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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2120/2022

ATA/1332/2023 du 12.12.2023 sur JTAPI/692/2023 ( LDTR ) , ADMIS

Recours TF déposé le 31.01.2024, 1C_74/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2120/2022-LDTR ATA/1332/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 décembre 2023

 

dans la cause

 

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC recourant

contre

A______
représentée par Me Christian TAMISIER, avocat

et

B______ intimés

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 juin 2023 (JTAPI/692/2023)


EN FAIT

A. a. Le 24 février 2022, A______ (ci-après : A______) a déposé auprès du département du territoire (ci-après : le département) une demande d'autorisation de construire en procédure accélérée (ci‑après : APA) portant sur la réunion de deux appartements en propriété par étages, l'un de cinq pièces, d’une surface brute de plancher (ci-après : SBP) de 262 m² (lot n° 3.01 ; propriété et occupé par B______) et l'autre de trois pièces en duplex, d’une surface brute de plancher de 156 m² (lots nos 3.03 et 4.03 ; propriétés de A______), situés au 1, rue C______ à Genève. L’immeuble en question se trouve en zone d’affectation 2.

Cette opération devait permettre à B______ de bénéficier d'un appartement de sept à huit pièces.

b. Dans le cadre de l'instruction de la requête, l’office cantonal du logement et de la planification foncière (OCLPF – service LDTR) a, le 14 avril 2022, préavisé défavorablement ce projet considérant qu'il n'entrait dans aucun des motifs prévus à l'art. 9 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20). Les deux logements avaient, individuellement, une bonne habitabilité et un bon standard.

c. Par décision du 27 mai 2022, le département, se fondant sur le préavis précité, a refusé de délivrer l'autorisation de construire sollicitée.

B. a. Par acte du 27 juin 2022, A______ a saisi le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) d'un recours contre cette décision.

De par leur loyer et leur caractère luxueux, les appartements en question n'entraient pas dans la catégorie des logements répondant aux besoins prépondérants de la population que la LDTR entendait protéger. Considérant notamment les charges de copropriété, les loyers applicables n'étaient pas accessibles à la majorité de la population mais plutôt à des personnes particulièrement fortunées.

b. Le département a conclu au rejet du recours.

Dans un arrêt isolé, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) avait indiqué que seuls les logements répondant aux besoins prépondérants de la population étaient protégés, ce qui excluait les logements dits de luxe (ATA/1736/2019 du 3 décembre 2019 consid. 7 et références), ainsi que ceux pour lesquels ne sévissait pas de pénurie de logements, au sens de l'arrêté déterminant les catégories de logements où sévissait la pénurie en vue de l’application des art. 25 à 39 LDTR du 12 janvier 2022 (ArAppart – L 5 20.03). Cette position ne correspondait pas aux dispositions légales applicables en la matière. S'agissant du champ d'application de la LDTR (art. 2), ces biens immobiliers n'étaient pas exclus. L’art. 10 al. 2 LDTR précisait clairement que seul le contrôle des loyers ne pouvait pas leur être imposé lorsqu’ils dépassaient d'au moins deux fois et demi les besoins prépondérants de la population. Rien dans les travaux préparatoires ne permettait d'affirmer que le législateur aurait voulu exclure les logements de luxe de l'application de la LDTR.

En tout état, les logements en question ne pouvaient être considérés comme étant de luxe. Si leurs SBP étaient généreuses, ce critère n'était à lui seul pas déterminant. Il fallait de plus prendre en considération le nombre de pièces proposées, cinq pour le lot 3.01, respectivement, trois pour les lots 3.03 et 4.03 avec des chambres de taille relativement standard (un peu plus de 20 m²). Rien dans le dossier ne permettait de considérer que ces logements auraient été aménagés avec des matériaux particulièrement somptuaires voire de très haut de gamme. Le quartier dans lequel ils se situaient était plutôt populaire (hormis la présence d'un hôtel de luxe à proximité) et ils n'offraient pas de vue majestueuse sur le lac, sur la rade ou sur les montagnes.

L'art. 9 LDTR était applicable. La chambre administrative avait rappelé que la délivrance d'une autorisation de réunir deux logements violait cette disposition car elle soustrayait du marché locatif deux appartements correspondant aux besoins prépondérants de la population pour créer un appartement unique destiné à être occupé par une seule famille. Des motifs relevant de la convenance personnelle ne pouvaient primer l'intérêt public.

c. Dans sa réplique, A______ a relevé que l'immeuble était situé à proximité immédiate du lac et de plusieurs hôtels luxueux. Les équipements et niveaux de finition du bâtiment et des appartements attestaient de leur caractère particulièrement luxueux. L'immeuble était doté d'un système de sécurité élevé, avec plusieurs dizaines de caméras. Le vaste hall d'entrée comprenait un système de conciergerie 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, assimilable à celui d'un hôtel de grand luxe. Les logements étaient desservis par deux ascenseurs, la plupart reliés directement au parking souterrain. Les boiseries, parquets et revêtements muraux présentaient des matériaux hors normes. L'équipement des cuisines et des salles de bains était de très haut de gamme. Les appartements étaient tous dotés d'un système de domotique perfectionné. Certains, à l'instar de l'un des deux objets litigieux, étaient bénéficiaires d'une double hauteur. La surface considérable des logements dépassait largement les standards usuels. Le montant des charges relatives aux deux appartements (CHF 17'460.- par an pour le n° 1.22 et CHF 48'156.- par an pour le n° 1.1, hors charges de chauffage et de production d'eau chaude) démontrait clairement qu'ils se situeraient, s'ils étaient sur le marché de la location, dans une gamme de prix nettement supérieure à celle que pouvait payer la grande majorité de la population. Un prix élevé était d'ailleurs, dans l'immobilier comme dans d'autres domaines, la principale condition à la qualification de luxe.

d. Le 28 mars 2023, le TAPI a procédé à un transport sur place. De nombreuses photographies ont été prises à cette occasion.

Il a pu constater que le sol du vaste hall d'entrée était recouvert de dalles, imitation bois. Les parois en béton ciré étaient ornées de tableaux. Une large réception occupait une partie du hall, dévolue au service de conciergerie, une autre partie comptant un salon de réception et des WC pour les visiteurs. Il donnait sur un patio présentant une pièce d'eau et un îlot central végétalisé.

Selon l’'administrateur de A______, le nouvel immeuble sis 3, rue C______, était locatif et comportait douze appartements assujettis à la LDTR. Celui sis au n° 1 comptait 25 appartements en propriété par étage (ci-après : PPE), de standard élevé (domotique, conciergerie, etc.).

Le TAPI a constaté la présence d’une salle de sport équipée de divers engins. Une clé électronique donnait accès au parking s'étendant sur toute la surface du sous-sol et disposant de caméras de sécurité. Chaque place de parc était équipée d'une borne électrique. Les véhicules stationnés étaient de haut de gamme, voire de luxe.

L’accès au 5ème étage dans un appartement inoccupé, de même configuration que celui occupé par B______, se faisait directement par l'ascenseur. L'appartement, d'une surface de 270,5 m², balcon compris, donnait sur la rue C______ et était totalement insonorisé. À gauche de l'entrée se trouvait une grande surface prévue pour un living room et l'espace cuisine. Toute la longueur, 14,5 m, était bordée de larges baies vitrées donnant sur un balcon de la même longueur, équipé de brise-soleil électriques. Le parquet était en chêne teinté. La cuisine était composée d'un îlot central de marque BOFFI et entièrement équipée (four, four à vapeur, réfrigérateur, congélateur, cave à vin, lave-vaisselle). L'évier était moulé dans la masse. Un système d'alarme était installé dans le living. La domotique permettait de gérer l'ouverture des stores, l'éclairage - constitué de spots intégrés dans le plafond - et le chauffage au sol. Un accès WIFI séparé pour les invités était prévu. Le chauffage était alimenté par des pompes à chaleur et des panneaux solaires.

Selon l’administrateur de A______, les charges globales de l'immeuble s'élevaient à environ CHF 1'000'000.- quand bien même la consommation d'électricité était moindre compte tenu de la performance énergétique des équipements.

L'espace attenant comprenait un WC pour les visiteurs, des placards visiteurs, des étagères et espaces de rangement où pouvaient prendre place une bibliothèque, un espace télévision ou un bureau. L'appartement disposait d'une buanderie équipée (lave-linge et séchoir).

Les trois chambres à coucher comprenaient des placards intégrés, sur mesure, permettant notamment l'installation d'une télévision, et chacune une salle de bains privative. Celle de la première chambre était équipée d'une baignoire, d'une douche à l'italienne et de lavabos BOFFI. Une télévision était installée au-dessus de la baignoire. Le sol était en ardoises et les parois en marbre de Carrare. Une paroi vitrée séparait la chambre à coucher de la salle de bains.

La deuxième chambre à coucher, légèrement plus petite que la première, donnait sur un balcon, équipé de pare-soleil (claustra) verticaux et coulissants. La chambre possédait sa propre salle de bains, du même designer, comprenant une baignoire, deux lavabos et un WC. La troisième chambre était équipée d'une salle de bains sur le même modèle, dotée d'une douche.

Selon l’administrateur de A______, le coût de revient d'un tel appartement ascendait à CHF 20'000.- le m2.

L’appartement n °1.22, au 1er étage, censé être réuni avec celui occupé par B______ était en duplex (156 m2 + 10 m2 de balcon, compté pour moitié). Le parquet de la salle à vivre était en chêne. Il disposait d'une cuisine BOFFI entièrement équipée (four de 80 cm de large). La hauteur du plafond depuis l'espace cuisine était d'environ 3 m, le living présentant une double hauteur, compte tenu du demi-étage (duplex). Le fond de la pièce était occupé par un escalier menant à l'étage supérieur. Le rez était équipé de toilettes visiteurs (BOFFI, sol en ardoises et parois en marbre).

Selon A______, cet appartement aurait dû dès l'origine être associé à l'appartement voisin, d’où l'ouverture prévue sous l'escalier.

À l’étage, il a été constaté la présence d’un espace pour une bibliothèque, une TV ou un bureau. Selon A______, cet espace ne pouvait pas être transformé en chambre à coucher en raison de l'absence de jour. S’y trouvaient aussi une buanderie équipée et une chambre à coucher de taille plus modeste (13 m²). Une paroi vitrée la séparait de la salle de bains équipée d'une baignoire, d'une douche et de deux lavabos, du même standing que dans le premier appartement.

Celui de B______ était identique au premier appartement. L'espace cuisine était séparé du living par des panneaux amovibles.

B______ a expliqué qu'il avait trois enfants et souhaitait agrandir son appartement pour accueillir son fils aîné qui était marié ainsi que sa mère âgée lorsqu'elle venait à Genève.

Pour finir, la cour intérieure de l'immeuble comprenait des boxes pour voitures.

e. A______ a par la suite produit la plaquette informative sur la Résidence D______ ainsi que la brochure de commercialisation. Elle a précisé que le sol des salles de bain n'était pas revêtu d'ardoises mais de granit noir du Zimbabwe.

f. Le TAPI a, par jugement du 20 juin 2023, annulé la décision du 27 mai 2023 et renvoyé la cause au département pour nouvelle décision au sens des considérants. La décision du département n'était pas conforme au droit.

La LDTR était applicable à l'immeuble. Il devait être déterminé si les appartements dont la réunion était sollicitée devaient être qualifiés de luxueux.

Ils étaient composés de trois et cinq pièces chacun, soit des appartements pour lesquels sévissait une pénurie.

Il ressortait du descriptif de la résidence et de la brochure de commercialisation, ainsi que du transport sur place que l'architecture de l'immeuble de la rue C______, 1 était résolument contemporaine. Ses appartements, pour certains traversants, donnaient sur la rue précitée et sur une cour intérieure, agrémentée d'un jardin. Le hall d'entrée correspondait à la description faite par A______, avec sa réception accueillant le service de conciergerie, ses décorations murales, son salon de réception et son dégagement sur un patio proposant une pièce d'eau et un îlot végétalisé ; il évoquait celui d'un hôtel de luxe. La salle de sport équipée, le parking souterrain, doté de bornes électriques et de caméras de sécurité et permettant un accès direct par ascenseur depuis les appartements contribuaient au confort des résidents.

La surface de l'appartement de cinq pièces avoisinant 270,5 m2 était importante. Celle du logement de trois pièces était moindre (166 m2), mais la double hauteur du living (environ 6 m) – compte tenu du demi-étage – lui donnait un aspect très spacieux. Avec leurs grandes baies vitrées, les appartements étaient très lumineux et parfaitement insonorisés. Ils bénéficiaient d’une technologie de pointe, à savoir un système de domotique moderne, comprenant un système d'alarme, un éclairage fourni par des spots intégrés dans le plafond, un chauffage au sol, et des balcons munis de pare-soleil coulissants ou de stores électriques. Les parquets en chêne teinté, le design épuré de l'espace cuisine (évier coulé dans la masse) pourvu d'un agencement complet (four, four à vapeur, réfrigérateur, congélateur, lave-vaisselle et cave à vin), les vastes salles de bains – prévues pour chacune des chambres à coucher – avec leurs parois intérieures en marbre de Carrare et celle donnant sur la chambre entièrement vitrées, leurs sols en granit noir du Zimbabwe et équipées d'une télévision, leur donnait une allure particulièrement recherchée, d'un standing assurément élevé. L'organisation des différents espaces, les rangements réalisés sur mesure et la buanderie entièrement équipée contribuaient au confort des habitants.

Ainsi, même si le nombre de pièces n'était pas particulièrement élevé, si la vue depuis les appartements n'était pas exceptionnelle, il n'en demeurait pas moins que l'impression générale qui se dégageait tant de l'architecture de l'immeuble que de la conception des deux appartements litigieux en faisaient assurément des biens de haut standing, de sorte qu’ils devaient être qualifiés de logements de luxe et n'entraient pas dans la catégorie de logements répondant aux besoins prépondérants de la population que la LDTR entendait protéger.

Le département avait donc abusé de son pouvoir d'appréciation en rejetant la requête et la cause devait lui être renvoyée pour la délivrance de l'autorisation de réunir les lots PPE n°s 3.01 3.03 et 4.03.

C. a. Le département a formé recours contre ce jugement par acte expédié le 23 août 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à l’annulation dudit jugement et à la confirmation de sa décision du 27 mai 2023.

Il ne pouvait partager l’opinion de la doctrine citée par la chambre administrative dans l’arrêt ATA/1736/2019 précité selon laquelle les appartements de luxe, au vu du silence de la loi, devraient être exclus du champ d’application de la LDTR dans un cas d’aliénation. L’art. 2 al. 1 LDTR ne le prévoyait pas, contrairement à ce qu’il précisait quant aux maisons individuelles ne comportant qu’un seul logement et aux villas en 5ème zone. Les besoins prépondérants de la population avaient été érigés au titre de condition pour autoriser une démolition (art. 6 al. 2 LDTR) ou une transformation (art. 9 al. 2 LDTR), voire déroger au principe du contrôle des loyers (art. 10 al. 2 LDTR). C’était à tort que le TAPI avait considéré que rien ne permettait de remettre en cause cet arrêt isolé.

Il ne partageait pas l’opinion du TAPI en ce qui concernait la somptuosité qui se dégagerait des appartements en cause, bien qu’ils offrent un certain standing, comme retenu par le service LDTR dans son préavis du 17 mars 2022. L’immeuble concerné était certes de conception moderne, l’un des deux logements offrait une surface importante et des matériaux de qualité avaient été utilisés en certains endroits. La domotique moderne en question se retrouvait toutefois de plus en plus fréquemment dans les bâtiments de construction récente. Les pare-soleil étaient anecdotiques. L’agencement des cuisines, hormis une cave à vin et le four à vapeur, offrait les mêmes standards que pour les appartements d’immeuble neufs, comme les espaces de rangement. Le nombre de pièces des logements en cause, comme justement retenu par le TAPI, était inférieur à ce que prescrivait la jurisprudence, la vue n’était de loin pas exceptionnelle, comme démontré par les photographies, la présence d’un petit jardin côté cour n’y changeait en rien. Ces éléments ne valorisaient pas les appartements au point de leur conférer un caractère luxueux, comme le pourrait par exemple une vue sur la rade ou le Jet d’eau. La salle de sport, de dimension très modeste, les bornes électriques dans le parking, dues à la période de transition énergétique, et la présence de voitures de luxe ne pouvaient être considérées comme répondant au critère de somptuosité, la Cour de justice ayant précisé que c’était les logements qui devaient être pris en considération et non le style des locataires occupant l’immeuble.

En tous les cas, il rappelait qu’une autorisation était nécessaire pour toute transformation ou rénovation d’appartements, quelle que fût sa catégorie, aux conditions de l’art. 9 al. 1 LDTR. Or, la chambre administrative avait rappelé que la délivrance d’une autorisation de réunir deux appartements n’était pas conforme à cette disposition, dès lors qu’elle soustrayait du marché locatif des logements correspondant aux besoins prépondérants de la population, le cas en l’espèce, pour en créer un seul destiné à être occupé par une famille. Des motifs de convenance personnelle, purement privés, ne pouvaient pas prévaloir sur l’intérêt public protégé par la loi.

b. A______ a conclu préalablement à ce qu’un transport sur place soit ordonné et, au fond, au rejet du recours.

Il était surprenant que le département tente d’empêcher de remédier à une erreur de conception d’un immeuble d’appartements de luxe qui avait été dûment autorisée hors du cadre de la LDTR. L’hôtel E______ avait laissé place à un immeuble de neuf appartements de luxe en PPE, projet autorisé le 23 décembre 2008. Elle avait ainsi obtenu le droit de construire un immeuble d’appartements de luxe dans la mesure où l’immeuble préexistant était à caractère commercial et non d’habitation. Les logements situés dans l’immeuble 1, rue C______ avaient été dès leur construction exclusivement destinés à la vente, ceux destinés à la location ayant été regroupés au 3, rue C______. Il était apparu que la conception de l’appartement de trois pièces litigieux n’était pas idéale ni suffisamment fonctionnelle au vu de sa grande surface et qu’il eût été préférable de créer dès l’origine un grand appartement de huit pièces comportant quatre chambres à coucher. Elle pourrait encore créer un tel appartement si le projet était réalisé aujourd’hui.

Le caractère unique de ces appartements de luxe ressortait également du calculateur de loyer accessible sur le site de l’office cantonal de la statistique (OCSTAT) selon lequel il n’existait aucun appartement similaire en surface et en pièces parmi un échantillon d’environ 70’000 appartements dans le canton.

La chambre administrative avait encore récemment confirmé que les logements de luxe ne rentraient pas dans la catégorie des logements répondant aux besoins prépondérants de la population, avec la précision supplémentaire que de tels logements ne rentraient pas dans la catégorie de logements qu’entendait protéger la LDTR. Cette position ressortait également d’une lecture a contrario de l’art. 9 al. 2 LDTR qui n’imposait pas une autorisation du département pour une transformation ou une rénovation pour les logements qui ne répondraient pas avant transformation aux besoins prépondérants de la population. Toute autre lecture de cette disposition mènerait au résultat absurde que les logements de luxe, qui par définition ne répondaient pas aux besoins prépondérants de la population, ne pourraient jamais être rénovés ou transformés. Il ne pouvait par conséquence s’agir que d’un silence qualifié du législateur. C’était donc à juste titre que le TAPI avait exclu ces logements du champ d’application de la LDTR.

Elle rappelait les éléments devant mener à qualifier de luxueux les appartements en question. Au surplus, un logement pouvait être luxueux même s’il n’était pas au bénéfice d’une bonne situation géographique et qu’il disposait d’une vue et d’une luminosité ambiante réduites. La chambre administrative était invitée à effectuer elle-même un transport sur place si la longue liste des qualités, d’équipements et de services, devait s’avérer trop abstraite pour lui permettre de se faire une idée objective de la réalité somptuaire de cet immeuble et de tous ses appartements.

Ces logements ne correspondaient pas aux besoins prépondérants de la population s’agissant de leur prix de vente moyen par m2, de CHF 20'000.- contre CHF 8'857.- le m² pour les appartements neufs en PPE en ville de Genève en 2021. Les charges de copropriété tenaient compte de la multitude de services hauts de gamme à disposition.

c. Dans sa réplique du 30 octobre 2023, le département a ajouté à ses précédentes écritures qu’au moment de la construction de l’immeuble sis 1, rue C______ il n’avait pas pu imposer de conditions puisqu’il remplaçait un immeuble voué à une activité commerciale. À aucun moment il n’était toutefois apparu que les autorisations de construire délivrées l’avaient été pour des logements de luxe.

Les surfaces habitables des appartements concernés étaient inférieures à celles retenues par le TAPI, puisque selon les plans présentés par l’intimée, celle du logement de cinq pièces n’était que de 224.8 m² et celle du trois pièces de 136.2 m².

Le Tribunal fédéral avait déjà eu l’occasion d’affirmer que le Grand Conseil avait préféré soumettre à la loi tous les logements, quels que soient leur catégorie de confort et le montant du loyer, tout en prévoyant que l’autorité pouvait dans certains cas déroger aux règles relatives à la fixation des loyers et des prix.

En lien avec le principe de la bonne foi, il n’avait à aucun moment donné des assurances, une garantie ou fait des promesses au sujet du projet de l’intimée. L’autorisation de construire les logements ne saurait lui permettre d’en tirer d’autres droits que ceux qui ressortaient de ladite autorisation.

d. Dans une duplique spontanée du 10 novembre 2023, A______ a conclu à l’irrecevabilité du nouveau grief invoqué par le département en lien avec la surface des deux appartements en cause, qui serait inférieure à celle retenue par le TAPI, sans au demeurant expliciter son calcul.

e. Les parties ont été informées, le 14 novembre 2023, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             L’intimée sollicite un transport sur place.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Le droit d'être entendu n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1). Le droit d'être entendu n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).

2.2 En l’espèce, l’intimée s’est vu offrir la possibilité de faire valoir ses arguments devant le TAPI et la chambre de céans. Le TAPI a procédé à un transport sur place qu’il a documenté, outre par un procès-verbal détaillé, par 30 photos. L’intimée a aussi produit devant le TAPI la plaquette informative sur l’immeuble ainsi que la brochure de commercialisation. L’état et les caractéristiques de l’immeuble et des appartements en cause sont donc documentés, seuls la question juridique de l’application de la LDTR aux deux appartements concernés et leur caractère luxueux étant controversés.

Un second transport sur place n’apparaît donc pas nécessaire et il ne sera pas donné suite à cette demande d’acte d’instruction.

3.             L’intimée soutient que le grief du recourant concernant la superficie des deux appartements en cause, telle que retenue par le TAPI, serait irrecevable, puisque soulevé uniquement dans sa réplique.

3.1 Un mémoire de réplique ne peut contenir qu'une argumentation de fait et de droit complémentaire, destinée à répondre aux arguments nouveaux développés dans le mémoire de réponse. Il ne peut en principe pas être utilisé afin de présenter de nouvelles conclusions ou de nouveaux griefs qui auraient déjà pu figurer dans l'acte de recours (arrêt du Tribunal fédéral 1C_130/2015 du 20 janvier 2016 consid. 2.2 in SJ 2016 I 358 ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, p. 244 n. 927). Partant, des conclusions nouvelles prises au stade de la réplique sont irrecevables (ATA/773/2022 du 9 août 2022 consid. 2b ; ATA/1221/2021 du 16 novembre 2021 consid. 3a).

3.2 En l’espèce, la question de la recevabilité du nouveau grief formulé par la recourante dans sa réplique, alors qu’elle aurait pu le faire déjà dans son recours, puisqu’il s’agit d’un point précisément retenu par le TAPI – la surface des deux appartements – souffrira de demeurer indécise vu ce qui suit.

4.             Le litige porte sur la conformité au droit du refus du département d’autoriser la réunion de deux appartements en PPE au 1er étage de l’immeuble sis 1, rue C______ et l’annulation de cette décision par le TAPI.

L’intimée, suivie par le TAPI, conteste l’application de la LDTR à l’opération de réunion des deux appartements en question, dont les propriétaires sont distincts, ce qui n’est pas l’avis du département.

Selon l'art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

5.             5.1 Selon l’art. 1 al. 1 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé notamment modifier même partiellement le volume, l’architecture, la couleur, l’implantation, la distribution ou la destination d’une construction ou d’une installation (let. b).

5.2 Le département peut traiter par une procédure accélérée les demandes d’autorisation relatives à des travaux soumis à l’art. 1 LCI portant sur la modification intérieure d’un bâtiment existant ou ne modifient pas l’aspect général de celui-ci (art. 3 al. 7 LCI).

5.3 Nul ne remet en cause ici que les travaux prévus en vue de la réunion des deux appartements sont soumis à autorisation, en l’occurrence sous la forme d’une APA.

6.             6.1 Selon l’art. 2 LDTR, est soumis à cette loi tout bâtiment : a) situé dans l’une des zones de construction prévues par l’article 19 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) ou construit au bénéfice des normes de l’une des 4 premières zones de construction en vertu des dispositions applicables aux zones de développement ; b) comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l’habitation. N’y sont en revanche pas assujetties les maisons individuelles ne comportant qu’un seul logement, ainsi que les villas en 5e zone comportant un ou plusieurs logements.

6.2 Il ne ressort pas de cette disposition que les appartements de luxe ne seraient pas soumis à la LDTR (ci-après : champ d’application général).

6.3 La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR). La loi prévoit notamment à cet effet, tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR).

Plus spécifiquement, la LDTR vise à éviter la disparition de logements à usage locatif (arrêt du Tribunal fédéral 1P.406/2005 du 9 janvier 2006 consid. 3 ; ATA/945/2018 du 18 septembre 2018 consid. 3 et les arrêts cités). Sa réglementation correspond à un intérêt public évident selon le Tribunal fédéral (ATF 128 I 206 consid. 5.2.4 ; ATA/307/2017 du 21 mars 2017 consid. 4b).

6.4 Selon l’art. 3 al. 1 let a LDTR, par transformation on entend tous les travaux qui ont pour objet de modifier l’architecture, le volume, l’implantation, la destination, la distribution intérieure de tout ou partie d’une maison d’habitation.

6.5 Selon l'art. 9 al. 1 LDTR, une autorisation est nécessaire pour toute transformation ou rénovation. L'autorisation est notamment accordée lorsque l'état du bâtiment comporte un danger pour la sécurité et la santé de ses habitants ou des tiers (let. a), lorsque la réalisation d'opérations d'aménagement ou d'assainissement d'intérêt public le commande (let. b), lorsque les travaux permettent la réalisation de logements supplémentaires (let. c), lorsque les travaux répondent à une nécessité ou qu'ils contribuent au maintien ou au développement du commerce et de l'artisanat, si celui-ci est souhaitable et compatible avec les conditions de vie du quartier (let. d), pour les travaux de rénovation (let. e).

6.6 Le département accorde l’autorisation si les logements transformés répondent, quant à leur genre, leur loyer ou leur prix, aux besoins prépondérants de la population (art. 9 al. 2 LDTR).

Selon la doctrine, il s'agit d'hypothèses alternatives (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation : immeubles de logement et appartements : loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 133).

Le département, toujours selon l’art. 9 al. 2 LDTR, tient compte, dans son appréciation, du genre, de la typologie et de la qualité des logements existants (let. a), du prix de revient des logements transformés ou nouvellement créés, notamment dans les combles (let. b), du genre de l'immeuble (let. c), du nombre de pièces et de la surface des appartements ainsi que de la surface des logements nouvellement créés (let. d), des exigences liées à l'objectif de préservation du patrimoine (let. e).

6.7 Par besoins prépondérants de la population, il faut entendre les loyers accessibles à la majorité de la population (art. 9 al. 3 LDTR).

Selon l’arrêté relatif à la révision des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population du 24 août 2011 du 12 janvier 2022 (aArLoyers - L 5 20.05), les loyers correspondant aux besoins prépondérants de la population, fondés sur le revenu brut médian des contribuables personnes physiques 2007, étaient compris, à partir du 14 janvier 2022, entre CHF 2'627.- et CHF 3'528.- la pièce par année.

Un logement correspond en principe par son genre ou par son loyer aux besoins prépondérants de la population notamment lorsqu'il entre dans la catégorie des appartements dans lesquels règne la pénurie au sens de l'art. 25 LDTR. Selon l'arrêté déterminant les catégories de logements où sévit la pénurie en vue de l'application des art. 25 à 39 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (ArAppart - L 5 20.03) déterminant au moment des faits, comme selon celui actuellement en vigueur, il y a pénurie dans toutes les catégories d'appartements de1 à 7 pièces inclusivement.

6.8 Selon la doctrine, citée par la chambre de céans notamment dans l’ATA/651/2022 en lien avec des travaux effectués dans des appartements, lorsqu'un bâtiment est soumis à la LDTR, cette loi n'est applicable que si l'appartement considéré entre dans une catégorie de logements en pénurie en cas par exemple d'aliénation des appartements destinés à la location (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 129).

Plus précisément, cette doctrine retient que lorsqu’un bâtiment est soumis à la LDTR (champ d’application général), cette loi n’est applicable que si l’appartement considéré entre dans une catégorie de logements en pénurie pour les opérations d’aliénation des appartements destinés à la location, d’expropriation temporaire de l’usage des appartements laissés abusivement vides et de réaffectation forcée au logement (champ d’application spécial)(Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 129).

S'il n'y a pas de pénurie dans la catégorie du logement visé dans un cas d'espèce, la LDTR n'est pas applicable pour l'opération d’aliénation. Par ailleurs, les logements de luxe doivent être exclus du champ d'application de la LDTR pour ce type d'opération. En effet, le silence de la loi quant à cette condition doit être considéré comme une lacune, puisque le législateur avait voulu exclure ces logements du champ d'application spécial de la loi. Au demeurant, les logements de luxe n'entrent pas dans les besoins prépondérants de la population que la LDTR entend protéger (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 130).

6.9 Les logements répondant aux besoins prépondérants de la population sont qualifiés suivant leur loyer ou suivant leur genre ou suivant leur loyer et leur genre. Par logements répondant aux besoins prépondérants de la population, il faut entendre les logements dont les loyers sont accessibles à la majorité de la population. Autrement dit, c'est le loyer que la majeure partie de la population est en mesure de payer (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 133 et 134).

Un logement répond aux besoins prépondérants de la population lorsque son loyer est inférieur ou égal au loyer plafond LDTR et que son nombre de pièces correspond à une catégorie de logements en pénurie (cas où les deux conditions alternatives sont réunies), lorsque son loyer est inférieur ou égal au loyer plafond LDTR et que son nombre de pièces ne fait pas partie d'une catégorie en pénurie (cas où seule la condition alternative du loyer est remplie), lorsque son loyer est supérieur au plafond LDTR et que son nombre de pièces entre dans une catégorie en pénurie (cas où seule la condition alternative du genre est remplie ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 140).

6.10 Dans l’arrêt ATA/1736/2019 précité, il était question d’une autorisation délivrée en octobre 1996 de réunir provisoirement deux appartements de 5 pièces de 178 m2 et de 160 m2 PPE, afin d'obtenir un seul logement familial d’une SBP de 340 m2, à l'adresse 23, quai du Mont-Blanc, 1201 Genève. L’autorisation prévoyait qu’elle était admise jusqu'au départ de l’occupant présumé des deux appartements réunis, mais au plus tard pour une durée de 20 ans à partir de la date de l’inscription de l’autorisation au registre foncier. Aucune garantie n'était donnée quant à son éventuelle prolongation à requérir auprès du département : le propriétaire ou l'ayant droit ne pourrait se prévaloir d'aucun droit acquis à ce sujet. Tout propriétaire de l'un ou l'autre des deux appartements avait l'obligation, à l'échéance de ce délai, de rétablir la séparation totale entre les deux appartements et d'effectuer les travaux nécessaires à leur utilisation indépendante, ceci à ses frais et de sa propre initiative. Dans le cas où ces conditions ne seraient pas respectées, le département se réservait de considérer la situation ainsi créée comme illicite, avec les conséquences prévues par la loi.

En décembre 2017, l’héritière des deux lots de PPE en question en avait informé l'OCLPF et lui avait dit vouloir vendre l'appartement réuni, vide, d'un seul tenant. La typologie de l'appartement, adaptée à un usage unitaire, en faisait un objet d'exception qu'il serait regrettable de diviser. Pour preuve, il existait de nombreux appartements de cinq à six pièces (entre 120 et 170 m2) qui étaient proposés à la vente, alors qu'il n'existait qu'un seul appartement à vendre d'une taille supérieure à 300 m2. Les objets résultant d'une éventuelle division de l'appartement seraient en tout état hors de portée de la classe moyenne, puisque les prix des transactions intervenues récemment dans cet immeuble se situaient, entre 5'000'000.- et 6'000'000.- à la vente et entre CHF 8'000.- à CHF 12'000.- par mois à la location, soit des montants largement supérieurs aux besoins prépondérants de la population. Au vu du coût des travaux à réaliser, le prix de vente ou de location serait même plus élevé.

La chambre de céans a eu à connaître de la décision de refus du département de vendre l’appartement d’un seul tenant et enjoignant la requérante de se conformer à l’autorisation d’octobre 1996, soit rétablir la situation d’avant la réunion des appartements. Selon le département, faute d'un nombre de pièces suffisantes, ces deux logements ne répondaient pas au premier critère cumulatif posé par la jurisprudence pour définir la notion de logement de luxe, à savoir le nombre de pièces minimum de six (cuisine non comprise). Ils rentraient, par leur genre, dans la catégorie des logements répondant aux besoins prépondérants de la population. Au surplus, leur surface et l'impression générale qui se dégageait de leur conception ne donnaient pas une impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire.

L’objet du litige devant la chambre administrative consistait à déterminer si c'était de manière conforme au droit que le département avait refusé d'accorder un caractère pérenne à la réunion des deux lots, ce qui a été tranché par la négative selon le raisonnement suivant : dans la mesure où la division des appartements conduirait au rétablissement original en deux appartements de cinq pièces, il s'agissait d’objets pour lesquels sévissait une pénurie selon l'ArAppart. Il ressortait des documents produits par la requérante que les loyers proposés pour le même type d'appartement localisé aux alentours oscillaient entre CHF 4'460.- et CHF 16'360.- par mois et, dans le même immeuble, un cinq pièces au 1er étage, à CHF 6'500.- par mois, hors charges. En partant du principe que ce dernier montant serait appliqué pour les deux appartements en question, les loyers proposés iraient au-delà de ceux correspondant aux besoins prépondérants de la population selon l'arrêté relatif à la révision des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population du 24 août 2011 (ArRLoyers - L 5 20.05). Toutefois, cela ne signifiait pas que ces appartements ne répondraient pas aux besoins prépondérants de la population pour ce motif. En effet, la doctrine retenait qu'un logement répondait aux besoins prépondérants de la population lorsque le loyer était supérieur au plafond LDTR et que son nombre de pièces entrait dans une catégorie en pénurie (cas où seule la condition alternative du genre est remplie). Ainsi et dans la mesure où les appartements de cinq pièces qui seraient issus de la séparation répondraient aux besoins prépondérants de la population, compte tenu de leur genre, ils devraient être soumis à la LDTR.

Il convenait toutefois d'examiner si lesdits appartements devraient être qualifiés d'appartements de luxe, ce qui exclurait l'application de la LDTR au cas d'espèce et a effectivement été retenu par la chambre administrative qui a admis le recours de la requérante et renvoyé la cause au département pour nouvelle décision.

Ce dernier n’a pas porté cette cause devant le Tribunal fédéral.

6.11 Il faut retenir de cet arrêt ATA/1739/2019 que la chambre administrative a considéré, suivant en cela la doctrine, que s’il n'y a pas de pénurie dans la catégorie du logement visé dans un cas d'espèce, la LDTR n'est pas applicable pour l'opération concernée, pour rappel la vente – aliénation – d’un seul tenant d’un appartement issu de la réunion de deux précédemment autorisée par le département pour une durée de 20 ans. Elle a fait sien l’avis de la doctrine selon lequel les logements de luxe devaient être exclus du champ d'application de la LDTR pour ce type d'opération. En effet, le silence de la loi quant à cette condition devait être considéré comme une lacune, le législateur ayant, selon la doctrine, voulu exclure ces logements du champ d'application spécial de la loi pour les aliénations, mais également l’expropriation temporaire de l’usage des appartements laissés abusivement vides et la réaffectation forcée au logement. Cette dernière affirmation ne ressort toutefois pas expressément des travaux préparatoires en lien avec le PL 7292.

6.12 Pour être qualifié de luxueux, le logement doit avoir six pièces au moins, cuisine non comprise, c'est-à-dire à Genève sept pièces ou plus, des surfaces inhabituellement grandes, des éléments donnant une impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire. Il s'agit de conditions cumulatives. Exceptionnellement, un logement peut être luxueux même s'il a moins de sept pièces. C'est notamment le cas, si d'un point de vue esthétique et historique, le logement est considéré comme luxueux (il est donc possible de s'écarter de la notion stricte de logement de luxe de droit fédéral et fixer ainsi une notion plus adaptée aux circonstances). Un logement ancien peut être luxueux s'il a été conçu comme tel et qu'il est correctement entretenu (ATA/441/1997 du 5 août 1997 consid. 6). Un logement peut être luxueux, quel que soit le quartier où il se trouve et même si une partie de l'immeuble comprend des locaux commerciaux de bureaux. Il faut prendre en considération le logement en tant que tel, et non le type ou le style de locataires qui occupent l'immeuble (ATA/214/2003 du 15 avril 2003 consid. 5). Dès lors, un logement peut être luxueux même s'il est mal situé géographiquement, avec une vue et une luminosité ambiante réduites (ATA 89.TP.145 consid. 6d). Par ailleurs, des éléments extérieurs à l'appartement lui-même peuvent lui conférer un caractère luxueux s'ils le valorisent. C'est le cas de la vue sur le jet d'eau et la rade de Genève (ATA/214/2003 précité consid. 5 ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 277 et 278).

Dans sa jurisprudence, le Tribunal administratif, dont les compétences ont été reprises par la chambre de céans, a retenu le caractère luxueux d'un logement de huit pièces réparties sur 280 m2, dont plusieurs de dimensions importantes et en enfilade, pourvues de boiseries bien entretenues de la fin du 18ème siècle et de plusieurs cheminées de marbre, ainsi que de plafonds particulièrement hauts donnant à l'ensemble un caractère luxueux (ATA/441/1997 du 5 août 1997).

Le Tribunal administratif a également qualifié de luxueux un logement de quatre ou quatre pièces et demie de 120 m2 ayant du parquet et des moulures au plafond, des radiateurs de l'époque de sa construction en 1920, avec un hall d'entrée d'immeuble de qualité, cossu et d'une taille inhabituelle. La présence d'un concierge, le caractère bourgeois de la façade en pierres de taille, les carreaux de faïence sur les balcons, le bâtiment ayant une vue magnifique sur la rade, le Mont-Blanc et les autres montagnes des Alpes étaient autant d'indices déterminants (ATA/229/2002 du 7 mai 2002).

La chambre de céans a exceptionnellement admis le caractère luxueux de deux appartement de cinq pièces d’environ 130 m2 issus d’une division dans un immeuble à l'entrée soignée avec des boiseries bien entretenues, avec un hall d'entrée particulièrement spacieux (25 m2), un sol en bois entouré de dalles en pierre, un sol de l'appartement choisi avec soin en planelles et en bois exotique, un salon d'environ 30 m2, deux cheminées dont l'une en marbre, une décoration raffinée constituée de matériaux et de revêtements de qualité supérieure – les revêtements des salles de bain et salles de douche étant constitués de mosaïque de type « pâte de verre » 2 x 2 cm de haute qualité, une hauteur du plafond pour le grand salon d'environ 2,74 m, des détails de type corniche inversée dans la plupart des pièces de jour et enfin une vue directe sur le lac et le Mont-Blanc (ATA/1736/2019 précité).

Le Tribunal administratif a toutefois nié le caractère luxueux d'un appartement composé de huit pièces dont la surface brute moyenne de chaque pièce s'élevait à 27,38 m2. Cette surface était importante ; toutefois, le logement ne donnait aucune impression de somptuosité malgré certains atouts (terrasses dont la surface était conséquente, une situation en attique et une vue dégagée). La hauteur des plafonds n’était pas exceptionnelle, son entrée était modeste et l’agencement intérieur était standard. L'escalier, pourvu d'une rampe en bois, était fonctionnel et banal. Les matériaux utilisés pour la serrurerie, les fenêtres et les portes étaient courants. De même en était-il des revêtements de sol : le salon et les couloirs étaient pourvus d'un parquet simple et les chambres d'une moquette ordinaire. Enfin, l'architecture de l'immeuble ne présentait aucune particularité (ATA/859/2010 précité).

Le TAPI a également nié le caractère luxueux d'un logement sis dans un immeuble ayant une entrée spacieuse, avec un sol en marbre, un plafond en bois, un lustre, des fauteuils et une table, deux ascenseurs, ainsi qu'une piscine chauffée toute l'année, fermée par des parois vitrées, s'ouvrant sur le jardin privatif de l'immeuble et comprenant toilettes, douches, vestiaires et chaises longues pour les habitants de l'immeuble ; palier boisé du 6ème étage de l'immeuble où se situait l'appartement de quatre pièces d'environ 130 m2, lequel comprenait un living et une cuisine donnant sur un balcon duquel on pouvait voir le sommet du jet d'eau et le parc arborisé bien entretenu de l'immeuble, la cuisine étant entièrement équipée, ainsi qu'un WC visiteur, une douche/lavabo et une salle de bains, ainsi que deux chambres à coucher. La chambre de céans s'était ralliée à cet avis non contesté devant elle (ATA/826/2012 du 11 décembre 2012). Cette jurisprudence a paru sévère pour la doctrine (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 279).

7.             Les deux appartements de la présente cause, composés de trois et cinq pièces chacun, sont des objets pour lesquels sévit une pénurie. Les loyers ne sont pas connus, dans la mesure où les appartements sont occupés par un propriétaire pour le cinq pièces, le dossier étant muet quant à l’occupation du duplex de trois pièces propriété d’une société anonyme. Il n’en demeure pas moins que selon le champ d’application général de la LDTR, le nombre de pièces de chacun des appartements, soit le cas où seule la condition alternative du genre est remplie, suffit à les soumettre à la LDTR.

Pour cette raison, la LDTR devrait trouver application pour la transformation envisagée.

L’opération projetée, qui est une transformation, et donc ni une aliénation d’appartements, le cas de l’ATA/1739/2019 précité, ni une expropriation temporaire de l’usage des appartements laissés abusivement vides ni une réaffectation forcée au logement, n’est pas exclue, que ce soit par la doctrine ou la chambre de céans, du champ d’application spécial de la LDTR.

C’est donc à juste titre que le département a considéré que cette opération de réunification de deux appartements était soumise à la LDTR et s’est adressé à l’OCLPF qui a, le 14 avril 2022, préavisé défavorablement ce projet, considérant qu'il n'entrait dans aucun des motifs prévus à l'art. 9 LDTR. Les deux logements avaient, individuellement, une bonne habitabilité et un bon standard. Cette motivation suffit à comprendre que l’OCLPF a considéré que la transformation projetée ne réalisait aucune des conditions prévues à l’art. 9 al. 1 LDTR, ni d’ailleurs l’al. 2 de cette disposition, puisqu’une fois les deux appartements réunis, l’objet de huit pièces ne répondrait plus aux besoins prépondérants de la population.

Au vu de ce qui précède, c’est à juste titre que le département a refusé de délivrer l’autorisation sollicitée et à tort que le TAPI l’a annulée et a retourné le dossier au département pour qu’il en délivre une.

Le recours sera admis.

8.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'600.- sera mis à la charge solidaire de A______ et B______ qui succombent (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée au département qui dispose de son propre service juridique (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 août 2023 par le département du territoire - OAC contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 juin 2023 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 20 juin 2023 ;

restaure la décision de refus de délivrer l’autorisation de construire APA 1______ du 25 mai 2022 ;

met un émolument de CHF 1'600.- à la charge solidaire de A______ et B______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt au département du territoire - OAC, à Me Christian TAMISIER, avocat de A______, à B______ ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Cédric-Laurent MICHEL, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :