Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1920/2023

ATA/1071/2023 du 28.09.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1920/2023-EXPLOI ATA/1071/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 septembre 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Michael RUDERMANN, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL intimé



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______) a fait, le 9 août 2022, l’objet d’un contrôle par l’office cantonal de l’inspection du travail (ci-après : OCIRT) visant le respect des conditions, notamment salariales, de travail de ses employés.

b. Estimant qu’il paraissait vraisemblable que le salaire minimal n’était pas versé à B______, C______, D______ et E______, qui travaillaient comme local driver, pour les heures de travail effectuées dans les transports publics, l’OCIRT a invité l’entreprise à vérifier ce point.

c. Par courriel du 12 octobre 2022, la vice-directrice des ressources humaines du F______, s’occupant des décomptes de salaires des employés de A______, a répondu, concernant ce point, qu’elle allait « établir tous les déplacements en transports publics des local driver en fonction pour ces deux dernières années et évaluer quels [étaient] les rattrapages à effectuer afin d’assurer un salaire minium global à chacun ». Elle a précisé qu’il serait impossible de procéder aux rattrapages en octobre 2022, mais que ceux-ci se feraient en novembre 2022.

d. Par courrier du 29 novembre 2022, A______ a exposé que les « local driver » convoyaient les véhicules d’un endroit de prise en charge au centre d’entretien. Le temps de trajet vers ce centre était payé selon le temps de conduite estimé, sans embouteillage, par l’application Google Maps. Le trajet entre ce centre et un point de prise en charge était rétribué à 50 % du temps de trajet calculé par l’application précitée. A______ acceptait que le salaire minimum fût applicable et « par mesure de simplification », consentait au rattrapage des salaires pour la période de novembre 2020 à novembre 2022 en rémunérant à 100 % les transferts en transports publics. Les paiements allaient être effectués en décembre 2022 « moyennant » la validation de l’OCIRT. À compter du 1er décembre 2022, les local driver seraient intégrés au système d’enregistrement du temps de travail et le salaire horaire prévu serait le salaire minimum. Était joint à ce courrier un tableau récapitulant pour les quatre employés précités les rattrapages salariaux.

e. L’OCIRT a requis des précisions et relevé que le temps de trajet effectif devait être rémunéré, et non celui déterminé par Google Maps.

f. À l’issue de plusieurs échanges de courriels, l’OCIRT a constaté que les rattrapages salariaux de CHF 42'918.- avaient été valablement effectués, les contrats correctement adaptés et que le temps de travail était désormais correctement enregistré et rémunéré.

g. Par courrier du 13 mars 2023, l’OCIRT a informé A______ qu’au vu des manquements constatés, il entendait lui infliger une amende. La sous-enchère salariale, pour 2022, avait été de CHF 24'051.-.

h. A______ a relevé que le rattrapage avait uniquement eu lieu par mesure de simplification. Le paiement était donc intervenu par gain de paix et de temps. Aucune sanction ne pouvait ainsi lui être infligée.

i. Par courrier du 5 avril 2023, l’OCIRT a relevé les différents passages de l’échange de correspondance entre les parties, d’où ressortaient la reconnaissance de la sous-enchère salariale par A______ et sa volonté de la régulariser la situation. Le rattrapage ne constituait pas une mesure de simplification de sa part. Un nouveau délai était imparti à A______ pour se déterminer.

j. Dans celui-ci, A______ a observé que l’OCIRT ne se déterminait pas sur le caractère intentionnel des manquements reprochés, qui ne relevaient au plus de la négligence, et a maintenu sa position.

k. Par décision du 9 mai 2023, l’OCIRT a infligé une amende de CHF 1'300.- à A______ en raison de la sous-enchère salariale commise en 2022

B. a. Par acte expédié le 8 juin 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation. Subsidiairement, elle a conclu au renvoi du dossier à l’OCIRT pour nouvelle décision dans le sens des considérants ou à la réduction de l’amende par la chambre administrative.

Elle a repris les arguments déjà exposés. Seul le non-respect intentionnel du salaire minimum pouvait conduire au prononcé d’une amende, la négligence n’étant pas punissable. La décision violait donc le principe de la légalité. Il n’était pas établi qu’elle avait violé les dispositions relatives au salaire minimum.

b. L’OCIRT a conclu au rejet du recours.

c. Dans sa réplique, la recourante a insisté sur le fait que la simple négligence du respect de l’art. 45 al. 1 let. b LIRT n’était pas punissable. Le trajet des local driver était, certes, payé à concurrence de 50 % seulement. Toutefois, le salaire global versé aux intéressés était conforme au salaire minimum. Le niveau de gravité de l’infraction était qualifié de moyen, sans que l’on ne sache pourquoi. Enfin, la faute n’était pas qualifiée ; on ignorait si elle était intentionnelle ou qualifiée de négligence.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante conteste le bien-fondé de l’amende de CHF 1'300.- mis à sa charge pour non-respect du salaire minimal de quatre employés en 2022.

2.1 Les usages devant être respectés dans les différents secteurs d’activités, de même que le respect du salaire minimum genevois sont régis par la LIRT et son règlement d’application, dans leur teneur en vigueur au moment des faits.

2.2 Aux termes de l’art. 23 LIRT, l’OCIRT est l'autorité compétente chargée d'établir les documents qui reflètent les conditions de travail et prestations sociales en usage à Genève, sur la base des directives émises par le conseil de surveillance (al. 1). Les usages ne peuvent en aucun cas prévoir un salaire minimum inférieur à celui fixé à l'art. 39K (al. 2bis). Selon l’art. 26A LIRT, les entreprises en infraction aux usages font l’objet des sanctions prévues à l’art. 45 LIRT (al. 1).

2.3 Depuis le 31 octobre 2020, à la suite de l’adoption le 27 septembre 2020 de l’initiative populaire législative cantonale n° 173 « 23 frs, c'est un minimum! », la LIRT institue un salaire minimum afin de combattre la pauvreté, de favoriser l’intégration sociale et de contribuer ainsi au respect de la dignité humaine et définit les rôles et les compétences pour la mise en œuvre de ce salaire minimal (art. 1 al. 4 LIRT). Le salaire minimum est réglé au chapitre IVB de la LIRT. Les relations de travail des travailleurs accomplissant habituellement leur travail dans le canton y sont soumises (art. 39I LIRT).

Le salaire minimum est de CHF 23.- par heure (art. 39 K al. 1 LIRT), et il est indexé chaque année sur la base de l’indice des prix à la consommation, mais uniquement en cas de hausse (art. 39K al. 3 LIRT). L’OCIRT est chargé de l’application des dispositions sur le salaire minimum (art. 2 al. 1 LIRT).

2.4 Par arrêté relatif au salaire minimum légal pour 2020 et 2021 du 28 octobre 2020 (ArSML – J 1 05.03), le Conseil d’État a arrêté le salaire horaire minimum à CHF 23.- dès le 1er novembre 2020, à CHF 23.14 dès le 1er janvier 2021 (art. 1 al. 1 ArSML) et à CHF 23.27 dès le 1er janvier 2022 (ArSML du 3 novembre 2021).

2.5 Selon l’art. 39N LIRT, l'office peut prononcer une amende administrative de CHF 30'000.- au plus lorsqu'un employeur ne respecte pas le salaire minimum prévu à l'art. 39K. Ce montant de l'amende administrative peut être doublé en cas de récidive (al. 1). L'office peut également mettre les frais de contrôle à la charge de l'employeur (al. 2).

À teneur de l’art. 45 al. 1 LIRT, lorsqu'une entreprise visée par l'art. 25 ne respecte pas les conditions minimales de travail et de prestations sociales en usage ou le salaire minimum prévu à l'art. 39K, l'OCIRT peut prononcer : (a) une décision de refus de délivrance de l'attestation visée à l'art. 25 pour une durée de trois mois à cinq ans ; la décision est immédiatement exécutoire ; (b) une amende administrative de CHF 60'000.- au plus ; (c) l'exclusion de tous marchés publics pour une période de cinq ans au plus. Selon l’al. 2, les mesures et sanctions visées à l’al. 1 sont infligées en tenant compte de la gravité et de la fréquence de l’infraction ainsi que des circonstances dans lesquelles elle a été commise. Elles peuvent être cumulées.

2.6 L’art. 73 OLT 1 prescrit entre autres la tenue de registres permettant de vérifier pour chaque travailleur la nature de son activité, les dates du début et de la cessation de ses rapports de service (al. 1 let. b), les durées (quotidienne et hebdomadaire) du travail effectivement fourni, travail compensatoire et travail supplémentaire inclus, ainsi que ses coordonnées temporelles (al. 1 let. c), les jours de repos ou de repos compensatoire hebdomadaire accordés, pour autant qu’ils ne tombent pas régulièrement un dimanche (al. 1 let. d), l’horaire et la durée des pauses d’une durée égale ou supérieure à une demi-heure (al. 1 let. e). Ces registres doivent être conservés au moins cinq ans dès l’expiration de leur validité (al. 2).

2.7 En l’espèce, il ressort des indications fournies par la recourante qu’elle n’indemnisait le travail effectué par les local driver, lorsque ceux-ci se déplaçaient à des fins professionnelles en transports publics, qu’à concurrence de 50 % de leur salaire horaire et uniquement selon le temps de trajet estimé, sans embouteillage, par Google Maps. Dans son courrier du 29 novembre 2022, le conseil de la recourante a confirmé à l’OCIRT que dès le 1er décembre 2022, le salaire horaire des local driver serait le salaire minimum et que ces employés seraient intégrés au système d’enregistrement du temps de travail de l’entreprise ; il a joint un tableau récapitulant pour les quatre local driver concernés les rattrapages salariaux. Le rattrapage de salaire pour 2022 a été de CHF 24'051.-.

En tant que la recourante soutient désormais qu’il n’y aurait eu ni sous-enchère salariale ni irrégularité de l’enregistrement du temps de travail des quatre employés, elle adopte une attitude contradictoire, qui ne mérite pas protection (art. 2 al. 2 CC).

La sous-enchère salariale et l’enregistrement incorrect du temps de travail doivent ainsi être considérés comme établis.

3.             Il convient encore d’examiner le bien-fondé de la sanction prononcée.

3.1 Les amendes administratives prévues par la législation cantonale sont de nature pénale. Leur quotité doit ainsi être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/991/2016 du 22 novembre 2016 consid. 6a ; ATA/810/2016 du 27 septembre 2016 consid. 4a et la référence citée). En vertu de l'art. 1 al. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du CP s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif, ce qui vaut également en droit administratif sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 1 et 3 et 107 CP). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d'une simple négligence. L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0 ; principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP ; ATA/651/2022 du 23 juin 2022 consid. 14d et les arrêts cités).

La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/651/2022 précité consid. 14d et les arrêts cités).

Il doit être également tenu compte, en application de l'art. 106 al. 3 CP, de la capacité financière de la personne sanctionnée (ATA/651/2022 précité consid. 14f et la référence citée ; Michel DUPUIS/Laurent MOREILLON/Christophe PIGUET/Séverine BERGER/Miriam MAZOU/Virginie RODIGARI [éd.], Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., 2017, n. 6 ad. art. 106 CP). Sont pris en considération la nature, la gravité et la fréquence des infractions commises dans le respect du principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst. ; ATA/651/2022 précité consid. 14e et les arrêts cités).

L'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès. Enfin, l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. ; ATA/991/2016 précité consid. 6a).

3.2 En l’espèce, la recourante ne conteste pas qu’elle n’avait intégré les local driver dans le système d’enregistrement du temps de travail et ne soutient pas non plus qu’elle en aurait dû être dispensée. Elle a commis une sous-enchère salariale de CHF 24'051.- en 2022. Il ressort du dossier que la recourante connaissait le salaire minimum applicable à Genève, mais ne le versait qu’à hauteur de 50 % pour les temps de trajet en transports publics des local driver. Aussi, les temps de trajets en voiture n’étaient payés que selon le temps estimé par Google Maps et non le temps effectivement travaillé. En tant qu’employeur d’une certaine taille, bénéficiant de l’appui du service des ressources humaines de F______, la recourante doit, à tout le moins, se voir reprocher d’avoir agi par négligence.

Sa collaboration a été irréprochable, ayant immédiatement répondu aux demandes de renseignement de l’OCIRT, soumis à ce service des propositions de courriers aux employés concernés par le rattrapage de salaire et ayant versé celui-ci dès que l’OCIRT lui a confirmé qu’il était conforme à ses obligations. La recourante a également adapté rapidement les contrats des « local driver » pour y intégrer la rémunération des temps de trajets, conformément aux exigences légales. Enfin, la recourante n’a pas d’antécédents.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, l’amende de CHF 1'300.-, qui se trouve au demeurant dans le bas de la fourchette prévue par l’art. 45 al. 1 LIRT, ne prête pas le flanc à la critique.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui ne peut se voir allouer d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 juin 2023 par A______ contre la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 9 mai 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Michael RUDERMANN, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. DESCHAMPS

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :