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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2133/2023

ATA/1240/2023 du 14.11.2023 ( FORMA ) , REJETE

Descripteurs : AVOCAT;STAGE;CERTIFICAT DE CAPACITÉ;EUROPE;ACCORD SUR LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES;RECONNAISSANCE D'UN DIPLÔME;TITRE UNIVERSITAIRE;EXAMEN(FORMATION)
Normes : ALCP.1.leta; ALCP.9; ALCP.16.par2; LLCA.3.al1; LLCA.7; LPAv.24; LPAv.31.al1; LPAv.33A
Résumé : L'accord de reconnaissance des diplômes au sens des art. 7 al. 1 let. a LLCA et 33A al. 1 let. a LPAV doit porter sur un diplôme (en droit) de type universitaire. La Suisse n'a pas conclu un tel accord avec la France. Les masters en droit obtenus par la recourante, avocate-stagiaire, dans une université française ne sont ainsi pas reconnus en Suisse et ne lui permettent pas d'être admise à l'examen final du brevet d'avocat. Recours rejeté.
En fait
En droit

république et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2133/2023-FORMA ATA/1240/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 novembre 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

FACULTÉ DE DROIT - ÉCOLE D'AVOCATURE DE GENÈVE intimée

 



EN FAIT

A. a. A______, de nationalité suisse, est titulaire d'un bachelor en droit délivré par l'Université de Fribourg, de deux maîtrises (ou masters) en droit (mention droit comparé, droits français et suisse, d'une part, et économie, gestion, mention droit international, d'autre part) délivrées par l'Université B______ Paris II ainsi que du certificat de spécialisation en matière d'avocature délivré par l'École d'avocature de Genève (ci‑après : ECAV).

b. Par arrêté du 20 janvier 2021, l'ancien département de la sécurité, de l'emploi et de la santé l'a autorisée à prêter le serment professionnel d'avocat.

c. Du 1er novembre 2020 au 31 octobre 2022, elle a accompli un stage d'avocat au sein d'une étude genevoise.

B. a. Par courriel du 16 août 2022 adressé à C______, directrice de l'ECAV, A______, souhaitant s'inscrire à l'examen final du brevet d'avocat, a requis la confirmation que sa maîtrise, englobant les deux masters qu'elle avait obtenus à Paris, remplissait les conditions nécessaires à son inscription.

À la suite de cette demande, un échange de courriels est intervenu entre la directrice de l'ECAV, qui sollicitait des informations complémentaires, et l'intéressée, qui a fourni notamment des précisions sur le lien entre ses masters et les procès-verbaux de note qu'elle avait entre-temps transmis.

b. A______ s'est inscrite à l'examen final du brevet d'avocat pour la session du 30 novembre 2022.

c. Par décision du 14 novembre 2022, l'ECAV a refusé son inscription.

Aucune équivalence entre un master étranger en droit et un master suisse en droit n'était reconnue pour accéder à l'examen final du brevet d'avocat. La Suisse n'avait pas encore conclu d'accord de reconnaissance mutuelle des diplômes.

L’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (RS 0.142.112.681 ; ci-après : ALCP) traitaient de la reconnaissance des qualifications professionnelles et non pas académiques.

L'accord-cadre franco-suisse sur la reconnaissance des diplômes conclu le 10 septembre 2008 entre, d'une part, la Conférence des Présidents d’Université française (CPU) et la Conférence des Directeurs des Écoles Françaises d’Ingénieurs (CDEFI), ainsi que, d'autre part, la Conférence des recteurs des universités suisses (CRUS), la Conférence des recteurs des hautes écoles spécialisées suisses (KFH) et la Conférence suisse des rectrices et recteurs des hautes écoles pédagogiques (COHEP ; ci-après : l'accord-cadre du 10 septembre 2008) s'appliquait dans le cadre du cursus universitaire pour l'accès à un enseignement supérieur, mais pas pour l'accès à la profession d'avocat.

Dès lors, le master français en droit de l'intéressée ne pouvait être « reconnu au titre de la reconnaissance mutuelle des diplômes ».

d. A______ a formé opposition contre cette décision auprès du conseil de direction de l'ECAV.

e. Par décision sur opposition du 24 mai 2023, ce dernier a rejeté l'opposition, persistant dans les motifs de sa décision du 14 novembre 2022.

C. a. Par acte remis à la poste le 26 juin 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à son annulation et à ce qu'elle soit admise à l'examen final du brevet d'avocat.

Contrairement à ce que soutenait l'ECAV, la Suisse et l'Union européenne (ci‑après : UE) avaient conclu des accords de reconnaissance mutuelle des diplômes. Son master français en droit devait dès lors être reconnu, si bien qu'elle devait être admise à l'examen final du brevet d'avocat.

b. L'ECAV a conclu au rejet du recours, renvoyant aux motifs de la décision attaquée et précisant pour le surplus que les cours de master dispensés par les universités suisses étaient abordés avec une perspective helvétique, qui contribuait à l'acquisition des connaissances du système juridique suisse, un élément qui relevait de l'intérêt public. Un master dispensé à l'étranger sans qu'un accent soit mis sur le système juridique suisse ne pouvait pas être vu comme un diplôme équivalent, quand bien même certains intitulés de cours pouvaient correspondre entre les deux formations.

c. L'ECAV et A______ ayant indiqué à la chambre administrative ne pas avoir d'observations complémentaires à déposer, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 36 al. 1 du règlement relatif à la procédure d’opposition au sein de l’université du 16 mars 2009 - RIO-UNIGE, révisé le 25 mars 2015, par renvoi des art. 25 al. 3 du règlement d’application de la loi sur la profession d’avocat du 7 décembre 2010 - RPAv - E 6 10.01 et 11 du règlement d'études de l'ECAV).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit du refus de l'intimée d'inscrire la recourante à l'examen final du brevet d'avocat.

2.1 Celle-ci invoque une violation des art. 7 al. 1 let. a loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61) ainsi que 24 al. 1 let. a et 33A al. 1 let. a de loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10), qui reprennent à l'identique la condition du « diplôme équivalent délivré par une université d’un État qui a conclu avec la Suisse un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes ».

La recourante soutient que les diplômes de master délivrés par un pays membre de l'UE, tels que les siens, devraient être reconnus par la Suisse, dans la mesure où les États parties à l'ALCP s'étaient engagés à reconnaître mutuellement les diplômes qu'ils délivraient. L'ALCP constituait un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes. Il en allait de même de l'accord-cadre du 10 septembre 2008.

De plus, la libre circulation des personnes instaurée par l'ALCP empêchait la Suisse de faire obstacle à l'inscription au registre cantonal des avocats d'un ressortissant d'un État membre de l'UE ou de l'Association européenne de libre‑échange (ci‑après : AELE) qui aurait obtenu un master en droit dans l'un de ces États et effectué un stage en Suisse.

2.2 Selon l’art. 7 LLCA, pour être inscrit au registre, l’avocat doit être titulaire d’un brevet d’avocat. Les cantons ne peuvent délivrer un tel brevet que si le titulaire a effectué des études de droit sanctionnées soit par une licence ou un master délivrés par une université suisse, soit par un diplôme équivalent délivré par une université de l’un des États qui ont conclu avec la Suisse un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes (al. 1 let. a) et un stage d’une durée d’un an au moins effectué en Suisse et sanctionné par un examen portant sur les connaissances juridiques théoriques et pratiques (al. 1 let. b).

Les conditions de l'équivalence du diplôme et de l'existence d'un accord (art. 7 al. 1 let. a LLCA) s'appliquent cumulativement. Le législateur fédéral a, semble-t-il, cherché à éviter qu'un canton inscrive au registre des avocats un ressortissant d'un pays autre que ceux de l'UE et de l'AELE, porteur d'un titre étranger, et qu'il ouvre ainsi la porte à des requêtes de ressortissants d'autres États tiers qui se fonderaient sur la clause précitée. Il n'en demeure pas moins que la portée de cette disposition n'est pas claire, même s'il faut vraisemblablement admettre que la Suisse n'a pas encore conclu de véritable accord de reconnaissance mutuelle des diplômes au sens de celle-ci. En effet, l'ALCP ne traite pas directement de la reconnaissance d'un diplôme universitaire dans le domaine juridique, parce que l'exercice de la profession de « juriste » n'est pas réglementé en Suisse. La Convention de Lisbonne du 11 avril 1997 concerne l'accès à l'enseignement supérieur et la Convention de l'Unesco du 21 décembre 1979 fixe, quant à elle, des objectifs et pose des principes. Ces deux conventions ne sont sans doute pas visées par l'art. 7 al. 1 let. a in fine LLCA (François BOHNET/Vincent MARTENET, Droit de la profession d'avocat, Berne 2009, p. 228 ss).

Dans le but d'assurer que les avocats stagiaires soient aptes à exercer correctement leur activité, le diplôme « équivalent » en question doit garantir que la personne concernée dispose des connaissances suffisantes de base en droit suisse nécessaires à cette fin (ATF 146 II 309 consid. 4.4.6).

2.3 L'art. 7 LLCA fixe les conditions pour l'admission au stage en Suisse puis pour la délivrance d'un brevet d'avocat par un canton suisse. En revanche, les conditions d'exercice de la profession en Suisse pour un avocat titulaire d'un titre d'un État membre de l'UE ou de l'AELE, sous son titre d'origine ou sous forme de prestations de service, ne sont pas régies par l'art. 7 LLCA, mais par les art. 27 ss LLCA ou 21 ss LLCA. Les conditions d'inscription d'un avocat d'un État membre de l'UE ou de l'AELE au registre des avocats sont déterminées par les art. 33 ss LLCA, qui dispensent expressément de la poursuite d'un stage pratique, remplacé par une épreuve d'aptitude ou par la justification d'une pratique de trois ans au moins ou sous le titre professionnel d'origine, avec expérience et connaissances acquises en droit suisse (Benoit CHAPPUIS/Mathieu CHÂTELAIN, in Michel VALTICOS/Christian REISER/Benoît CHAPPUIS/François BOHNET [éds.], Commentaire romand – Loi sur les avocats, 2e éd., 2022, n. 5 ad art. 7 LLCA).

Les avocats UE/AELE peuvent demander leur inscription au registre des avocats après trois années de pratique en suisse sous leur titre d'origine. Après une vérification de leurs aptitudes professionnelles, ils jouissent des mêmes droits qu'un avocat titulaire d'un brevet cantonal inscrit au registre. Il s'agit de l'un des effets de l'entrée en vigueur des accords bilatéraux passés entre la Suisse et l'UE, la LLCA ayant été complété par les sections 4, 5, et 6 régissant le statut et les activités des avocats membres de l'UE et de l'AELE (Benoît CHAPPUIS, La profession d'avocat, Tome I, Le cadre légal et les principes essentiels, 2016, p. 17).

2.4 L'ALCP, entré en vigueur le 1er juin 2002, tend notamment à accorder aux ressortissants des États membres de l'UE et de la Suisse un droit d’entrée, de séjour, d’accès à une activité économique salariée, d’établissement en tant qu’indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes (art. 1 let. a ALCP).

La conclusion de l’ALCP a impliqué pour la Suisse de régler dans la LLCA les modalités d’accès aux activités d’avocat en Suisse pour les avocats ressortissants des États membres de l’UE, en transposant en droit suisse la réglementation communautaire pertinente, soit notamment la directive 98/5/CE du parlement européen et du Conseil de l’UE du 16 février 1998 visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (ci-après : la directive 98/5/CE), étant précisé que les directives sur la reconnaissance des diplômes ne s’appliquent que si les conditions relatives à la circulation des personnes sont remplies (FF 1999 5331, pp. 5339, 5358, 5375 et 5387). Les art. 27 à 29 LLCA règlent ainsi l’exercice permanent de la profession d’avocat, sous le titre d’origine, par les avocats ressortissants des États membres de l’UE conformément à la directive 98/5/CE (FF 1999 5331, p. 5378 ; ATA/583/2017 du 23 mai 2017 consid. 4a)

Afin de faciliter aux ressortissants des État membres de la Communauté européenne et de la Suisse l'accès aux activités salariées et indépendantes et leur exercice, ainsi que la prestation de services, les parties contractantes prennent les mesures nécessaires, conformément à l'annexe III, concernant la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres et la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des parties contractantes concernant l'accès aux activités salariées et non salariées et l'exercice de celles-ci, ainsi que la prestation de services (art. 9 ALCP). Selon cette disposition et l'Annexe III, la Suisse a convenu d'appliquer la directive 2005/36/CE (cf. décision n°2/2011 du 30 septembre 2011 du Comité mixte UE-Suisse sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles [RO 2011 4859 ss] ; citée dans sa version au 9 juillet 2021, c'est-à-dire à la date de la décision rendue par le Secrétariat d'État à la formation [ATF 144 II 326 consid. 2.1.1; 141 II 393 consid. 2.4 ; 139 II 243 consid. 11.1] ; arrêts du Tribunal fédéral 2C 532/2022 du 17 janvier 2023 consid. 4.1 ; 2C 590/2022 du 13 janvier 2023 consid. 7.1).

2.4.1 Intitulée « reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles », l'annexe III ALCP se réfère à trois sortes de directives européennes, dont deux directives générales qui ne prévoient pas une reconnaissance automatique – les formations n'étant pas harmonisées –, mais instituent une procédure de reconnaissance consistant à établir l'équivalence des formations et, en cas de différences substantielles, à exiger une épreuve d'aptitude ou un stage d'adaptation. Il s'agit de la Directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans (JO L 19 du 24 janvier 1989 p. 16) et la Directive 92/51/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles qui complète la Directive 89/48/CEE (JO L 209 du 24 juillet 1992 p. 25). Au sein de l'Union européenne, l'ensemble de ces textes a été remplacé par la nouvelle Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO L 255 du 30 septembre 2005 p. 22), qui reprend pour l'essentiel le système en vigueur jusque-là (ATF 136 II 470 consid. 4.1 et les références citées).

 

La directive 2005/36/CE s’applique à tout ressortissant d’un État membre, y compris les membres des professions libérales, voulant exercer une profession réglementée dans un État membre autre que celui où il a acquis ses qualifications professionnelles, soit à titre indépendant, soit à titre salarié (cf. art. 2 par. 1 de la directive 2005/36/CE). En vertu de la décision n°2/2011 du Comité mixte UE‑Suisse du 30 septembre 2011 (cf. JOUE L 277 du 22 octobre 2011 p. 20), et suite à son entrée en vigueur le 1er septembre 2013, la directive est devenue intégralement applicable en Suisse à partir du 1er septembre 2013 (arrêt du Tribunal administratif fédéral B-2551/2022 du 7 juin 2022 consid. 3.1.1).

En vertu des art. 9 et 16 par. 2 ALCP, le système européen de reconnaissance des diplômes est directement applicable en Suisse (ATF 136 II 470 consid. 4.1 ; 134 II 341 consid. 2.1).

2.4.2 La directive 98/5 ne concerne que l'avocat pleinement qualifié comme tel dans son État d'origine, de sorte qu'elle ne s'applique pas aux personnes qui n'ont pas encore acquis la qualification professionnelle nécessaire pour exercer la profession. La directive 89/48 s'applique à tout ressortissant d'un État membre voulant exercer à titre indépendant ou salarié une profession réglementée dans un État membre d'accueil (arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes [CJCE], devenue la Cour de justice de l'Union européenne [CJUE], du 13 novembre 2003, C-313/01, Morgenbesser, point 45 s.).

2.4.3 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les règles du droit européen ne prévoient la reconnaissance des diplômes, certificats et autres titres que dans la mesure où cela est nécessaire à l'exercice d'une profession, en vue de réaliser la libre circulation des personnes et des services, dans un État membre autre que celui où les qualifications professionnelles ont été acquises. Il s'ensuit que ces règles s'appliquent uniquement à la reconnaissance des diplômes, certificats et autres titres à des fins professionnelles, à l'exclusion de leur reconnaissance à des fins académiques. La première a pour but l'exercice d'une profession dont l'accès est subordonné à une qualification, tandis que la seconde vise la poursuite des études, partant la mobilité des étudiants, et non des professionnels même si elle contribue à la favoriser. Si la première peut se fonder sur l'ensemble de la formation et de l'expérience du requérant, la seconde ne peut en principe être évaluée que par rapport à un seul titre de formation. Il faut en outre que les diplômes, certificats et autres titres dont la reconnaissance est demandée permettent directement d'exercer la profession concernée (ATF 136 II 470 consid. 4.2 et les références citées).

2.5 L'art. 3 al. 1 LLCA réserve le droit des cantons de fixer les exigences pour l'obtention du brevet d'avocat cantonal (ATF 134 II 329 consid. 5.4 ; 131 I 467 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_887/2020 du 18 août 2021 consid. 6.2 et les références citées).

2.6 Selon l'art. 24 LPAv, dans le canton de Genève, pour obtenir le brevet d'avocat, il faut remplir les conditions cumulatives suivantes : avoir effectué des études de droit sanctionnées soit par une licence ou un master délivrés par une université suisse, soit par un diplôme équivalent délivré par une université de l’un des États qui ont conclu avec la Suisse un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes (let. a) ; avoir effectué une formation approfondie à la profession d'avocat validée par un examen (let. b) ; avoir accompli un stage (let. c) ; avoir réussi un examen final (let. d).

Aux termes de l'art. 33A al. 1 LPAv, pour être admis à l'examen final, le candidat doit avoir obtenu une licence en droit ou un master en droit délivré par une université suisse ou un diplôme équivalent délivré par une université d’un État qui a conclu avec la Suisse un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes (let. a), avoir réussi l'examen validant la formation approfondie (let. b) et avoir accompli le stage (let. c), qui doit en principe durer au minimum 18 mois (art. 31 al. 1 LPAv).

L'examen final est un examen professionnel vérifiant la maîtrise des compétences juridiques théoriques et pratiques des avocats stagiaires (art. 33A al. 3 LPAv).

Il ressort des travaux préparatoires du chapitre IV LPAv, dont font parties les art. 24 et 33A al. 1 let. a LPAv, que, tranchant deux questions laissées indécises par la nouvelle LLCA, le projet de loi a opté, d'une part, en faveur d’un accès à la profession d’avocat limité aux personnes ayant obtenu un bachelor en droit suisse délivré par une université suisse ou ayant obtenu 180 crédits ECTS en droit, dont 120 crédits ECTS en droit suisse, ces derniers ayant été délivrés par une université suisse et donc bénéficiant de bonnes connaissances en droit suisse. L’on évite ainsi que des étudiants puissent accéder à la formation d’avocat alors qu'ils n'ont pas suivi un minimum d'enseignements en droit suisse, par exemple en ayant obtenu un bachelor en droit étranger et un master en droit international et européen ou encore en ayant obtenu un master en droit du vivant (l’un des masters prévus par la faculté de droit de Genève) sans avoir suivi auparavant d’études de droit, mais des études de biologie ou de médecine. En effet, l'intérêt public qui est celui de la protection des justiciables requiert que la pratique du barreau genevois soit réservée aux personnes disposant de connaissances minimum en droit suisse (ATA/598/2018 du 12 juin 2018 consid. 5e).

D'autre part, le projet de loi prévoit qu’il ne faut pas laisser des titulaires de bachelor se présenter à l’examen final sans avoir préalablement obtenu un master en droit, si celui-ci ne devait pas avoir été obtenu avant l’entrée en stage. Cela permet d’éviter que quiconque puisse prétendre justifier du titre d’avocat, alors même qu’il ne pourrait pas obtenir son inscription au registre cantonal, faute de disposer d’un master en droit d’une université suisse ou d’un titre équivalent au sens de l’art. 7 LLCA (Mémorial des séances du Grand Conseil de la République et canton de Genève [en ligne] [ci-après : MGC], séance 17 du 22 janvier 2009 à 17h00, PL 10'426, p. 16-17, consultable en ligne sur http://ge.ch/grandconseil /data/texte/PL10426.pdf ; ATA/598/2018 précité consid. 5e).

Aux commentaires par article du projet de loi, il est précisé à propos de l'art. 33A al. 1 LPAv que, jusqu'à présent, la licence en droit était nécessaire et suffisante tant pour l'admission au stage que pour l'inscription au registre. Désormais, le bachelor en droit est suffisant pour effectuer le stage, mais le master en droit est nécessaire pour l'inscription au registre conformément à l'art. 7 al. 1 let. a LLCA. En conséquence, compte tenu du fait que la personne qui subit avec succès l'examen de fin de stage peut requérir du Conseil d'État la délivrance du brevet d'avocat (art. 33 LPAv) et donc ensuite demander son inscription au registre, il est impératif qu'elle soit titulaire, lors de son inscription à l'examen final, d'un master en droit (MGC, PL 10'426 précité, p. 28, http://ge.ch/grandconseil/data/texte/PL10426.pdf ; ATA/598/2018 précité consid. 5e).

2.7 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge doit rechercher la véritable portée de la norme au regard notamment de la volonté du législateur telle qu'elle ressort, entre autres, des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 141 III 53 consid. 5.4.1). Lorsqu'il est appelé à interpréter une loi, le Tribunal fédéral adopte une position pragmatique en suivant ces différentes interprétations, sans les soumettre à un ordre de priorité (ATF 146 II 309 consid. 4.4 ; 140 II 202 consid. 5.1 ; 139 IV 270 consid. 2.2).

3.             En l'espèce, la recourante est titulaire d'un bachelor en droit suisse délivré par une université suisse ainsi que du certificat de spécialisation en matière d'avocature. Elle a accompli à Genève un stage d'avocat d'une durée supérieure à 18 mois.

Elle a également obtenu deux maîtrises délivrées par une université française. À cet égard, l'intimée considère que ces diplômes ne répondent pas à la définition du « diplôme équivalent délivré par une université d’un État qui a conclu avec la Suisse un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes » au sens des art. 7 al. 1 let. a LLCA ainsi que 24 al. 1 let. a et 33A al. 1 let. a LPAv, raison pour laquelle elle lui a refusé son inscription à l'examen final. En effet, la Suisse n'aurait pas conclu avec la France un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes, l'ALCP et la directive 2005/36/CE en particulier ne pouvant être considérées comme tel.

L'intimée doit être suivie sur ce point, compte tenu de ce qui suit.

Il faut au préalable admettre que le texte des art. 7 al. 1 let. a LLCA ainsi que 24 al. 1 let. a et 33A LPAv entretient un certain flou, puisque ces dispositions ne définissent pas ce qu'il faut comprendre par « diplômes », en particulier s'il doit s'agir de diplômes universitaires ou professionnels. Par exemple, à Genève, le bachelor, la maîtrise, le certificat de spécialisation en matière d'avocature et le brevet d'avocat sont tous des diplômes, mais les premiers sont des diplômes universitaires et le dernier un diplôme professionnel.

Cela étant, il ressort de l'interprétation téléologique des art. 7 al. 1 let. a LLCA ainsi que 24 let. a et 33A LPAv que l'accord de reconnaissance des diplômes est directement lié au diplôme considéré comme équivalent à la licence ou au master délivrés par une université suisse, celui-là étant un préalable à l'obtention du brevet d'avocat et non un titre permettant l'exercice direct de la profession d'avocat. L'accord de reconnaissance des diplômes au sens des dispositions précitées doit par conséquent porter sur un diplôme de type universitaire, lequel sera reconnu en vue de donner la possibilité à son titulaire de s'inscrire à l'examen final du brevet d'avocat et, le cas échéant, d'obtenir celui-ci. Un accord de reconnaissance des qualifications professionnelles ne peut donc pas, a contrario, répondre à la définition d'accord de reconnaissance des diplômes.

Or, comme le retient la jurisprudence précitée, l'ALCP et la directive 2005/36/CE prévoient la reconnaissance des diplômes, certificats et autres titres seulement dans la mesure où cela est nécessaire à l'exercice d'une profession, telle que celle d'avocat. Ces règles s'appliquent, comme le suggère d'ailleurs le titre de l'annexe III de l'ALCP, à savoir « reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles », uniquement à la reconnaissance des diplômes, certificats et autres titres à des fins professionnelles, à l'exclusion de leur reconnaissance à des fins académiques. Elles visent à réaliser la libre circulation des personnes et des services dans un État membre autre que celui où les qualifications professionnelles ont été acquises mais ne contiennent aucune disposition sur la reconnaissance d'un diplôme universitaire dans le domaine juridique.

Il s'ensuit que, contrairement à ce que suggère une partie de la doctrine citée par la recourante (voir François BOHNET/Vincent MARTENET, Droit de la profession d'avocat, 2009, p. 231 n. 529 ; Benoit CHAPPUIS/Mathieu CHÂTELAIN, in Michel VALTICOS/Christian REISER/Benoît CHAPPUIS/François BOHNET [éds.], Commentaire romand – Loi sur les avocats, 2e éd., 2022, n. 19 ad art. 7 LLCA ; Ernst STAEHELIN/Christian OETIKER, in Walter FELLMANN/Gaudenz G. ZINDEL [éds.], Kommentar zum Anwaltgesetz, Bundesgesetz über die Freizügigkeit der Anwältinnen und Anwälte, 2e éd., 2011, ad art. 7 N 11), l'ALCP et la directive 2005/36/CE ne sauraient répondre à la définition d'accord de reconnaissance mutuelle des diplômes au sens des art. 7 al. 1 let. a LLCA ainsi que 24 let. a et 33A LPAv. L'interprétation systématique de la LLCA tend également à le confirmer puisque l'ALCP a été concrétisée spécifiquement par l'adoption des art. 27 ss LLCA, qui règlent les modalités d’accès aux activités d’avocat en Suisse pour les avocats des États membres de l’UE, soit uniquement pour ceux qui ont déjà acquis un diplôme professionnel.

Les arguments de la recourante ne permettent pas de remettre en cause ce qui précède. Elle ne saurait en particulier être suivie lorsqu'elle affirme que la libre circulation des personnes instaurée par l'ALCP empêcherait la Suisse de faire obstacle à l'inscription au registre cantonal des avocats d'un ressortissant d'un État membre de l'UE ou de l'AELE qui aurait obtenu un master en droit dans l'un de ces États et effectué un stage en Suisse. En effet, les auteurs qu'elle citent à l'appui de son allégation n'envisagent cette hypothèse que dans la situation d'une personne qui aurait obtenu le brevet cantonal après avoir réussi l'examen d'avocat au terme d'un stage répondant aux exigences de l'art. 7 al. 1 let. b LLCA (François BOHNET/Vincent MARTENET, Droit de la profession d'avocat, Berne 2009, p. 228 ss), ce qui n'est pas son cas.

En outre, elle se prévaut à tort de l'accord-cadre du 10 septembre 2008. En effet, selon son art. 1, cet accord‑cadre a pour objet de définir les modalités de la reconnaissance des diplômes en vue de faciliter la poursuite des études dans un établissement d'enseignement supérieur de l'autre pays. A contrario, il n'a pas pour effet de permettre la reconnaissance des diplômes en vue de l'obtention d'un titre professionnel, si bien qu'il ne peut pas non plus être considéré comme un « accord de reconnaissance des diplômes » au sens des dispositions concernées.

En définitive, la recourante ayant obtenu son master en France, avec laquelle la Suisse n'a pas conclu d'accord de reconnaissance mutuelle des diplômes, elle ne peut se prévaloir d'un diplôme satisfaisant à la première exigence cumulative posée par les art. 7 al. 1 let. a in fine LLCA ainsi que 24 let. a in fine et 33A al. 1 let. a in fine LPAv, ce qui suffit à entraîner pour elle l'impossibilité de se présenter à l'examen final du brevet d'avocat, celle-ci ne disposant pas non plus d'un master en droit délivré par une université suisse. Fort de ce constat, il n'est pas nécessaire d'analyser le caractère « équivalent » de son master français.

Partant, c'est à bon droit que l'intimée, qui ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation dans ce cadre, lui a refusé son inscription.

Le grief sera par conséquent écarté et le recours sera rejeté.

La chambre de céans relève cependant que la solution qui précède n'apparaît pas entièrement satisfaisante. En effet, d'une part, la recourante a acquis de solides connaissances en droit suisse à l'occasion de ses cours de bachelor et de l'ECAV, dont elle est ressortie à chaque fois diplômée, et de son stage pratique, qui a duré plus longtemps que le minimum requis. Son inscription à l'examen final lui a été refusée au motif que ses masters de droit international délivrés par une université française ne pouvaient être considérés comme un diplôme équivalent à un master en droit délivré par une université suisse, faute notamment pour les cours qu'elle a suivis dans ce cadre de contenir une dimension de droit suisse, alors même que l'Université de Genève propose une maîtrise en droit international et européen (voir le Plan d'études et horaires des cours 2023‑2024 disponible à l'adresse Internet suivante : https://www.calameo.com/read/003357826783b84a0d471?page=1) dont les cours ne semblent pas être axés sur le droit suisse, comme le suggère la vidéo de présentation de ce master (disponible à l'adresse internet : https://masters.unige.ch/droit#droit-international-et-europeen). Il semble ainsi douteux que la recourante se serait présentée, le cas échéant, à l'examen final du brevet d'avocat avec de moins bonnes connaissances du droit suisse que si elle avait suivi la maîtrise en droit international et européen proposée par l'Université de Genève, hypothèse dans laquelle son inscription n'aurait pas pu être refusée, étant rappelé qu'elle a obtenu deux maîtrises en droit dans une université d'un État membre de l'UE qui s'est associée à l'Université de Fribourg pour proposer un double diplôme de bachelor et de master (« Double diplôme de Bachelor et de Master Fribourg / Paris II»). L'intimée soutient qu'un master dispensé à l'étranger sans qu'un accent soit mis sur le système juridique suisse ne pourrait de toute façon pas être vu comme un diplôme « équivalent ». Or, la possibilité de suivre à l'étranger un master axé sur le droit suisse en particulier apparaît très théorique, si bien que la portée réelle de l'art. 7 al. 1 let. a in fine LLCA s'en trouve singulièrement limitée.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 juin 2023 par A______ contre la décision de la faculté de droit - École d'avocature de Genève du 24 mai 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la faculté de droit - École d'avocature de Genève.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Valérie LAUBER, Claudio MASCOTTO juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :