Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2568/2022

ATA/968/2023 du 05.09.2023 sur JTAPI/569/2023 ( ICCIFD ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2568/2022-ICCIFD ATA/968/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 septembre 2023

4ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre


ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATOIN FÉDÉRALES DES CONTRIBUTIONS intimées

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 mai 2023 (JTAPI/569/2023)


EN FAIT

A. a. Par courrier recommandé du 10 mai 2022, l’administration fiscale cantonale (ci‑après : AFC-GE) a notifié à A______ des bordereaux de rappel d’impôt ICC et IFD pour les années 2008 à 2015.

b. L’AFC-GE lui a adressé des rappels de paiement pour ces années, intérêts moratoires compris, le 4 juillet 2022.

c. Le 6 juillet 2022, la contribuable a élevé réclamation contre les bordereaux de rappel d’impôt 2008 à 2015.

d. Le 18 juillet 2022, l’AFC-GE a déclaré la réclamation irrecevable en raison de sa tardiveté.

B. a. A______a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision. Elle n’avait pas réagi au courrier du 10 mai 2022, car elle ne l’avait pas compris. Comme elle n’était pas en bonne santé à ce moment-là, elle avait remis tout le contenu de ce courrier dans l’enveloppe, dans l’attente d’une amélioration de sa santé. Âgée de 79 ans, veuve et vivant seule, elle venait de subir une seconde opération de la cataracte, accompagnée d’une infection dentaire et de vertiges qui l’empêchaient de tourner la tête et de se baisser. Elle était de plus diabétique.

b. L’intéressée a encore complété son recours.

c. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

d. Dans sa réplique, formée par son conseil, la contribuable a conclu, préalablement, à l’audition de ses médecins, à savoir les Docteurs B______, généraliste, C______, diabétologue, D______, ORL, E______, ophtalmologue, ainsi que F______, médecin interne aux Hôpitaux universitaires de Genève.

Avant de s’adresser à la fiduciaire G______ en 2018, elle avait fait appel à plusieurs reprises à H______ pour l’aider à remplir ses déclarations d’impôt, mais elle s’occupait seule des démarches auprès des autorités fiscales. Outre le fait qu’elle souffrait notamment de diabète, elle avait commencé en début d’année 2022, à la suite d’une opération de la cataracte, à avoir des vertiges. Sur conseil de son ophtalmologue, elle avait consulté un médecin ORL, le 10 mai 2022, qui n’avait pas trouvé de motif ORL à ces vertiges et qui suggérait, si nécessaire, une investigation neurologique. Le rapport du médecin ORL, du 25 novembre 2022 et adressé à son médecin généraliste, mentionnait notamment ce qui suit :

« J’ai examiné ta patiente susnommée en date du 10 mai 2022. En janvier elle a présenté un grand épisode de vertiges rotatoires en se tournant dans son lit du côté droit ayant duré quelques minutes, sans nausée. Depuis lors elle note une tendance vertigineuse dans certains mouvements de rotation de la tête, ce qui lui fait ralentir ses mouvements. Elle n’a pas noté de trouble auditif ou d’acouphène. Ce problème est survenu sans raison apparente et notamment sans contexte infectieux ou traumatique. […] Le bilan vestibulaire clinique ne montrait donc pas d’anomalie notable et je n’avais donc pas d’explication objective à ces troubles. Elle a pu faire une cupulolithiase ayant finalement disparu spontanément. Je ne l’ai pas revue depuis le mois de mai. En fonction de l’évolution je te laisserai juger de la nécessité d’investigations complémentaires notamment sur le plan neurologique ».

Du 21 octobre 2022 au 6 décembre 2022, elle avait été hospitalisée pour un AVC.

La notification des rappels d’impôts l’avait mise dans un état de grande confusion et d’angoisse. Se trouvant ainsi dans l’incapacité de prendre connaissance de ces courriers, elle avait fermé l’enveloppe qui contenait ces documents et l’avait laissée de côté jusqu’au 6 juillet 2022, date à laquelle elle s’était rendue au guichet de l’AFC-GE pour obtenir des explications.

Le 19 décembre 2022, très inquiète de cette procédure, elle avait payé la somme réclamée, sans pour autant reconnaître les montants.

e. Dans sa duplique, l’AFC-GE a relevé que l’intéressée reconnaissait le caractère tardif de sa réclamation. Les raisons invoquées pour expliquer son retard ne suffisaient pas à constituer un motif sérieux au sens de la loi.

f. Par jugement du 22 mai 2023, le TAPI a rejeté le recours.

Le rapport médical produit ne permettait pas de constater une impossibilité de la part de l’administrée d'entreprendre les démarches nécessaires dans cette affaire. Elle disposait de suffisamment de temps pour demander à sa fiduciaire d’examiner les reprises et de déposer, le cas échéant, une réclamation à sa place.

C. a. Par acte expédié le 7 juin 2023 au TAPI, A______s’est plainte de ce jugement. Elle ne comprenait pas la liste « hors sujet » des exemples donnés pour illustrer un empêchement d’agir. Ainsi, la femme qui accouche, un mari absent ou un genou qui ne fonctionnait plus ne la concernaient pas. Elle avait l’habitude de faire sa déclaration d’impôts avec l’aide d’un membre de H______, entretemps décédé. Il avait été remplacé par une jeune femme désagréable, peut-être inexpérimentée. Elle avait ainsi ajouté sur la déclaration d’impôts « de bien vérifier [s]a déclaration d’impôts ». À la demande de I______, employé de l’AFC-GE, elle s’était présentée avec tous les documents pour éviter une double imposition. Ces faits n’étaient pas mentionnés dans le jugement. Elle avait produit tous les documents démontrant qu’elle s’était acquittée des impôts à la source au Brésil. La tentative de médiation auprès du médiateur administratif n’avait duré que cinq à dix minutes. Elle avait été sidérée d’apprendre que ces documents n’apparaissaient pas dans l’ordinateur de l’AFC‑GE, alors que lors de son passage à l’administration, ceux-ci avaient été scannés et « un gentil Mr CHINOIS » lui avait dit que « tout allait bien » et qu’elle n’aurait que CHJF 250.- à payer. Elle venait de recevoir de la J______ de Brasilia toutes ses écritures « depuis le début du changement au Brésil 2016/2017/2018 ». Le nombre de pages était important ; elle irait les faire imprimer.

b. Par jugement du 13 juin 2023, le TAPI a transmis le recours à la chambre administrative comme objet de sa compétence.

c. Dans une écriture du 14 juillet 2023, la recourante a joint la réponse de la Conseillère d’État en charge du département des finances à la suite de ses courriers des 31 mai et 23 juin 2023. Elle n’était toujours pas d’accord avec l’AFC-GE. Elle était dépassée par « cette histoire », au point d’en avoir fait un AVC. Elle avait réussi à payer le montant réclamé en vendant ses actions. Elle avait d’importants problèmes de santé. Elle s’interrogeait comment les documents qu’elle avait remis avaient pu se perdre. Lors de la tentative de médiation, « le Grand Chef » avait dit qu’elle avait les moyens de payer les impôts ou « d’aller au TAPI ».

Elle avait cependant toujours payé ses impôts en Suisse comme au Brésil. Elle reprenait en détail sa situation fiscale dans les deux pays. Elle ne comprenait pas l’attitude menaçante des services de taxation, qui lui avaient dit que si elle ne payait pas l’arriéré, elle risquait d’avoir des poursuites. Elle ne comprenait pas cette attitude négative à l’égard d’une dame de 80 ans. Elle en était tombée malade et handicapée à vie. Elle posait des questions par rapport aux rappels d’impôts et insistait sur le fait qu’elle était disposée à montrer tous les documents qu’elle détenait, à condition qu’ils lui soient rendus, vu que l’AFC-GE ne les avait plus.

d. Il ressort du courrier de la Conseillère d’État du 6 juillet 2023 que l’AFC-GE et le TAPI s’étaient déjà prononcés sur sa situation fiscale en 2019. Les rentes de veuve perçues au Brésil constituaient un revenu soumis à taxation en Suisse. La convention d’interdiction de double imposition entre les deux pays n’ayant été conclue que le 3 mai 2018, elle ne pouvait rétroagir sur les années fiscales litigieuses. Afin d’atténuer l’absence de convention pendant les années en cause, l’AFC-GE n’avait pris en compte que le revenu net, à savoir après déduction des impôts brésiliens prélevés à la source. Il n’était pas possible de déroger aux principes d’imposition, par souci d’égalité de traitement.

e. L’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

f. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile et transmis à la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             2.1 L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/1261/2022 du 13 décembre 2022 consid. 2b). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/1261/2022 précité consid. 2b).

2.2 En l’espèce, l’objet du recours est limité à la question de savoir si l’AFC-GE était fondée à déclarer irrecevable la réclamation formée par la recourante. L’autorité intimée n’ayant ainsi pas examiné le fond du litige, la chambre de céans ne peut se prononcer sur les questions relatives au bien-fondé des bordereaux de rappels d’impôts 2008 à 2015. Les arguments avancés par la recourante au sujet du contenu desdits bordereaux ne peuvent donc pas être examinés.

3.             Est litigieuse la question de savoir si l’AFC-GE était fondée à déclarer irrecevable la réclamation formée par la recourante.

3.1 La recourante ne conteste pas que la réclamation a été formée hors délai. Il convient ainsi d’examiner si celle-ci pouvait néanmoins être déclarée recevable.

3.2 La décision de taxation peut faire l’objet d’une réclamation dans les trente jours suivant sa notification (art. 39 al. 1 LPFisc, art. 132 al. 1 LIFD). Passé le délai de trente jours, une réclamation n’est recevable que si le contribuable établit que par suite de service militaire, de service civil, de maladie, d’absence du pays ou pour d’autres motifs sérieux, il a été empêché de présenter son recours en temps utile et qu’il l’a déposé dans les trente jours après la fin de l’empêchement (art. 41 al. 3 LPFisc).

Les cas de force majeure restent réservés (art. 16 al. 1, 2e phr. LPA, art. 133 al. 3 LIFD et 41 al. 1 LPFisc). À cet égard, il y a lieu de préciser que tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d’activité de l’intéressé et qui s’imposent à lui de façon irrésistible et sans sa faute (SJ 1999 I 119 ; RDAF 1991 p. 45 ; ATA/1595/2017 du 12 décembre 2017 consid. 3 ; ATA/261/2016 du 22 mars 2016). Les conditions pour admettre un empêchement de procéder à temps sont très strictes. Celui-ci peut résulter d’une impossibilité objective ou subjective. L’empêchement doit être de nature telle que le respect des délais aurait impliqué la prise de dispositions que l’on ne peut raisonnablement attendre de la part d’une personne avisée (ATA/1373/2018 du 18 décembre 2018 consid. 8 ; ATA/1595/2017 précité consid. 3).

3.3 À teneur des art. 147 al. 1 LIFD et 55 al. 1 LPFisc, qui instituent un cas de reconsidération obligatoire, une décision ou un prononcé entré en force peut être révisé en faveur du contribuable, à sa demande ou d’office : lorsque des faits importants ou des preuves concluantes sont découverts (let. a) ; lorsque l’autorité qui a statué n’a pas tenu compte de faits importants ou de preuves concluantes qu’elle connaissait ou devait connaître, ou qu’elle a violé de quelque autre manière l’une des règles essentielles de la procédure (let. b) ; lorsqu’un crime ou un délit a influé sur la décision ou le prononcé (let. c).

3.4 En l’espèce, les bordereaux de rappels d’impôts et de taxation ont été notifiés à la recourante le 10 mai 2022. Selon le rapport du Dr D______, celle-ci l’a consulté le jour même pour des vertiges. Ce spécialiste a constaté « des tendances vertigineuses dans certains mouvements de rotation de la tête, ce qui lui fai[sai]t ralentir ses mouvements ». Si les vertiges dont elle souffrait au mois de mai 2022 étaient sans aucun doute pénibles, il ne ressort pas du rapport du Dr D______ qu’ils étaient à ce point handicapants que la recourante était empêchée de former elle-même réclamation ou de mandater un tiers à cet effet. Par ailleurs, aucune autre pièce ni les explications fournies par la recourante ne rendent vraisemblables que son état de santé était tel qu’il ne pouvait raisonnablement être exigé de sa part d’élever réclamation dans le délai légal ou de faire appel à l’aide de tiers, comme elle avait d’ailleurs pour habitude de le faire pour remplir sa déclaration fiscale. L’AVC dont elle a été victime est survenu au mois d’octobre 2022, soit bien après le délai de 30 jours pour former réclamation.

En l’absence d’éléments permettant de retenir que la recourante avait, entre le 11 mai et le 9 juin 2022, été empêchée de former réclamation ou de mandater un tiers à cette fin, l’autorité intimée était fondée à refuser de restituer le délai de réclamation et de déclarer celle-ci irrecevable.

Pour le surplus, la contribuable ne fait valoir aucun motif de reconsidération ; elle n’invoque en particulier pas de faits importants ou de preuves découvertes après la décision de taxation, ne fait pas valoir que l’autorité intimée aurait omis de tenir compte de faits importants ou de preuves concluantes qu’elle connaissait ou devait connaître ni qu’elle aurait violé de quelque autre manière l’une des règles essentielles de la procédure. Aucun élément au dossier ne permet, au demeurant, de retenir que les conditions d’une reconsidération obligatoire seraient réunies.

Au vu de ce qui précède, la décision déclarant irrecevable la réclamation est conforme au droit. Le recours devra donc être rejeté.

4.             Vu l’issue du litige, l’émolument de CHF 700.- sera mis à la charge de la recourante, qui ne peut se voir allouer aucune indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 juin 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 mai 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 700.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Eleanor McGREGOR, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. RODRIGUEZ ELLWANGER

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :