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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2236/2022

ATA/658/2023 du 20.06.2023 sur JTAPI/1346/2022 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2236/2022-PE ATA/658/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 juin 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ et B______, agissant en leur nom et au nom de leurs enfants mineurs C______ et D______ recourants
représentés par Me Pierre OCHSNER, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


 

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 décembre 2022 (JTAPI/1346/2022)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1987, et B______, née le ______ 1990, sont les parents d’C______, née le ______ 2018 et d’D______, née le ______ 2020.

b. Toute la famille est ressortissante du Kosovo. Les deux filles ont vu le jour à Genève.

c. Le 23 janvier 2019, GARAGE E______ (ci-après : la carrosserie) a déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande d’autorisation de séjour avec activité lucrative au bénéfice d’A______, B______ et C______.

d. Par décision du 6 février 2019, après examen du dossier par la commission tripartite, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) a refusé de donner une suite favorable à la demande.

L’admission en vue de l’exercice d’une activité lucrative ne servait pas les intérêts économiques de la Suisse et l’ordre de priorité n’avait pas été respecté.

e. Par décision du 15 mai 2019, l’OCPM, se fondant sur la décision négative rendue par l’OCIRT, a imparti à A______, B______ et C______ un délai au 16 septembre 2019 pour quitter la Suisse.

B. a. Le 3 juillet 2019, A______ et B______ ont demandé à l’OCPM de transmettre leur dossier au secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) avec un préavis favorable en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur à toute la famille.

Parfaitement intégrés en Suisse, ils parlaient et comprenaient bien le français. Ils ne faisaient l’objet ni de poursuites pour dettes ni de condamnations pénales et avaient noué des relations solides et stables à Genève. Même s’ils n’étaient pas mariés, ils formaient une communauté de toit, de table et de lit en Suisse depuis plus de trois ans. A______ subvenait entièrement aux besoins de sa famille. Il avait été engagé par la carrosserie pour une durée indéterminée et percevait un salaire mensuel de CHF 4'500.-. N’exerçant pas d’activité lucrative, sa compagne se trouvait dans un état de dépendance importante de lui, de sorte que sa situation devait être qualifiée d’extrême gravité. En outre aucun d’eux n’avait jamais fait appel à l’aide sociale.

Il résidait en Suisse depuis huit ans, ce qui représentait une très longue durée. Ce critère s’appliquait par analogie à sa famille. En bonne santé, sa compagne était toutefois stressée et angoissée à l’idée de devoir quitter la Suisse.

Il n’existait aucune possibilité de réintégration dans leur pays d’origine, où ils ne disposaient plus d’aucune attache, ni d’aucun soutien familial en mesure de faciliter leur réintégration. En cas de retour, ils s’exposeraient à une grande précarité, d’autant qu’ils étaient parents d’une enfant âgée de moins d’un an.

b. Le 8 novembre 2021, ils ont remis à l’OCPM des pièces justificatives, dont deux formulaires de demande d’autorisation de séjour.

c. Le 31 janvier 2022, A______ a indiqué à l’OCPM qu’il était arrivé en Suisse en 2010 et sa compagne en 2016. D______ était prise en charge à la garderie les lundis, mardis, jeudis et vendredis, tandis que B______ suivait des cours de français. Ils avaient transmis tous les documents dont ils disposaient.

d. Le 1er février 2022, l’OCPM a prié A______ et B______ de lui remettre de nouveaux documents d’ici le 3 mars 2022, les pièces en sa possession ne suffisant pas.

e. Le 22 mars 2022, l’OCPM a fait part aux intéressés de son intention de rejeter leur requête.

f. Par décision du 3 juin 2022, l’OCPM a refusé de soumettre au SEM le dossier d’A______ et de sa famille avec un préavis favorable afin que cette autorité leur délivre une autorisation de séjour pour cas de rigueur.

A______ était arrivé en Suisse en 2017. À teneur des pièces produites, sa présence depuis 2010 n’avait pas pu être démontrée. Il avait passé toute son enfance et son adolescence au Kosovo, à savoir les années les plus importantes pour son développement personnel et, partant, pour l’intégration sociale et culturelle. En outre, il ne s’était pas conformé à la décision du 15 mai 2019 lui impartissant, ainsi qu’à sa famille, un délai au 16 septembre 2019 pour quitter la Suisse. Il ne disposait pas d’un droit manifeste à obtenir une autorisation de séjour. Il n’était pas connu de l’Hospice général et ne faisait pas l’objet de poursuites pour dettes, mais n’avait pas démontré une intégration socioculturelle particulièrement remarquable, ni établi qu’une réintégration dans son pays d’origine entraînerait de graves conséquences sur sa situation personnelle.

S’agissant du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, ses filles étaient âgées de trois et un an, n’étaient pas encore scolarisées et étaient en bonne santé. Un renvoi dans leur pays d’origine ne devrait pas leur poser des problèmes insurmontables.

Ils n’invoquaient ni ne démontraient l’existence d’obstacles à leur retour et le dossier ne faisait pas non plus apparaître que l’exécution de leur renvoi se révélerait impossible, illicite ou inexigible.

C. a. Par acte du 4 juillet 2022, A______ et B______, agissant en leur nom et au nom de leurs enfants mineurs, ont formé recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision.

Ils remplissaient les conditions pour bénéficier d’un titre de séjour sous l’angle de l’« opération Papyrus ». Parfaitement intégrés en Suisse, ils maîtrisaient tous deux le français, ne faisaient pas l’objet de poursuites pour dettes, ne figuraient pas au casier judiciaire et ne dépendaient pas de l’aide sociale. A______ résidait en Suisse depuis 2010, soit depuis près de douze ans. Plusieurs connaissances de la famille pouvaient témoigner que celle-ci avait noué des relations stables depuis leur arrivée à Genève.

Ils se prévalaient de la protection de la vie privée, garantie par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), faisant valoir qu’ils vivaient une relation de concubinage stable, étant parents de deux enfants communs.

b. Le 30 août 2022, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

c. Le 27 septembre 2022, A______ et B______ ont fait valoir qu’ils ne disposaient pas d’autres documents justifiant leur séjour. Cependant, l’ampleur des témoignages produits constituaient des preuves de catégorie B établissant leur présence.

L’art. 3 al. 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 (CDE - RS 0.107) imposait de tenir compte de l’intérêt supérieur de leurs enfants. Or, l’aînée avait déjà entamé sa scolarité. Elle avait donc commencé son intégration et son éducation, tout comme ses camarades.

d. Les 25 octobre et 7 novembre 2022, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

e. Par jugement du 9 décembre 2022, le TAPI a écarté la demande de comparution personnelle ainsi que l’audition de témoins et a rejeté le recours.

Ils ne pouvaient se prévaloir de l’« opération Papyrus » , qui avait pris fin quand ils avaient déposé leur demande d’autorisation de séjour le 3 juillet 2019.

Ils ne satisfaisaient pas aux conditions strictes requises pour la reconnaissance d'un cas de rigueur. A______ n’avait pas prouvé ses emplois au service de F______ les samedis dès 2010, auprès de G______ de mi-août à septembre 2011 et de H______ SA du 3 août 2015 au 28 mars 2017. Fût-il établi, un séjour en Suisse depuis 2010, bien que de longue durée, devrait être relativisé car il s’était déroulé dans l’illégalité, puis au bénéfice d’une tolérance, et il n’avait pas respecté la décision de renvoi du 6 février 2019. B______ résidait en Suisse depuis 2016, ce qui ne représentait pas une longue durée, n’avait jamais bénéficié d’un quelconque titre de séjour et ne s’était pas conformée à la décision du 6 février 2019.

Ils ne faisaient l’objet ni de poursuites pour dettes, ni d’actes de défaut de biens, ils n’émargeaient pas à l’hospice et étaient financièrement indépendants. Le casier judiciaire d’A______ était vierge. Celui de B______ ne figurait pas au dossier. Ils soutenaient qu’ils maîtrisaient la langue française. Cependant, seul A______ était en mesure de justifier de connaissances de français à l’oral de niveau A2. B______, bien que s’étant inscrite à des cours de langue, n’avait pas obtenu de diplôme.

Aucun d’eux ne pouvait faire état d’une intégration professionnelle exceptionnelle ni justifier qu’il avait acquis des connaissances à ce point spécifiques qu’il ne puisse les utiliser dans son pays d’origine. A______ avait toujours occupé des emplois peu ou pas qualifiés (maçon, manœuvre et mécanicien). B______ n’avait quant à elle jamais exercé d’activité lucrative.

Lui est arrivé en Suisse en 2010 ou en 2017, soit à l’âge de 23 ou 30 ans et elle en 2016, soit à l’âge de 26 ans. Ils avaient passé au Kosovo toute leur enfance et surtout leur adolescence, période cruciale pour la formation de la personnalité. Ils n’alléguaient par ailleurs pas que des membres de leur famille vivraient en Suisse.

Au vu de leur très jeune âge, C______ et D______ a, âgées de respectivement un peu plus de trois ans et deux ans, demeuraient totalement rattachées au pays d’origine de leurs parents par le biais de ceux-ci. Dès lors, un retour au Kosovo n’enfreindrait pas le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ils ne démontraient pas que leurs difficultés de réintégration au Kosovo seraient plus graves pour eux que pour n'importe lesquels de leurs concitoyens qui se retrouveraient dans une situation similaire.

Aucun d’eux n’avait séjourné légalement en Suisse pendant au moins dix ans, ni ne pouvait se prévaloir d’une forte intégration. Ils ne disposaient d’aucun droit de présence assuré. Dès lors, le fait que leur relation de concubinage puisse être assimilée à une véritable relation matrimoniale ne changeait rien au fait qu’ils ne pouvaient tirer aucun droit de l’art. 8 CEDH.

D. a. Par acte remis à la poste le 23 janvier 2023, A______ et B______, agissant en leur nom et au nom de leurs enfants mineurs C______ et D______, ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation et à ce qu’une autorisation de séjour soit accordée à chacun-e d’eux. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée à l’OCPM pour nouvelle décision. Préalablement, un bref délai devait leur être octroyé pour compléter leur recours, la production du dossier de l’OCPM devait être ordonnée et A______, B______ ainsi que les témoins I______, F______, J______, K______, L______, M______, N______, O______, P______, Q______, R______, S______, T______ et U______ devaient être entendus.

Les faits avaient été établis de manière manifestement inexacte. La demande de régularisation avait été déposée dans le cadre de l’« opération Papyrus », dont toutes les conditions étaient remplies. La seule question qui pouvait éventuellement être soulevée concernait sa récente condamnation pénale pour avoir conduit et mis à disposition un véhicule non couvert par une assurance responsabilité civile. Cela étant, cette unique condamnation, qui résultait d’une inattention, sans conscience ni volonté de sa part, n’était pas rédhibitoire et était de très peu de gravité, et ne pouvait être prise en compte à l’appui d’un refus sans violer le principe de proportionnalité.

Le renvoi n’était pas exigible. Malgré le fait qu’ils avaient quelques membres de leur famille au Kosovo, les recourants étaient ancrés en Suisse. A______ était venu en Suisse il y avait plus de treize ans. Il avait forgé son caractère et s’était fait aux us et coutumes de la Suisse. Outre le manque de perspectives professionnelles, les difficultés liées à un retour au pays étaient augmentées par son séjour « important » en Suisse. C’était sa volonté de se régulariser qui l’avait poussé à effectuer les démarches en vue d’obtenir une autorisation de séjour. Contraindre une personne ayant eu cette volonté à quitter le pays reviendrait à inciter le séjour des personnes qui n’avaient même pas souhaité se régulariser.

b. Le 27 janvier 2023, le TAPI a renoncé à formuler des observations et produit son dossier, comprenant celui de l’OCPM.

c. Le 21 février 2021, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

Les arguments soulevés étaient en substance semblables à ceux présentés devant le TAPI, et il se référait à ses observations produites devant ce dernier et à sa décision.

d. Le 27 mars 2023, les recourants ont persisté dans leurs conclusions, indiquant ne pas avoir d’observations complémentaires à apporter ni de pièces nouvelles à produire.

e. Le 29 mars 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

f. Il sera revenu en tant que de besoin dans la partie en droit sur les arguments et pièces produits par les parties.

 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Les recourants concluent préalablement à la production du dossier de l’OCPM ainsi qu’à leur audition et à celle de témoins.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, le dossier de l’OCPM figurait déjà à la procédure du TAPI et a été complété devant la chambre de céans par l’OCPM, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’ordonner son apport.

Les recourants se sont vu offrir l’occasion de s’exprimer, de faire valoir leurs arguments et de produire toute pièce utile à plusieurs reprises devant l’OCPM, le TAPI puis la chambre de céans. Ils n’exposent pas quels éléments supplémentaires utiles à la solution du litige, qu’ils n’auraient pu produire par écrit, leur audition et celle des témoins serait susceptible d’apporter. La famille formée par les recourants, leur nationalité, leur formation, le fait qu’A______ assume l’entretien de la famille et que B______ cherche un emploi et suive des cours de français ne sont pas contestés – étant observé que la maîtrise du français s’établit en prinicpe par certificat en droit des étrangers. L’allégation que la famille n’aurait plus aucune attache familiale au Kosovo est contredite par l’affirmation qu’elle y a quelques membres de la famille et est quoi qu’il en soit sans effet sur le sort du litige. Enfin, quand bien même A______ établirait qu’il est arrivé en Suisse en 2010 et y a travaillé dès 2011, cette circonstance ne serait pas suffisante, ainsi qu’il sera vu plus loin, pour remplir les conditions à l’octroi d’une autorisation de séjour pour cas individuel d’extrême gravité – étant observé que le recourant n’a pas détaillé à quelles dates, quel taux d’activité et pour quel salaire il aurait travaillé pour les entreprises qu’il cite.

Il ne sera pas donné suite aux demandes d’actes d’instruction.

3.             Les recourants se plaignent de l’établissement manifestement inexact des faits, de la violation du principe de la proportionnalité et de la violation de la loi sous l’angle de l’exigibilité de leur renvoi.

3.1 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l'espèce, après le 1er janvier 2019 sont régies par le nouveau droit.

L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

L'art. 31 al. 1 OASA, dans sa teneur au moment des faits, prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant sur la base des critères d’intégration définis à l’art. 58a al. 1 LEI (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (directives LEI, état au 1er janvier 2021, ch. 5.6.12).

Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c).

3.2 La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine ou une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2).

La jurisprudence requiert, de manière générale, une très longue durée (Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, LEtr, vol. 2, 2017, p. 269 et les références citées). Par durée assez longue, la jurisprudence entend une période de sept à huit ans (arrêt du Tribunal administratif fédéral [ci-après : TAF] C-7330/2010 du 19 mars 2012 consid. 5.3 ; Minh SON NGUYEN/Cesla AMARELLE, op. cit., p. 269). Après un séjour régulier et légal de dix ans, il faut en principe présumer que les relations sociales entretenues en Suisse par la personne concernée sont devenues si étroites que des raisons particulières sont nécessaires pour mettre fin à son séjour dans ce pays (ATF 144 I 266 consid. 3.8). La durée d'un séjour illégal, ainsi qu'un séjour précaire, ne doivent normalement pas être pris en considération ou alors seulement dans une mesure très restreinte (ATF 130 II 39 consid. 3 ; ATAF 2007/45 consid. 4.4 et 6.3 ; 2007/44 consid. 5.2).

Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit néanmoins être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances du cas particulier et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2).

Aux termes de l'art. 96 al. 1 LEI, les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger ainsi que de son intégration.

La question est ainsi de savoir si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'intéressé, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).

3.3 Dans l'examen d'un cas de rigueur concernant le renvoi d'une famille, il importe de prendre en considération la situation globale de celle-ci. Dans certaines circonstances, le renvoi d'enfants peut engendrer un déracinement susceptible de constituer un cas personnel d'extrême gravité.

D'une manière générale, lorsqu'un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse et y a seulement commencé sa scolarité, il reste encore attaché dans une large mesure à son pays d'origine, par le biais de ses parents. Son intégration au milieu socioculturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet (arrêt du TAF C-636/2010 du 14 décembre 2010 consid. 5.4 et la référence citée). Avec la scolarisation, l'intégration au milieu suisse s'accentue. Dans cette perspective, il convient de tenir compte de l'âge de l'enfant lors de son arrivée en Suisse et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, du degré et de la réussite de la scolarité, de l'état d'avancement de la formation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter, dans le pays d'origine, la scolarisation ou la formation professionnelle entamée en Suisse. Un retour dans la patrie peut, en particulier, représenter une rigueur excessive pour des adolescents ayant suivi l'école durant plusieurs années et achevé leur scolarité avec de bons résultats. L'adolescence, une période comprise entre douze et seize ans, est en effet une période importante du développement personnel, scolaire et professionnel, entraînant souvent une intégration accrue dans un milieu déterminé (ATF 123 II 125 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_75/2011 du 6 avril 2011 consid. 3.4 ; ATA/203/2018 du 6 mars 2018 consid. 9a). Sous l'angle du cas de rigueur, il est considéré que cette pratique différenciée réalise la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, telle qu'elle est prescrite par l'art. 3 al. 1 CDE, entrée en vigueur pour la Suisse le 26 mars 1997 ; arrêts du Tribunal fédéral 2A.679/2006 du 9 février 2007 consid. 3 et 2A.43/2006 du 31 mai 2006 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C 3592/2010 du 8 octobre 2012 consid. 6.2 ; ATA/434/2020 du 31 avril 2020 consid. 10).

3.4 L'« opération Papyrus » développée par le canton de Genève a visé à régulariser la situation des personnes non ressortissantes de l’UE/AELE bien intégrées et répondant à différents critères, à savoir, selon le livret intitulé « Régulariser mon statut de séjour dans le cadre de Papyrus » disponible sous https://www.ge.ch/regulariser-mon-statut-sejour-cadre-papyrus/criteres-respecter), avoir un emploi ; être indépendant financièrement ; ne pas avoir de dettes ; avoir séjourné à Genève de manière continue sans papiers pendant cinq ans minimum (pour les familles avec enfants scolarisés) ou dix ans minimum pour les autres catégories, à savoir les couples sans enfants et les célibataires ; faire preuve d'une intégration réussie ; absence de condamnation pénale (autre que séjour illégal).

L'« opération Papyrus » a pris fin le 31 décembre 2018.

3.5 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée ou dont l'autorisation n'est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation. Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI).

3.6 En l’espèce, les recourants ont demandé le 3 juillet 2019 à l’OCPM de soumettre leur dossier au SEM avec un préavis positif en vue de l’attribution d’autorisations de séjour pour cas de rigueur. Or, l’« opération Papyrus » était alors terminée depuis le 31 décembre 2018. Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’ils prétendent, ils ne sauraient bénéficier de celle-ci, et leur demande doit être examinée sous le seul angle du cas individuel d’extrême gravité.

Sous cet angle, la durée d’un séjour illégal ne doit normalement pas être prise en compte. Ainsi, à supposer même que le recourant soit, comme il l’affirme, arrivé en Suisse en 2010 et y ait travaillé depuis 2011, il n’a jamais disposé d’aucun titre de séjour et a bénéficié depuis juillet 2019 de la tolérance des autorités puis de l’effet suspensif attaché à ses recours, de sorte que la durée de son séjour, devrait-elle être considérée comme longue, ne serait pas décisive pour l’obtention d’une autorisation de séjour, et il faudrait encore examiner si d’autres critères doivent faire admettre qu’un départ de Suisse placerait la famille dans une situation excessivement rigoureuse. Il n’est pas contesté pour le surplus que l’épouse est pour sa part arrivée en Suisse en 2016, si bien que son séjour ne peut être considéré comme étant de longue durée. Les enfants du couple sont nées en Suisse.

Le recourant ne peut se prévaloir d’une intégration socioprofessionnelle remarquable. Il maîtrise, certes, la langue française au degré requis. Il n’a ni dettes, ni poursuites ni actes de défaut de biens et n’émarge pas à l’hospice. Il travaille, est indépendant économiquement et pourvoit à l’entretien de sa famille. Il travaille dans la construction et l’automobile et ne soutient pas qu’il aurait acquis en Suisse des connaissances professionnelles si spécifiques qu’il ne pourrait les mettre en valeur dans son pays. Il ne fait pas valoir qu’il serait engagé dans des activités associatives, sportives ou culturelles, ni qu’il aurait noué avec la Suisse des relations extraordinairement étroites.

Il a fait l’objet d’une condamnation le 15 décembre 2022 pour avoir conduit et prêté un véhicule automobile dépourvu d’assurance ou de plaques de contrôle. À elle seule, cette condamnation, sans lien avec le droit des étrangers, ne dénote pas une bonne intégration du recourant, quoi qu’en dise celui-ci.

S’ajoute à cela que l’ordonnance pénale qu’il a produite mentionne qu’il a fait l’objet d’une précédente ordonnance pénale le 24 août 2022, frappée d’opposition. Le recourant n’en a dit mot. L’OCPM a toutefois produit le courrier du 10 décembre 2021 par lequel il l’a dénoncé au Ministère public car il le soupçonnait d’avoir produit des certificats de travail d’entreprises (H______ et G______) apparaissant dans de nombreux dossiers « Papyrus », ainsi qu’un rapport d’arrestation et d’audition par la police du 24 août 2022, lors de laquelle le recourant a nié que les certificats eussent été fabriqués et a affirmé les avoir obtenus de ses anciens employeurs.

B______ indique qu’elle ne travaille pas mais qu’elle cherche un emploi. Elle affirme suivre des cours de français, mais n’a pas produit de certificat attestant son niveau de maîtrise de cette langue. Elle indique avoir soldé une poursuite d’un montant très faible à l’égard des Hôpitaux universitaires genevois et n’avoir ni dettes ni poursuites, ainsi qu’un casier judiciaire vierge. Elle ne soutient pas non plus s’être engagée dans des activités associatives, sportives ou culturelles, ni qu’elle aurait noué avec la Suisse des relations extraordinairement étroites. Son intégration socioprofessionnelle ne peut être qualifiée d’exceptionnelle.

Les enfants sont aujourd’hui âgées de respectivement bientôt cinq et bientôt trois ans. C______ a à peine commencé l’école. Elles sont toutes deux encore très jeunes et dépendantes affectivement et culturellement de leurs parents, dont elles suivent le sort, si bien qu’elles ne sauraient faire valoir un intérêt supérieur propre au sens de l’art. 3 ch. 1 CDE qui justifierait la prise en compte de leur situation personnelle pour admettre l’existence d’un cas de rigueur.

S’agissant de la possibilité de réintégration au Kosovo, les recourants, encore jeunes et en bonne santé, y ont passé toute leur enfance, leur adolescence et le début de leur âge adulte. Ils en maîtrisent la langue et les codes culturels. Ils y ont de la famille, selon leurs dires. S’ils rencontreront sans doute, au début, des difficultés de réintégration après avoir passé plusieurs années en Suisse et y avoir fondé une famille, ils pourront compter sur les membres de leurs familles et faire valoir les compétences professionnelles et linguistiques acquises en Suisse pour favoriser leur réinsertion. Leurs filles, encore très jeunes, restent attachées par leurs parents au Kosovo, où rien n’indique qu’elles ne pourront se réinsérer.

C’est ainsi conformément au droit que l’OCPM puis le TAPI ont refusé d’octroyer aux recourants des autorisations de séjour pour cas individuel d’extrême gravité.

3.7 Il reste à examiner si le renvoi des recourants est licite, possible et raisonnablement exigible.

C’est à bon droit que l’OCPM puis le TAPI ont considéré que tel était le cas. En l’absence de toute allégation sérieuse d’un obstacle au renvoi, leur motivation est suffisante, quoi qu’en disent les recourants. Ceux-ci ne font d’ailleurs valoir aucun empêchement sérieux, se contentant d’affirmer qu’ils ne connaissent plus leur pays ou qu’ils se sont faits aux us et coutumes de la Suisse, soit des circonstances ne faisant pas obstacle au renvoi.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge solidaire d’A______ et B______, et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 janvier 2023 par A______ et B______, agissant en leur nom et au nom de leurs enfants mineurs C______ et D______, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 décembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge solidaire d’A______ et de B______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre OCHSNER, avocat des recourants, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.