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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/487/2010

ATA/321/2010 du 11.05.2010 ( DIV ) , ADMIS

Recours TF déposé le 22.06.2010, rendu le 08.12.2010, REJETE, 1C_312/2010
Descripteurs : DÉCISION; DROIT PUBLIC; DROIT PRIVÉ; CONTRAT; COMPÉTENCE; DÉLAI DE RECOURS; QUALITÉ POUR RECOURIR; INTÉRÊT ACTUEL; MOTIVATION DE LA DÉCISION; DROIT D'ÊTRE ENTENDU; LIBERTÉ D'EXPRESSION; DROIT FONDAMENTAL; AUTONOMIE COMMUNALE; PROCÈS-VERBAL; LÉGALITÉ; INTÉRÊT PUBLIC; PROPORTIONNALITÉ; DOMAINE PUBLIC; PATRIMOINE ADMINISTRATIF; PATRIMOINE FINANCIER; BAIL À LOYER; POUVOIR D'APPRÉCIATION; OPPORTUNITÉ; POUVOIR D'EXAMEN; INTERDICTION DE L'ARBITRAIRE
Normes : LPA.4 ; LPA.18A ; LPA.46 ; LPA.47 ; LPA.60 ; LPA.61 ; LPA.63 ; LOJ.56A ; LOJ.56B ; LAC.48 ; LAC.85 ; LAEC.3 ; LAEC.4 ; LC.22 ; LC.23 ; LC.7 ; LC.8 ; LC.1 ; LC.2 ; LC.3 ; Cst-GE.155 ; CST.5 ; CST.16 ; CST.35 ; CST.50
Parties : DIAGNE Djily / VILLE DE GENEVE - CONSEIL ADMINISTRATIF
Résumé : Recours interjeté contre le refus de la Ville de Genève de louer la salle de l'Alhambra au producteur de l'humoriste Dieudonné. La décision d'attribution de la salle qui répond à une demande de location est une décision fondée sur le droit public et ne relève pas du droit privé, même si le contrat signé postérieurement à cette décision est régi par le droit privé. La ville est liée, dans sa gestion de la salle, par les principes généraux de droit public. Violation de la liberté d'expression retenue en l'espèce.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/487/2010-DIV ATA/321/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 11 mai 2010

 

dans la cause

 

 

 

Monsieur Djily DIAGNE

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL ADMINISTRATIF DE LA VILLE DE GENÈVE

 



EN FAIT

1. Monsieur Djily Diagne, domicilié à Lausanne, est le producteur de Monsieur Dieudonné M’Bala-Bala, connu sous son nom de scène de Dieudonné.

2. En 2004, ce dernier a présenté au Casino-Théâtre de Genève un spectacle intitulé : "Le divorce de Patrick". Dans un premier temps, Monsieur Patrice Mugny, conseiller administratif en charge de la culture, avait décidé de ne pas autoriser ce spectacle afin d’éviter publiquement des dérapages verbaux, nuisibles à la collectivité genevoise, Dieudonné étant connu pour les propos controversés qu’il avait pu tenir précédemment, en France notamment. La motivation de M. Mugny résultait d’un communiqué de presse diffusé le 17 février 2004. Toutefois, après avoir discuté avec M. Dieudonné, M. Mugny avait autorisé le spectacle en question.

3. Le 2 décembre 2009, M. Diagne s’est entretenu par téléphone avec Madame Diane Baud, administratrice de la salle de théâtre de l’Alhambra, propriété de la Ville de Genève (ci-après : la Ville), aux fins de louer cette salle pour une représentation du nouveau spectacle de Dieudonné intitulé "Sandrine".

Le même jour, M. Diagne a transmis à Mme Baud un message que lui avait adressé le 29 janvier 2008 Monsieur Boris Drahusak, codirecteur du département de la culture, suite à un message du premier à l’intention de M. Mugny, ce message-ci n’étant pas produit.

Dans le message électronique précité de M. Drahusak, celui-ci assurait M. Diagne que le département de la culture n’était en rien opposé à la venue de Dieudonné à Genève. Les plannings des salles municipales étaient très chargés et les réservations s’effectuaient plusieurs saisons à l’avance. Il était donc invité à prendre contact avec les responsables des salles le plus tôt possible pour bénéficier d’une date qui lui convienne.

4. Le même jour, Mme Baud a confirmé par message électronique à M. Diagne qu’elle avait noté une pré-réservation pour la location du Théâtre de l’Alhambra pour les 26 et 27 mars 2010 pour le spectacle de Dieudonné et elle lui envoyait les formulaires à remplir à cette fin.

5. A la requête de Mme Baud, M. Diagne lui a envoyé le 2 décembre 2009 toujours, un petit dossier de presse. Le spectacle "Sandrine" traitait de la violence conjugale. Il joignait certains extraits des réactions publiées dans la presse à Montréal, à la suite d’une représentation de ce spectacle en juin 2009. Toutes louaient l’humour de Dieudonné et il en avait été de même en octobre 2009 à Lyon.

6. Le 3 décembre 2009, M. Diagne a renvoyé à Mme Baud le formulaire dûment rempli pour la demande de location de l’Alhambra les 26 et 27 mars 2010.

7. Dans sa séance du 9 décembre 2009, le Conseil administratif a décidé de refuser la demande de location présentée par M. Diagne.

8. Par courrier électronique du 21 décembre 2009, Mme Baud a transmis à M. Diagne l’extrait certifié conforme du procès-verbal de cette séance l’informant de ce refus dont la presse s’est aussitôt fait l’écho (articles du "Courrier" du 29 janvier 2010 et de la "Tribune de Genève" des 30 et 31 janvier 2010 sous les titres : "Dieudonné reste indésirable dans les salles de la Ville" et "Mugny interdit la Ville à Dieudonné").

9. A la requête de M. Diagne, Mme Baud lui a adressé, daté du 9 février 2010, un courrier auquel était annexé l’extrait du procès-verbal de la séance du conseil administratif du 9 décembre 2009. Mme Baud disait confirmer que le conseil administratif de la Ville avait refusé le 9 décembre 2009 la demande de location. Aucun motif ni aucune voie de droit n’étaient indiqués.

10. Le 11 février 2010, M. Diagne a déposé au greffe du Tribunal administratif un recours daté du 11 janvier 2009 contre cette décision en concluant à son annulation. La décision attaquée était entachée d’un vice de forme car elle n’indiquait pas quelle était l’autorité de recours ni le délai pour agir. Le Tribunal administratif devait statuer sur le fond et sur la forme, annuler la décision attaquée et ordonner la location de la salle.

Le recours avait été interjeté dans les délais, la date de la notification devant être prise en compte étant celle du 10 février et non du 21 décembre 2009. C’était à cette première date que la Ville avait daigné répondre à ses sollicitations visant à la notification d’une décision formelle. Bien que celle-ci soit dépourvue de toute motivation et d’indication des voie et délai de recours, ce n'était qu'à partir de là que le délai de recours commençait à courir. Le courriel du 21 décembre 2009 ne pouvait valoir notification.

La décision entreprise ne comportait aucune motivation, contrairement à la loi. Elle était en outre arbitraire, soit motivée "ni par des considérations de maintien de l’ordre public ni par le contenu du spectacle, mais uniquement par des motifs subjectifs". Dans les articles de presse précités, M. Mugny justifiait le refus de l’autorité par les propos que Dieudonné avait tenus lorsqu’il avait notamment accusé Israël d’avoir collaboré avec le régime de l’apartheid en Afrique du Sud à une période où M. Mugny était représentant de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (ci-après : LICRA) en Suisse. Or, Dieudonné se déclarait antisioniste et se défendait d’être antisémite. M. Mugny disait s’être octroyé la liberté de refuser la location d’une salle municipale mais cette liberté violait le droit. A supposer que les propos qui seraient tenus par Dieudonné tombent sous le coup de l’art. 261bis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) réprimant le racisme, de tels propos ne pourraient justifier que des poursuites répressives mais non une mesure préventive. L’art. 16 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) garantissait la liberté d’opinion et la liberté d’expression et était l’un des fondements essentiels d’une société démocratique. La décision de M. Mugny contredisait celle du Conseil d’Etat prise en janvier 2009 s’opposant à l’interdiction du spectacle de Dieudonné à Genève. Elle portait atteinte à la liberté du travail protégée par l’art. 27 Cst. Elle était illégale alors qu’aucune représentation de Dieudonné n’avait donné lieu à une manifestation dangereuse pour la sécurité publique. L’artiste avait joué récemment à Lausanne, Neuchâtel, Sion, Crissier, Porrentruy et partout en France et en Belgique, sans aucun problème.

Implicitement, le recourant plaidait également l’égalité de traitement puisque d’autres spectacles, tels "Les Onze Petits Nègres", avait été joués en 2006 dans une salle municipale alors que ce spectacle avait été considéré comme choquant par certains et avait provoqué des remous dans d’autres pays. Ce "deux poids, deux mesures" était inhérent à ce type de décision basée sur les motifs subjectifs.

Enfin, implicitement toujours, le recourant alléguait une violation du principe de la bonne foi puisque le département de la culture n’avait pas respecté ses engagements. Il avait affirmé en janvier 2008 ne pas être opposé à la venue de Dieudonné dans des salles municipales, l’invitant même à contacter les responsables pour réserver une date.

11. Le conseil administratif de la Ville a répondu le 26 février 2010 en concluant principalement à l’irrecevabilité du recours. Si celui-ci était déclaré recevable, il devait être rejeté.

La salle de l’Alhambra faisait partie de son patrimoine financier dont la gestion relevait du droit privé. Le patrimoine financier regroupait l’ensemble des valeurs patrimoniales qui ne contribuaient qu’indirectement à l’accomplissement de tâches publiques par leur valeur en capital ou par leur rendement. La Ville louait l’Alhambra comme le ferait n’importe quel particulier, au moyen d’un contrat ressortissant au pur droit privé et non d’une décision administrative. Les litiges y afférant relevaient de la compétence du Tribunal des beaux et loyers et non du Tribunal administratif. Le recours était irrecevable pour ce motif déjà.

Si cette juridiction devait admettre la présence d’une décision sujette à recours, celui-ci serait tardif, le courriel du 21 décembre 2009 valant décision dans ce cas. Aucune irrégularité dans la notification ne pouvait par ailleurs être retenue, car il appartenait à M. Diagne, qui avait parfaitement compris le sens du courriel précité, de se renseigner, cas échéant, pour pouvoir agir en temps utile. La date du 11 janvier 2009 figurant sur son acte de recours attestait du fait que le recourant n’avait pas nourri de doute sur le caractère définitif du refus qui lui avait été signifié le 21 décembre 2009 et qu’il était prêt à déposer son recours à cette première date. Il ne pouvait, dès lors, se prévaloir de sa bonne foi pour obtenir une prolongation du délai de recours. Cette tardiveté constituait un second motif d’irrecevabilité.

La demande de location de M. Diagne datant du 2 décembre 2009 pour un spectacle devant se dérouler fin mars 2010 ne respectait pas le délai de cinq mois imposé par le règlement de l’Alhambra. Elle n’aurait donc pu aboutir, indépendamment de tout autre motif de refus.

L’autonomie communale garantissait à la commune le droit de choisir librement ses partenaires contractuels et il n’existait aucun droit de quiconque de louer la salle de l’Alhambra.

Par ailleurs, la Ville ayant agi dans la gestion de son patrimoine financier comme n’importe quel particulier et non dans l’exercice de sa puissance publique, elle n’était pas tenue de respecter les libertés fondamentales. Aucune de celles-ci n'était touchée en l’espèce et si tel était le cas, les conditions de restrictions à celles-ci étaient réalisées en raison des risques concrets de troubles à l’ordre public. En effet, Dieudonné avait été condamné à plusieurs reprises entre 2006 et 2008 en France pour injure raciale, incitation à la haine raciale et diffamation. Plusieurs villes de France avaient interdit le spectacle « le divorce de Patrick » en 2004 en raison du danger de troubles à l’ordre public. A cette date, l’un des spectacles avait donné lieu à un incident ayant fait deux blessés. Le spectacle prévu à l’Olympia avait consécutivement été annulé. En 2008, Dieudonné avait tenu des propos « inappropriés » dans une vidéo diffusée sur l’internet, visant Monsieur Pascal Berheim et Monsieur Daniel Zappelli, Procureur général de la République et canton de Genève. En 2009, l’humoriste avait invité le négationniste Monsieur Robert Faurisson sur la scène du Zénith à Paris pour lui décerner le prix de « l’infréquentabilité » après l’avoir déguisé en déporté. Ce fait avait entraîné de graves tensions qui avaient conduit plusieurs municipalités craignant des troubles à l’ordre public à annuler des représentations du spectacle « Sandrine » en France. La salle de l’Alhmabra était petite et destinée à un public familial. Elle ne disposait pas de services de sécurité suffisants pour faire face aux débordements tels que ceux qui s’étaient produits à Lyon en 2004 dans le spectacle « le divorce de Patrick » (« jets de bouteilles d’acide dans le public ou allumage d’une mèche dans une bouteille contenant de l’acide »).

12. Cette réponse a été transmise à M. Diagne qui a réagi le 28 février 2010 en relevant les nombreuses inexactitudes de fait figurant dans cette écriture.

Bien qu’il comporte par erreur la date du 11 janvier 2010, son recours était du 11 février 2010, ainsi qu’il résultait de la date de sa réception par le tribunal.

La Ville, même si elle agissait comme un privé, devait respecter les libertés fondamentales, y compris la protection contre l’arbitraire et l’égalité de traitement. Les plaintes judiciaires dont Dieudonné avait fait l’objet étaient dues au fait que ses propos étaient la plupart du temps sortis de leur contexte. Dieudonné était injustement accusé d’être antisémite ; il faisait des sketches tout aussi provocants sur les islamistes extrêmistes ou les catholiques intégristes. Le spectacle de Lyon en 2004 qui avait généré deux blessures légères à deux personnes était le seul incident sérieux survenu en vingt ans de carrière. Le contexte était particulier, car Dieudonné venait de jouer le sketch très controversé du « colon israélien ». Le Conseil d’Etat français avait condamné la commune d’Ovrault pour non respect d’une convention de location à Dieudonné d’une salle municipale. D’après l’article de l’Agence France Presse du 26 février 2010, le maire de cette localité avait tenté de faire annuler le spectacle, ensuite de quoi, le Tribunal administratif de Nantes l’avait enjoint de respecter la convention de location. Le Conseil d’Etat avait considéré que ces allégations n’étaient pas étayées et ne justifiaient pas une entrave à la liberté fondamentale qu’était la liberté d’expression.

La décision attaquée était ainsi une décision censurant un humoriste, justifiée par aucun motif autre qu’une censure préalable et arbitraire, ainsi qu’il résultait clairement de l’affirmation que M. Mugny avait faite à la presse, selon laquelle même si Dieudonné avait voulu louer un local pour donner des cours de cuisine, il ne l’aurait pas obtenu.

13. Par télécopie du 1er mars 2010, le juge délégué a prié Mme Baud de lui communiquer un exemplaire vierge d’un contrat de location pour la salle de l’Alhambra. Sans réponse de l’intéressée, le juge délégué a adressé la même requête à Monsieur Olivier-Georges Bürri le 11 mars 2010 qui lui a fait parvenir le 12 mars 2010 le document requis. Celui-ci indique in fine qu’en cas de litige, les tribunaux genevois sont compétents.

14. Ce document a été transmis à M. Diagne le 15 mars 2010.

15. Le 23 avril 2010, M. Diagne a informé le Tribunal administratif qu’il avait loué une autre salle à Genève pour le spectacle "Sandrine", car à la fin du mois de mai, Dieudonné entamerait la tournée d'un nouveau spectacle. Il persistait néanmoins dans son recours et joignait à son envoi trois arrêts rendus par des tribunaux français annulant des interdictions faites à M. Dieudonné de produire son spectacle, au motif que celles-ci violaient la liberté d'expression.

16. Ensuite de quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1. A teneur de l’art. 2 du règlement régissant la location de l'Alhambra (ci-après : le règlement sur l'Alhambra ; LC 21 378), la salle de l’Alhambra est destinée à accueillir des spectacles dans les domaines du théâtre, de la danse, du music-hall, des concerts, du cinéma, des opéras et tout spectacle assimilé. Elle est placée sous la responsabilité du département de la culture qui la loue à cette fin. Par la mise à disposition de cette salle, la commune réalise la mission d’intérêt public que la loi lui confie, de participer au rayonnement et à la transmission de la culture et, en particulier, au développement de la création et de la production artistiques en favorisant l’échange sur un plan international (art. 3 al. 2 et 4 ch. 5 de la loi sur l’accès et l’encouragement à la culture du 20 juin 1996 - LAEC – C 3 05).

La mise en location de l’Alhambra concrétisant une tâche publique, le règlement précité - qui contient des dispositions spéciales – ainsi que le règlement fixant les conditions de location des salles de réunions et de spectacles de la Ville de Genève du 10 juillet 2002 (ci-après : règlement sur les salles de spectacles ou règlement général ; LC 21 371) – constituent des règles de droit public. La décision d’attribution de la salle relève ainsi exclusivement du droit public, même si le contrat signé consécutivement entre la Ville et le locataire obéit aux règles du droit privé, ainsi qu’il ressort des art. 7 et 8 du règlement général. On trouve cette construction à deux niveaux dans d’autres domaines du droit, comme par exemple dans les marchés publics, où la décision d’attribution du marché, qui relève du droit public, est clairement séparée du contrat signé entre l’adjudicateur et l’adjudicataire qui ressortit au droit privé (P. MOOR, Droit administratif, vol. 2, Berne 2002, p. 430, n. 3.3.3).

Ces principes étant posés, la recevabilité du recours doit être examinée.

2. Selon l'art. 56A al. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (LOJ - E 2 05) le recours au Tribunal administratif est ouvert contre les décisions des autorités administratives, au sens des art. 4, 5, 6 al. l let. d et 57 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf exception prévue par la loi.

La voie de recours fondée sur cette disposition présuppose l'existence d'une décision.

3. Aux termes de l'art. 4 al. 1 let. c LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal, ayant pour objet, notamment, de rejeter des demandes tendant à créer des droits ou des obligations.

En l'espèce, le refus du Conseil administratif du 9 décembre 2009 de louer la salle de l'Alhambra à M. Diagne constitue une mesure individuelle et concrète prise par une autorité administrative (une autorité communale au sens de l'art. 5 let. f LPA), qui rejette une demande tendant à créer des droits et des obligations (demande d’attribution de la salle litigieuse). Ce refus se fonde sur les règlements précités adoptés par le Conseil administratif de la Ville de Genève sur le fondement de l'art. 48 let. v de la loi sur l’administration des communes du 13 avril 1984 (LAC - B 6 05) qui constituent du droit public communal, comme exposé ci-dessus. Il se base en particulier sur l’art. 2 al. 1er du règlement sur l'Alhambra selon lequel les choix artistiques sont soumis au conseiller culturel concerné du domaine art et culture du département de la culture (ci-après : DC) et les cas litigieux font l'objet d'une décision du Conseiller administratif délégué.

Le refus opposé à M. Diagné constitue ainsi incontestablement une décision au sens de l'art. 4 LPA.

4. Selon l'art. 85 LAC, les recours contre les décisions administratives des autorités communales sont régis par les articles 56A et ss LOJ et par la LPA. Aux termes de l'art. 56B al. 1er LOJ, le recours au Tribunal administratif n’est pas recevable contre les décisions pour lesquelles le droit fédéral ou une loi cantonale prévoit une autre voie de recours.

Le règlement sur les salles de spectacles n'ouvre la voie de recours au Tribunal administratif que contre les décisions sur réclamation rendues en matière de rabais de location (art. 30 dudit règlement, en relation avec son annexe 1) par la Gérance immobilière municipale (ci-après : GIM). Ce règlement municipal n’étant ni une norme de rang fédéral ni une loi cantonale, il ne saurait constituer une exception valable au regard de l'art. 56B al. 1 LOJ.

Le Tribunal administratif est donc compétent pour statuer.

5. Selon l'art. 63 al. 3 LPA, le délai de recours commence à courir dès le lendemain de la notification.

La Ville de Genève allègue avoir notifié le refus du Conseil administratif à M. Diagne le 21 décembre 2009. Le délai de recours serait ainsi arrivé à échéance le 20 janvier 2010.

Il ressort des pièces versées à la procédure que M. Diagne s'est fait envoyer la teneur de l'extrait du procès-verbal de la séance du Conseil administratif du 9 décembre 2009 le concernant par courriel le 21 décembre 2009, puis par lettre de Mme Baud du 9 février 2010, à laquelle était annexée une nouvelle copie de l'extrait précité.

La notification par courriel n’est admissible que dans certains cas limitativement énumérés par la loi (art. 18A LPA ; règlement sur la communication électronique du 3 février 2010 - RCEl - E 5 10.05) qui ne concernent pas le présent litige. Le délai ne pouvait ainsi courir, au plus tôt, qu’à compter de la notification du courrier du 9 février 2010.

Interjeté le 11 février 2010, le recours respecte donc le délai de trente jours prescrit par la loi.

6. Enfin, en tant que destinataire direct de la décision, M. Diagne dispose de la qualité pour recourir (art. 60 let. b LPA). Bien qu’il n’ait plus d’intérêt actuel à l’annulation de la décision entreprise – la date de la réservation étant aujourd'hui échue - il conserve la qualité pour recourir. En effet, il est renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 consid. 1 p. 82 ; 131 II 361 consid. 1.2 p. 365 ; 129 I 113 consid. 1.7 p. 119 ; 128 II 34 consid. 1b p. 36 ; Arrêt du Tribunal fédéral 6B.34/2009 du 20 avril 2009 consid. 3 ; ATA/365/2009 du 28 juillet 2009 ; ATA/351/2009 du 28 juillet 2009 ; ATA/146/2009 du 24 mars 2009 consid. 3).

Dès lors que Dieudonné organise régulièrement des spectacles à Genève, ces conditions sont réunies en l'espèce.

Le recours est ainsi recevable.

7. La validité formelle de la décision attaquée mérite d'être examinée.

8. Selon l'art. 1er du règlement sur l'Alhambra, qui régit la location de cette salle de spectacle, l'Alhambra est placé sous la responsabilité du département de la culture. Le service administratif et technique du domaine art et culture (ci-après : SAT), sous l'autorité du Conseiller administratif délégué, est chargé de sa gestion. Conformément à l'art. 2 al. 2 et 3 du règlement précité, les choix artistiques sont soumis au conseiller culturel concerné du domaine art et culture dudit département et les cas litigieux font l'objet "d'une décision du Conseiller administratif délégué". La décision ayant été prise en l'espèce par le Conseil administratif "in corpore", il s’agit de déterminer si celui-ci était compétent pour prendre la décision attaquée.

L'art. 2 al. 2 et 3 du règlement sur l'Alhambra ne constitue pas une véritable délégation, en faveur d'un seul conseiller administratif, de la compétence conférée au Conseil administratif par l'art 155 al. 1er de la Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1847 (Cst-GE - A 2 00), selon lequel l'administration de la Ville de Genève est confiée à "un conseil administratif de cinq membres, nommé par le corps électoral de la Ville de Genève réuni en un seul collège". Certes, le Conseil administratif répartit ses fonctions entre ses membres (art. 155 al. 1er Cst-GE) et est "engagé" par la signature d’un conseiller administratif délégué (art. 50 al. 2 LAC). Cette possibilité du conseiller administratif concerné d'engager le conseil par sa seule signature ne prive cependant pas cette autorité de la compétence qui lui revient, de par la loi, de statuer en collège sur une matière qui a fait l’objet de cette répartition de fonctions. Cette interprétation découle également de la LAC, dont l'art. 48 let a dispose que "le Conseil administratif, le maire, après consultation de ses adjoints (…), sont chargés, dans les limites de la constitution et des lois, d’administrer la commune (…)".

Le Conseil administratif in corpore était donc bien compétent pour prendre la décision attaquée.

9. a. Par ailleurs, selon l'art. 46 al. 1er LPA, les décisions doivent être désignées comme telles, être signées, et indiquer les voies et délais de recours. L'art. 23 al. 3 du règlement précité précise pour sa part que les décisions du Conseil administratif devant être communiquées en dehors de l'administration le sont sous forme de lettres à l'en-tête du Conseil administratif et signées par le maire, le cas échéant par le conseiller administratif délégué, (ou le vice-président ou le conseiller qui assume la présidence) et le secrétaire général, ou son remplaçant.

En l’espèce, la communication de la décision du Conseil administratif faite à M. Diagne le 9 février 2010 ne respecte aucune de ces prescriptions : elle ne remplit pas les conditions de forme de l'art. 23 du règlement précité, n’est pas signée par les personnes habilitées et n'indique ni voie ni délai de recours.

b. Selon l'art. 47 LPA, la notification irrégulière d’une décision ne doit entraîner aucun préjudice pour les parties. La jurisprudence n’attache pas nécessairement la nullité à l’existence de vices dans la notification. Il y a lieu d’examiner, d’après les circonstances du cas concret, si la partie intéressée a réellement été induite en erreur par l’irrégularité de la notification et a, de ce fait, subi un préjudice. Il convient à cet égard de s’en tenir aux règles de la bonne foi qui imposent une limite à l’invocation du vice de forme (ATF 131 I 153 consid. 4 p. 158 ; Arrêt du Tribunal fédéral 2A.300/2006 du 27 février 2007 consid. 5.2 et références citées ; U. HÄFELIN/G. MÜLLER/F. UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 5ème éd., Zürich-Bâle-Genève 2006, p. 354, n. 1645/1646 ; J.-F. EGLI, La protection de la bonne foi dans le procès, in Juridiction constitutionnelle et juridiction administrative, Zurich 1992, p. 231ss).

En l'espèce, M. Diagne n’a pas subi de préjudice du fait de ces vices de forme. Il ne l’allègue d’ailleurs pas.

Le tribunal de céans ne peut ainsi que constater ces informalités.

10. Le recourant se plaint d’une absence de motivation de la décision entreprise.

Selon l’art. 46 LPA, les décisions doivent être motivées. Cette exigence découle du droit d’être entendu consacré à l’art. 29 al. 2 Cst., qui comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 132 II 485 consid. 3.2 p. 494 ; Arrêt du Tribunal fédéral 2C.573/2007 du 23 janvier 2008 consid. 2.3 et les arrêts cités ; ATA/415/2008 du 26 août 2008 consid. 6a et les arrêts cités). L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 134 I 83 consid. 4.1 p. 88 ; 133 II 235 consid. 5.2 p. 248 ; 129 I 232 consid. 3.2 p. 236  ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C.571/2008 consid. 3.1 ; cf. aussi ACEDH Kraska c/Suisse du 19 avril 1993 ; ATA/429/2008 du 27 août 2008). Il suffit que les parties puissent se rendre compte de la portée de la décision à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (Arrêts du Tribunal fédéral 1C.33/2008 du 20 mai 2008 consid. 2.1 ; 1B.255/2007 du 24 janvier 2008 consid. 2.1 et arrêts cités ; ATA/489 2008 du 23 septembre 2008 consid. 7).

En l’espèce, le courrier du 9 février 2010 et l’extrait du procès-verbal ne comportent pas la moindre motivation quant aux raisons pour lesquelles la demande de M. Diagne a été refusée. C’est uniquement par le biais de la presse que le recourant a connu les motifs du refus, au demeurant confirmés par l’intimé dans ses écritures.

Cette décision viole ainsi les dispositions précitées.

11. Une décision entreprise pour violation du droit d’être entendu n’est pas nulle, mais annulable (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.207/2001 du 12 novembre 2001 consid. 5a et les arrêts cités ; ATA/452/2008 du 2 septembre 2008 consid. 2b). La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATA/452/2008 du 2 septembre 2008 consid. 2b ;  ATA/430/2008 du 27 août 2008 consid. 2 ; P. MOOR, Droit administratif, vol. 2, 2e éd., Berne 2002, ch. 2.2.7.4 p. 283). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72 et les arrêts cités ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C.63/2008 du 25 août 2008 consid. 2.1) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 133 I 201 consid. 2.2 p. 204). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/452/2008 du 2 septembre 2008 consid. 2b).

En l’espèce, ce pouvoir d’examen n’est pas le même. En effet, en vertu de l’art. 2 du règlement sur l’Alhambra, la Ville dispose d’une grande liberté d’appréciation dans l’attribution de la salle en fonction des choix artistiques qui sont opérés par le département de la culture. Or, le tribunal de céans ne peut revoir l’opportunité (art. 61 al. 2 LPA). Il se justifie cependant, par économie de procédure, de considérer que le vice a été réparé. En effet, dans le cas particulier, la motivation de la décision a été diffusée dans la presse avant et après la prise de la décision. Dans ses écritures, la Ville a confirmé la véracité des motifs publiés. M. Diagne en a pris connaissance par ce biais, avant le dépôt du recours, de sorte qu’il a pu se défendre en pleine connaissance de cause. Un renvoi constituerait ainsi une vaine formalité, au sens de la jurisprudence précitée ; elle aurait pour seul effet de contraindre l’autorité à notifier correctement sa décision, en répétant ce qu’elle a déjà dit, sans qu’il n’en résulte aucun bénéfice pour le recourant victime de l'informalité.

Les règles sur la réparation du droit d’être entendu étant destinées à protéger les justiciables et non l’administration, le vice sera ainsi considéré comme réparé.

12. Reste à examiner la validité matérielle de la décision attaquée.

La Ville soutient que la salle n’aurait pu être louée à M. Diagne en raison du fait qu’il avait déposé sa demande de réservation moins de cinq mois avant la date du spectacle, en violation de l’art. 3 al. 2 du règlement sur l’Alhambra. Cet argument ne saurait être retenu. En effet, le délai prévu est un simple délai d’ordre. De plus, ce motif de refus est apparu pour la première fois dans la procédure de recours, après que la pré-réservation avait été acceptée par la Ville. Cet argument ne satisfait pas l'exigence selon laquelle l'administration doit se comporter à l'égard des justiciables conformément au principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.).

Ce grief sera donc admis.

13. Le recourant invoque des violations à plusieurs droits fondamentaux que la Ville considère ne pas être tenue de mettre en œuvre dans la gestion de la salle de l’Alhambra.

Selon l'art. 35 Cst., les droits fondamentaux doivent être réalisés dans l’ensemble de l’ordre juridique (al. 1er) et quiconque assume une tâche de l’Etat est tenu de les respecter et de contribuer à leur réalisation (al. 2). Il convient de trancher la question de savoir si, dans l’attribution de cette salle, la Ville assume « une tâche de l’Etat » au sens de cette disposition. Si tel est le cas, la Ville est liée par les principes généraux du droit public dans sa gestion de l'Alhambra. Dans le cas contraire, celle-ci relève du seul droit privé.

14. Considéré dans sa globalité, le domaine public représente l’une des subdivisions des biens de l’Etat. Ceux-ci regroupent, conformément à une classification bien établie, trois types distincts de biens : le domaine public, le patrimoine administratif et le patrimoine financier. Le domaine public comprend l’ensemble des biens de l’Etat qui présentent la particularité de ne pas être affectés à une finalité particulière, mais au contraire générale, et d’être en conséquence ouverts à tous, d’une manière en principe libre, égale et gratuite (M. HOTTELIER, La réglementation du domaine public à Genève, in SJ 2002 124 ; ATA/678/2009 du 22 décembre 2009).

La doctrine définit le patrimoine financier comme étant "l'ensemble des biens réservés à l'usage privé des pouvoirs publics et dont ceux-ci peuvent disposer comme le ferait n'importe quel propriétaire" (M. HOTTELIER, op. cit. 128). D'après cet auteur, d’une part, "ces biens ne sont pas, en tant que tels, directement affectés à une fin d'intérêt public par leur valeur d'usage. Ils le sont tout au plus indirectement, par leur valeur en capital, par le produit de leur aliénation ou les rendements qu'ils procurent. D'autre part, et corrélativement, le statut des biens qui entrent dans le patrimoine financier obéit en principe au droit privé, et non au droit public. De nos jours, il paraît toutefois admis que l'Etat doit également respecter le contenu des droits fondamentaux garantis par la Cst. dans la gestion du patrimoine financier" (op. cit. p. 128, ch. 11 et 12).

Le patrimoine administratif se distingue du domaine public et du patrimoine financier par le fait que les biens qu’ils composent sont affectés à une tâche déterminée (M. HOTTELIER, idem, p. 126). Il regroupe notamment les écoles, les établissements d’enseignement secondaire, supérieur, universitaire ou technique , les hopitaux, les musées, les casernes, les terrains de sport, ou encore l’ensemble des infrastructures destinées à permettre notamment à des institutions de droit public d’exercer les diverses missions qui leur sont imparties (M. HOTTELIER, ibidem ; P. MOOR, Le droit administratif, vol. 3, Berne 1992, p. 321 ; A. GRISEL, Traité de droit administratif, Neuchâtel 1984, p. 525, U. HÄFELIN/G. MÜLLER, Grundriss des Allgemeinen Verwaltungsrecht, Zürich 2006, p. 461 ; T. JAAG, Gemeingebrauch und Sondernutzung öffentlicher Sachen in ZBl, p. 147).

En l’espèce, pour les raisons ci-dessus exposées (point 1, partie en droit), il y lieu de considérer que la salle de l’Alhambra relève du patrimoine administratif de la Ville et non de son patrimoine financier.

15. Selon la doctrine, en l’absence de règles spécifiques de droit public, le patrimoine administratif est régi par le droit privé (B. KNAPP, Cours de droit administratif, Bâle 1994, p. 266, n. 2928). A contrario, lorsque de telles règles existent, il est gouverné par le droit public.

En l'espèce, l'attribution de la salle est régie par le règlement sur l’Alhambra et par celui sur les salles de spectacles qui constituent des normes communales de droit public, ainsi qu'exposé ci-dessus.

16. Il en résulte que la Ville est liée dans sa gestion par les principes généraux du droit public, soit ceux de l’égalité de traitement, de l’interdiction de l’arbitraire, mais aussi, notamment, de la liberté d’expression (ATF du 18 février 1991, publié dans RUDH 1991, p. 239 consid. 3 ; P. MOOR, op. cit, p. 373). La liberté d’appréciation dont la Ville dispose dans les choix artistiques opérés (art. 2 al. 2 du règlement), bien qu'elle soit très importante, n'est ainsi pas illimitée. Elle doit s'exercer dans le respect de ces principes. Il en va de même de l’autonomie communale, qui ne peut s'exercer que dans les limites de la loi (art. 50 Cst.).

17. Selon l’article 16 Cst., la liberté d’opinion et la liberté d’information sont garanties (art. 16 al. 1 Cst.). Cette disposition consacre le droit de toute personne de former, d’exprimer et de répandre librement son opinion (art. 16 al. 2 Cst.). En droit conventionnel, cette garantie découle de l’article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), qui dispose que toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et celle de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. La garantie de cette liberté est réaffirmée à l'art. 2 al. 2 de LAEC, qui énonce que "la liberté d'expression artistique, culturelle et scientifique est garantie". Cette loi prescrit aux communes d'encourager l'accès le plus large possible à la culture, définie comme "un laboratoire où s'expriment les valeurs, les modes de vie et de pensée" (art. 1er al. 2 LAEC), décrite comme une "composante du développement économique et social, du rayonnement et de l'esprit d'ouverture de Genève" (art. 1er al. 3 LAEC).

Selon la jurisprudence, la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique » (ACEDH Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 24, p. 23, § 49, et Gerger c. Turquie du 8 juillet 1999, no 24919/94, § 46, non publié).

En l'espèce, le Conseil administratif a rejeté la demande de location de M. Diagne à cause de la nature des propos tenus par Dieudonné lors de précédents spectacles et en raison des troubles potentiels qui pouvaient résulter de sa venue à Genève. Selon la jurisprudence constante, un tel refus doit s'analyser comme une restriction à la liberté d'expression et respecter les conditions posées par l'article 36 Cst. féd., à savoir l'existence d'une base légale, d'un intérêt public et le respect du principe de la proportionnalité.

18. La base légale serait constituée par l’art. 2 du règlement sur l'Alhambra, intitulé "Manifestations admissibles", qui dispose que l'Alhambra, de par sa configuration et son aménagement, est destiné à accueillir des spectacles qui ne sont pas susceptibles de provoquer agitation ou désordre (al. 1er). Les manifestations qui présentent un caractère de propagande politique, de propagande religieuse, de propagande militaire ou de pratique sectaire sont exclues (al. 4).

Indépendamment de la question de savoir si cette disposition réglementaire pourrait constituer une base légale suffisante pour restreindre une liberté fondamentale, la Ville ne prétend pas que le spectacle de Dieudonné serait de la propagande religieuse ; elle considère que certains propos de cet artiste sont antisémites, racistes et choquants. Le conseiller administratif en charge du département de la culture a été jusqu’à affirmer publiquement que, même s’il louait l’Alhambra pour donner un cours de cuisine, Dieudonné n’aurait pas obtenu l’autorisation de louer la salle. Un tel motif de refus ne repose sur aucun fondement légal. Même s’il en trouvait un dans une interprétation extensive de l’art. 2 al. 4 dudit règlement, il violerait la liberté d’expression, car celle-ci ne s’accommoderait pas d’une telle censure préalable, au stade de l’examen de l’intérêt public (G. MALINVERNI, L’exercice des libertés idéales sur le domaine public, in : Le domaine public, Genève 2004, p. 32). Lorsqu’elle est saisie d’une demande, l’autorité doit prendre une décision impartiale, après l’avoir examinée aussi objectivement que possible (ATF 108 Ia 47 ; 107 Ia 292 ; G. MALINVERNI, op. cit., p. 33), et laisser aux autorités de répression le soin de déterminer – a posteriori – si les propos tenus violent le droit pénal. Ces considérations valent en tous cas pour une représentation dont on ne peut être un spectateur "accidentel", comme un spectacle, auquel on accède en achetant un billet. Dans un tel cas, les spectateurs s'exposent en pleine connaissance de cause aux propos provocateurs, voire choquants, qui peuvent être tenus. Il n'y a pas lieu, dans ces conditions, de prendre de mesure supplémentaire destinée à protéger le public.

La restriction à la liberté d'expression n'est ainsi justifiée par aucun intérêt public.

19. Le risque de troubles à l’ordre public n'est pas davantage fondé. Certes, ce motif de refus est prévu par l’art. 2 al. 1er du règlement. Il apparaît toutefois très secondairement dans l’argumentation de la Ville, qui craint des incidents du type de celui qui s’est produit en 2004 à Paris, sans démontrer d’aucune manière que la sécurité des spectateurs ne pourrait être assurée par un renforcement des forces de sécurité en place, aux frais du locataire, comme ceci peut être aménagé au titre des conditions particulières du contrat (art. 10 du contrat-type de location de la salle de l’Alhambra). Le raisonnement de la Ville se heurte ainsi au principe de la proportionnalité, qui commande de prendre la solution la moins dommageable, parmi celles qui sont aptes à assurer la protection de l’intérêt public en jeu.

La décision entreprise viole ainsi la liberté d’expression.

20. Le constat de cette violation ne donne pas pour autant un droit à obtenir la location de la salle. En effet, si l’autorité est liée dans sa gestion par les principes généraux du droit public, le pouvoir d’appréciation très large que la loi lui accorde (art. 2 du règlement) pour procéder à ses choix artistiques demeure. Si elle ne peut refuser de louer la salle dans un but de censure et agir de manière arbitraire, sans motifs objectifs ou contrairement aux règles de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.), elle peut refuser la location pour des motifs d’opportunité, à condition de ne pas excéder ou abuser de son pouvoir d’appréciation et de respecter, notamment, le principe de l’égalité de traitement et la liberté d'expression. Un excès à ce pouvoir d'appréciation serait avéré si la Ville admettait d’ordinaire dans sa programmation les humoristes en "one-man show", et que seuls Dieudonné ou quelques autres humoristes considérés comme indésirables en raison de leurs propos se voyaient refuser la location de la salle. Il ne s’agirait alors pas d’un « choix artistique » au sens du règlement, mais d’une censure à la liberté d’expression.

21. La violation à la liberté d'expression retenue en l'espèce suffirait à elle seule à annuler la décision litigieuse, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs soulevés par le recourant. Cela étant, les conclusions du recourant étant devenues sans objet du fait de l'écoulement du temps, le tribunal de céans ne peut plus que constater l'illicéité de la décision entreprise.

Le recours sera admis dans cette mesure.

22. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge de la Ville, qui succombe (art. 87 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à M. Diagne, qui n'en a pas demandée et qui n'allègue pas avoir exposé de frais pour sa défense.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

l'admet, en tant qu'il est recevable ;

constate que la décision du 9 décembre 2009 est contraire au droit ;

met à la charge de la Ville de Genève un émolument de CHF 2'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur Djily Diagne, recourant, ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Thélin, Mmes Hurni, Junod et M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

M. Tonossi

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :