Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/773/2023

ATA/983/2023 du 12.09.2023 ( AMENAG ) , REJETE

Recours TF déposé le 19.10.2023
Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;VITICULTURE;PRODUCTION VÉGÉTALE;TERRAIN EN PENTE;ZONE AGRICOLE;SURFACE D'ASSOLEMENT;AUTORISATION OU APPROBATION(EN GÉNÉRAL);PRATIQUE JUDICIAIRE ET ADMINISTRATIVE
Normes : Cst.104.al1.leta; LAgr.60; Ordonnance sur le vin.2; LVit.7; LVit.11; RVV.1; RVV.5; RVV.12
Résumé : Recours déposé par un vigneron contre le refus du département du territoire de l’autoriser à planter une nouvelle vigne à destination vinicole sur une parcelle qui n’est pas affectée à cette culture depuis plus de dix ans. La commission d’experts du cadastre viticole a délivré un préavis négatif, l’orientation septentrionale conjuguée à une déclivité moyenne de 2,7 % indiquant, entre autres critères, que le terrain n’est pas propice à la culture de la vigne. L’autorité inférieure ayant suivi le préavis de la commission compétente, la chambre administrative s’impose une certaine retenue. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/773/2023-AMENAG ATA/983/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 septembre 2023

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Mattia DEBERTI, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OCAN intimé



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : la société ou l’exploitante) est une société anonyme qui a notamment pour but l’exploitation de tout domaine viticole ou agricole.

b. La société est propriétaire de la parcelle n° 10'008 de la commune de B______ (ci‑après : la commune) dans laquelle elle a son siège.

c. Cette parcelle, bordée à l’ouest par la forêt, présente une pente moyenne de 2,7%. Elle est orientée nord-nord-ouest et constituée d’un sol de type néoluvisol. Elle est recensée, dans le plan du cadastre viticole à destination vinicole, en vigne hors zone. Dès lors qu’elle n’est pas affectée à cette culture depuis plus de dix ans, elle ne figure pas dans le registre des vignes. Enfin, elle est recensée dans les surfaces d’assolement (ci-après : SDA).

B. a. Le 7 juin 2022, l’exploitante a déposé auprès de l’office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci-après : OCAN ou office) du département du territoire (ci-après : le département) une requête en autorisation de planter une nouvelle vigne en vertu de l’art. 11 de la loi sur la viticulture du 17 mars 2000 (LVit‑M 2 50).Elle avait prévu de planter du cépage chasselas à raison de 50%, du pinot gris à raison de 25% et du pinot blanc pour 25%.

L’exploitante a notamment joint à sa requête un rapport établi le 17 mai 2022 par son œnologue. Il en ressort que la parcelle avait une surface totale de 55'188 m², l’autorisation sollicitée portant sur une partie représentant 21'875 m². La totalité de la surface avait été plantée en vigne jusqu’en 2009. Cette année-là, les exploitants d’alors avaient décidé de renouveler la partie de leur vignoble correspondant à la surface de 21'875 m². Il avait dès lors été prévu de procéder au drainage de la parcelle ainsi qu’à la mise en état des collecteurs. Après l’arrachage des vignes, les exploitants et les propriétaires n’avaient pas trouvé un accord qui aurait permis de procéder à ces opérations nécessaires avant d’envisager la replantation. Les parties étaient ensuite entrées en conflit. À la suite d’événements d’ordre successoral, la société avait racheté plusieurs parcelles, dont celle en cause.

b. Cette requête a été préavisée favorablement par la commune, par le secteur milieux et espèces de l’OCAN et par l’interprofession du vignoble et des vins de Genève (ci-après : l’interprofession). La commission d’experts du cadastre viticole (ci-après : la commission) a en revanche, à l’unanimité, délivré un préavis défavorable.

c. Le 30 janvier 2023, le département a refusé d’autoriser la plantation d’une vigne à destination vinicole sur la parcelle n° 10'008 de la commune. Il a exclu la partie de la parcelle faisant l’objet de la demande du plan du cadastre viticole et fixé un émolument de CHF 300.-.

Il ressortait du préavis de la commission que le périmètre faisant l’objet de la requête ne répondait pas aux critères fixés par l’art. 2 al. 2 de l’ordonnance sur la viticulture et l’importation de vin du 14 novembre 2007 (ordonnance sur le vin - RS 916.140), en raison d’une orientation septentrionale conjuguée à une déclivité moyenne de 2,7% et d’un climat local défavorable. La nature du sol, de type profond et hydromorphe, n’était pas optimale pour la culture de la vigne. En outre, ce terrain était adapté à d’autres cultures que la vigne au vu de sa surface et de son recensement dans les SDA. Au regard de l’examen de l’ensemble des critères, le terrain en cause ne pouvait donc pas être considéré comme propice à la culture de la vigne.

C. a. Par acte du 2 mars 2023, l’exploitante a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative). Elle a préalablement conclu à ce que soit ordonnée toute mesure d’instruction utile, en particulier l’audition de C______, conseiller administratif de la commune et vigneron et, principalement, à son annulation.

a.a. Les critères énoncés à l’art. 2 al. 2 de l’ordonnance sur le vin étaient généraux et non exhaustifs. L’altitude était propice à la culture de la vigne sur l’ensemble du territoire du canton. La déclivité était faible. Renseignement pris auprès de la commune, il apparaissait que plus de la moitié du vignoble de l’appellation D______, dont la réputation était excellente, avait une pente de moins de 10%, ce dont pourrait témoigner C______.

L’exposition, de l’est-nord-est à l’ouest-nord-ouest, soit septentrionale, devait être relativisée par le fait que la pente était faible. L’orientation, qui réduisait modérément l’importance du rayonnement solaire, n’était nullement incompatible avec les cépages précoces qu’elle envisageait de planter. La légère orientation au nord présentait un avantage sur le long terme en raison du réchauffement climatique, la floraison de la vigne et la maturation du raisin étant en moyenne plus précoces. Les sondages effectués avant la vendange montraient une nette tendance à une hausse de la teneur en sucre, alors qu’il ne fallait pas que la maturité du raisin devienne excessive et qu’il en résulte un taux d’alcool supérieur au maximum admis. Elle a, à ce propos, versé à la procédure une notice de l’Agroscope, centre de compétence fédéral de la Confédération pour la recherche agricole (ci-après : notice Agroscope).

a.b. La proximité de la parcelle avec la forêt n’était pas un critère défavorable puisque pendant la végétation de la vigne, puis de la maturation, entre mai et septembre, le soleil était suffisamment haut pour que l’ombre portée par la forêt n’ait pas d’importance sur la qualité du raisin.

a.c. Le néoluvisol était plus profond que les sols rencontrés généralement dans des terrains ayant davantage de pente. Il présentait l’avantage de pouvoir être enherbé sans qu’il en résulte de contrainte hydrique pour la vigne. Dans la perspective du réchauffement climatique, cet enherbement constituait un avantage pour le maintien de l’humidité dans le sol. Le terrain était favorable à la culture de la vigne.

a.d. Au vu du préavis du service compétent, le département considérait qu’il n’y avait pas de motif s’opposant à la plantation de la vigne sous l’angle de la protection de la nature. Il invoquait toutefois que la partie de la parcelle sur laquelle la vigne avait été arrachée avait été incorporée dans les SDA. Cela ne signifiait toutefois pas que le terrain serait impropre à la culture de la vigne, ce d’autant que cette incorporation était intervenue en juin 2021. Il était notoire que les autorités genevoises étaient à l’affut du moindre m² de terre agricole pouvant être incorporé dans les SDA, de manière à pouvoir déclasser d’autres terrains agricoles en zone à bâtir sans enfreindre le quota imparti par la Confédération. Il était vain de rechercher quelque argument que ce soit en sa défaveur sous l’angle des SDA.

a.e. Si la vigne n’était plus cultivée, cela résultait de circonstances sans rapport avec un prétendu caractère défavorable du terrain. Bien au contraire, en arrachant une partie de la vigne plantée sur la parcelle, le précédent exploitant avait pour objectif d’en replanter après des travaux de drainage. Il n’aurait pas envisagé cette dépense s’il avait considéré que le terrain ne produirait pas un raisin de qualité. Le fait que le terrain soit passé à son épouse, non viticultrice, était la seule raison pour laquelle une nouvelle vigne n'avait pas été replantée dans un délai de dix ans, le bail de l’exploitant ayant de surcroît été résilié.

Elle avait acquis la parcelle au prix fixé par la commission, qui avait pris en considération son incorporation totale au cadastre viticole, soit CHF 15.- le m², et non à la valeur du terrain agricole ordinaire de CHF 8.- le m² au maximum. Elle était ainsi fondée à invoquer le fait que le terrain avait été cultivé pendant des décennies avant l’arrachage de la vigne, cet arrachage étant uniquement dicté par le nécessaire renouvellement des plants, après travaux améliorant le drainage. L’exigence de replanter une vigne dans le délai de dix ans était en outre combattue par l’interprofession de la vigne et des vins suisses, y compris sur le plan politique.

a.f. Enfin, on était en présence d'un cas de fermeture de zone. Comme le montrait une photographie aérienne versée à la procédure, la partie de la parcelle où la vigne avait été arrachée était, pour l'essentiel, comprise entre une forêt et une vigne. Elle n'était bordée de parcelles en grandes cultures que sur une courte distance. Ni l'une ni l'autre des parcelles adjacentes n'étaient sa propriété. Par conséquent, elle se retrouvait avec une bande de terrain à exploiter en grandes cultures, alors que sa vocation était pour l'essentiel la viticulture. En revanche, la portion de terrain sur laquelle la vigne avait été arrachée par le précédent exploitant était dans la continuité de la vigne qu'elle cultivait. Cette portion de terrain ne pouvait rationnellement être affectée à une autre culture. De la vigne y avait été exploitée pendant des décennies, ce qui démontrait son aptitude à produire un raisin de qualité.

b. Le 10 mai 2023, le département a conclu au rejet du recours.

La pratique constante de la commission, attestée par la jurisprudence, situait de 5 à 6% la déclivité minimale de la pente pour être considérée comme propice à la viticulture. La proximité de la forêt avait de l’importance sur la qualité du raisin et constituait un risque lié à la faune. Le néoluvisol était un terrain lourd et profond. Or, des terres peu profondes, graveleuses et légères étaient considérées par la commission comme propices à la viticulture. La parcelle avait fait l’objet d’un arrachage en 2009 dans le but d’implanter un drainage qui n’avait jamais été réalisé.

c. Le 26 juin 2023, la société a ajouté que s’agissant de la déclivité et de l’orientation du terrain, elle produisait un extrait d’une étude des sols viticoles genevois datant de 2007 et réalisée par l’École d’ingénieurs de Changins (ci-après : étude des sols). Il en ressortait que plus des deux tiers des vignes situées dans la zone de E______ et plus de la moitié des vignes situées dans la zone de D______ avaient une pente inférieure à 10%. Il était notoire que les meilleurs vins du canton étaient principalement issus de vignes de ces deux zones. Elle exploitait différentes parcelles à D______ dont la déclivité était quasiment nulle. Par exemple, la parcelle sur laquelle elle cultivait le cabernet franc qui composait le 40% d’un de ses vins de prestige présentait une pente moyenne de 0,76%. L’ensoleillement sur la parcelle en cause était suffisant. D’ailleurs, des spécialistes français préconisaient déjà d’orienter la vigne en direction du nord comme en témoignait un article de 2021 « Viticulture et changement climatique ». Dans un autre article datant de 2023, le directeur scientifique de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement allait dans le même sens. Cette réalité ne ferait que s’accentuer si l’on se fiait à l’évolution de la région en matière de réchauffement climatique d’après les données extraites du système d’information du territoire à Genève (ci-après : SITG) relatives à l’évolution des températures. Les critères qui pouvaient être admis à l’époque devaient être réexaminés.

Elle cultivait du cabernet sauvignon sur des parcelles à B______ bordées d’une forêt sur toute leur longueur sud-ouest, selon la même orientation que la parcelle litigieuse. Le vin issu de ces parcelles constituait le 60% restant de la cuvée prestige du domaine. Elle envisageait, pour la parcelle en cause, d’ajouter une bande tampon d’une dizaine de mètres de large pour séparer davantage la vigne de la forêt et garantir un ensoleillement optimal. Le fait que la proximité de la forêt puisse constituer un problème en raison de la faune n’était que pure supposition.

La parcelle en cause disposait d’un drainage artificiel par canalisations et il était établi, pièces à l’appui, que le terrain présentait des qualités de drainage plus importantes de par la présence de cailloutis dans la terre.

Enfin, l’application du principe d’économie de procédure militait pour que le grief de la fermeture de zone soit également examiné dans la présente procédure.

Elle a versé à la procédure un courrier de l’interprofession lui réitérant son total soutien.

d. Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante sollicite l’audition d’un conseiller administratif de la commune, par ailleurs vigneron. Ce dernier pourrait témoigner que plus de la moitié du vignoble de l’appellation D______ aurait une pente de moins de 10%.

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 142 III 48 consid. 4.1.1). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas la juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit d'être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que la juge discute ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 142 III 433 consid. 4.3.2 ; 141 III 28 consid. 3.2.4).

2.2 En l’espèce, et quand bien même plus de la moitié du vignoble de l’appellation D______ aurait une pente de moins de 10%, le litige, en particulier la question de la déclivité de la parcelle, peut être résolu en l’état du dossier, comme il sera vu ci‑dessous, sans qu’il soit nécessaire d’entendre le conseiller administratif de la commune. Il ne sera dès lors pas donné suite à cette demande d’audition. Pour le reste, il n’apparaît pas qu’une autre mesure d’instruction serait utile pour trancher le litige.

3.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision de l’intimé refusant d’autoriser la recourante à planter une vigne à destination vinicole sur la parcelle en cause.

3.1 Quiconque plante de nouvelles vignes doit être titulaire d’une autorisation du canton (art. 60 al. 1 de la loi fédérale sur l'agriculture du 29 avril 1998 - LAgr - RS 910.1). Le canton autorise la plantation de vignes destinées à la production de vin à condition que l’endroit choisi soit propice à la viticulture (art. 60 al. 3 LAgr). Le Conseil fédéral fixe les principes régissant l'autorisation de planter des vignes. Il peut prévoir des dérogations (art. 60 al. 4 LAgr).

3.2 Par nouvelle plantation, on entend la plantation de vignes sur une surface où la vigne n’a pas été cultivée depuis plus de dix ans (art. 2 al. 1 de l’ordonnance sur le vin). Les nouvelles plantations de vigne destinées à la production vinicole ne peuvent être autorisées que dans les endroits propices à la viticulture. On tiendra compte notamment de l'altitude (let. a), de la déclivité du terrain et de son exposition (let. b), du climat local (let. c), de la nature du sol (let. d), des conditions hydrologiques du sol (let. e) et de l'importance de la surface au regard de la protection de la nature (let. f ; art. 2 al. 2 de l’ordonnance sur le vin).

3.3 La LVit a pour but d’assurer l’application sur le territoire genevois des dispositions fédérales relatives à la viticulture (let. a), de protéger le vignoble (let. b) et d’encourager une production viti-vinicole de qualité (let. c ; art. 1 LVit).

On entend par vigne toute surface destinée à la production de raisins, à des fins vinicoles ou non vinicoles (art. 7 al. 1 LVit) et par nouvelles plantations toutes plantations de vignes en dehors du cadastre viticole ou sur des surfaces qui, bien que comprises dans ce dernier, n’ont plus été cultivées en vigne depuis plus de dix ans (art. 7 al. 6 LVit). Le cadastre viticole délimite les périmètres en dehors desquels la culture de la vigne est interdite. Il comprend la zone viticole et les vignes situées en dehors de la zone viticole (art. 7 al. 2 LVit). La zone viticole recense les surfaces appropriées à la culture de la vigne à des fins vinicoles (art.7 al. 3 LVit).

Toute personne désireuse d’effectuer de nouvelles plantations de vignes doit obtenir une autorisation (art. 11 al. 1 LVit). Pour la production vinicole commerciale, cette autorisation est délivrée à condition que les critères fixés à l’art. 2 al. 2 de l’ordonnance sur le vin soient remplis. Ces critères s’appliquent aussi bien aux surfaces sises hors du cadastre viticole qu’à celles situées à l’intérieur de celui-ci, si la culture de la vigne n’a plus été pratiquée depuis dix ans (art. 11 al. 2 LVit).

3.4 Le règlement sur la vigne et les vins de Genève du 20 mai 2009 (RVV - M 2 50.05) a pour but de favoriser la production de raisins et de vins de qualité (art. 1 RVV).

Les nouvelles plantations incorporées dans la zone viticole définie à l'art. 7 al. 3 LVit ne peuvent être autorisées que dans les endroits propices à la viticulture, conformément aux critères fédéraux (art. 12 al. 1 RVV). À teneur de l’art. 12 al. 2 RVV, une autorisation peut également être délivrée en cas de fermeture de zone, soit, notamment, lorsqu'un terrain est adjacent à une vigne existante et qu'il ne peut être rationnellement affecté à une autre culture. Le terrain considéré doit néanmoins présenter des aptitudes à produire du raisin de qualité. Lors de l'examen des demandes, les critères relatifs à la protection de la nature, des sites et de l'environnement doivent également être examinés (art. 12 al. 3 RVV). Lorsqu'un terrain est exempt de vigne depuis plus de dix ans, la procédure d'autorisation s'applique (art. 16 al. 2 RVV).

3.5 La jurisprudence rendue sous l’ancienne ordonnance sur le statut du vin du 23 décembre 1971 (ci-après : statut du vin), abrogée dès le 1er janvier 1999, est toujours applicable, l’ordonnance sur le vin ayant repris quasiment les mêmes termes que ceux de l’art. 5 al. 1 du statut du vin (ATA/730/2016 du 30 août 2016 ; ATA/1369/2015 du 21 décembre 2015). Ainsi, pour le classement d’une parcelle au cadastre viticole, deux éléments entrent en considération : d’une part, en règle générale, un terrain déclive et, d’autre part, l’obtention d’une bonne maturité du raisin quand l’année est normale, ce dernier élément étant lui-même fonction des divers facteurs naturels de production énoncés à l’art. 5 du statut du vin, tels que le climat local, la nature du sol, l'exposition, l'altitude ou encore la situation géographique (décision de la commission de recours DFEP du 22 mai 1995 in JAAC 60.55 consid. 5).

L'exigence de la déclivité n'est pas un facteur absolu, mais il doit être conjugué avec celui de l'obtention d'une bonne maturité du raisin, ce dernier élément étant largement fonction de l'orientation du terrain (ATA/1573/2019 du 29 octobre 2019 consid. 5 et l’arrêt cité).

3.6 Il appartient au département de délivrer les autorisations requises, après avoir obtenu le préavis de la commission compétente, de la commune concernée, ainsi que celui du service chargé de la protection de la nature et avoir consulté l’interprofession (art. 12 LVit).

La commission est composée de cinq viticulteurs répartis par région, soit deux dont l'exploitation se situe sur la rive droite, un dans la région Arve-Lac et deux dans la région Arve-Rhône (let. a), d’un représentant de l’OCAN (let. b) et d’un représentant de l’office de l’urbanisme (let. c ; art. 5 al. 1 RVV). Elle préavise notamment les requêtes relatives aux nouvelles plantations et celles visant à modifier le cadastre viticole (art. 5 al. 3 let. a RVV).

Selon la jurisprudence bien établie, chaque fois que l’autorité inférieure suit les préavis requis, étant précisé qu’un préavis sans observation équivaut à un préavis favorable, la juridiction de recours doit s’imposer une certaine retenue, qui est fonction de son aptitude à trancher le litige (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, p. 176 n. 508). L’autorité de recours se limite ainsi à examiner si le département ne s’écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l’autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/1261/2022 du 13 décembre 2022 consid. 4d ; ATA/807/2020 du 25 août 2020 consid. 9a).

3.7 La création et la préservation des SDA est une exigence prévue par la Cst., selon laquelle la Confédération veille à ce que l'agriculture, par une production répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché, contribue substantiellement à la sécurité de l'approvisionnement de la population (art. 104 al. 1 let. a Cst.).

Ce principe est repris par la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700) et l'ordonnance sur l’aménagement du territoire du 28 juin 2000 (OAT - RS 700.1). L'art. 3 al. 2 let. a LAT prévoit qu'il convient de réserver à l'agriculture suffisamment de bonnes terres cultivables, en particulier, les SDA. Les SDA font partie du territoire qui se prête à l'agriculture ; elles se composent des terres cultivables comprenant avant tout les terres ouvertes, les prairies artificielles intercalaires et les prairies naturelles arables. Elles sont garanties par des mesures d'aménagement du territoire (art. 26 al. 1 OAT). Les SDA sont délimitées en fonction des conditions climatiques (période de végétation, précipitations), des caractéristiques du sol (possibilités de labourer, degrés de fertilité et d'humidité) ainsi que de la configuration du terrain (déclivité, possibilité d'exploitation mécanisée ; art. 26 al. 2 OAT). Une surface totale minimale d'assolement a pour but d'assurer au pays une base d'approvisionnement suffisante, comme l'exige le plan alimentaire, dans l'hypothèse où le ravitaillement serait perturbé (art. 26 al. 3 OAT). La Confédération et les cantons veillent à la détermination et au maintien de ces surfaces (art. 27 à 30 OAT).

4.             La recourante soutient que si la déclivité de sa parcelle est faible, il conviendrait de relativiser ce critère à l’aune de la réputation d’autres parcelles, de son exposition et de l’évolution de la région en matière de réchauffement climatique.

4.1 Il n’est pas contesté que la parcelle en cause présente une pente moyenne de 2,7% ainsi qu’une orientation nord-nord-ouest selon l’intimé et est-nord-est à ouest-nord-ouest selon la recourante, les parties étant quoi qu’il en soit d’accord sur le caractère septentrional de cette orientation.

La commission a préavisé défavorablement, et ce à l’unanimité, la requête de la recourante, en raison notamment de la déclivité trop faible et de son orientation. La recourante soutient, s’appuyant sur l’étude des sols, que plus des deux tiers des vignes situées dans la zone de E______ et plus de la moitié des vignes situées dans la zone de D______ auraient une pente inférieure à 10%. Elle vante, sans qu’il y ait lieu de discuter ce point, la qualité des vins issus de ces zones, mais perd de vue qu’une pente de moins de 10% ne signifie pas qu’elle est insuffisante, la pratique de la commission telle que rappelée par le département situant de 5 à 6% la déclivité minimale de la pente pour être considérée comme propice à la viticulture. Quant aux effets du réchauffement climatique, la situation s’avère complexe puisque, comme cela ressort de la notice Agroscope (p. 1), si depuis 20 ans les relevés météorologiques montrent une tendance au réchauffement avec des scénarios plus ou moins précis de la progression des températures, pour les précipitations, la modélisation est moins précise et prédit des saisons tantôt plus humides, tantôt plus sèches. La recourante reconnaît d’ailleurs que la parcelle en cause n’est pas aussi adaptée qu’elle le soutient puisqu’elle indique vouloir y planter des cépages précoces pour compenser son orientation.

La recourante ne parvient ainsi pas, la chambre de céans étant tenue à une certaine réserve, à infléchir le résultat avec ses propres critères. La commission est composée de spécialistes et sa pratique constante contribue à la sécurité du droit, en particulier dans la mise en œuvre uniforme sur le territoire du canton de l’art. 2 al. 2 de l’ordonnance sur le vin (ATA/1573/2019 précité consid. 9d). En exigeant une déclivité minimale et une certaine orientation, l’intimé précise les critères prévus par cette disposition, ces critères n’étant pas tels quels directement applicables. La pratique de la commission, consistant à exiger a minima une déclivité d’au moins 5 à 6%, une orientation comprise entre le nord-est et le nord-ouest au maximum en passant par le sud, ainsi qu’un sol de nature légère, contribue à la production de vin de qualité ce qui est le but de la Confédération depuis le début des années 1950 (arrêt du Tribunal fédéral 2C_425/2019 du 26 février 2020 consid. 4.3.2).

Il en découle que la déclivité de la parcelle et son orientation suffisent déjà à justifier le refus d’y autoriser la plantation d’une vigne à destination vinicole. Ce premier grief sera ainsi écarté.

5.             La recourante conteste que le climat local, en l’occurrence la proximité de la forêt, serait défavorable à la plantation de la vigne qu’elle envisage.

Dans un premier temps, à l’appui de son recours, elle a indiqué que la proximité de la parcelle avec la forêt ne serait pas un critère défavorable puisque pendant la période de végétation de la vigne, puis de la maturation, entre mai et septembre, le soleil était suffisamment haut pour que l’ombre portée par la forêt n’ait pas d’importance sur la qualité du raisin. Le département a précisé de manière convaincante dans sa réponse au recours que le cycle végétatif de la vigne commence avec le printemps entre mi-mars et mi-avril, à une époque où le soleil encore bas fait porter par la forêt bordant la parcelle une ombre plus longue, accentuée par l’orientation et la faible déclivité du terrain. Toujours selon le département, l’ombrage et la concurrence de grands arbres, les bas-fonds et les cuvettes retenant des masses d’air froides sont des critères défavorables, la forêt qui conserve l’humidité de la parcelle favorisant au surplus l’apparition de moisissures. La recourante n’est pas restée indifférente aux arguments de l’intimé puisqu’elle a ensuite soutenu, ce qui ne semble pas avoir fait partie de sa requête en autorisation telle qu’examinée par les instances compétentes, vouloir ajouter une bande tampon supplémentaire pour séparer davantage la vigne de la forêt.

Le département a encore relevé dans sa réponse au recours que la proximité de la forêt constituait un risque lié à la faune, le raisin attirant les animaux qui détruiraient la vendange. La recourante, qui se contente de répondre qu’il s’agirait d’une pure supposition, n’avance aucun argument sérieux qui viendrait mettre à mal cette explication.

Ce grief sera également écarté.

6.             La recourante soutient ensuite que l’intimé aurait à tort retenu que la nature et les conditions hydrologiques du sol seraient défavorables à la plantation litigieuse.

Il n’est pas contesté que le terrain de type néoluvisol est profond et hydromorphe. Selon la recourante, il présenterait l’avantage de pouvoir être enherbé sans qu’il en résulte de contrainte hydrique pour la vigne. Selon l’intimé toutefois, ce type de terrain lourd serait, à l’inverse des terres peu profondes et légères, peu propice à la viticulture. L’intimé souligne que le drainage prévu après l’arrachage de la vigne en 2009 n’aurait jamais été réalisé, ce qui attesterait que la parcelle présenterait un excès d’eau. Dans sa réplique, la recourante soutient au contraire que la parcelle disposerait d’un drainage artificiel et qu’il serait établi, pièces à l’appui versées à la procédure, que le terrain présenterait des qualités de drainage plus importantes que la moyenne en raison de cailloutis dans la terre.

Ce point, qui n’est pas décisif pour l’issue du litige, restera indécis, le recours devant quoi qu’il en soit être rejeté.

7.             La recourante soutient qu’il serait vain de rechercher quelque argument en sa défaveur sous l’angle des SDA.

Il n’est pas contesté que le projet de plantation litigieux ne constitue pas une menace pour la flore et la faune, raison pour laquelle le service compétent ne s’y est pas opposé. Cela étant, et pour les motifs exposés précédemment, le terrain litigieux, recensé dans les SDA en raison de son adaptation à d’autres cultures, n’est pas propice à la viticulture.

8.             La recourante estime ensuite que le délai de dix ans prévu à l’art. 2 al. 1 de l’ordonnance sur le vin ne s’appliquerait pas à la présente cause, dès lors que si l’absence de culture de vigne sur le terrain considéré résulterait de circonstances sans rapport avec la qualité dudit terrain.

Il n’est pas contesté que de la vigne avait été plantée sur la parcelle litigieuse, cette vigne ayant ensuite été arrachée par les précédents exploitants. S’il est possible qu’à la suite de différends entre les exploitants et les propriétaires puis d’évènements d’ordre successoral de la vigne n’a pas pu être replantée aussi rapidement que cela avait été prévu, il n’en demeure pas moins qu’aucune vigne n’a été cultivée sur la parcelle depuis plus de dix ans. La décision, conforme à la loi, ne peut qu’être confirmée sur ce point également, l’autorité n’ayant au surplus aucune marge de manœuvre dans l’application de l’art. 2 al. 1 de l’ordonnance sur le vin.

9.             La recourante estime enfin pouvoir fonder sa demande de plantation d’une nouvelle vigne sur la base de l’art. 12 al. 2 RVV. Elle soutient que l’application du principe de l’économie de procédure militerait pour que ce grief relatif à la fermeture de zone soit examiné dans la présente procédure.

9.1 L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/29/2023 du 17 janvier 2023 consid. 4b et l'arrêt cité). N'est donc pas nouveau un chef de conclusions n'allant pas, dans son résultat, au-delà de ce qui a été sollicité auparavant ou ne demandant pas autre chose (arrêts du Tribunal fédéral 2C_77/2013 du 6 mai 2013 consid. 1.3 ; 8C_811/2012 du 4 mars 2013 consid. 4 ; ATA/29/2023 du 17 janvier 2023 consid. 4b et l'arrêt cité).

La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/29/2023 du 17 janvier 2023 consid. 4b et l'arrêt cité).

9.2 En l’espèce, la recourante a déposé une requête en autorisation de planter une nouvelle vigne en vertu de l’art. 11 LVit et non une requête en fermeture de zone. La décision litigieuse ne se prononce du reste pas sur cette question. Ce n’est que dans son recours que la recourante a pour la première fois sollicité l’octroi d’une autorisation en se référant à une fermeture de zone. L’octroi d’une autorisation en application de l’art. 12 al. 2 RVV n’ayant pas fait l’objet d’un examen complet par l’autorité compétente, la chambre de céans n’est pas habilitée à trancher cette question qui est exorbitante au présent litige. Ce grief sera dès lors écarté.

Il découle de ce qui précède que le recours, infondé, sera rejeté, la décision litigieuse étant conforme au droit.

10.         Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 mars 2023 par A______ contre la décision du département du territoire - ocan du 30 janvier 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 166 al. 2 LAgr, 31 ss de la loi sur Tribunal administratif fédéral du 17 juin 2005 (LTAF - RS 173.32) et 44 ss de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal administratif fédéral ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal administratif fédéral, case postale, 9023 Saint-Gall, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 21a PA. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Mattia DEBERTI, avocat de la recourante, au département du territoire - ocan, à l’office fédéral de l’agriculture (OFAG) ainsi qu’à l’office fédéral du développement territorial (ARE).

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. WERFFELI BASTIANELLI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :