Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/4332/2022

ATA/568/2023 du 30.05.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4332/2022-EXPLOI ATA/568/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 mai 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ intimé



EN FAIT

A.           A______, ressortissante de B______, a déposé à la police judiciaire le 19 juin 2012 un formulaire d’annonce pour l’exploitation du salon de prostitution « C______ » dans l’appartement n° 6 au 1er étage du ______, rue D______ à Genève, avec un horaire d’exploitation sept jours sur sept de 08h00 à 24h00, dont elle était responsable depuis le 1er janvier 2012.

B.            a. Le 19 mai 2022, la brigade de lutte contre la traite d’êtres humains et la prostitution illicite (ci-après : BTPI) a informé A______ qu’en raison d’une modification de la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49) entrée en vigueur le 29 juillet 2017, les salons de massage devaient disposer d’un préavis favorable du département du territoire (ci-après : DT) attestant de l’usage commercial des locaux et l’a invitée à compléter et à retourner un formulaire

b. A______ a retourné le formulaire complété ainsi qu’une copie du bail et d’un jugement du Tribunal des baux et loyers (ci-après : TBL).

c. Le 9 juin 2022, la BTPI a demandé au DT de préaviser l’exploitation du salon de prostitution.

d. Le 16 juin 2022, le DT a émis un préavis négatif. Le bâtiment était soumis à la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20), les locaux étaient à destination de logement, la demande était soumise à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), l’affectation à une activité commerciale n’avait pas fait l’objet d’une décision et une requête en autorisation de construire pour changement d’affectation ou pour travaux était nécessaire pour la régularisation.

e. Le 14 juillet 2022, la BTPI a informé A______ que l’affectation à une activité de salon de massage de l’appartement qu’elle louait n’avait pas été approuvée par le DT et nécessitait la délivrance d’une autorisation de construire, la priant de l’informer au plus tard le 15 août 2022 si elle entendait procéder à la mise en conformité de son établissement par l’obtention d’une autorisation ou si elle recherchait d’autres locaux adaptés à ses activités. Une décision serait alors prise et un délai imparti, soit pour demander une autorisation soit pour fermer le salon.

f. Le 8 août 2022, A______ a indiqué à la BPTI qu’elle souhaitait exploiter son salon et allait demander une autorisation de construire. Le courrier de la BPTI ne précisait pas si une indemnisation était convenue. Le fond de commerce de son établissement constituait sa caisse de retraite, qu’elle comptait prendre quelques années plus tard.

g. Le 28 octobre 2022, A______ a indiqué à la BPTI qu’elle confirmait vouloir exploiter son salon et avait demandé une autorisation au DT.

h. Le 11 novembre 2022, le DT a indiqué à la BPTI qu’aucune autorisation de construire visant le changement d’affectation n’avait été demandée.

i. Le 21 novembre 2022, le département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : DTPS) a prononcé la fermeture définitive du salon « C______ » et imparti à A______ un délai au 31 mai 2023 pour mettre un terme à toute activité de prostitution dans les locaux du ______, rue D______. Aucune autorisation n’avait été demandée au DT. La condition que les locaux puissent être affectés à un usage commercial faisait défaut.

C.           a. Par acte remis à la poste le 20 décembre 2022, A______ a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) et demandé une « prolongation au 31 mai 2029 qui correspondra à [ses] 65 ans et à son départ à la retraite ».

Elle avait payé plus de CHF 120'000.- l’établissement en 2012, et il correspondait à son deuxième pilier.

Subsidiairement, le droit devait lui être donné de sous-louer à une personne seule, la loi parlant de salon uniquement s’il y avait deux personnes au minimum.

b. Le 20 janvier 2023, le DTPS a conclu au rejet du recours. Le recours était très succinct et dépourvu de pièces. Sa recevabilité devait être tranchée avant l’examen du fond.

Le bail à loyer mentionnait un usage à logement exclusif. A______ habitait le canton de F______ et n’avait jamais été domiciliée dans l’appartement de la rue D______. L’affirmation non étayée selon laquelle elle avait payé plus de CHF 120'000.- pour l’établissement était contestée, ce fait ne relevant quoi qu’il en soit pas de sa compétence. A______ connaissait bien l’exigence relative à l’affectation commerciale, car elle avait recouru sans succès contre une précédente décision de refus d’inscrire un salon de massage dont l’exploitation était prévue dans des locaux destinés à l’habitation.

La décision querellée imposait la fermeture du salon et interdisait également à la recourante de sous-louer son appartement pour être utilisé à des fins de prostitution indépendamment du nombre des personnes qui y logeaient. Elle n’empêchait pas la recourante de sous-louer son appartement meublé à des fins de logement exclusivement. La loi était en force depuis cinq ans, la procédure de mise en conformité avait duré près d’un an et un délai de plus de six mois avait été donné à la recourante pour fermer son salon.

c. Le 19 février 2023, A______ a persisté dans ses conclusions.

Elle n’avait commis aucune faute. La loi avait changé. Le DTPS était de mauvaise foi quand il contestait l’existence du pas de porte. En 2012, il fallait l’accord du bailleur pour l’exploitation d’un salon de massage. Cela avait créé une pénurie sur le marché et le prix qu’elle avait payé correspondait au marché. Durant les années Covid, elle n’avait obtenu aucune indemnité mais avait toujours payé son loyer, et elle souhaitait que la chambre administrative en tienne compte. La police savait qu’elle habitait le canton de F______ depuis 20 ans, car cela figurait sur son autorisation d’établissement. G______ habitait dans l’appartement, de sorte qu’il était faux de prétendre que celui-ci avait été soustrait au marché immobilier à des fins commerciales. Elle devait pouvoir louer « C______ » à une personne seule faute de quoi la régie H______ exigerait une augmentation de loyer importante au changement de locataire.

d. Le 22 février 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le recours est particulièrement succinct.

2.1 Selon l’art. 65 LPA, l’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l’exposé des motifs ainsi que l’indication des moyens de preuve (al. 2). Le fait que les conclusions ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas en soi un motif d’irrecevabilité, pour autant que l’autorité judiciaire et les autres parties concernées puissent comprendre avec certitude les demandes du recourant (ATA/1251/2019 du 13 août 2019 consid. 2a). À l’exigence de conclusions s’ajoute celle de motivation du recours, qui implique que le recourant explique en quoi et pourquoi il s’en prend à la décision litigieuse. Cette exigence est considérée comme remplie lorsque les motifs du recours, sans énoncer les conclusions formelles, permettent de comprendre aisément ce que le recourant désire (ATA/1076/2015 du 6 octobre 2015 et les arrêts cités).

Pour satisfaire aux exigences de motivation, le recourant doit discuter les motifs de la décision et indiquer précisément en quoi et pourquoi il estime que l’autorité précédente a méconnu le droit. Il doit expliquer en quoi et pourquoi il s’en prend à la décision litigieuse (ATF 133 II 249 consid. 14.2 ; ATA/934/2019 du 21 mai 2019 ; ATA/799/2016 du 27 septembre 2016). Le Tribunal fédéral a admis qu’il ne fallait pas se montrer trop sévère au sujet de la motivation du recours de droit administratif. C’est seulement si le recours ne contient aucune motivation qu’il n’entre pas en matière. Une motivation même brève est suffisante, si elle permet de discerner sur quels points et pourquoi la décision attaquée est critiquée (ATF 109 Ib 246 consid. 3c).

2.2 En l’espèce, et bien que le recours soit particulièrement succinct, on comprend que la recourante demande l’annulation de la décision de fermeture du salon et la « prolongation » jusqu’en 2029, subsidiairement « le droit de sous-louer » le salon à une autre personne active dans la prostitution. La recourante a en outre développé son argumentation dans sa réplique. Le recours est ainsi également recevable de ce point de vue.

3.             Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé (a) pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation et (b) pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

4.             La recourante réclame un délai plus long pour cesser l’exploitation de son salon. Subsidiairement, elle devrait être autorisée à le sous-louer à une prostituée travaillant seule.

4.1 La LProst a notamment pour but de garantir, dans le milieu de la prostitution, que les conditions d'exercice de cette activité sont conformes à la législation, soit notamment qu'il n'est pas porté atteinte à la liberté d'action des personnes qui se prostituent, que celles-ci ne sont pas victimes de la traite d'êtres humains, de menaces, de violences, de pressions ou d'usure ou que l'on ne profite pas de leur détresse ou de leur dépendance pour les déterminer à se livrer à un acte sexuel ou d'ordre sexuel (art. 1 let. a LProst).

4.2 À teneur de l'art. 8 LProst, la prostitution de salon est celle qui s'exerce dans des lieux de rencontre soustraits à la vue du public (al. 1). Ces lieux, quels qu'ils soient, sont qualifiés de salons par la LProst (al. 2). Toutefois, le local utilisé par une personne qui s'y prostitue seule, sans recourir à des tiers, n'est pas qualifié de salon (al. 3).

4.3 Toute personne physique qui, en tant que locataire, sous-locataire, usufruitière, propriétaire ou copropriétaire, exploite un salon et met à disposition de tiers des locaux affectés à l'exercice de la prostitution doit s'annoncer, préalablement et par écrit, aux autorités compétentes en indiquant le nombre et l'identité des personnes qui y exercent la prostitution (art. 9 al. 1 LProst). La personne qui effectue l'annonce est considérée comme personne responsable au sens de la LProst (art. 9 al. 4 LProst).

4.4 L'art. 10 let. d LProst prévoit que la personne responsable d'un salon doit, au nombre des conditions personnelles à remplir, être au bénéfice d’un préavis favorable du DT confirmant que les locaux utilisés peuvent être affectés à une activité commerciale ou qu’une dérogation a été accordée.

Cet article est entré en vigueur le 29 juillet 2017. Il est issu d'une modification législative faisait notamment suite à certaines recommandations formulées par le Cour des comptes dans son rapport n° 85 du 16 décembre 2014 (ci-après : le rapport n° 85), portant sur une évaluation de la politique publique en matière de prostitution visant entre autres à améliorer les conditions d’exercice de la prostitution et à développer l’autonomie des travailleurs du sexe (projet de loi n° 12'031 du 30 novembre 2016 modifiant la LProst [ci-après : PL 12'031], p. 6 ; p. 4 et 5 du rapport n° 85).

Dans son rapport, la Cour des comptes a notamment relevé que la BTPI n’effectuait pas de contrôle de conformité sous l’angle de la LDTR ni ne communiquait d’informations au DT, n’y étant pas tenue par la LProst. La Cour des comptes a ainsi recommandé au département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (ci-après : DTES) de coordonner son action, lors de la procédure d’enregistrement, avec celle du DT afin qu’un contrôle de conformité à la LDTR soit effectué en prenant notamment en compte la procédure de dérogations prévue à l’art. 8 LDTR en cas de changement d’affectation (p. 64 et p. 68). L'art. 10 let. d LProst est donc une concrétisation de cette recommandation (ATA/1313/2018 du 4 décembre 2018 consid. 8).

À teneur des travaux préparatoires relatifs au PL 12'031, la problématique visée par le nouvel art. 10 let. d LProst concernait également les salons exploités dans des villas, qui n'étaient pas soumis à la LDTR, mais à la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, du 4 juin 1987 (ci-après : LaLAT), qui contient elle aussi des dispositions relatives à l'activité commerciale et aux dérogations susceptibles d'être accordées. Le préavis du département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ci-après : DALE) devait donc confirmer pour les salons exploités dans des immeubles soumis à la LDTR, que les locaux pouvaient être affectés à une activité commerciale ou qu'une dérogation avait été accordée et, pour les salons exploités dans des villas soumises à la LaLAT, que l'activité était conforme à la zone villas ou qu'une dérogation avait été accordée. Le préavis du DALE ne devait pas être sollicité directement par la personne responsable d'un salon mais par les services du DT. Le salon ne pouvait pas être mis en exploitation tant que le DT n'avait pas délivré un préavis favorable et que la personne responsable n'avait pas été inscrite au registre tenu par la BTPI (p. 15).

Les travaux préparatoires relevaient encore que la modification légale relative à l'art. 10 let. d LProst s'imposait d'autant plus que le canton de Genève était confronté à une pénurie de logements - alors que de nombreux locaux commerciaux cherchaient preneur - et qu'elle permettait en outre de lutter efficacement contre les nuisances liées à l'exploitation de lieux de prostitution et dénoncées dans plusieurs pétitions (p. 7).

4.5 Selon l’art. 14 al. 1 LProst, fait l'objet de mesures et sanctions administratives la personne responsable d'un salon (a) qui n'a pas rempli son obligation d'annonce en vertu de l'art. 9 ; (b) qui ne remplit pas ou plus les conditions personnelles de l'art. 10 ; (c) qui n'a pas procédé aux communications qui lui incombent en vertu de l'art. 11 ; (d) qui n'a pas respecté les obligations que lui impose l'article 12.

Selon l’art. 14 al. 2 LProst, l'autorité compétente prononce, selon la gravité ou la réitération de l'infraction, les mesures et sanctions administratives suivantes : (a) l'avertissement ; (b) la fermeture temporaire du salon, pour une durée de un à six mois, et l'interdiction d'exploiter tout autre salon, pour une durée analogue ; (c) la fermeture définitive du salon et l'interdiction d'exploiter tout autre salon pour une durée de dix ans.

4.6 Les travaux préparatoires relatifs au PL 12'031 mentionnent encore que la recommandation du rapport n° 85 qui visait une modification législative afin que deux travailleurs du sexe puissent partager un appartement en bénéficiant de l'art. 8 al. 3 LProst, n'a pas été concrétisée dans le cadre dudit projet de loi. Cette modification s'était tout d'abord heurtée à l'opposition de la police, du DTPS et du DT, avant d'être partagée par le Conseil d'État. Eu égard à la particularité de la profession visée, l'assouplissement évoqué par le rapport n° 85 serait suivi, s'il était concrétisé dans la loi, d'une forme d'exploitation de l'une des deux personnes (celle titulaire du bail et/ou d'un permis de séjour ou d'établissement, et par conséquent bien intégrée) sur l'autre (non titulaire du bail et/ou non titulaire d'un permis de séjour ou d'établissement, et par conséquent dans une situation beaucoup plus précaire) et cela, de façon manifestement contraire au premier but poursuivi par la LProst. Le Conseil d'État était persuadé de la nécessité de maintenir la notion d'appartement privé au sens de la LProst, soit d'un appartement dans lequel une seule personne exerce et qui n'a pas pour vocation principale l'exercice d'une activité économique mais garde un caractère prépondérant d'habitation. Dans les faits, la personne en question travaille à domicile. Ce ne serait plus le cas d'un salon dans lequel exercent plusieurs personnes, même si elles y résident. En d'autres termes, c'était l'exploitation d'un salon, au sens de la LProst, et non l'exercice de la prostitution, qui était par définition l'exercice d'une activité économique. Par ailleurs, dès l'instant où deux personnes se prostituent dans un appartement, il y avait un changement d'affectation prohibé par la LDTR. Si l'art. 8 al. 3 LProst était modifié dans le sens précité, on assisterait au développement de salons clandestins non contrôlés. La police ignorerait l'existence et l'emplacement des appartements privés dans lesquels pourraient se prostituer deux personnes et ne serait pas en mesure de vérifier qu'aucune infraction pénale (traite d'êtres humains, encouragement à la prostitution, usure, etc.) se produise. Toute dérogation à la règle actuelle conduirait à l'examen de structures au cas par cas. Chaque structure deviendrait un « cas particulier ». Les risques d'erreur, d'abus et d'incohérence dans la politique publique et dans l'application de la LProst seraient considérables (exposé des motifs du PL 10'031, p. 9 et 10).

4.7 La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants, ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR). Celle-ci prévoit notamment à cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR). Elle s'applique à tout bâtiment situé dans l’une des zones de construction prévues par l’art. 19 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) et comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l’habitation (art. 2 al. 1 LDTR).

Nul ne peut, sauf dérogation au sens de l’art. 8 LDTR, même en l’absence de travaux, remplacer des locaux à destination de logements, occupés ou inoccupés, par des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel, dans un bâtiment soumis à la LDTR (art. 3 et 7 LDTR).

Selon le Tribunal fédéral - appelé à statuer sur le recours d'un propriétaire considérant que l'utilisation de locaux destinés à l'habitation à des fins de prostitution ne constituait pas un changement d'affectation soumis à autorisation -, l’exercice régulier de la prostitution dans des studios d’habitation entre clairement en contradiction avec cette dernière notion, de sorte que cela frise la témérité d’argumenter qu’il ne s’agirait pas d’un changement d’affectation soumis à autorisation. Il est indifférent, de ce point de vue, que les hôtesses vivent également sur place (arrêt du Tribunal fédéral 1C_237/2012 du 31 août 2012 consid. 2 et les références citées).

4.8 La chambre de céans a jugé que la BTPI, tout comme le DT, se bornent à vérifier que le préavis positif du DT a bel et bien été obtenu, mais ne disposent d'aucun pouvoir de décision ou d'appréciation en la matière relatif audit préavis. Ce système ne viole pas les garanties générales de procédure. L’exploitante reste parfaitement libre de solliciter une décision du DT tendant à faire constater que l'usage prévu des locaux ne nécessiterait aucun changement d'affectation, à solliciter un changement d'affectation des locaux, respectivement à solliciter une dérogation audit changement d'affectation. Elle dispose alors d'une voie de recours contre la décision rendue par le DT (ATA/486/2020 du 19 mai 2020 consid. 5 ; ATA/1313/2018 précité consid. 11). Elle a retenu qu’il ressortait des travaux préparatoires, tout comme de l'art. 8 al. 3 LProst, que l'argumentation selon laquelle l'exploitation d'une petite structure par deux ou trois personnes exerçant la prostitution ne devrait pas être considérée comme un salon au sens de l'art. 8 al. 1 LProst ne pouvait être suivie. Quand bien même cette position avait été soutenue par la Cour des comptes, elle était manifestement contraire à la volonté du législateur et au texte clair de la loi (ATA/1313/2018 précité consid. 11).

4.9 L'art. 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) garantit la liberté économique, qui comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique privée et son libre exercice et protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d’un gain ou d’un revenu (ATF 135 I 130 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_138/2015 du 6 août 2015 consid. 4.1 ; 2C_32/2015 du 28 mai 2015 consid. 5.1).

Une restriction à cette liberté est admissible, aux conditions de l’art. 36 Cst. Toute restriction doit ainsi se fonder sur une base légale (al. 1), être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2) et proportionnée au but visé (al. 3). Sous l’angle de l’intérêt public, sont autorisées les mesures de police, les mesures de politique sociale ainsi que les mesures dictées par la réalisation d’autres intérêts publics (ATF 125 I 322 consid. 3a). Sont en revanche prohibées les mesures de politique économique ou de protection d’une profession qui entravent la libre concurrence en vue de favoriser certaines branches professionnelles ou certaines formes d’exploitation (art. 94 al. 1 Cst. ; ATF 140 I 218 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_138/2015 précité consid. 4.1).

De plus, pour être conforme au principe de la proportionnalité, une restriction à un droit fondamental doit être apte à atteindre le but visé, lequel ne peut pas être obtenu par une mesure moins incisive ; il faut en outre qu’il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_138/2015 précité consid. 4.1).

4.10 En l’espèce, il n’est pas contesté que la recourante n'a pas obtenu le préavis exigé par la loi et n’a par ailleurs pas demandé de dérogation au DT. Elle ne remplissait ainsi plus la condition personnelle prévue à l’art. 10 let. d LProst, situation qui justifiait une mesure selon l’art. 14 al. 1 let. b LProst, étant observé que l’infraction à la loi – soit le défaut de préavis favorable à l’occupation de locaux en raison de leur destination au logement – est en soi grave, et que par ailleurs, entre le 8 août et le 21 novembre 2022, la recourante n’a pas demandé d’autorisation au DT contrairement à ce qu’elle avait annoncé. Selon la jurisprudence précitée, la BPTI et le DTPS n’avaient dès lors d’autre choix que d’ordonner la fermeture du salon au ______ rue D______ (ATA/486/2020 et ATA/1313/2018 précités), en application de l’art. 14 al. 2 let. c LProst – et non de l’art. 21 al. 2 let. c LProst (concernant l’escorting) comme indiqué par erreur dans la décision.

Cela étant, la fermeture du salon porte une atteinte légère à la liberté économique de la recourante, puisque la décision querellée n’ordonne à la recourante de mettre un terme à toute activité de prostitution que dans les locaux de la rue D______ ______, soit dans un lieu déterminé devant être réservé au logement, sans lui défendre pour autant de la poursuivre dans des locaux commerciaux, notoirement disponibles en nombre à Genève, ni lui faire par ailleurs interdiction d'exploiter tout autre salon pour une durée de dix ans, comme le prévoit l’art. 14 al. 2 let. c LProst.

Cette restriction apparait fondée. En effet, la condition visant l'obtention du préavis repose sur une base légale et poursuit un intérêt public, soit notamment la préservation du logement en période de crise et la lutte contre les nuisances liées à l'exploitation de lieux de prostitution. Elle respecte le principe de proportionnalité. Aucune autre atteinte moins sévère à la liberté de la recourante n’apparait susceptible de réaliser les objectifs d’intérêt public de la loi – en particulier, une fermeture temporaire ne permettrait pas de rendre définitivement au logement des locaux exploités pour une activité commerciale. L’intimé a par ailleurs imparti à la recourante un délai de six mois, après avoir attendu en vain d’août à novembre 2022 que cette dernière demande la dérogation au DT, de sorte que la recourante a disposé d’un temps largement suffisant pour trouver d’autres locaux, adaptés à l’activité de son salon.

La recourante fait, certes, valoir qu’elle aurait investi un pas de porte de CHF 120'000.- dans l’acquisition du salon en 2012, correspondant à son deuxième pilier. Elle n’a cependant pas documenté cette allégation, pas plus qu’elle n’a précisé quand, à qui et avec quels fonds elle aurait versé cette somme, même après que l’intimé eut souligné ces carences, de sorte que son allégation ne peut être prise en considération.

La recourante conclut à la « prolongation » jusqu’au 31 mai 2029, soit l’année de sa retraite. Pour peu que cette conclusion soit recevable, elle devra être rejetée, les conditions à l’exploitation d’un salon au ______, rue D______ n’étant, comme il a été vu, pas remplies, et la BPTI et le DSPS ne disposant d’aucune marge de manœuvre en l’absence d’autorisation du DT.

À titre subsidiaire, la recourante conclut à ce qu’elle soit autorisée à louer le salon à une travailleuse du sexe seule. Cette conclusion excède l’objet du litige, qui porte sur le refus de l’autorisation de poursuivre l’exploitation du salon « C______ » au ______, rue D______, et est partant irrecevable.

La chambre de céans observe encore que la recourante indique dans sa réplique que Mme G______ habiterait déjà l’appartement. L’exploitation d’un salon n’étant pas autorisée dans des locaux destinés au logement, celui-ci ne peut en toute hypothèse être cédé à Mme G______. Pour le reste, l’éventuelle conclusion d’un bail de sous-location ressortit aux rapports de droit privé liant la recourante à son bailleur, et l’éventuel déploiement d’activités prostitutionnelles relèverait au plan administratif des rapports directs de Mme G______ avec la BPTI.

C’est ainsi de manière conforme à la loi que le DSPS a ordonné la fermeture du salon « C______ » au ______ rue D______.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 décembre 2022 par A______ contre la décision du département de la sécurité, de la population et de la santé du 21 novembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'au département de la sécurité, de la population et de la santé.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :