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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/844/2023

ATA/687/2023 du 27.06.2023 ( TAXIS ) , REJETE

Recours TF déposé le 14.07.2023, rendu le 08.09.2023, IRRECEVABLE, 2C_394/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/844/2023-TAXIS ATA/687/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 juin 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé



EN FAIT

A. a. A______ a déposé au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) une requête datée du 8 novembre 2022 et comportant le tampon de réception de l’autorité du 15 novembre suivant, en délivrance d’une autorisation d’usage accru du domaine public (ci-après : AUADP) en application du régime transitoire prévu aux art. 46 al. 13 de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (LTVTC - H 1 31).

Sous la rubrique « renseignements relatifs aux périodes de location d’une AUADP », il a indiqué une telle location, de la plaque GE 1______, du 1er septembre 2018 au 31 mars 2020 et comme seconde, de la plaque GE 1______, dès le 1er juillet 2022.

b. Le PCTN lui a indiqué, le 23 décembre 2022, avoir l’intention de rejeter sa requête, dès lors que les documents fournis ne permettaient pas de conclure qu’il était l’utilisateur effectif d’une AUADP au moment du dépôt de la LTVTC et de son adoption, soit les 26 février 2020 et 28 janvier 2022.

c. Faisant usage de son droit d’être entendu le 5 janvier 2023, A______ a indiqué avoir été l’utilisateur effectif d’une telle autorisation le 26 février 2020, mais pas le 28 janvier 2022, car il se trouvait alors en Tunisie. Il n’avait pas travaillé pendant les mois de janvier, février et mars 2022, pour des raisons personnelles et familiales.

d. Par décision du 7 février 2023, le PCTN a rejeté la requête du 8 novembre 2022, faute pour A______ d’avoir été utilisateur effectif d’une AUADP le 28 janvier 2022. La législation ne prévoyait pas la possibilité d’invoquer des motifs d’empêchement à la location d’une AUADP.

B. a. A______ a formé recours contre cette décision par acte déposé à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) le 8 mars 2023. Il a conclu préalablement à l’octroi d’un délai complémentaire pour compléter son recours, à ce qu’une comparution personnelle des parties soit ordonnée, de même que l’audition d’éventuels témoins, après qu’un délai lui eut été imparti pour déposer une liste. Au fond, il a conclu à l’annulation de la décision entreprise et, cela fait, à ce qu’il soit mis au bénéfice d’une AUADP à compter du 8 novembre 2022 ; subsidiairement, le dossier devait être renvoyé au PCTN pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Il se référait « pour l’essentiel à la partie en fait telle qu’elle ressort[ait] de la décision attaquée ».

Les art. 9 et 29 al. 2 de Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), ainsi que 1 ss LTVTC et 1 ss du règlement d'exécution de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 21 juin 2017 (RTVTC - H 1 31 01) avaient été violés. Le 28 janvier 2022, c’était sans sa faute qu’il s’était trouvé à l’étranger en raison d’impératifs familiaux. C’était « ce qu’[il] avai[t] indiqué sans être entendu ». Il était demeuré un utilisateur effectif du domaine public le 28 janvier 2022 malgré son absence très brève et impérative. Son empêchement devait être pris en compte en sa faveur. La loi n’excluait pas formellement un tel cas de figure.

L’application de la loi par le PCTN était manifestement incorrecte, illégale et disproportionnée, dans la mesure où il exerçait comme chauffeur de taxi depuis des années et vu les motifs justifiant son absence. Le maintien de la décision aurait pour lui et sa famille des conséquences financières dramatiques. Cela signifierait la fin de ses chances de travail en qualité de chauffeur de taxi. L’intérêt privé à lui accorder l’autorisation requise l’emportait assurément sur l’intérêt public à l’en priver.

b. Par courrier du 9 mars 2023, la chambre administrative a accordé au recourant un délai au 21 mars 2023 pour compléter son recours, conformément à sa demande. À cette date, la chambre administrative a accordé au recourant, à sa demande, une unique prolongation de ce délai au 17 avril 2023, précisant que son droit à la réplique lui serait également ouvert. Elle a refusé, le 19 avril 2023, la nouvelle prolongation de délai sollicitée au 30 avril 2023.

c. Le PCTN a conclu, le 25 mai 2023, au rejet du recours.

d. Dans une réplique du 10 juin 2023, le recourant a ajouté qu’il avait obtenu le permis de chauffeur de taxi à la session de septembre 2016. En 2018, « un patron des taxis » lui avait loué la plaque et une voiture sans affiliation à la centrale. À la fin du mois de mars 2020, à la suite de la période catastrophique du COVID 19, il avait arrêté le travail. En 2021, il avait continué sa recherche d’une plaque de taxi à louer jusqu’en juin 2022. Après des promesses et des mois d’attente, il en avait obtenu une. Il n’était pas facile de trouver un patron qui en loue une à un prix raisonnable et sans exiger une affiliation à la centrale des taxis. Il demandait s’il était possible d’obtenir du PCTN un aperçu des dossiers des chauffeurs ayant réussi l’examen à la session de septembre 2019 et reçu leur plaque tardivement et si tous les dossiers avaient été traités de la même manière.

e. Dans un courrier non daté, à la calligraphie identique à celle de la réplique du recourant, B______ a indiqué être son patron, avoir changé de métier et avoir voulu lui transférer ses plaques.

f. Les parties ont été informées, le 13 juin 2023, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le recourant laisse entendre qu’il n’aurait pas été « entendu » avant le prononcé de la décision litigieuse.

Il sollicite par ailleurs sa comparution personnelle et l’audition « d’éventuels témoins ».

2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (ATF 142 II 218 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_656/2016 du 9 février 2017 consid. 3.2 et les références citées), de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 138 I 154 consid. 2.3.3 ; 138 V 125 consid. 2.1 ; 137 II 266 consid. 3.2). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; 131 I 153 consid. 3). Le droit d’être entendu ne comprend pas le droit d’être entendu oralement (arrêt du Tribunal fédéral 1C_551/2015 du 22 mars 2016 consid. 2.2 ; aussi art. 41 2ème phr. LPA) ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, le recourant a eu la possibilité, le 5 janvier 2023, en ayant connaissance de la lettre d’intention du PCTN du 23 décembre 2022, de faire part de ses observations et de produire toutes pièces utiles. Il a à cette occasion indiqué ne pas avoir travaillé les mois de janvier à mars 2022 « pour des raisons personnelles et familiales ». Il a ainsi pu faire valoir ses arguments avant que la décision litigieuse ne soit rendue. Pour autant qu’il en fasse le grief à l’autorité, son droit d’être entendu a bien été respecté.

Par ailleurs, le dossier contient les pièces nécessaires à l’établissement des faits. Le recourant a eu l’occasion d’exercer son droit d’être entendu également devant la chambre de céans, par le dépôt de deux écritures. Il a pu produire les pièces qu’il estimait utiles. Les faits sur lesquels pourrait être entendu l’intéressé sont ainsi suffisamment établis par les pièces du dossier. Il n’indique pas quels témoins devraient en définitive être entendus ni sur quel aspect du dossier.

Il ne sera dès lors pas donné suite à sa requête.

3.             Le recourant considère que la décision rejetant sa demande d’AUADP serait contraire au droit et violerait le principe de proportionnalité.

3.1 La LTVTC, actuellement en vigueur depuis le 1er novembre 2022, résulte du projet de loi (ci-après : PL) n° 12649 sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur, déposé par le Conseil d’État devant le Grand Conseil le 16 février 2020. Ce projet a été renvoyé à la commission parlementaire des transports qui a rendu deux rapports, respectivement le 16 août 2021 (PL 12649-A) et le 11 janvier 2022 (PL 12649-B).

3.2 Dans sa présentation du PL, le département a apporté les précisions suivantes. En raison du numerus clausus des AUADP, le délai d’attente pour leur obtention pouvait atteindre plusieurs années, ce qui augmentait leur valeur économique et permettait à leurs titulaires de gagner de l’argent en vivant de la rente résultant de la location de leurs plaques pour un loyer dépassant parfois plus de dix fois le montant de la taxe annuelle. De nombreux chauffeurs voulant exercer la profession de taxi étaient ainsi contraints de louer une AUADP, ce qui les rendait dépendants et économiquement vulnérables. Il était apparu que 53 personnes détenaient 150 AUADP, dont une personne qui en avait dix. En l’absence d’outils permettant de contrôler les prix, le PL prévoyait de supprimer la cession des plaques, en recourant à leur location ou au bail à ferme. Ainsi, selon le PL, le détenteur d’une AUADP pouvait soit l’utiliser lui-même, soit engager un chauffeur pour l’utiliser, qui devenait contractuellement son employé, soit céder définitivement l’AUADP.

3.3 Il ressort des débats que la commission parlementaire a voulu supprimer la location des plaques, qui conférait une rente de situation aux titulaires d’une AUADP, lesquels les louaient à un prix abusif. Le bail à ferme, tel qu’il était pratiqué par certaines personnes, restait un système exploitant une certaine dépendance, qui permettait la réalisation de marges excessives par rapport à l’outil de travail proposé, en tirant profit d’un avantage octroyé par l’État pour le monnayer. Il convenait de supprimer cette possibilité, une indemnisation étant introduite dans les dispositions transitoires en faveur des personnes rendant leur AUADP.

3.4 À l’issue de la séance du 28 janvier 2022, le Grand Conseil a adopté la LTVTC (loi 12649), publiée le 4 février 2022 dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) fixant le délai référendaire au 16 mars 2022.

3.5 Vu l’expiration du délai référendaire, le Conseil d’État a, par arrêté du 23 mars 2022 publié dans la FAO du 25 mars 2022, promulgué la LTVTC pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de la publication dudit arrêté, l’entrée en vigueur de la loi devant être fixée ultérieurement par le Conseil d’État. Lors de son communiqué hebdomadaire du 19 octobre 2022, le Conseil d’État a annoncé que la LTVTC et son règlement d’application entreraient en vigueur le 1er novembre 2022.

3.6 L’art. 46 al. 13 LTVTC dispose, sous l’intitulé « Attribution des autorisations restituées ou caduques », que le département peut attribuer l’AUADP domaine public à la personne physique ou morale qui en était l’utilisateur effectif au moment du dépôt de la présente loi, s’il en était toujours l’utilisateur au moment de l’adoption de la loi, en faisait la requête et réalisait les conditions de délivrance visées à l’art. 13 al. 5 LTVTC.

3.7 Selon un principe général de droit intertemporel, rappelé dans l’arrêt 2C_339/2021 du Tribunal fédéral du 4 mai 2022 (consid. 4.1), les dispositions légales applicables à une contestation sont celles en vigueur au moment où se sont produits les faits juridiquement déterminants pour trancher celle-ci (ATF 146 V 364 consid. 7.1 ; 140 V 41 consid. 6.3.1). Liée aux principes de sécurité du droit et de prévisibilité, l'interdiction de la rétroactivité des lois résulte du droit à l'égalité de traitement (art. 8 Cst.), de l'interdiction de l'arbitraire et de la protection de la bonne foi (art. 5 et 9 Cst.). L'interdiction de la rétroactivité (proprement dite) fait obstacle à l'application d'une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1), car les personnes concernées ne pouvaient, au moment où ces faits se sont déroulés, connaître les conséquences juridiques découlant de ces faits et se déterminer en connaissance de cause. Une exception à cette règle n'est possible qu'à des conditions strictes, soit en présence d'une base légale suffisamment claire, d'un intérêt public prépondérant et moyennant le respect de l'égalité de traitement et des droits acquis (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1 ; 146 V 364 consid. 7.1 ; 138 I 189 consid. 3.4). La rétroactivité doit en outre être raisonnablement limitée dans le temps (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1 ; 146 V 364 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_366/2016 du 13 février 2017 consid. 2.1).

3.8 L'ordre juridique suisse peut être modifié à tout moment, conformément aux principes régissant la démocratie. Il n'existe pas, selon le Tribunal fédéral, de droit au maintien d'une certaine législation (arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 du 11 novembre 2021 consid. 9.7.2 et arrêts cités). Dans certaines circonstances, la jurisprudence a toutefois déduit des principes de l'égalité de traitement, de la bonne foi, de la proportionnalité et de l'interdiction de l'arbitraire, l'obligation pour le législateur de prévoir un régime transitoire (ATF 145 II 140 consid. 4 ; 134 I 23 consid. 7.6.1 ; 130 I 26 consid. 8.1 ; 128 I 92 consid. 4). Un tel régime doit permettre aux administrés de s'adapter à la nouvelle réglementation et non pas de profiter le plus longtemps possible de l'ancien régime plus favorable (ATF 145 II 140 consid. 4 ; 134 I 23 consid. 7.6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 précité consid. 9.7.2).

Il n'y a pas de droit constitutionnel à cet égard (ATF 118 Ib 241 consid. 5e et 9b ; arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 précité consid. 9.7.2). L'auteur de la réglementation dispose d'une large marge d'appréciation (ATF 128 I 92 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_482/2020 du 28 septembre 2021 consid. 7.2). Il faut, le cas échéant, procéder à une pesée des intérêts entre la protection de la bonne foi et le principe de la légalité qui exige que, sauf motif particulier, les lois ou ordonnances entrent en vigueur sans retard (arrêts du Tribunal fédéral 2C_158/2012 du 20 avril 2012 consid. 3.8 ; 1A.196/1999 du 24 novembre 1999 consid. 6a). La question de savoir quand le nouveau droit doit entrer en vigueur et selon quelles modalités dépend du but poursuivi par la norme. Une entrée en vigueur immédiate se justifie lorsqu'il s'agit d'éviter qu'à la faveur de certains délais, les intéressés ne se hâtent de faire ce que le nouveau droit tend à interdire, privant ainsi la loi de son effet (ATF 114 Ib 17 consid. 4 et 6b ; 104 Ib 205 consid. 5b).

En revanche, lorsque le changement de législation conduit les particuliers à des sacrifices trop importants au regard du but visé, il peut se justifier d'aménager l'entrée en vigueur, par exemple en publiant la loi assez tôt pour permettre aux personnes visées de prendre leurs dispositions, ou en prévoyant une entrée en vigueur par paliers, la possibilité d'octroyer des autorisations exceptionnelles ou encore des délais d'adaptation. Il convient toutefois de faire preuve de retenue à cet égard et de n'agir qu'en présence d'intérêts dignes de protection, car, outre l'intérêt public à une application immédiate du nouveau droit, les principes de l'égalité de traitement et de la sécurité du droit commandent que les anciens rapports juridiques soient rendus conformes au nouveau droit dans les meilleurs délais (arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 précité consid. 9.7.2 et arrêts cités).

3.9 En l’espèce, la requête – c’est-à-dire le fait juridiquement déterminant – du recourant auprès du PCTN en vue de l’obtention d’une AUADP date du 8 novembre 2022, soit après l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC. Cette demande doit donc s’examiner au regard de la nouvelle réglementation, conformément au principe général du droit intertemporel rappelé par la jurisprudence fédérale susmentionnée.

La nouvelle LTVTC, adoptée le 28 janvier 2022, soit près de deux ans après son dépôt auprès du Grand Conseil, a été publiée le 4 février 2022 dans la FAO et son arrêté de promulgation par le Conseil d’État, du 23 mars 2022, y a été publié le 25 mars 2022, après l’expiration du délai référendaire fixé. Ainsi, dès fin mars 2022, le recourant ne pouvait de bonne foi ignorer que la pratique consistant à exercer la profession de chauffeur de taxi en louant les plaques à des tiers détenteurs d’AUADP serait supprimée lors de l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC. La nouvelle réglementation prévue dans ledit PL offrait trois options au détenteur d’une AUADP, à savoir l’utiliser lui-même, engager un chauffeur pour l’utiliser qui devenait contractuellement son employé ou la céder définitivement, ce qui permettait de l’octroyer à des nouveaux candidats.

Ainsi, lorsqu’il a commencé à louer une AUADP en juillet 2022, le recourant ne pouvait ignorer le changement prochain de réglementation affectant l’exercice de la profession de chauffeur de taxi, en raison notamment des deux publications précitées dans la FAO en février et mars 2022. Il ne peut dès lors se prévaloir ni du principe de la bonne foi, ni de droits acquis liés à l’exercice de cette profession.

L’art. 46 al. 13 LTVTC sur lequel la décision litigieuse est fondée est une disposition transitoire qui a pour fonction d’atténuer la « rigueur du passage d’une loi à une autre loi » (Milena PIREK, L’application du droit public dans le temps : la question du changement de loi, 2018 p. 182). Or, la mise en place d’un régime transitoire présuppose, d’une part, d’avoir pu bénéficier de l’application de l’ancien droit, ce qui a été le cas du recourant, selon les éléments indiqués dans la demande ayant abouti à la décision litigieuse, du 1er septembre 2018 au 31 mars 2020. Entre janvier et mars 2022 inclusivement, le recourant concède ne pas avoir été l’utilisateur effectif d’une AUADP 2022, étant relevé qu’il a lui-même mentionné dans sa requête en autorisation une location de plaques à compter du 1er juillet 2022 seulement. Peu importe à cet égard, comme justement retenu par l’autorité intimée, qu’il se soit trouvé à l’étranger ni encore qu’il s’y serait rendu pour des « raisons personnelles et familiales » qu’il n’a au demeurant nullement démontrées sous l’angle de la nécessité.

Vu le processus législatif en cours depuis le dépôt du PL 12'649 par le Conseil d’État le 16 février 2020, pour mettre un terme à la précarisation des chauffeurs de taxi contraints de louer une AUADP à des prix abusifs, vu le long délai d’attente pour leur obtention, le recourant devait s’attendre à l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC qui supprimerait la possibilité d’exercer la profession de chauffeur de taxi en louant une AUADP. Le fait d’avoir été au bénéfice d’une AUADP au moment du dépôt de la loi, en février 2020, ne permet pas, contrairement à ce que soutient le recourant, d’entrer dans l’exception visée par l’art. 46 al. 13 LTVTC, à savoir une norme transitoire qui n’existait alors pas. En outre, comme le relève la jurisprudence susmentionnée, le recourant n’a ni le droit au maintien de l’ancienne LTVTC, ni de profiter le plus longtemps possible de l’ancien régime qui serait par hypothèse plus favorable à travers des dispositions transitoires. Le législateur dispose à cet égard d’une large marge d’appréciation pour fixer la date d’entrée en vigueur du nouveau droit et ses modalités, étant rappelé que la protection de la bonne foi doit être mise en balance avec le principe de la légalité exigeant, sauf motif particulier, une entrée en vigueur immédiate du nouveau droit.

Au demeurant, en visant les utilisateurs effectifs d’une AUADP notamment au moment de l’adoption de cette loi, fin janvier 2022, le législateur a ciblé les chauffeurs de taxi ayant recouru à la location d’AUADP, tolérée sous l’ancien droit, pour exercer cette profession à un moment où ils ne pouvaient de bonne foi pas s’attendre à la suppression juridique de cette pratique, de sorte que la question d’un régime transitoire pouvait se poser pour eux, contrairement à la situation du recourant. Par conséquent, le grief tiré d’une prétendue violation du droit par l’art. 46 al. 13 LTVTC est écarté.

4.             Le recourant semble également invoquer l’égalité de traitement entre acteurs de la même branche économique, sans toutefois développer d’argument tiré de l’application concrète de la nouvelle réglementation à sa demande du 8 novembre 2022. La chambre administrative a déjà retenu qu’elle ne voyait pas de raison de s’écarter de la jurisprudence de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) qui a tranché ces questions, incluant l’examen du respect du principe de la proportionnalité et celui de la question des droits acquis, dans des arrêts du 22 décembre 2022 (ACST/26/2022 et ACST/27/2022) s’agissant de la nouvelle LTVTC et du 24 mars 2023 (ACST/15/2023) quant à son règlement d’application (ATA/525/2023 du 23 mai 2023 consid. 5).

4.1 Dans ses arrêts du 22 décembre 2022, la chambre constitutionnelle a jugé que le caractère strictement personnel et intransmissible des AUADP – résultant des nouvelles dispositions de la LTVTC, entrée en vigueur le 1er novembre 2022, et supprimant la possibilité de louer les plaques d’immatriculation des taxis aux détenteurs de celles-ci – répondait aux exigences de la proportionnalité (ACST/26/2022 précité consid. 5e ; ACST/27/2022 précité consid. 6).

Une telle mesure permettait à l’autorité d’effectuer un contrôle sur l’attribution des AUADP et d’éviter leur commerce et, par conséquent, des spéculations sur les prix. Il ressortait des constats effectués par le Conseil d’État dans son rapport RD 1'327 sur le bilan intermédiaire de l’ancienne loi sur les taxis et les voitures de transport de personnes avec chauffeur du 13 octobre 2016, entrée en vigueur le 1er juillet 2017 (ci-après : aLTVTC), ainsi que des déclarations des représentants des milieux des taxis devant la commission parlementaire, que de nombreux titulaires d’AUADP mettaient en location leurs plaques, percevant une rente pouvant atteindre jusqu’à CHF 2'000.- par mois par jeu de plaques, sans pour autant exercer eux-mêmes la profession. Ce prix à payer, ajouté à une diminution des revenus, plaçait les chauffeurs concernés dans une situation de précarité économique, qu’ils devaient compenser en augmentant leur temps de travail. L’intransmissibilité des AUADP permettait ainsi non seulement de mettre fin à une telle précarisation de la profession et à l’enrichissement correspondant des titulaires des AUADP, mais également d’inciter ceux n’exerçant plus comme chauffeur de les restituer afin de permettre l’accès à la profession de nouvelles personnes (ACST/26/2022 précité ch. 5 et 7b et consid. 5e).

Par ailleurs, la chambre constitutionnelle a admis que les nouvelles dispositions querellées, à savoir les art. 13 al. 3 et al. 9 let. et art. 46 al. 8 à 13 LTVTC, poursuivaient un but d’intérêt public admissible pour ces mêmes motifs et vu l’exigence d’égalité entre concurrents qui supposait, pour être effective, la mise en place d’un système de distribution des autorisations qui soit cohérent, transparent et fondé sur des motifs objectifs, sous peine d’ouvrir la porte à l’arbitraire (ACST/26/2022 précité consid. 5d). Cette juridiction a dès lors conclu que l’incessibilité des AUADP constituait une restriction admissible à la liberté économique dans sa dimension individuelle (ACST/26/2022 précité consid. 5e ; ACST/27/2022 précité consid. 6). Elle a également écarté le grief tiré d’une inégalité de traitement entre concurrents directs, plus particulièrement entre les chauffeurs de taxi et les chauffeurs de voiture de transport avec chauffeur (ACST/26/2022 précité consid. 6 ; ACST/27/2022 précité consid. 7).

4.2 Dans son arrêt du 24 mars 2023 (ACST/15/2023), la chambre constitutionnelle a jugé que l’art. 46 al. 13 LTVTC était une disposition légale transitoire, adoptée pour permettre aux chauffeurs de taxis exerçant leur profession à travers la location de plaques ou d’un bail à ferme de continuer leur activité, malgré l’abolition de ces pratiques par l’entrée en vigueur de la LTVTC, et de leur attribuer, pour autant que les conditions légales soient remplies, une AUADP (consid. 5.3.4). Dans ce contexte, le Conseil d’État avait indiqué que l’augmentation transitoire du nombre d’AUADP pendant un an (art. 57 al. 11 RTVTC) permettait d’atténuer les effets du passage au régime de l’interdiction de location des autorisations.

4.3 La chambre constitutionnelle a aussi rappelé que l’AUADP octroyée aux taxis ne conférait généralement pas de droits acquis, à moins de garanties spécifiquement obtenues concernant la poursuite de l’activité de location de plaques, ce qui n’était pas le cas dans les affaires dont elle était saisie (ACST/26/2022 précité consid. 7 ; ACST/27/2022 précité consid. 10).

Pour les raisons qui viennent d’être évoquées, le recourant ne peut donc pas non plus se prévaloir de droits acquis concernant son activité de chauffeur de taxi dès le 1er juillet 2022 fondée sur la location de plaques d’autrui.

En conséquence, le recours doit être rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 mars 2023 par A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 7 février 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Valérie LAUBER, Eleanor McGREGOR, Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. DIKAMONA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :