricole. Le principe de proportionnalité était respecté.

f. Les copropriétaires ont ajouté qu’il résultait de la décision entreprise que E______ avait indiqué que l’abri n° 1______ datait des années 1960 et les photographies aériennes historiques attestaient qu’il avait été érigé entre 1968 et 1972.

g. Le TAPI a, par jugement du 17 août 2023, rejeté le recours.

Les conclusions « très subsidiaires » formées dans la réplique du 6 février 2023 étaient tardives et partant irrecevables.

Les copropriétaires n’avaient pas sollicité la régularisation des constructions/installations sises sur leur parcelle, mais requis leur désassujettissement à la LDFR. Dès lors, il ne pouvait être retenu qu’ils étaient censés apporter tous les éléments pertinents et qu’ils n’avaient pas un droit à être entendus avant la prise de décision. Ils n’avaient nullement besoin de se prononcer sur la légalité desdites constructions/installations dans le cadre de leur demande de désassujettissement.

Il n’en découlait toutefois pas que leur droit d’être entendus avait été violé. En effet, ils avaient été informés, par courrier du 13 juillet 2022, de la suite de la procédure initiée par-devant la CFA, et en particulier du fait que le département allait se prononcer sur la légalité de la situation qui serait constatée et que si des constructions ou des installations étaient illégales, des mesures visant à rétablir une situation conforme au droit seraient prises. Ainsi, assistés par une notaire, selon leurs propres termes, expérimentée, ils savaient que le département se prononcerait sur ce point et devaient se préparer à fournir des explications en la matière. Ils avaient d’ailleurs eu l’occasion sur place, le 18 août 2022, de se prononcer à ce sujet, en particulier sur la date de construction de l’abri litigieux. Certes, ils ignoraient à cette date que le département retiendrait que ledit abri devrait être supprimé, mais cela n’avait pas pour effet que leur droit d’être entendus avait été violé puisqu’ils ne devaient pas être informés du contenu effectif de la future décision et qu’ils savaient que celle-ci concernerait la licéité ou l’illicéité des constructions/ installations sises sur leur parcelle.

En tout état, une éventuelle violation de leur droit d’être entendus avait pu être réparée devant le TAPI.

La décision querellée mentionnait les dispositions légales applicables et le motif sur lesquelles elle se fondait, à savoir la réalisation de diverses constructions/installations sans autorisation, qu’elle listait avec suffisamment de détails pour qu’elles soient identifiables. Au demeurant, la simple lecture du recours suffisait à démontrer que les copropriétaires avaient saisi le sens et la portée de la décision, ce qui leur avait permis d’exercer leur droit de recours à bon escient. Ils avaient de plus eu l’occasion de prendre connaissance des arguments développés par le département dans sa réponse au recours et de répliquer, de sorte qu’une éventuelle violation de leur droit d’être entendus sous l’angle d’une absence de motivation aurait amplement été réparée dans le cadre de la présente procédure.

D. a. Les copropriétaires ont formé recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre le jugement du TAPI par acte déposé le 20 septembre 2023. Ils ont conclu à l’annulation dudit jugement et partant de la décision du département du 9 septembre 2022.

Ils ont notamment développé leur argumentation en lien avec la violation de leur droit d’être entendus et fait référence à l’arrêt ATA/1000/2023 du 12 septembre 2023 traitant selon eux une situation similaire.

b. Le département a conclu au rejet du recours.

S’agissant de l’arrêt ATA/1000/2023 précité, non seulement il ne partageait pas la position de la chambre administrative qui allait à l’encontre de la jurisprudence constante en matière de droit d’être entendu et de réparation d’un éventuel vice, mais il s’avérait surtout que la situation présente n’était pas strictement similaire au cas tranché dans ledit arrêt. Dans la présente procédure, les copropriétaires, par le biais de l’une d’entre eux présente sur les lieux lors du transport sur place avait sans aucun doute possible pu se préparer sur la question de la légalité des constructions et se déterminer à ce propos en produisant même des photographies.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Dans un premier grief, les recourants se plaignent d’une violation de leur droit d’être entendus.

2.1 Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l'autorité de recours n'est pas possible, l'annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 144 I 11 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_485/2022 du 24 mars 2023 consid. 4.2). Ce moyen doit par conséquent être examiné en premier lieu (ATF 141 V 495 consid. 2.2). Sa portée est déterminée d'abord par le droit cantonal (art. 41 ss LPA) et le droit administratif spécial (ATF 126 I 15 consid. 2 ; 125 I 257 consid. 3a et les références). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Constitution qui s’appliquent (art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.1 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, pp. 518-519 n. 1526). Quant à l'art. 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), il n'accorde pas au justiciable de garanties plus étendues que celles découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. (arrêt du Tribunal fédéral 4P.206/2005 du 11 novembre 2005 consid. 2.1 et les références).

2.2 Tel qu’il est garanti par cette dernière disposition, le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 148 II 73 consid. 7.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_700/2022 du 28 novembre 2022
consid. 3 et les références ; ATA/949/2021 du 14 septembre 2021 consid. 5a et les références).

2.3  Une décision entreprise pour violation du droit d’être entendu n’est pas nulle mais annulable (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_31/2021 du 16 juillet 2021 consid. 2.1 ; ATA/547/2021 du 25 mai 2021 consid. 6a et les références). En effet, selon un principe général, la nullité d'un acte commis en violation de la loi doit résulter ou bien d'une disposition légale expresse, ou bien du sens et du but de la norme en question (ATF 122 I 97 consid. 3a ; 119 II 147 consid. 4a et les références). En d'autres termes, il n'y a lieu d'admettre la nullité, hormis les cas expressément prévus par la loi, qu'à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d'annulabilité n'offre manifestement pas la protection nécessaire (ATF 138 III 49 consid. 4.4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_160/2017 du 3 octobre 2017 consid. 5.1 ; ATA/547/2021 du 9 juillet 2021 consid. 6a et les références). Ainsi, d'après la jurisprudence, la nullité d'une décision n'est admise que si le vice dont elle est entachée est particulièrement grave, est manifeste ou du moins facilement décelable et si, en outre, la constatation de la nullité ne met pas sérieusement en danger la sécurité du droit. Des vices de fond n'entraînent qu'à de rares exceptions la nullité d'une décision ; en revanche, de graves vices de procédure, ainsi que l'incompétence qualifiée de l'autorité qui a rendu la décision sont des motifs de nullité (ATF 144 IV 362 consid. 1.4.3 ; 139 II 243 consid. 11.2).

2.4 La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_31/2021 du 16 juillet 2021 consid. 2.1 ; ATA/949/2021 du 14 septembre 2021 consid. 5b et les arrêts cités ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 322 ch. 2.2.7.4 et p. 362 ch. 2.3.3.1; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, p. 526 s. n. 1553 s.). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_66/2022 du 8 décembre 2022 consid. 3.2) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_31/2021 du 16 juillet 2021 consid. 2.1 ; ATA/949/2021 du 14 septembre 2021 consid. 5b et les références). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/949/2021 du 14 septembre 2021 consid. 5b et les références).

2.5 En l’espèce, le département a prononcé la décision querellée le 9 septembre 2022, a dûment mentionné la voie et le délai de recours, tout en offrant, dans le même document, la possibilité de transmettre un complément d’explications et/ou d’observations quant aux faits dans un délai de dix jours « si vous estimez que votre droit d’être entendu n’a pas été totalement respecté. »

Le département considère que le droit d’être entendu du propriétaire a été respecté par la visite effectuée sur place le 18 août 2022. Aucune pièce au dossier n’indique le contenu de cette visite, notamment ce qui s’y est dit, en présence d’une seule des copropriétaires de la parcelle concernée. Aucun procès-verbal n’a été versé à la procédure, voire peut-être même établi. La visite a servi à réaliser six photographies de petite taille tenant sur une page de format A4, jointe au dossier. Il ressort par ailleurs de la décision querellée que les copropriétaires ont transmis des informations sur les dates de construction de certains des objets concernés.

La décision litigieuse constate que sur les dix installations présentes sur la parcelle, seul l’objet E, à savoir l’abri n° 1______, une annexe et un couvert, n’a pas été autorisé. Aucun élément de la procédure ne permet de déterminer si ce constat a été communiqué aux copropriétaires avant la décision du 9 septembre 2022. Cette dernière fait d’ailleurs état de « recherches effectuées dans les archives du département », sans qu’il ne soit non plus indiqué si leur résultat a été transmis aux copropriétaires, si oui quand et si ces derniers ont eu la possibilité de se déterminer sur leur contenu. Il ne peut dès lors être retenu que la réunion du 18 août 2022 offrait aux copropriétaire la possibilité de faire valablement valoir leur droit d’être entendus, ni que ceux-ci ont pu s’exprimer sur l’ordre de remise en état de l’objet prétendument non autorisé, dont il ne subsiste au demeurant plus que l’abri à ce jour, avant que ne soit rendue la décision litigieuse.

Les courriers des 21 septembre 2022, des recourants, et la fin de non-recevoir du département du 10 octobre 2022, sont pour leur part postérieurs à la décision querellée.

Or, la définition du droit d’être entendu comprend précisément, notamment, le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise et celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision.

La façon de procéder du département, par laquelle la notification d’une décision vaut dies a quo tout à la fois des délais de recours et d’exercice du droit d’être entendu viole gravement la définition même dudit droit, ce que la chambre de céans a récemment constaté dans l’arrêt ATA/1000/2023. Le département ne saurait être suivi dans sa critique dudit arrêt. Si certes une violations du droit d’être entendu peut dans certains cas être réparée dans la procédure judiciaire, tel n’est pas le cas lorsque la violation est grave, comme en l’espèce, et que le renvoi ne constituerait pas une vaine formalité avec pour conséquence un allongement inutile de la procédure.

Conformément à cet arrêt, au vu de la gravité de la violation, du fait que l’autorité de recours ne dispose pas de la compétence d’apprécier l’opportunité de la décision attaquée, celle-ci sera annulée et le dossier retourné au département afin qu’il examine notamment l’opportunité d’éviter une procédure en justice par une discussion entre les parties, s’agissant désormais de la présence d’un abri de 6 m 2, certes en zone agricole, voire qu’il octroie au propriétaire un délai pour que celui-ci puisse exercer son droit d’être entendu avant qu’une décision ne soit prise. Dans ces conditions, ce renvoi n’apparait pas une vaine formalité.

Le recours sera en conséquence admis et la décision annulée.

3.             Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée solidairement aux recourants, à la charge de l’État de Genève, département du territoire (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 septembre 2023 par A______, B______, C______ et D______, E______ et F______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 août 2023 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 août 2023 ;

annule la décision du département du territoire du 9 septembre 2022 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______, B______, C______ et D______, E______ et F______, pris solidairement, une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la charge de l’État de Genève, département du territoire ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nathalie BÜRGISSER SCHEURLEN, avocate des recourants, au département du territoire-OAC, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Verena PEDRAZZINI RIZZI, Valérie LAUBER, juges

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. WERFFELI BASTIANELLI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :