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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1347/2023

ATA/683/2023 du 27.06.2023 ( DIV ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1347/2023-DIV ATA/683/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 juin 2023

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE intimés



EN FAIT

A. a. Par communication du 2 avril 2023, la direction générale des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) a interdit à A______, née le ______ 1987, d’entrer, sauf nécessité de soins, aux HUG pendant une année, interdiction motivée par « la sécurité des personnes » et la « sécurité des lieux ».

b. Selon l’indication figurant sur cette communication, l’intéressée a refusé de la signer. Sous l’indication « nom, prénom, signature de l’agent HUG notifiant l’interdiction » figure un numéro de matricule (1______) ainsi qu’une signature illisible.

B. a. Par acte expédié le 18 avril 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette interdiction, dont elle a demandé l’annulation. Le 2 avril 2023, elle se trouvait, avec B______, au 3ème étage des HUG pour rendre visite à son mari, C______. Elle avait alors été agressée verbalement et physiquement par les agents de sécurité D______, E______ et F______. Cette dernière avait demandé à B______ si elle était l’épouse de C______, ce à quoi il avait répondu qu’elle était sa compagne. L’agente lui avait alors dit qu’elle n’était pas l’épouse du patient. D______ était ensuite intervenu en disant qu’il pouvait tout se permettre ; il l’avait tutoyée sans retenue pendant toute l’agression. Cet agent avait voulu obliger B______ à quitter les lieux. Elle avait été giflée par F______, plaquée au sol, menottée. Elle s’était défendue comme elle pouvait. Deux policiers étaient venus et l’avaient emmenée au poste de police. L’agente F______ avait faussement accusé B______ « d’avoir fait des problèmes ».

L’interdiction d’entrer aux HUG était sans valeur juridique, car signée ni par elle ni par la personne qui l’avait prononcée.

Elle se portait partie plaignante et se réservait le droit de déposer plainte pénale.

b. Les HUG ont conclu à l’irrecevabilité du recours.

La décision contestée n’avait pas de fondement de droit public. Les HUG n’agissaient pas dans le cadre de leur puissance publique en interdisant l’accès à eux. L’interdiction reposait uniquement sur le droit privé, lié à leur propriété. Elle était fondée sur l’art. 4.7 des règles d’engagement des agents de sécurité des HUG, adoptées le 23 janvier 2018, qui autorisait un agent des HUG à interdire l’accès aux HUG à un tiers.

Ils ont produit le rapport établi par les trois agents de sécurité précités. Selon celui-ci, le 2 avril 2023, à 21h10, l’infirmière du 3ème étage avait appelé l’agente de sécurité en indiquant que la réceptionniste de cet étage avait vu une dame (qui avait précédemment fait l’objet d’une intervention) passer rapidement devant elle en se dirigeant vers l’unité. Arrivés sur place, les agents de sécurité avaient constaté que la dame était accompagnée ; une discussion houleuse entre celle-ci et deux infirmières était en cours. Lorsqu’ils s’étaient enquis de ce qui se passait, l’intéressée était devenue agressive, avait crié qu’elle avait le droit de voir son mari. Lorsque l’agente avait indiqué que le personnel médical ne disposait pas de cette information, l’intéressée s’était encore davantage emportée. Invitée à produire un document qui attestait qu’elle était l’épouse du patient, elle avait menacé l’agente d’en découdre physiquement avec elle. Elle avait « débité un flux d’invectives à une vitesse folle » et s’était approchée du visage de l’agente, qui lui avait demandé de reculer. Elle s’était alors à nouveau approchée du visage de l’agente, de sorte que l’agent D______ avait passé sa main entre leurs deux visages en demandant à A______ de reculer. Soudainement, celle-ci avait giflé le précité. Il l’avait saisie par les épaules en lui demandant de prendre de la distance. Elle lui avait alors mis un doigt dans l’œil droit et l’avait griffé au cou. Le numéro d’urgence avait alors été appelé. Pendant ce temps, l’agente tentait de « gérer » l’homme accompagnant A______, qui avait « monté les tours » et refusait de quitter les lieux.

À l’arrivée des renforts de sécurité, celle-ci criait et refusait de quitter les lieux. L’agent E______ avait tenté de « nouer le dialogue » avec elle, mais elle s’en était également pris physiquement à lui. Elle l’avait agrippé au cou, lui avait mordu le pouce gauche et essayé de le mordre au torse. Les agents de sécurité l’avaient alors amenée au sol, lui avaient placé les bras dans le dos et menottée jusqu’à l’arrivée de la patrouille de police. Les trois agents avaient déposé plainte pénale contre elle.

c. Invitée à se déterminer sur cette écriture, la recourante a contesté que les HUG ne relèvent pas du droit public. L’intervention injustifiée des agents de sécurité constituait une atteinte à sa sphère intime au sens de l’art. 28 CC. La sphère publique n’était pas protégée. Le traitement des données d’une personne (physique ou morale) constituait une atteinte à sa sphère privée. L’autre partie avait aussi le droit d’être entendue.

d. Les heures de visites dans le bâtiment des lits vont de 8h00 à 20h00 (https://www.hug.ch/lieux-soins-horaires-visites).

Il ressort du rapport d’intervention que le n° de matricule 1______ est celui de F______.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             La compétence des autorités est déterminée par la loi et ne peut être créée par accord entre les parties (art. 11 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). La chambre administrative examine d’office sa compétence (art. 11 al. 2 LPA).

1.1 Aux termes de l’art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative ; les compétences de la chambre constitutionnelle et de la chambre des assurances sociales sont réservées (al. 1) ; le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6, al. 1, let. a et e, et 57 LPA ; sont réservées les exceptions prévues par la loi (al. 2) ; la chambre administrative connaît en instance cantonale unique des actions fondées sur le droit public qui ne peuvent pas faire l’objet d’une décision au sens de l’al. 2 et qui découlent d’un contrat de droit public : les dispositions de la LPA en matière de recours s’appliquent par analogie à ces actions (al. 3).

1.2 Sont considérées comme des décisions au sens de l’art. 4 al. 1 LPA les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c).

Sont réputées autorités administratives au sens de l’art. 1 LPA, notamment, les institutions, corporations et établissements de droit public ainsi que les autorités communales, les services et les institutions qui en dépendent (art. 5 let. e et f LPA).

1.3 Le domaine public comprend l'ensemble des biens qui peuvent être utilisés librement par tout un chacun (ATF 128 I 274 consid. 2.3.2). Il est donc ouvert à tous, en principe de manière libre, égale et gratuite. Appartiennent au domaine public les espaces naturels publics, tels les cours d'eau et les ouvrages affectés à un but d'intérêt général, comme les routes et les places. Le patrimoine administratif vise pour sa part un cercle d'utilisateurs plus limité (ATF 138 I 274 consid. 2.3.2). Relèvent du patrimoine administratif les biens des collectivités publiques qui sont directement affectés à la réalisation d'une tâche publique. En font parties les immeubles qui abritent les écoles, les hôpitaux, les gares (avec des nuances concernant les zones commerciales ou les parois des couloirs ATF 138 I 274 consid. 2.3.2), les musées, les bibliothèques et, de manière générale, les établissements publics et les services administratifs de l'État (arrêt du Tribunal fédéral 4A_250/2015 du 21 juillet 2015 consid. 4.1; 1C_379/2014 du 29 janvier 2015 consid. 5.3, in SJ 2015 I 322).

Lorsque le patrimoine administratif est affecté à des fins particulières d'intérêt public au bénéfice des citoyens, il est le plus fréquemment séparé du patrimoine administratif ordinaire et est institué en patrimoine distinct sous la forme d'un établissement public (par ex. les établissements scolaires ou universitaires, les hôpitaux, les théâtres municipaux, les musées, etc.). Dans ces cas, l'utilisation du patrimoine administratif se confond avec l'usage de l'établissement public en cause, lequel est en principe défini par son affectation spécifique et par les conditions mises à son accès par une loi (arrêt du Tribunal fédéral 2C_650/2015 du 11 novembre 2016 consid. 6.1 et les références citées).

Selon la doctrine et la jurisprudence, en l’absence de règles spécifiques de droit public, le patrimoine administratif est régi par le droit privé (ATA/367/2022 du 5 avril 2022 ; ATA/321/2010 du 11 mai 2010 ; Blaise KNAPP, Cours de droit administratif, 1994, p. 266 n. 2928). A contrario, lorsque de telles règles existent, il est gouverné par le droit public (ATA/497/2018 du 22 mai 2018 consid. 9).

1.4 La loi sur les établissements publics médicaux du 19 septembre 1980 (LEPM – K2.05) détermine, notamment, l’organisation des HUG. La loi prévoit ainsi les organes dont les établissements publics médicaux doivent se doter (art. 6 LEPM), les attributions du conseil d’administration (art. 7 LEPM) ou encore les tarifs relatifs aux prestations de soins, la nomination et la révocation du directeur général, le règlement des services médicaux et le statut du personnel doivent être approuvés par le Conseil d’État (art. 5 al. 2 LEPM).

1.5 L’établissement est dirigé par un Comité de direction, de neuf membres au maximum, comprenant les membres de la direction générale, de la direction médicale, de la direction des soins et le doyen de la faculté de médecine (art. 20A al. 1 LEPM). Selon l’art. 18 LEPM, intitulé « but », les établissements reçoivent les personnes malades (a), victimes d’accidents (b), enceintes (c), atteintes d’affections mentales (d), atteintes de maladies chroniques (e), en fin de vie en raison de pathologies diverses (f), et celles devant bénéficier de traitements ou de soins à caractère non intensif, pour des hospitalisations intermédiaires ou de longue durée, à caractère médico-social, ainsi que pour des soins de réadaptation (g).

1.6 Dans sa jurisprudence, la chambre administrative a considéré que l’interdiction d’entrer dans les foyers autres que celui où l’intéressé était hébergé ou d’entrer dans un collègue n’était pas fondée sur le droit public (ATA/773/2016 du 13 septembre 2016 ; ATA/710/2016 du 23 août 2016). Selon le Tribunal fédéral, il n’est pas insoutenable de considérer que l’exclusion de l’Université d’un étudiant ayant eu un comportement inadéquat dans un logement d’étudiants relève du rapport de puissance publique particulier entre l’Université et l’étudiant (arrêt 2C_406/2015 du 6 novembre 2015 consid. 2.4).

1.7 En l’espèce, il apparaît que le droit cantonal règle, dans une certaine mesure, le fonctionnement des HUG. L’art. 18 LEPM précise le cercle des personnes pouvant y être accueillies. Dès lors que des règles de droit public cantonal applicables aux HUG ont été édictées, il convient d’admettre que l’interdiction d’entrer dans ceux-ci pendant une année s’inscrit dans un rapport de droit public.

La décision querellée interdisant à la recourante un certain comportement, à savoir d’accéder aux HUG, elle constitue une mesure individuelle et concrète ayant une conséquence juridique et obligatoire pour l’intéressée.

La communication du 2 avril 2023 doit donc être qualifiée de décision au sens de l’art. 4 LPA.

Dans la mesure où le règlement sur lequel se fonde la décision querellée a été adopté par le Comité de direction des HUG, organe chargé de la direction de l’établissement (art. 20A LEPM), qui a délégué aux agents de sécurité des HUG la compétence de rendre une décision interdisant l’entrée aux HUG, l’acte querellé a été rendu par une autorité administrative au sens de l’art. 5 let. e et f LPA, soit un service dépendant des HUG. Aucune voie de recours interne n’étant prévue, le recours peut être formé auprès de la chambre administrative.

Enfin, même si la décision ne mentionne pas les voies et délais de recours, comme elle devrait le faire selon l'art. 46 al. 1 LPA, elle a néanmoins été attaquée dans le délai légal de recours de trente jours (art. 62 al. 1 let. a LPA).

Le recours est donc recevable.

2.             Il convient ainsi d’examiner le bienfondé de l’interdiction querellée.

2.1 La recourante soutient, dans son recours, avoir été agressée, apparemment sans motif, par les agents de sécurité, qui lui avaient demandé si elle était l’épouse du patient auquel elle avait indiqué vouloir rendre visite. Or, outre le fait qu’elle n’apporte aucun élément permettant de retenir que celui-ci est son mari, elle n’explique pas pour quel motif elle n’a pas donné suite à l’invite des agents de sécurité de quitter les lieux, étant précisé que les heures de visite étaient alors terminées et qu’elle ne soutient pas avoir bénéficié d’une dérogation aux horaires de visite usuels.

Elle n’a pas non plus réagi aux explications détaillées fournies par les HUG avec leur détermination, dont les agents de sécurité ont décrit de manière circonstanciée le déroulement des faits. Elle n’a pas non plus contesté que son comportement avait déjà nécessité l’intervention des agents de sécurité auparavant.

En l’absence de tout élément autre que la seule contestation, non étayée, de la recourante quant aux faits reprochés, la chambre de céans ne peut que considérer que celle-ci a refusé de quitter le bâtiment des HUG, alors qu’elle se présentait en dehors des horaires de visite, et qu’une altercation tant verbale que physique s’en est suivie entre elle et les agents de sécurité, qui ont fini par appeler la police.

Dans la mesure où ce type de comportement est de nature à compromettre la tranquillité et la sécurité dans l’hôpital, les HUG étaient fondés à sanctionner la recourante.

La directive adoptée le 23 janvier 2018 par le comité de direction des HUG, intitulée règles d’engagement des agents de sécurité des HUG, prévoit à son art. 4.7 que lorsqu’un agent de sécurité constate, de manière récurrente, qu’une personne se livre dans les locaux des HUG à un comportement inadéquat, il peut lui interdire l’entrée des HUG, au moyen du formulaire ad hoc. Il en avertit rapidement le service juridique, qui décide de l’opportunité de remettre cette interdiction à la police et du dépôt d’une plainte pénale. Cette interdiction a une durée de six mois et ne déploie pas d’effet en cas de nécessité de soins.

Au vu du comportement adopté par la recourante, qui avait déjà donné lieu à une intervention des agents de sécurité, l’interdiction d’entrer dans les HUG, hormis pour des soins sur sa propre personne, apparaît apte et nécessaire à atteindre le but fixé, à savoir garantir la tranquillité des patients et la sécurité dans l’hôpital et faire prendre conscience à la recourante que son comportement ne pouvait être toléré.

La durée de la sanction paraît toutefois disproportionnée et contraire aux règles dont les HUG se sont eux-mêmes dotés, limitant l’interdiction d’entrer à six mois. Ce faisant, ils ont commis un excès de leur pouvoir d’appréciation.

Partant, le recours sera partiellement admis et la durée de l’interdiction réduite à six mois.

Pour le surplus, les questions relatives à la protection des données personnelles ainsi qu’au dépôt d’une éventuelle plainte pénale par la recourante ne sont pas l’objet de la décision querellée, respectivement ne relèvent pas de la compétence de la chambre administrative, de sorte que celles-ci n’ont pas à être examinées.

3.             Malgré l’issue du litige, il ne sera exceptionnellement pas perçu d’émolument. Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, la recourante plaidant en personne (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 avril 2023 par A______ contre la décision des Hôpitaux Universitaires de Genève du 2 avril 2023 ;

au fond :

l’admet partiellement et réduit la durée de l’interdiction d’entrer dans les Hôpitaux Universitaires de Genève à six mois ;

rejette le recours pour le surplus ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'aux Hôpitaux Universitaires de Genève.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Valérie LAUBER, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. DIKAMONA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :