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A/1898/2022

ATA/1196/2023 du 07.11.2023 sur JTAPI/1318/2022 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1898/2022-PE ATA/1196/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 novembre 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Ilir CENKO, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 décembre 2022 (JTAPI/1318/2022)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1974, est ressortissant d'Albanie.

b. Selon ses dires, il se serait installé à Genève en mai 2014.

B. a. Le 4 février 2022, sous la plume de son conseil, il a déposé une demande de régularisation de ses conditions de séjour auprès de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM).

À l'appui de sa requête, il a joint un bordereau de dix-sept pièces, contenant, notamment : une copie de son contrat de travail auprès de la société B______ SA depuis le 2 novembre 2020 en qualité d’aide-technicien piscine ; une attestation d’achat d’abonnements pour les années 2014 à 2021 émise par les Transports publics genevois (ci-après : TPG) ; un contrat de téléphonie mobile conclu auprès de l’opérateur C______ le 24 septembre 2014 ; une attestation de D______, déclarant le connaître depuis 2014 ; une attestation de l’Hospice général indiquant qu’il n’était pas aidé financièrement par cette institution ; un extrait du registre des poursuites, vierge ; des extraits de son casier judiciaire suisse et albanais, vierges de toute inscription.

Étant arrivé à Genève au début du mois de mai 2014, son séjour était assez long au sens de la jurisprudence, étant précisé qu’il atteindrait les dix ans de résidence à l'issue de la procédure. Il était indépendant financièrement et avait commencé à travailler dès son arrivée en Suisse, ce qui lui avait permis de toujours subvenir seul à ses besoins sans bénéficier de l'aide sociale ni faire l'objet d'une quelconque poursuite. Il était au bénéfice d'une promesse d'embauche pour une durée indéterminée, et, eu égard à ses qualités professionnelles et humaines indéniables, son employeur avait complété le formulaire M.

Il maîtrisait la langue française et était pleinement à même d'interagir en français avec autrui dans les situations de la vie quotidienne ainsi que dans le cadre professionnel. Il avait d'ailleurs passé et réussi, le 11 décembre 2021, un examen de français, démontrant que ses compétences orales en cette langue atteignaient le niveau requis, soit A2. Grâce à son caractère sociable, il avait également noué de nombreuses relations de travail, d'amitié et de voisinage. Il s'était en outre bâti une solide réputation professionnelle et avait toujours respecté l'ordre juridique suisse. Il convenait ainsi de considérer son intégration en Suisse comme réussie. Il n'avait plus aucune perspective dans son pays d'origine, en particulier sur le plan professionnel, sachant qu'il s'était spécialisé comme technicien-pisciniste durant les huit dernières années et qu'il ne pouvait pas travailler dans ce domaine en Albanie, faute de marché.

b. Le 22 février 2022, donnant suite à une demande de l’OCPM, A______ a transmis les documents suivants : un extrait de compte de l'assurance vieillesse et survivants (ci-après : AVS), étant précisé qu’il avait été surpris de constater que ses emplois et salaires n’avaient pas été déclarés de manière complète ; des fiches de salaires pour les années 2016, 2017 et 2018 ; deux lettres de soutien rédigées par des amis, attestant, outre ses qualités personnelles et professionnelles, qu’il vivait en Suisse depuis l’année 2014 ; son contrat de travail d’une durée indéterminée avec la société E______SA daté du 1er mars 2016 ; et son certificat de salaire relatif à l’année 2021.

c. Par courrier du 18 mars 2022, l'OCPM a informé A______ de son intention de refuser sa demande et de prononcer son renvoi de Suisse, en lui impartissant un délai de trente jours pour faire valoir ses observations.

d. A______ s'est déterminé par courrier du 19 avril 2022.

Son séjour en Suisse était assez long pour être pris en considération lors de l'examen d'un cas individuel d'une extrême gravité. Toutes les autres conditions de l'« opération Papyrus » étaient réalisées dans son cas puisqu’il disposait des connaissances linguistiques requises, avait réussi son intégration sociale dans la société genevoise, était indépendant financièrement, n'avait jamais sollicité l'aide sociale et ne faisait l'objet d'aucune poursuite ni d'aucune condamnation pénale. Il n’était pas interdit d’entrée en Suisse.

Il avait bâti un réseau social et noué des liens d'amitié et de voisinage avec de nombreuses personnes qui le soutenaient activement dans sa démarche. Certes, il n’était pas particulièrement investi dans la vie associative, mais il avait toujours donné la priorité au travail et n'avait que peu de temps libre pour les loisirs. Sur le plan professionnel, son intégration au marché de l'emploi était remarquable dès lors qu’il avait toujours travaillé et s'était spécialisé pour acquérir une grande expérience ainsi que les compétences poussées nécessaires à un bon technicien-pisciniste. Son employeur avait par ailleurs relevé que le personnel qualifié manquait cruellement dans son secteur, s'engageant à lui assurer un emploi d'une très longue durée et confirmant que de ne plus pouvoir avoir recours à ses services « serait assurément une grande perte ».

Quant à sa réintégration en Albanie, elle n’était pas raisonnablement exigible puisqu’il n'y avait vécu que quelques années depuis le début des années 2000, émigrant d'abord en Grèce, puis en Allemagne avant de s'installer en Suisse. Il n’y avait plus de réseau socio-professionnel ni d'amis, ceux-ci ayant émigré pour la plupart. Sur le plan professionnel, il n'y avait tout simplement pas de marché de la piscine et des spas en Albanie, le pays étant trop pauvre. S’il devait travailler dans le domaine du bâtiment, son salaire serait insuffisant pour lui permettre de vivre dignement. Ainsi, un tel retour le placerait dans une profonde détresse personnelle et économique.

e. Par décision du 9 mai 2022, l'OCPM a refusé de délivrer à A______ l'autorisation de séjour sollicitée et a prononcé son renvoi de Suisse.

Il ne remplissait pas les conditions requises pour la reconnaissance d'un cas individuel d'une extrême gravité. Il résidait en Suisse depuis le mois de mai 2014, soit depuis moins de dix ans, étant précisé que les conditions relatives à l'octroi d'une autorisation de séjour pour cas de rigueur devaient être réalisées au moment du dépôt de la demande et non en cours de procédure.

Il était arrivé en Suisse à l'âge de 40 ans et avait passé dans son pays d'origine toute son adolescence. Par ailleurs, son intégration socioculturelle ne pouvait être qualifiée de particulièrement remarquable dès lors qu’elle correspondait au comportement ordinaire qui pouvait être attendu de tout étranger souhaitant obtenir la régularisation de ses conditions de séjour. Son argumentation relative au fait qu’il ne pourrait pas utiliser ses compétences en tant que technicien‑pisciniste en Albanie, faute de marché, n'était pas de nature à modifier la décision, dans la mesure où il avait acquis une solide expérience au cours de ces années, notamment dans le domaine de la maçonnerie, laquelle pouvait être mise à profit dans son pays d'origine. Dès lors, une réintégration dans son pays d'origine ne devait pas avoir de graves conséquences sur sa situation personnelle indépendamment des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, d'autant que son épouse et l'un de ses enfants y résidaient.

C. a. Par acte du 9 juin 2022, A______ a formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision précitée, concluant préalablement à son audition ainsi qu'à celle de plusieurs témoins, et principalement à l'annulation de la décision litigieuse, subsidiairement au renvoi de la cause pour nouvelle décision au sens des considérants.

La décision querellée constatait les faits de manière inexacte. S’il était vrai qu’il était arrivé en Suisse en 2014 à l’âge de 40 ans, il avait quitté l'Albanie alors qu'il n'était âgé que de 18 ans, de sorte qu’il n’avait plus d'attaches amicales ni socio-professionnelle dans ce pays. Son employeur avait attesté en des termes élogieux de son engagement et de ses compétences professionnelles. Il ne s’était ainsi pas uniquement limité à travailler et à subvenir à ses besoins mais avait fait le nécessaire pour progresser en Suisse en y acquérant des « compétences poussées » ainsi qu'une « grande expérience » au point de se rendre nécessaire au bon fonctionnement de la société qui l’employait.

De même, il avait noué de nombreuses relations de travail, d'amitié et de voisinage depuis son arrivée en Suisse. Ses amis et les personnes qu'il fréquentait en Suisse le décrivaient comme « très intègre », « travailleur », « honnête », « apprécié de tous », « agréable », « amical», « ponctuel», « d'une moralité et d'une honnêteté exemplaire », « bien intégré dans la société », « une personne sociable et respectueuse » qui « s'implique beaucoup pour l'intégration [...] en tant que citoyen  » ou encore comme une personne « très aimable, ouverte d'esprit, toujours prête à rendre service aux autres et très intègre ». Ce constat devait permettre de conclure à une intégration particulièrement réussie en Suisse.

La décision attaquée procédait également d'une application erronée de la loi. Il s'était intégré de manière optimale en Suisse, compte tenu des difficultés qu'une telle intégration présentait pour un étranger sans papiers. Il y avait développé des liens très étroits avec de nombreuses personnes tant sur le plan professionnel que personnel. La durée de son séjour ne pouvait pas faire obstacle à l'admission de son recours. D'une part, cette durée de dix ans ne représentait pas une limite ferme en dessous de laquelle une autorisation de séjour pour cas de rigueur devait systématiquement être refusée, puisque la jurisprudence autorisait des exceptions. D'autre part, il convenait de garder en tête que sa durée du séjour était très proche de celle de dix ans invoquée par l'OCPM.

Sous l'angle de l’intégration, son comportement témoignait de son respect de l'ordre juridique suisse, des valeurs constitutionnelles suisses et des principes de la démocratie. À cela s'ajoutait qu’il avait très rapidement entrepris des démarches afin de maîtriser le français. Quant à ses relations sociales, il avait déployé d'importants efforts afin de s'intégrer dans la société et de tisser des liens sociaux et amicaux de qualité. Il participait activement à la vie économique en Suisse, puisqu’il avait commencé à travailler comme maçon dès son arrivée avant de se spécialiser comme aide-technicien-pisciniste. Par son attitude exemplaire, il avait déployé des efforts au-delà de l'ordinaire, au point que sa présence était considérée comme nécessaire par son employeur. Il ne se voyait pas d'avenir en Albanie, où il rencontrerait d'importantes difficultés d'intégration qui le placeraient dans une profonde détresse.

b. Le 9 août 2022, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

La situation de A______ et ses liens avec la Suisse n'apparaissaient pas susceptibles de justifier la reconnaissance d'un cas individuel d'une extrême gravité. Il avait vécu longtemps en Albanie, puis quelques années en Grèce et en Allemagne avant de venir travailler en Suisse. Il n’avait pas démontré non plus qu’il ne pourrait pas mettre à profit en Albanie ses connaissances linguistiques et son expérience professionnelle, y compris de technicien-pisciniste, eu égard notamment au développement du tourisme dans ce pays.

c. Le 1er septembre 2022, le recourant a persisté dans les termes de son recours.

L’OCPM ne se déterminait pas sur les nombreux griefs qu’il avait soulevés, et n'expliquait pas non plus ce qui lui permettait d’affirmer qu’il pourrait utiliser les compétences techniques spécialisées acquises en Suisse dans son pays d’origine. Le domaine du tourisme supposait une formation ad hoc et n’avait aucun lien avec le métier qu’il avait appris. De plus, l’Albanie avait accès à deux mers et trois grands lacs, de sorte que le marché de la piscine et des spas n’existait pas. Il ne pouvait être exigé de lui qu’il tire un trait sur tout ce qu’il avait appris en Suisse pour se lancer dans une nouvelle formation. Son employeur avait vraiment besoin de lui en raison de la croissance de l’activité. Enfin, il était en train d’approfondir ses connaissances techniques.

d. Par jugement du 2 décembre 2022, le TAPI a rejeté le recours.

L'OCPM n'avait pas mésusé de son pouvoir d'appréciation en considérant qu'il ne satisfaisait pas aux conditions strictes pour la reconnaissance d'un cas de rigueur.

Au moment du dépôt de sa demande d'autorisation de séjour, en février 2022, il comptabilisait une durée de séjour de près de huit ans, ce qui ne correspondait pas encore à une très longue durée au sens des critères légaux et jurisprudentiels, ce d’autant plus que ce séjour s’était déroulé dans l’illégalité.

Son intégration socio-professionnelle ne pouvait être qualifiée d'exceptionnelle. Son parcours professionnel à Genève, d’abord dans le domaine du bâtiment, puis en tant qu’aide technicien-pisciniste, ne pouvait être qualifié d'ascension professionnelle remarquable. Sa situation personnelle ne traduisait pas un profond enracinement dans la vie de la cité, si bien que sa relation avec la Suisse n'apparaissait pas si étroite qu'il ne pouvait être exigé de lui qu'il retourne vivre en Albanie. Le fait de ne pas dépendre de l'aide sociale et de ne pas avoir de dettes constituait un comportement ordinaire qui pouvait être attendu de tout étranger souhaitant obtenir la régularisation de ses conditions de séjour.

Il pourrait mettre à profit les connaissances et l’expérience acquises durant son séjour en Suisse. En effet, si le marché des piscines n’était pas encore développé en Albanie, celui de la construction connaissait une très forte expansion. Ayant travaillé de nombreuses années en tant que maçon, il pouvait être attendu de sa part qu’il cherche un emploi dans ce domaine. Il avait passé son enfance, son adolescence et le début de sa vie d'adulte dans son pays d'origine, et sa famille y vivait encore.

D. a. Par acte posté le 20 janvier 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant préalablement à son audition ainsi qu'à celle de six témoins, et principalement à l'annulation du jugement attaqué, à l'obtention d'une autorisation de séjour ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Il avait quitté l'Albanie alors qu'il n'avait que 18 ans. Il avait acquis et développé d'importantes compétences dans son domaine d'activité, dans lequel il maîtrisait différentes technologies innovantes. Il pouvait échanger de manière fluide en français, étant proche du niveau B1, et s'était investi dans le milieu associatif dès son arrivée, exerçant notamment une activité bénévole auprès de G______. Il était autonome sur le plan financier et réalisait un revenu mensuel de CHF 5'908.15. Les personnes dont l'audition était demandée pouvaient témoigner de son excellente intégration sociale, et l'une d'entre elles, qui était son employeur, de ce que ses connaissances professionnelles étaient si spécifiques qu'il ne pourrait les mettre à profit en Albanie.

Le TAPI avait procédé à une constatation inexacte des faits pertinents, et abusé de son pouvoir d'appréciation en retenant que sa situation ne correspondait pas à un cas d'extrême gravité. Un retour dans son pays d'origine le placerait dans une profonde détresse sur le plan personnel et économique. Son cas différait de celui de l'ensemble de la population vivant en Albanie, dont on ne pouvait considérer qu'elle se trouvât dans une situation la contraignant à l'abandon d'un cercle social solide ainsi qu'à la régression professionnelle.

b. Le 13 mars 2023, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

Le recourant était arrivé en Suisse à l'âge de 40 ans. Il totalisait un peu plus de sept ans de séjour au moment du dépôt de sa demande de régularisation en février 2022.

Des documents attestaient certes de la spécificité de son activité professionnelle et de sa participation au domaine associatif. Néanmoins, seule une intégration professionnelle ou socioculturelle exceptionnelle permettrait de retenir un enracinement profond justifiant la reconnaissance d'un cas de rigueur.

c. Le 20 mars 2023, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 28 avril 2023 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 26 avril 2023, l'intimé a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires.

e. Le 28 avril 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions, en particulier les auditions demandées. Au vu de sa bonne maîtrise de la langue française, de sa spécialisation professionnelle, de son excellente intégration socioculturelle et de sa participation au domaine associatif, il fallait conclure qu'il était profondément enraciné en Suisse et que sa situation était constitutive d'un cas de rigueur.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant sollicite son audition et celle de témoins.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 140 I 68 consid. 9.6.1 ; 134 I 140 consid. 5.3).

2.2 En l'espèce, le recourant a eu l’occasion de s’exprimer devant l’OCPM, le TAPI et la chambre de céans, et de produire toute pièce utile. Il n’expose pas quels éléments supplémentaires son audition apporterait à l’instruction de la cause, si ce n'est la possibilité d'entendre son aisance en français. Sa maîtrise de la langue française est toutefois documentée par pièce, et le niveau atteint et consacré par un examen n'est pas contesté.

Il explique au surplus que l'audition des six témoins cités dans son acte de recours servirait à attester de son intégration sociale et professionnelle et, pour F______, de sa spécialisation professionnelle et de sa valeur au sein de l'entreprise, ceci alors que le premier point résulte déjà du dossier et que le second n'est pas contesté par l'intimé. La chambre de céans dispose ainsi d'un dossier complet lui permettant de trancher le litige en toute connaissance de cause. Il ne sera donc pas donné suite aux demandes d'audition, et le grief relatif à une violation du droit d'être entendu par le TAPI sera écarté.

3.             Le litige porte sur la décision de l'intimé refusant de soumettre le dossier du recourant avec un préavis positif au SEM et prononçant son renvoi de Suisse.

3.1 Le recours devant la chambre administrative peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation inexacte des faits (art. 61 al. 1 LPA). En revanche, celle-ci ne connaît pas de l'opportunité des décisions prises en matière de police des étrangers, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une mesure de contrainte (art. 61 al. 2 LPA ; art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10, a contrario ; ATA/431/2022 du 26 avril 2022 consid. 2a).

3.2 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr), qui a alors été renommée LEI, et de l’OASA. Conformément à l’art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l’espèce, après le 1er janvier 2019 sont régies par le nouveau droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1075/2019 du 21 avril 2020 consid. 1.1).

3.3 La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 al. 1 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants d'Albanie.

3.4 L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

3.5 L'art. 31 al. 1 OASA prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant sur la base des critères d’intégration définis à l’art. 58a al. 1 LEI (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (directives LEI, état au 1er septembre 2023, ch. 5.6.10).

3.6 Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c ; directives LEI, ch. 5.6).

3.7 L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire la personne requérante aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique que la personne concernée se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'elle tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question et auxquelles la personne requérante serait également exposée à son retour, ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d'une femme seule dans une société donnée (ATF 123 II 125 consid. 5b/dd ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.245/2004 du 13 juillet 2004 consid. 4.2.1 ; 2A.255/1994 du 9 décembre 1994 consid. 3). Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par la personne requérante à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3 ; ATA/887/2023 du 22 août 2023 consid. 4.3).

La question n'est donc pas de savoir s'il est plus facile pour la personne concernée de vivre en Suisse, mais uniquement d'examiner si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de sa situation personnelle, professionnelle et familiale, seraient gravement compromises (ATF 139 II 393 consid. 6 ; 138 II 229 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_250/2022 du 11 juillet 2023 consid. 6.2).

3.8 Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine, une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse, la situation des enfants, notamment une bonne intégration scolaire aboutissant après plusieurs années à une fin d'études couronnée de succès. Constituent en revanche des facteurs allant dans un sens opposé le fait que la personne concernée n'arrive pas à subsister de manière indépendante et doive recourir aux prestations de l'aide sociale ou des liens conservés avec le pays d'origine, par exemple sur le plan familial, susceptibles de faciliter sa réintégration (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; ATAF 2020 VII/2 consid. 8.5).

Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit néanmoins être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances du cas particulier et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2).

3.9 En l'espèce, le recourant est arrivé en Suisse en mai 2014. Dès lors, au moment du dépôt de sa demande de régularisation, en février 2022, son séjour à Genève était légèrement inférieur à huit ans, et il est maintenant de neuf ans, ce qui constitue une durée assez longue. Celle-ci doit toutefois être relativisée puisque le séjour du recourant s'est intégralement déroulé dans l'illégalité – ou, depuis 2022, au bénéfice d'une tolérance des autorités de migrations. Cette durée ne saurait dès lors à elle seule constituer un cas d'extrême gravité.

Son intégration socio-professionnelle apparaît bonne, comme l'a du reste retenu l'autorité intimée. Le recourant travaille depuis son arrivée en Suisse, n’a pas recouru à l’aide sociale et n’a pas de dettes. Cela étant, l'indépendance économique est un aspect qui est en principe attendu de tout étranger désireux de s'établir durablement en Suisse et ne constitue donc pas un élément extraordinaire en faveur du recourant. Ainsi, si cet élément est à mettre au crédit de l’intéressé, il relève du comportement que l’on est en droit d’attendre de toute personne séjournant dans le pays (arrêts du Tribunal fédéral 2C_779/2016 du 13 septembre 2016 consid. 4.2 et 2C_789/2014 du 20 février 2015 consid. 2.2.2).

Par ailleurs, contrairement à ce qu'il prétend, l’activité du recourant dans le secteur des piscines et spas n’est pas constitutive d'une ascension professionnelle remarquable et ne l’a pas conduit à acquérir des connaissances professionnelles spécifiques à la Suisse qu'il ne pourrait mettre à profit dans un autre pays, en particulier son pays d'origine. À cet égard, la question n'est pas de savoir à quel point le recourant est indispensable à la bonne marche de l'entreprise dans laquelle il travaille, mais si son expérience pourrait être mise à profit en Albanie. Ce dernier pays connaît notoirement un boom des secteurs du tourisme et de la construction, et la proximité de la mer ou de lacs n'empêche à l'évidence pas les propriétaires d'ajouter une piscine à leur bâtiment, comme le démontre du reste l'activité du recourant dans le canton de Genève. L'activité professionnelle exercée par le recourant en Suisse ne lui permet donc pas de se prévaloir d'une intégration professionnelle exceptionnelle au sens de la jurisprudence précitée.

Le recourant n'a pas été condamné pénalement et parle bien français, démontrant posséder un niveau proche de B1. Il s'est certes investi dans la vie associative en démontrant être bénévole auprès de G______, mais cet engagement reste, par sa nature, lié à sa communauté d'origine. Il ne peut dès lors être retenu qu'il fait preuve d'une intégration sociale exceptionnelle au sens de la jurisprudence.

Contrairement à ce qu'il allègue, sa réintégration sociale en Macédoine du Nord n’apparaît pas gravement compromise. En effet, il est arrivé en Suisse à l'âge de 40 ans, et quand bien même il aurait, comme il l'affirme, quitté l'Albanie à l'âge de 18 ans, il y a passé toute son enfance, son adolescence et les deux premières années de sa vie d’adulte. Il maîtrise la langue de son pays d'origine et en connaît les us et coutumes. Il ne conteste pas que son épouse et l'un de ses enfants vivent en Albanie. Ainsi, malgré son séjour en Suisse et le cas échéant auparavant dans d'autres États européens, son pays ne peut lui être devenu complètement étranger. Âgé de 49 ans et en bonne santé, il ne devrait pas rencontrer de problèmes de réintégration professionnelle beaucoup plus importants que ceux de ses compatriotes revenant volontairement au pays, étant rappelé qu'il pourra se prévaloir de son expérience professionnelle acquise en Suisse.

Le recourant ne présente donc pas une situation de détresse personnelle au sens de l'art. 30 al. 1 let. b LEI, ce quand bien même un retour dans son pays d'origine est susceptible d’engendrer pour lui certaines difficultés de réadaptation. Il ne se justifie en conséquence pas de déroger aux conditions d'admission en Suisse en sa faveur, au vu de la jurisprudence très stricte en la matière. Enfin, il sera rappelé que l’autorité intimée bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation que la chambre de céans ne revoit qu’en cas d’abus ou d’excès, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Au vu de ce qui précède, l’autorité intimée n’a pas violé la loi, ni commis un abus de son pouvoir d’appréciation, en refusant de préaviser favorablement auprès du SEM la demande d’autorisation de séjour présentée par le recourant.

4.             Reste à examiner la conformité au droit du renvoi qui a été prononcé.

4.1 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, toute personne étrangère dont l'autorisation est refusée, révoquée ou qui n'est pas prolongée après un séjour autorisé est renvoyée. La décision de renvoi est assortie d'un délai de départ raisonnable (art. 64 let. d al. 1 LEI).

4.2 Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI). L'exécution n'est pas possible lorsque la personne concernée ne peut quitter la Suisse pour son État d'origine, son État de provenance ou un État tiers ni être renvoyée dans un de ces États (art. 83 al. 2 LEI). Elle n'est pas licite lorsqu'elle serait contraire aux engagements internationaux de la Suisse (art. 83 al. 3 LEI). Elle n'est pas raisonnablement exigible si elle met concrètement en danger la personne étrangère, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEI).

4.3 En l'espèce, le recourant ne soutient pas que son renvoi serait impossible, illicite ou inexigible, et les éléments figurant au dossier ne laissent pas apparaître que tel serait le cas, si bien que le prononcé du renvoi ne prête pas le flanc à la critique.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

5.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 janvier 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 décembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de A______;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Ilir CENKO, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Sylvie DROIN, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.