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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1225/2023

ATA/979/2023 du 11.09.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1225/2023-EXPLOI ATA/979/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 septembre 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Adriano GIANINAZZI, avocat

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, DE LA RECHERCHE ET DE L'INNOVATION intimée

_________



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : la société) est inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis le 5 octobre 2015. Elle a pour but toute activité en relation avec l’exploitation d’établissements publics, notamment l’exploitation de restaurants asiatiques.

B______ en a été l’administratrice unique avec signature individuelle du 7 juin 2018 au 24 mars 2020, date à laquelle ses pouvoirs ont été transférés à C______, celle-là conservant le pouvoir de signer collectivement à deux.

b. Par ordonnance pénale du 27 août 2019, le Ministère public (ci-après : MP) a condamné B______ pour infraction à l’art. 117 al. 2 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) à une peine de 120 jours amende, à CHF 30.- le jour. Elle avait, en sa qualité d’administratrice unique de la société exploitant le restaurant à l’enseigne « A______ », employé entre janvier et février 2019 deux travailleurs qui ne disposaient pas d’autorisation d’exercer une activité lucrative en Suisse. Ladite ordonnance prenait en compte, dans la fixation de la peine, un antécédent pénal, l’intéressée ayant déjà fait l’objet d’une condamnation, le 9 février 2018, à une peine pécuniaire de
40 jours amende fixés à CHF 50.-, avec sursis de deux ans et à une amende de
CHF 500.- pour emploi d’étrangers sans autorisation.

c. Par décision du 17 septembre 2020, le département de la sécurité, de l’emploi et de la santé, devenu depuis lors le département des institutions et du numérique
(ci-après : DIN ou le département), a exclu la société des marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral, ainsi que de toute aide financière cantonale et communale pour une durée de seize mois, en application de l’art. 13 de la loi fédérale concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir du
17 juin 2005 (LTN - RS 822.41).

L’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) l’a ajoutée à la liste des entreprises en infraction établie en application de l’art. 45 de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004
(LIRT - J 1 05). La période d’interdiction courait du 20 octobre 2020 au 19 février 2022.

B. a. Le 15 février 2021, la société a déposé une demande d’aide financière pour cas de rigueur à la suite de la pandémie de Covid-19. Elle a joint la convention d’octroi de contribution à fonds perdu (ci-après : la convention), signée le 5 février 2021 par C______, attestant de la véracité des déclarations. Celle-ci confirmait que la société ne figurait pas sur la liste des entreprises en infraction à l’art. 13 LTN. La convention mentionnait la question de la restitution des aides perçues à tort et la possibilité pour l’État de procéder à des contrôles.

b. Par décision du 1er mars 2021, le département a octroyé à la société une aide financière de CHF 28'671.-. Au vu de l’importance de la perte du chiffre d’affaires, un versement complémentaire suivrait. La décision rappelait qu’une aide perçue à tort devait être restituée.

c. Par décision du 12 mars 2021, le département a octroyé à la société une aide financière complémentaire de CHF 129'876.-.

d. Le 25 février 2022, la société a déposé une « déclaration complémentaire 2021 pour cas de rigueur ». Elle a joint l’avenant à la convention d’octroi de contribution à fonds perdu (extension de la période de couverture : 1er janvier au 30 juin 2021).

e. Par décision du 25 mars 2022, le département a octroyé à la société une aide financière complémentaire de CHF 10'320.- pour la période du 1er au 30 juin 2021.

Par ailleurs, une aide complémentaire pour la période d’indemnisation du 1er janvier 2020 au 30 juin 2021 de CHF 79'273.50 lui était allouée.

f. Par décision du 20 septembre 2022, le département a sollicité la restitution de l’aide financière globale de CHF 237'820.50. Les vérifications complémentaires effectuées par le département concluaient qu’à la date du dépôt de la demande pour l’année 2020, la société figurait sur la liste des entreprises en infraction à
l’art. 45 LIRT.

g. Par décision du 9 mars 2023, le département a rejeté la réclamation formulée à l’encontre de la décision précitée. Le texte clair et sans équivoque du chiffre 5.1 de la convention, lequel reprenait la teneur de l’art. 4 let. b de la loi 12'863 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 (ci-après : aLAFE‑2021) ne souffrait aucune exception, lorsque de surcroît la société avait été condamnée peu avant la décision d’exclusion de toute aide financière. Elle ne pouvait pas omettre le fait que son entreprise figurait sur la liste des entreprises en infraction. Elle ne saurait donc tirer avantage de son attitude fautive et ne pouvait se prévaloir d’une quelconque protection de sa bonne foi. Il relevait de sa responsabilité de s’assurer de son éligibilité avant de déposer une demande d’aide financière auprès du canton. En donnant une information qu’elle savait contraire à la réalité, la société s’exposait au risque de restitution de l’indemnité. Le principe de la proportionnalité avait été respecté.

C. a. Par acte du 5 avril 2023, la société a interjeté recours devant la chambre administrative de la cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elle a conclu à l’annulation des décisions des 20 septembre 2022 et 9 mars 2023.

Les principes de la protection de la bonne foi et de la proportionnalité avaient été violés.

Dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’interdiction de la société des marchés publics notamment, celle-ci avait fait valoir qu’elle avait ignoré les agissements répréhensibles de son administratrice de l’époque, puisque cette dernière prenait seule les décisions opérationnelles, au bénéfice de son pouvoir de signature individuelle, sans en référer aux actionnaires de la société. Cette administratrice avait été poursuivie pénalement. L’ordonnance pénale de condamnation n’était pas dirigée contre la société.

La recourante détaillait les difficultés rencontrées pendant la période de Covid. Lui prêter l’intention d’avoir voulu obtenir une aide indue pour réaliser un gain illicite était incongru puisque cette solution lui coûtait davantage que de licencier les employés, ce qu’elle aurait légalement pu faire en raison de la situation exceptionnelle. La société ne s’était ainsi nullement enrichie, mais appauvrie, en recevant les aides financières et en conservant son personnel.

La demande remplie le 15 février 2021 ne mentionnait nullement le fait que les entreprises qui feraient l’objet d’une sanction antérieure du département n’auraient pas droit aux aides financières proposées. Certes, la convention en faisait mention, à son art. 5. 1 parmi sept différents points. Le libellé « touffu et technique de cet article n’était pas si clair, ni limpide pour le citoyen lambda », ni pour l’administratrice actuelle de la société qui n’avait pas fait le lien entre la mention de cette liste et la sanction dont la société avait fait l’objet peu de temps auparavant, pour des faits datant de près de deux ans, de la seule responsabilité de son ancienne administratrice.

Par ailleurs c’était la même administration qui avait prononcé la sanction et octroyait les aides. La société s’était ainsi fiée au fait que l’administration ne fournirait pas une aide si importante à des entreprises qui n’y auraient pas droit. L’administration cantonale avait le devoir de procéder à cette vérification. Le courrier du 2 février 2022, par lequel le département avait informé la société qu’elle avait droit à des prestations complémentaires, grâce au relèvement des plafonds maximum d’aide, suite à une modification du règlement, l’avait confortée dans son sentiment qu’elle avait droit aux aides financières. Aucune mention n’était faite des conséquences d’une précédente sanction contre l’entreprise. En se fiant à ces indications, la société avait sollicité l’aide complémentaire. L’avenant ne faisait d’ailleurs pas mention de la liste des entreprises sanctionnées par le passé.

La restitution des aides reçues entraînerait sa faillite, sans que l’État ne puisse être remboursé, mais en induisant un coût important et supplémentaire à la charge des caisses d’assurance-chômage et de l’aide sociale.

b. Le département a conclu au rejet du recours.

c. Dans sa réplique, la recourante a relevé que si certes, elle avait reçu des indemnités en cas de réduction horaire (ci-après : RHT) en faveur des salariés, ses charges consécutives au maintien de l’exploitation du restaurant n’étaient pas entièrement couvertes. Elle s’était en conséquence appauvrie en conservant son personnel.

Le département reprochait à la société d’avoir tu une information qu’il détenait. L’administration n’avait pas respecté ses devoirs et son obligation de bonne foi dans l’accomplissement de ses tâches. Il était par ailleurs ubuesque de prétendre a posteriori que l’exploitant de restaurant devait comprendre qu’il serait exclu de toute aide financière, sur la base de règles qui étaient habituelles dans le « monde avant Covid », mais qui semblaient être complètement bouleversées par les événements extraordinaires qui se déroulaient, avec des modifications quasi quotidiennes des mesures prises par le Conseil fédéral et les autorités cantonales. L’administration cantonale n’avait d’ailleurs nullement fait de mise en garde particulière, notamment en mentionnant clairement qu’elle laisserait à l’abandon les entreprises sanctionnées par le passé, avec les résultats qu’on les laisserait partir en faillite en nombre, même au prix d’une vague inédite de licenciements. La situation extraordinaire qui était celle de cette crise sanitaire laissait au contraire penser que tout était fait pour limiter les dégâts et sauver des emplois. La formule de demande, mise en ligne par l’administration elle-même, ne mentionnait nullement ces exigences, celles-ci n’étant indiquées que sur la convention. Demander la restitution de l’aide perçue aurait vraisemblablement pour conséquence de provoquer la faillite de la société, annulant les effets qui avaient été escomptés par l’adoption de ces mesures exceptionnelles. Ceci ne constituerait assurément pas une bonne gestion des deniers publics ni ne servirait l’intérêt public de façon suffisante pour justifier la perte des emplois qu’on avait, auparavant, voulu sauver à grand renfort de moyens financiers. Il se justifiait de renoncer à exiger la restitution des aides perçues et qu’elle avait demandées de bonne foi.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le 25 septembre 2020, l’Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de
Covid-19 (loi Covid-19 - RS 818.102). À son art. 12, celle-ci prévoit que la Confédération peut, à la demande d’un ou de plusieurs cantons, soutenir les mesures de ces cantons pour les cas de rigueur destinées aux entreprises.

Le 25 novembre 2020, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de Covid-19 (Ordonnance Covid-19 cas de rigueur ; ci-après : l’ordonnance Covid‑19 ou OMCR-20 ; RS 951.262).

2.1 La République et canton de Genève a mis en place différentes aides financières en faveur des entreprises en lien avec l'épidémie de Covid-19 : certaines reprennent les conditions de l’Ordonnance Covid-19 et pour lesquelles le canton bénéfice d'une participation financière de la Confédération au sens de cette ordonnance ; d'autres, purement cantonales, ne bénéficient pas du soutien financier de la Confédération, faute pour les entreprises concernées de remplir les critères de l’Ordonnance Covid‑19.  

2.2 Le 29 janvier 2021, le Grand Conseil a adopté l’aLAFE-2021.

La loi a pour but de limiter les conséquences économiques de la lutte contre l'épidémie Covid-19 pour les entreprises sises dans le canton de Genève conformément à la loi et à l’Ordonnance Covid-19 (art. 1 al. 1), en atténuant les pertes subies par les entreprises dont les activités avaient été interdites ou réduites en raison même de leur nature entre le 1erjanvier et le 31 décembre 2021 (art. 1
al. 2), et en soutenant par des aides cantonales certaines entreprises ne remplissant pas les critères de l’Ordonnance Covid-19en raison d’une perte de chiffre d’affaires insuffisante et qui ne couvrent pas leurs coûts fixes dans les limites prévues à l’art. 12 (art. 1 al. 3).

L’art. 4 prévoit des conditions cumulatives pour bénéficier des aides prévues par l’aLAFE, dont la let. b, à savoir que l’entreprise ne figure pas sur la liste des entreprises en infraction aux art. 45 LIRT, 9 de la loi fédérale sur les conditions minimales de travail et de salaire applicables aux travailleurs détachés en Suisse et sur les mesures d'accompagnement du 8 octobre 1999 (LDét - RS 823.20) ou
13 LTN et s’engage à respecter les usages en vigueur applicables dans leur secteur d’activité dans le canton de Genève.

2.3 Le 30 avril 2021, le Grand Conseil a adopté la loi 12'938 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 (ci-après : LAFE-2021), qui a abrogé l’aLAFE-2021 (art. 23), tout en en reprenant le dispositif pour l’essentiel.

L’art. 5 LAFE reprend la condition de l’art. 4 let. b aLAFE.

2.4 La participation financière indûment perçue doit être restituée sur décision du département (art. 16 al. 1 aLAFE-2021 et 17 al. 1 LAFE-2021).

3.             Selon l’art. 13 al. 1 LTN, en cas de condamnation entrée en force d’un employeur pour cause de non-respect important ou répété des obligations en matière d’annonce et d’autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers, l’autorité cantonale compétente exclut l’employeur concerné des futurs marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour cinq ans au plus ; elle peut par ailleurs diminuer de manière appropriée, pour cinq ans au plus, les aides financières qui sont accordées à l’employeur concerné.

3.1 Le secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO) établit une liste des employeurs faisant l’objet d’une décision entrée en force d’exclusion des marchés publics ou de diminution des aides financières. Cette liste est accessible au public (art. 13 LTN). L’OCIRT tient une liste des employeurs faisant l’objet d’une sanction exécutoire pour non-respect du salaire minimum (art. 39N al. 4 LIRT) ou des usages (art. 45 al. 3 LIRT). Il publie chaque semaine une liste des entreprises contre lesquelles il a rendu une décision de refus de délivrance de l'attestation « marchés publics », pris une décision d'exclusion des marchés publics ou prononcé une décision d'interdiction d'offrir leurs services (https://www.ge.ch/conditions-travail-usage/entreprises-infraction).Celle-ci mentionne les motifs de l’inscription (art. 45 LIRT, 9 LDét ou 13 LTN).

3.2 Selon l’art. 25 al. 1 LIRT, toute entreprise soumise au respect des usages, en vertu d'une disposition légale, réglementaire ou conventionnelle, doit en principe signer auprès de l'OCIRT un engagement de respecter les usages. L'OCIRT délivre à l'entreprise l'attestation correspondante, d'une durée limitée. Selon l’art. 26A LIRT, les entreprises en infraction aux usages font l’objet des sanctions prévues à l’art. 45. Selon l’art. 45 al. 1 LIRT, l’OCIRT peut prononcer contre une entreprise qui ne respecte pas les conditions minimales de travail et de prestations sociales en ou sale ou le salaire minimum (a) une décision de refus de délivrance de l’attestation visée à l’art. 25 pour une durée de trois mois à cinq ans, (b) une amende administrative de CHF 60'000.- au plus et (c) l’exclusion de tous marchés publics pour une période de cinq ans au plus.

4.             Le Tribunal fédéral a jugé que ni l'art. 12 de la Loi Covid-19, qui fixe les principes régissant les aides financières pour cas de rigueur versées par la Confédération, ni l’ Ordonnance Covid-19, qui met en œuvre ces principes, n'ouvraient un droit à l'octroi des aides financières concernées, ces textes ne faisant que fixer les conditions minimales pour que la Confédération participe financièrement aux programmes de soutien aux entreprises mis en place par les cantons (arrêt du Tribunal fédéral 2C_8/2022 du 28 septembre 2022 consid. 1.3.4).  

Le Tribunal fédéral a de même déjà jugé que ces aides financières, fondées sur la LAFE, étaient des subventions au sens de l'art. 83 let. k LTF. Il a également retenu que les aides financières cantonales reposant sur les art. 9 et 10 LAFE étaient des subventions auxquelles la législation ne donnait aucun droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_711/2022 du 9 décembre 2022 consid. 1.2 ss). 

La chambre de céans a par ailleurs déjà jugé que le droit cantonal n’introduisait pas une sanction dans la réglementation des aides Covid, mais érigeait en condition à leur octroi le fait de ne pas être inscrit sur une liste en raison d’une sanction. En matière de conditions au soutien financier fédéral aux cantons, la loi Covid-19 ne mentionnait pas la non-inscription des bénéficiaires dans les listes des entreprises sanctionnées, mais précisait que le soutien fédéral était conditionné au respect des exigences minimales de la Confédération (art. 12 al. 1sexies loi Covid-19, entré en vigueur le 20 mars 2021) réservant ainsi aux cantons la possibilité de fixer d’autres exigences (ATA/794/2022 du 9 août 2022 consid. 4c). Le recours contre cet arrêt a été déclaré irrecevable par le Tribunal fédéral (arrêt 2C_741/2022 du 7 mars 2023).

5.             Dans un premier grief, la recourante se plaint d’une violation du principe de la bonne foi.

5.1 Ancré à l'art. 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), et valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_596/2022 du 8 novembre 2022 consid. 8.1 ; ATA/175/2023 du 28 février 2023 consid. 4b). En particulier, l'administration doit s'abstenir de tout comportement propre à tromper l'administré et ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_596/2022 du 8 novembre 2022 consid. 8.1). Par ailleurs, la jurisprudence a tiré du principe de la bonne foi et de l’interdiction du formalisme excessif le devoir qui s’impose à l’administration, dans certaines circonstances, d’informer d’office le justiciable qui commet ou s’apprête à commettre un vice de procédure, à condition que celui-ci soit aisément reconnaissable et qu’il puisse être réparé à temps, le cas échéant dans un bref délai (ATF 125 I 166 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_354/2022 du 26 septembre 2022 consid. 3.1).

5.2 Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_204/2022 du 21 mars 2023 consid. 5.1). Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (1) l'autorité soit intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes déterminées, (2) qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (3) que l'administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore (4) qu'il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et (5) que la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée (ATF 146 I 105 consid. 5.1.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_204/2022 du 21 mars 2023 consid. 5.1).

5.3 En l’espèce, il ne peut être soutenu que l’administration aurait eu un comportement propre à tromper l’administrée.

La « loi applicable aux aides financières extraordinaires de l’État destiné aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus (loi 12863) », mentionnait expressément, à son art. 4, les conditions de leur octroi. Quatre conditions devaient ainsi être remplies, répertoriées sous let. a à d, dont, sous let. b, le fait de ne pas figurer sur la liste des entreprises en infraction.

Cette condition était par ailleurs reprise dans la convention d’octroi de contribution à fonds perdus que la recourante a signée le 5 février 2021. Le document ne comprend que quatre pages. Après un préambule, le rappel des bases légales, du principe de la bonne foi et du but de l’aide financière, le chiffre 5 détaille en cinq points l’ « engagement de l’entreprise bénéficiaire », dont, sous chiffre 5.1 la question de la « véracité des déclarations ». Il ressort très clairement de ce document que l’entreprise bénéficiaire confirmait pour sa signature remplir sept points précis, la présentation graphique ne laissant aucun doute. La compréhension de chacun d’entre eux est aisée, à l’instar du fait que la formation d’apprentis devait être maintenue, qu’aucune procédure de faillite ou de liquidation ne devait être ouverte au moment du dépôt de la demande, qu’aucune procédure de poursuite relative à des cotisations sociales ne devait être ouverte au 15 mars 2020 et, dans le cas contraire, qu’un plan de paiement devait avoir été convenu ou que la procédure devait s’être conclue par un paiement au moment du dépôt de la demande et que la société ne devait pas figurer sur la liste des entreprises en infraction aux arts. 45 LIRT ou 13 LTN. Les conditions à remplir pour pouvoir bénéficier de l’aide étaient en conséquence claires.

La recourante ne conteste pas qu’elle savait qu’elle figurait sur la liste des entreprises en infraction. La décision du 17 septembre 2020 l’excluant des marchés publics et lui supprimant les aides financières était expressément dirigée contre la société. Ledit document faisait d’ailleurs mention que la société avait contesté le caractère grave et réitéré des infractions reprochées et arguait que la faute ne pouvait lui être imputée directement, grief qui a été écarté dans la décision contre laquelle aucun recours n’a été interjeté. La société a déposé sa demande pour cas de rigueur cinq mois après avoir été sanctionnée. À cette occasion, elle a confirmé, dans la convention d’octroi signée le 15 février 2021, qu’elle ne figurait pas sur la liste des entreprises en infraction à l’art. 13 LTN, ce qu’elle savait être inexact. L’avenant à la convention, signé le 27 octobre 2021, renvoyait expressément à ladite convention en rappelant que cette dernière régissait les engagements respectifs des parties. La société est donc malvenue de prétendre que ladite convention ne contiendrait pas de rappel sur le fait que les bénéficiaires ne devaient pas avoir été au préalable sanctionnés. La recourante n’est dès lors pas fondée à se prévaloir d’une violation du principe de la bonne foi ni à reprocher à l’autorité intimée de l’avoir violé.

Elle ne peut non plus être suivie lorsqu’elle indique avoir été confortée dans son droit aux aides du seul fait qu’elle avait reçu un courrier du département l’informant que les plafonds d’aides avaient été modifiés et qu’elle pouvait prétendre à un complément. Ce courrier ne correspond, en effet, en rien à la notion de renseignements inexacts qui auraient été donnés par l’administration au sens de la condition 3 au sens de la jurisprudence précitée pouvant obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur.

Le département a dûment attiré l’attention des entreprises qui sollicitaient son aide sur les conditions à remplir, l’urgence du traitement des dossiers, la possibilité de contrôles ultérieurs et le risque de restitution. La recourante ne peut être suivie lorsqu’elle se prévaut du fait que l’administration devait savoir qu’elle était sur la liste des entreprises sanctionnées. Il appartenait à la recourante de répondre de façon conforme à la réalité lorsqu’elle a sollicité une prestation de l’État. La recourante sachant, ou devant en tous les cas savoir, qu’elle ne remplissait pas les conditions d’éligibilité, son argumentation sur son appauvrissement en raison de la perception des aides et de son éventuelle future faillite, par ailleurs uniquement alléguée, ne peut être retenue, étant rappelé que l’autorité intimée a offert la possibilité de convenir d’un paiement échelonné si sa situation financière devait l’exiger.

Ce grief sera écarté.

6.             Dans un second grief, la recourante invoque une violation du principe de la proportionnalité.

6.1 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – , de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

6.2 En l’espèce, on peine à discerner en quoi la décision ne respecterait pas le principe de la proportionnalité, dès lors que la société ne remplissait pas les conditions d’éligibilité aux aides et que l’administration n’a aucun pouvoir d’appréciation ni quant au principe de la restitution ni quant au montant.

C’est ainsi de manière conforme à la loi que le département a réclamé le remboursement de l’aide de CHF 237'850.50.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

7.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 avril 2023 par A______ contre la décision de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation du 9 mars 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Adriano GIANINAZZI, avocat de la recourante, ainsi qu'à la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN et Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

 


 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

P. HUGI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :