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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3627/2022

ATA/503/2023 du 16.05.2023 ( FPUBL ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 25.09.2023, rendu le 22.04.2024, REJETE, 1C_519/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3627/2022-FPUBL ATA/503/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 mai 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______ recourant
représenté par Me Romain JORDAN, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE intimée



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1966, a été engagé par la Ville de Genève (ci-après : la ville) le 20 mars 1991, en qualité de menuisier, au service logistique et technique de la division de la voirie. Il est entré en fonction le 1er septembre 1991.

b. Lors de son engagement, A______ travaillait à la rue François-Dussaud. Il a été rejoint par B______, menuisier. Au début de l’année 2014, ils ont déménagé à l’atelier de menuiserie du service des pompes funèbres (ci-après : SPF), installé sur le site du cimetière Saint-Georges, où travaillaient C______ et D______.

Ces quatre menuisiers font partie de l’ « unité des ateliers généraux » (ci-après : UAG), comprenant environ 20 personnes, dont E______ est le chef. En raison de problèmes de santé, c’est son adjoint, F______, qui dirige l’UAG depuis avril 2019.

L’UAG dépend, à l’instar des unités « gestion des véhicules » et « matériel de fêtes » du service logistique et manifestation (ci-après : LOM), dirigé par G______, chef de service, comprenant environ 78 postes au total. Le LOM faisait partie du département de l’environnement urbain et de la sécurité (ci-après : DEUS) dirigé à l’époque par H______, devenu le département de la sécurité et des sports (ci-après : DSSP), dirigé depuis le 1er juin 2020 par I______, conseillère administrative.

J______ est directrice du département depuis le 1er février 2016.

c. A______ est membre de la commission du personnel du LOM depuis 2011 et en a assuré la présidence de mars 2016 à juin 2020.

B. a. En mars et avril 2013, l’unité de psychologie du travail de la direction des ressources humaines de la ville (ci-après : DRH) a entendu quatre collaborateurs de l’UAG. Selon le rapport du 13 juin 2013, « il ressort[ait] une difficulté relationnelle importante avec A______, tant au niveau de la collaboration directe (au sein de l’atelier de menuiserie) que sur le plan du management au quotidien. Il [était] relevé une certaine difficulté pour faire une observation objective du travail et du comportement professionnel et, le cas échéant, un recadrage efficace dans la mesure où les conduites qui pourraient faire l’objet d’un rappel à l’ordre ou d’une mesure disciplinaire [étaient] discrètes, voire subtiles. D’où un sentiment d’exaspération et d’impuissance exprimée par les collègues et la hiérarchie. »

« Il se dégage[ait] également l’impression d’un groupe qui fonctionn[ait] sans règles ni limites, dans lequel il [était] permis de tenir des propos inadéquats (grossièretés) en séance de travail ou d’avoir une attitude inacceptable à l’égard d’un responsable (insultes), de quitter la salle en cours de séance ou de refuser d’exécuter les instructions de supérieurs hiérarchiques. »

« Il ressort[ait] des entretiens que, malgré le soutien externe mis en place, les événements qui [avaient] affecté les ateliers en 2010 [avaient] laissé des "séquelles" importantes encore présentes, à savoir : climat de travail pesant, désolidarisation, alliances, influences, perte de cohésion et d’homogénéité dans les différents groupes, non-acceptation des règlements internes, mais aussi des non-dits et le sentiment que les responsabilités n[avaient] peut-être pas été toutes identifiées lors de l’enquête. »

En conclusion, « le besoin d’un management fort [était] clairement identifié pour gérer les situations individuelles difficiles, faire respecter les différents règlements existants et rétablir un climat de travail serein au sein des ateliers ».

« Il [était] important aussi que les managers puissent garder toute la légitimité dans les rôles et les décisions qui leur incomb[aient] dans la gestion de la vie du groupe, par exemple dans la conduite des entretiens périodiques ou l’application des règlements internes, en garantissant un traitement équitable ; intervenir immédiatement en cas de débordement pour rester crédible devant le groupe ».

b. Dans le courant 2019, au vu de tensions, le groupe des menuisiers a été divisé en deux binômes, en fonction des affinités : A______ et B______ d’une part et C_____ et D______ d’autre part.

C. a. La première évaluation, en 1992, relevait que A______ devait veiller à son comportement et à son langage envers ses collègues et ses supérieurs.

b. Entre 2002 et 2005, deux des quatre « préavis » relevaient des difficultés relationnelles.

c. A______ a fait l’objet d’un blâme en 2011, à la suite d’une enquête administrative, pour avoir volontairement rempli de manière inexacte des rapports journaliers, avoir pris des jours de vacances sans en avoir au préalable obtenu l’autorisation et avoir utilisé du matériel et des infrastructures de la ville pour des travaux privés. Il n’a pas recouru contre la sanction.

d. Un premier entretien périodique a eu lieu le 26 avril 2013. Il a été interrompu par le départ de A______ de la salle.

e. Aucun entretien d’évaluation n’a été effectué entre 2013 et 2019.

f. L’évaluation du 21 mars 2019 a conclu que A______ était difficile à gérer, qu’il fallait lui rappeler chaque année, en vain, le cadre fixé par l’employeur et que ses collègues se plaignaient de son comportement « erratique » et menaçant. L’intéressé avait refusé de signer l’entretien et avait adressé des observations.

g. La bienfacture du travail confié à A______ et son expérience ne sont pas contestées.

D. a. En juillet 2019, A______ a sollicité le Groupe de confiance (ci-après : GdC) s’estimant victime de harcèlement sexuel et de mobbing.

Sur recommandation de celui-ci, il a contacté la direction du département. Une séance s’est tenue le 11 juillet 2019, menée par K______, directeur adjoint du DEUS, en présence de G______ et de B______, ainsi que d’une juriste de la direction du département et d’une assistante de direction. Selon les notes de la séance, douze points ont été évoqués par l’intéressé, dont :

- il y avait environ dix ans, une poupée avait été suspendue à l’aide d’un nœud coulant placé autour du cou pendant plusieurs mois dans les ateliers. Après quatre mois, E______ l’avait retiré soudainement. Il aurait été considéré qu’elle représentait une collaboratrice du LOM. Un licenciement avait été prononcé. E______ avait toujours soupçonné A______ d’être impliqué, le menaçant de le licencier avant sa retraite ; or, il n’avait pas participé à cette action ;

- le 9 mai 2018, lors de la soirée annuelle du LOM, E______ lui avait renversé un café sur l’entrejambe en lui disant « c’est chaud hein » ; il y avait un témoin ; A______ n’avait pas été brûlé, mais avait quitté la soirée ;

- le 13 juin 2019, E______ lui avait lancé : « Tu veux que je te fasse une pipe ? » ; deux témoins étaient présents.

À l’issue de la réunion, K______ a indiqué à A______ avoir pris bonne note des éléments. À la question de savoir comment se passaient les relations avec son supérieur hiérarchique depuis l’événement du 13 juin 2019, l’intéressé a répondu tout faire pour éviter de le croiser. Ne travaillant pas sur le même site, les rencontres étaient limitées. E______ ne cessait de lui adresser des courriels de remontrances. Il se sentait constamment persécuté. Tous les matins, il partait travailler avec la boule au ventre et ressentait un manque de soutien.

À la demande de K______, A______ a donné son accord pour contacter les personnes citées. Le procès-verbal pouvait être transmis au GdC. Celui-ci lui avait conseillé de porter plainte, mais il craignait fortement les répercussions éventuelles.

b. Dans le cadre d’une séance du 26 novembre 2019, une juriste à la direction du département a informé A______ des suites données à la réunion du 11 juillet 2019 : des témoins avaient été auditionnés, le GdC contacté, des documents demandés et étudiés. L’examen préliminaire était à « bout touchant ». Des mesures organisationnelles avaient été mises en place afin de limiter les contacts entre A______ et E______.

c. En janvier 2020, la direction du département a mandaté le GdC dans le cadre d’un examen préalable visant les équipes des unités UAG et « gestion des véhicules » afin d’identifier les problèmes d’ordre relationnel au sein de ces deux équipes, principalement sur le site du cimetière de Saint-Georges.

d. Le GdC a demandé que l’enquête soit étendue.

e. Le rapport du GdG a été transmis à J______e xclusivement, à une date non précisés, mais fin mai 2020 environ.

E. a. Courant novembre 2019, C______, F______ et A______ ont signé un plan de progrès concernant ce dernier et fixé douze objectifs. Ceux relatifs au « savoir être » constituaient « l’élément principal de ce plan de progrès », dans la mesure où « son comportement tant avec certain-e-s collègues qu’avec sa hiérarchie n’[était] pas toujours adéquat ni conforme à ce qui [était] attendu du personnel de la ville. Les relations professionnelles qu’il entret[enait] avec ces derniers [étaient] une source de conflits. A______ a reçu de nombreux rappels à l’ordre à ce propos depuis son engagement ».

Les trois premières évaluations (20 décembre 2019, 23 janvier 2020 et 25 février 2020) ont été très positives. Pour la deuxième et la troisième, F______ a été remplacé par L______, « chef de section administrative comptabilité et RH ». À l’issue de la troisième, les évaluations relataient que : « pour l’instant, cet objectif est réussi » ou « n’a pas encore pu être évalué ». L’entretien des machines et des outils des ateliers (objectif n° 3) ainsi que du véhicule (objectif n° 5) étaient réussis, l’optimisation et l’aménagement du temps de travail afin de gagner en efficacité l’étaient aussi. Entretenir des relations de travail dignes, respectueuses avec les autres employés, le public, et sa hiérarchie tout en faisant preuve d’ouverture à la discussion et aux critiques était réussi.

b. La quatrième évaluation, effectuée le 5 mai 2020 par F______, en présence du chef de service, s’est mal déroulée. Celui-là a considéré plusieurs objectifs comme n’étant pas atteints. A______ a momentanément quitté la salle après avoir déclaré à plusieurs reprises : « Tu veux perdre ton emploi en Ville de Genève ? ».

Le jour même, F______ a écrit à son chef de service : « Je suis consterné et extrêmement choqué par les menaces répétées à mon encontre (Tu veux perdre ton emploi en ville de Genève, entre autres) et ce, proférées à plusieurs reprises durant la séance et devant témoins (toi). De même que les trois fois où il t’a aussi clairement menacé de licenciement, perte d’emploi et autres sous-entendus. Jusqu’où cela va-t-il aller ? Les agressions verbales et psychologiques de ce monsieur sont passées à un stade supérieur et cela est extrêmement grave, je n’ai jamais vu cela en 35 ans de travail (25 ans en tant qu’employé et 10 ans en tant qu’employeur). Va-t-on continuer à lui laisser le droit que lui seul s’octroie, de menacer sa hiérarchie et ses collègues ? À quand la violence physique ? Lamentable et inadmissible dans le contexte actuel (covid-19) où est le respect des valeurs et de partage devrait primer et être au centre des conversations. Je rappelle juste que nous ne faisons qu’appliquer et exécuter les demandes du CA de la ville de Genève en la matière. Chacun dans nos prérogatives. Je ne sais pas où cela va nous mener, mais il y a urgence à ce que des vraies décisions soient prises vis-à-vis de ce monsieur avant qu’un accident arrive ». Il se réservait le droit d’en informer les instances supérieures si cette situation perdurait.

Dix minutes plus tard, à 9h09, F______ a informé son chef de service et l’adjointe de direction administrative : « je ne peux pas ne pas réagir au propos [de A______] et menaces visant mon chef de service et moi-même ( ). Je suis désemparé face à un tel comportement et redoute le pire ».

c. Une nouvelle séance a été fixée au 19 mai 2020. C______ a détaillé différents constats et les a mis en perspective avec les douze objectifs du plan de progrès : les points C à N étaient des constats d’F______ à l’encontre de A______ : découverte d’une bouteille d’alcool par F______ dans l’atelier (C) ; atelier sale (D) ; matériel abîmé (E) ; absence de réparation immédiate d’un véhicule (F) ; non-fourniture d’un cahier de route (G) ; non-établissement de la liste des travaux effectués (H) ; étalage de son travail en attente de finalisation (I) ; interruption de divers travaux laissés en attente (K) ; probable usage de lattes thermolaquées à des fins privées (K) ; probable rénovation d’une boîte en bois privée (L) ; constat d’heures optionnelles non justifiées (M) ; constat de pause quotidienne d’une durée exagérée (N) ; contestation dans la fixation des vacances (O).

S’y ajoutaient : attitude empreinte de défiance, de moqueries, voire d’agressivité, notamment lors de l’évaluation du 5 mai 2020 à l’égard d’F______, celui-ci se disant extrêmement choqué des menaces à son encontre (A) et de nouvelles plaintes de collègues « commencent à remonter aux oreilles de Monsieur F______ » (B) ;

d. Sous la plume d’un syndicat, A______ a transmis à J______ ses remarques sur le procès-verbal de la séance du 19 mai 2020.

e. À réception du rapport du GdC, cette dernière a demandé à C______ de lui faire une note à propos de plusieurs personnes, incluant A______, et de conclure à l’ouverture d’une enquête administrative à son encontre.

f. Dans une note du 3 juin 2020, C______ a demandé l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de A______. Les arguments étaient développés sur six pages et 21 pièces étaient annexées.

g. Le 5 juin 2020, J______a sollicité d’M______, secrétaire général adjoint, l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de A______ en vue de son licenciement pour motifs objectivement fondés.

Depuis son entrée en fonction, le comportement de celui-ci était une source de problèmes et affectait non seulement ses collègues, mais aussi sa hiérarchie. Les problématiques n’étaient pas que d’ordre comportemental, mais aussi professionnel. Elle joignait le rapport du 3 juin 2020 établi par C______.

Elle développait les motifs. Au titre de preuves, elle se référait à la note du 3 juin 2020 de C______ et à ses annexes, précisant qu’E______ et F______ détenaient de nombreuses informations supplémentaires. Par ailleurs, « les préoccupations liées aux relations professionnelles de A______ avec ses collègues découlent également de la lecture du rapport du groupe de confiance ».

Les plaintes de A______ à l’encontre d’E______ étaient évoquées : sur la base des éléments portés à sa connaissance, le comportement de ce dernier n’était pas exempt de reproches, mais il n’était pas question de harcèlement moral ou sexuel. Il n’était pas exclu que A______ ait proféré des accusations aussi graves dans le but de nuire à E______.

Les collègues et la hiérarchie de l’intéressé étaient à bout. La situation continuait à se dégrader et « l’on » craignait une altercation physique. Il était également nécessaire de prendre des mesures afin d’éviter toute menace ou pression que A______ pourrait exercer sur ses collègues, comme une interdiction de site et de contacts. « Par ailleurs, vu les qualités de A______ et l’aspect très délicat de ses relations professionnelles avec ses collègues et sa hiérarchie, il semblerait opportun de confier cette enquête à une personne choisie à l’extérieur de l’administration municipale. En outre, vu les difficultés d’ordre relationnel et la personnalité particulière de A______ qui génère de la crainte, des mesures particulières à l’égard des témoins, notamment lors des auditions, sembleraient nécessaires ».

Était joint le rapport de C______.

F. a. Par décision du 26 août 2020, une enquête administrative a été ouverte à l’encontre de A______. Au vu des pièces du dossier, il apparaissait que ce dernier n’entretiendrait pas des relations dignes et respectueuses avec les autres membres du personnel, ne donnerait pas satisfaction dans l’exécution de ses tâches, ni ne justifierait la considération et la confiance dont les employés de la ville devaient être l’objet. En l’état du dossier, dix complexes de faits étaient mentionnés.

b. L’enquête a été conduite par deux juristes du service juridique de la ville.

Les auditions se sont déroulées entre le 8 septembre 2020 et le 24 septembre 2021. A______ a été entendu lors de sept audiences de comparution personnelle. F______ a été entendu à sept reprises en qualité de témoin. Vingt témoins ont été entendus dont neuf, F______ compris, à plusieurs reprises. Le dossier comprend 42 procès-verbaux d’auditions.

Le rapport concluait que la plupart des griefs apparaissaient réalisés. Trois ne l’étaient pas. De l’avis de la direction du LOM, le comportement de l’intéressé était problématique de longue date pour le fonctionnement du service. Le lien de confiance apparaissait être rompu et le point de non-retour atteint. Il devait toutefois être tenu compte, s’agissant des difficultés relationnelles entre A______ et sa hiérarchie, de la présence épisodique de la direction du LOM auprès des employés travaillant sur le site de Saint-Georges, de l’absence de participation de A______ à la fabrication d’une poupée ayant conduit au licenciement d’un autre employé et au passif ancien entre l’intéressé et son supérieur, E______, lequel avait, à quelques reprises, adopté une attitude inappropriée à l’égard de A______, « semble-t-il en lien avec le fait qu’il semblait être "à bout" ». Les enquêteurs soulignaient que si A______ avait déjà fait l’objet d’une enquête administrative en 2010, à la suite de laquelle il avait été sanctionné par un blâme le 17 mars 2011, il était âgé de 55 ans, membre du personnel de la ville depuis 31 ans et que la qualité de son travail était unanimement appréciée.

A______ a déposé des observations le 15 mars 2022.

Le rapport a été rendu le 25 mars par 2022 et transmis à l’intéressé par pli du 30 mars 2022. Un délai au lundi 18 avril lui était accordé pour éventuelles observations. Par pli du 12 avril, le conseil de A______ a relevé n’avoir reçu le rapport que le 5 avril. Le délai imposé arrivait à échéance un jour férié et ne laissait que sept jours ouvrables pour faire valoir des observations alors que les enquêteurs avaient mis plus de six mois pour rédiger leur rapport. De surcroît, A______ venait de perdre son père. Une prolongation du délai au 30 mai était sollicitée. L’intéressé a déposé des observations dans le délai prolongé au 16 mai 2022.

c. À sa demande, A______ a été entendu le 8 juin 2022 par une délégation du Conseil administratif (ci-après : CA) composée de N______, conseillère administrative, et d’M______. Il a déposé des observations supplémentaires à cette occasion.

G. a. Le 15 juin 2022, la ville a licencié A______. Par décision séparée du même jour, elle a rejeté sa demande de récusation à l’encontre de I______ formulée le 16 mai 2022.

b. Par arrêt du 23 août 2022, la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative) a admis le recours formé à l’encontre de la décision sur récusation et renvoyé la cause à la ville. Il était essentiel que la détermination de la conseillère administrative soit communiquée au recourant. La réparation de ce vice devant la chambre administrative n’était pas envisageable.

c. Le 7 septembre 2022, dans la mesure où la demande de récusation était à nouveau pendante devant le CA, la ville a retiré sa décision de résiliation des rapports de service du 15 juin 2022 et maintenu la suspension de l’activité de l’intéressé.

d. Statuant à nouveau, la ville a rejeté la demande de récusation de I______ par décision du 28 septembre 2022.

La chambre administrative a rejeté le recours interjeté contre cette décision par arrêt du 20 décembre 2022 (ATA/1281/2022). La cause est actuellement pendante devant le Tribunal fédéral. 

H. a. Par décision du 28 septembre 2022, le CA a résilié l’engagement de A______ pour le terme du 31 mars 2023 conformément à l’art. 34 al. 1 let. c du statut du personnel de la ville de Genève du 29 juin 2010 (LC 21 151 ; ci-après : le statut). Il était libéré de son obligation de travailler.

Il avait contrevenu notamment aux art. 82, 83 let. a) et c), 84 let. a), c), f) et g) du statut ainsi qu’à la directive relative à l’utilisation des systèmes d’information et des communications.

À teneur des conclusions du rapport :

- « Monsieur A______ a eu, à réitérées reprises, un comportement propre à créer de la souffrance et du désarroi parmi ses collègues de travail, dans la mesure où il pouvait leur lancer des piques, des insultes, des remarques désobligeantes ou sarcastiques, voire des menaces, ainsi qu’élever la voix, vociférer et se disputer avec eux ;

- il a adopté un comportement similaire vis-à-vis de sa hiérarchie, dans la mesure où il pouvait lui manquer de respect et agir de manière agressive, menaçante, défiante et contestataire ;

- son attitude a contribué à la création de clans au sein de l’UAG, lesquels ont été la source de tensions parmi certains employés conduisant, parfois, un climat délétère au sein du LOM ;

- il a, à plusieurs reprises, laissé les locaux de l’atelier sales et en désordre, de sorte à créer une situation de risque pour les autres menuisiers ainsi qu’une entrave au bon fonctionnement de la menuiserie ;

- il lui est arrivé d’accomplir, de façon occasionnelle, quelques activités à caractère privé, mais d’importance mineure, pendant ses heures de travail, sans recevoir d’autorisation de sa hiérarchie pour ce faire ;

- Monsieur A______ n’a pas respecté les intérêts de la Ville de Genève dans son utilisation du téléphone professionnel ;

- il a manqué de soin dans l’utilisation d’un véhicule de service et de machines de la menuiserie, ayant également employé celle-ci, occasionnellement, pour des travaux à caractère privé ;

- les agissements de Monsieur A______ ont persisté, en dépit de lettres de recadrage, de rappels à l’ordre de la direction du LOM ou de ses supérieurs, de ses entretiens périodiques et du plan de progrès mis en œuvre en novembre 2019 ;

- son comportement n’est pas compatible avec son statut d’employé de la ville.

Il ressort également du rapport d’enquête que [A______] accorde peu d’importance aux remarques de sa hiérarchie et qu’il manifeste une forme d’opposition à son égard, attitude s’exprimant notamment lors de la planification de ses vacances, l’accomplissement de ses tâches ou encore sur le plan de l’entretien et l’usage de son véhicule de service.

Il sera en outre relevé que A______ a déjà été sanctionné par un blâme en 2011, à la suite d’une première enquête administrative portant, en partie, sur des griefs similaires, et qu’il a fait l’objet de plusieurs recadrages au cours de ces dernières années, lesquels n’ont cependant pas ou peu été pris en considération par lui. De plus, il n’a pas adopté à l’égard de sa hiérarchie le comportement qu’elle eût été en droit d’attendre de sa part dans le cadre du déroulement de son plan de progrès.

Finalement, il apparaît que le lien de confiance avec sa hiérarchie semble irrémédiablement rompu.

Il ressort ainsi de ce qui précède que l’attitude de [A______] à l’égard de certains de ses collègues ainsi qu’avec ses différents supérieurs hiérarchiques successifs, son rapport conflictuel à l’autorité, ainsi qu’à teneur des autres griefs établis par le rapport d’enquête ont non seulement eu des répercussions sur les personnes concernées, mais se sont également révélés préjudiciables à la bonne marche du service et de ce fait aux intérêts de la Ville de Genève. »

Les mesures d’instruction complémentaire étaient rejetées, à l’instar de la demande de répétition des auditions s’étant tenues par vidéoconférence. L’intéressé et ses avocats avaient été présents à toutes les audiences et avaient participé activement, en procédant notamment à l’interrogatoire direct des témoins. Après la levée des limitations dues à la situation sanitaire, A______ avait pu auditionner à nouveau deux témoins.

I. a. Par acte du 31 octobre 2022 A______ a interjeté recours devant la chambre administrative. Il a conclu à l’annulation de la décision, à sa réintégration à son poste, respectivement à un poste équivalent en termes notamment de rémunération. Subsidiairement, l’autorité intimée devait être condamnée à lui verser une indemnité correspondant à 24 mois de son dernier traitement brut, comprenant le 13e salaire au prorata du nombre de mois fixés, à l’exclusion de tout autre élément de rémunération, avec intérêts à 5 % l’an. Préalablement, la procédure devait être suspendue jusqu’à droit connu dans la cause portant sur la récusation de I______. Dès la reprise de l’instance, il devait être ordonné au CA de produire : a) le dossier intégral de la cause, y compris le dossier administratif complet du recourant ; b) le procès-verbal de la séance du CA au cours de laquelle la décision querellée avait été adoptée ; c) le procès-verbal et/ou le compte rendu de la séance de la délégation du CA du 8 juin 2022, respectivement tout échange entretenu entre les membres de l’autorité intimée et la délégation précitée dans le cadre de ladite séance, respectivement avant ou après celle-ci ; d) la procédure d’enquête et/ou les démarches d’investigation menée à l’encontre d’F______. L’ouverture d’enquête devait être ordonnée ainsi que la convocation d’une audience de comparution personnelle des parties répondant aux réquisits de l’art. 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) ainsi que l’audition de témoins.

Il développait plusieurs griefs.

b. Après un échange d’écritures, la présidence de la chambre administrative a, par décision du 24 janvier 2023, rejeté la requête en restitution de l’effet suspensif.

c. La ville a conclu au rejet du recours.

d. Dans sa réplique, le recourant a persisté dans ses conclusions.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

J. a. Le contenu des pièces sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt, sous les précisions suivantes :

b. Il ressort d’un procès-verbal réunissant la commission du personnel et la direction du LOM du 11 février 2021 que la séance avait pour objet diverses doléances au sein de l’UAG avec la crainte que la situation ne dégénère. Les trois représentants du personnel, à savoir O______, P______et Q______, ont indiqué que l’arrivée d’F______ n’avait « pas arrangé les choses », des remarques étaient faites par certains employés et concernaient notamment sa manière de s’adresser à l’équipe, avec un manque de politesse/de respect/de retenue ; des insinuations négatives sur la vitesse et la qualité du travail ; des accusations sans preuve sur des détériorations ou vol ; le style était trop directif ; il y avait du favoritisme avec certains qui seraient les seuls à « savoir bosser ».

Selon un procès-verbal d’une séance réunissant la commission du personnel et la direction du LOM du 2 septembre 2021, les tensions au sein du LOM étaient récurrentes. Le 3 novembre 2021, le représentant du personnel a précisé que, depuis la dernière séance avec la magistrate, il n’y avait eu aucune amélioration. La commission du personnel annonçait un préavis de grève. Il était à nouveau fait état de diverses plaintes relatives à F______. « Apparemment », il insultait les collaborateurs. C______ avait indiqué ne pas cautionner des propos tels que « grâce à tes enculés de collègues » que lui rapportait un représentant du personnel. Il prendrait les dispositions nécessaires. Les personnes concernées par ces violences verbales ne voulaient pas se mettre en avant et dénoncer de façon officielle. Elles avaient peur des représailles. Il s’interrogeait sur les clans de l’UAG. E______ avait précisé que le problème d’F______ serait repris entre cadres. Il proposait à la commission du personnel d’informer les collaborateurs victime de harcèlement de se rendre au groupe de confiance.

c. Il ressort des pièces produites, qui n’ont pas été soumises aux témoins suite au refus des enquêteurs, des extraits d’un compte électronique privé d’F______ appelant à la désobéissance civile en lien avec la pandémie de
Covid-19 ou relayant des extraits et photos issus du IIIe Reich.

d. Il ressort notamment des auditions que :

- selon F______, la saisine par A______ du GdC était inappropriée : il aurait dû interpeller la responsable RH du département ; la confrontation entre E______ et A______ était récurrente et ancienne ; il y avait de l’animosité et de la rancune dans leurs discussions et confrontations ; E______ faisait des réflexions ironiques ou montait le ton, avec tout le monde, quand le travail ou les ordres n’étaient pas exécutés correctement : « Vous ne voulez pas que je fasse le travail à votre place ? » ; « Vous ne voulez pas encore que je vous cire les godasses ? » ; F______ avait déposé, en juin 2021, une main courante contre A______, sujet selon lui à des crises clastiques ; ce dernier l’aurait suivi, pris en photo et filmé le 7 juin 2021, alors qu’il prenait un café. Il s’agissait d’une étape supplémentaire visant à sa déstabilisation ;

- C______ a indiqué qu’à la lecture du rapport du GdC, J______ lui avait demandé un état des lieux sur plusieurs dossiers, dont celui de A______ ; elle « avait souhaité qu’[il] conclue son rapport en demandant l’ouverture d’une enquête administrative » ; il n’avait pas été particulièrement choqué par les propos : « Tu veux perdre ton emploi en ville de Genève ? » tenus par A______ lors de la séance du 5 mai 2020 ; lors de la même séance, il n’avait pas compris pourquoi F______ avait fait des reproches à A______  remontant à fin 2019, soit cinq mois auparavant ;

- J______ n’avait pas souvenir, étant notamment absente à cette période, de mesures prises pour éviter des représailles à l’encontre de A______, suite à sa déposition le 19 juillet 2019 ; elle n’avait pas souvenir d’avoir donné une instruction à C______ de solliciter l’ouverture d’une enquête administrative contre A______ ; elle ne se souvenait pas d’avoir vu le courriel du 20 janvier 2020 de B______ évoquant les propos d’F______ : « Je vais leur casser la gueule même si je dois me faire virer de la ville » en parlant des menuisiers, celui-là rappelant qu’F______ avait déjà accusé le personnel d’avoir crevé le pneu d’un véhicule de service avec des aiguilles et menacé de « foutre dehors cinq personnes », dont quatre citées nommément ; J______ estimait que A______ mettait en péril l’UAG ; le GdC préconisait notamment des mesures organisationnelles et de cadrage de la situation de manière générale ; la souffrance générée par A______ lui avait été rapportée par la direction du LOM et F______ ;

- O______, ami de A______ et d’F______, a été extrêmement critique avec E______ et F______, les accusant de colporter de fausses informations ; lors de la séance d’évaluation de A______ en 2013, à laquelle O______ assistait comme membre de la commission du personnel, E______ avait dit : « les choses les plus abjectes qu’il ait trouvées, méchantes, basses dans le but certainement que
A______ lui mette son poing dans la figure » ; « j’ai cru que A______ allait avoir une attaque d’apoplexie, du coup, A______ s’est levé et est sorti, et dans la cour, il s’est mis à crier car il était tellement en rage » ; « E______ souriait comme s’il était content de lui » ; E______« déversait sa haine uniquement sur A______ » ;

- les enquêteurs ont soupçonné une collusion entre certains témoins ; des allégations de rencontres avant les audiences alors que cela avait été interdit ont été évoquées par certains et contestées ; des allégations d’ « entente » entre les personnes opposées à A______ ont aussi été émises par des témoins ;

- R______, chef de section infrastructure auprès du Service d’incendie et de secours (ci-après : SIS), recommanderait A______ à d’autres services, le remplacement effectué par ce dernier du 7 avril au 3 mai 2020, pour renforcer son service pendant la période du Covid-19 s’étant parfaitement bien déroulé, sous tous les aspects, bienfacture du travail, relations avec les collègues et la hiérarchie, entretien du matériel, propreté des locaux, respect des horaires, etc  ;

- plusieurs témoins ont indiqué que A______ ne posait pas de problèmes dans le service.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le recourant sollicite préalablement la suspension de la procédure jusqu’à droit jugé dans la cause actuellement pendante devant le Tribunal fédéral portant sur la récusation de la magistrate du CA. L’admission aboutirait à l’annulation de la décision de licenciement, en raison de la violation des règles sur la récusation et la composition incorrecte de l’autorité, vice non susceptible de réparation.

La décision devant être annulée pour d’autres motifs, conformément aux considérants qui suivent, il n’est pas nécessaire de suspendre la présente procédure. Pour ces mêmes motifs, le principe de coordination entre ces deux procédures n’est pas violé.

3.             Le recourant sollicite divers actes d’instruction, soit l’apport du dossier intégral de la cause, y compris son dossier administratif complet, le procès-verbal de la séance du CA au cours de laquelle la décision querellée a été adoptée, le procès-verbal de la séance du 8 juin 2022, respectivement tout échange entretenu entre les membres de l’autorité intimée et la délégation précitée dans le cadre de ladite séance, avant ou après celle-ci, la procédure d’enquête et/ou les démarches d’investigation menées à l’encontre d’F______, l’ouverture d’enquêtes, la convocation d’une audience de comparution personnelle des parties répondant aux réquisits de l’art. 6 CEDH et l’audition de témoins.

Il se plaint par ailleurs que son droit d’être entendu aurait été violé à plusieurs titres. La décision ne répondrait pas aux exigences en matière de motivation. La ville aurait rejeté de manière arbitraire les réquisitions de preuve. Enfin, il n’avait jamais reçu le procès-verbal de la séance du 8 juin 2022, ni le compte rendu de celui-ci qui avait nécessairement été transmis à la ville.

En l’espèce, les actes d’instruction ne sont pas nécessaires et le grief de violation du droit d’être entendu souffrira de rester indécis compte tenu des considérants qui suivent.

4.             Le recourant conteste son licenciement.

4.1 Après la période d'essai, un employé peut être licencié, par décision motivée du CA, pour motif objectivement fondé pour la fin d'un mois, moyennant un délai de préavis de six mois dès la onzième année de service (art. 34 al. 1 statut).

4.2 Le licenciement est contraire au droit s'il est abusif au sens de l'article 336 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) ou s'il ne repose pas sur un motif objectivement fondé. Est considéré comme objectivement fondé tout motif dûment constaté démontrant que les rapports de service ne peuvent pas se poursuivre en raison soit de, notamment : a) l'insuffisance des prestations ; b) un manquement grave ou répété aux devoirs de service ; c) l'inaptitude à remplir les exigences du poste (art. 34 al. 2 statut).

Lorsqu'il s'avère qu'un membre du personnel est passible d'un licenciement au sens de l'art. 34 al. 2 let. a à c statut, le CA ouvre une enquête administrative qu'il confie à une ou plusieurs personnes choisies au sein ou à l'extérieur de l'administration municipale au sens de l'art. 97 (al. 1). Dans les cas de licenciement fondés sur les art. 30, 32 et 34, la personne intéressée peut demander à être entendue oralement par une délégation du CA. La personne intéressée a le droit de se faire assister (al. 3). Lorsque le licenciement a été précédé d'une suspension, il peut, si les conditions de l'art. 30 sont remplies, être prononcé avec effet à la date de la suspension (art. 99).

4.3 En l’espèce, il n’est pas contesté que le délai de six mois de l’art. 32 al. 1 statut est respecté.

Le motif fondé invoqué dans la lettre de licenciement consiste en une inaptitude à remplir les exigences du poste (art. 34 al. 2 let. c statut). Dans sa réponse devant la chambre de céans, la ville a développé sa position en application de la let. b, soit un manquement grave ou répété aux devoirs de service. L’autorité intimée ne fait aucun développement sur une éventuelle inaptitude du recourant à remplir les exigences du poste.

La jurisprudence admet la substitution de motif devant la chambre de céans et la validité d’une résiliation pour motif fondé pour un autre motif que celui invoqué par l’autorité (ATA/1168/2022 du 22 novembre 2022 consid. 7).

4.4 Se pose la question de l’existence d’un motif fondé.

4.4.1 La décision querellée énumère huit griefs, le neuvième consistant à conclure que « son comportement n’est pas compatible avec son statut d’employé de la ville ». Elle reprend huit des dix complexes de fait soumis aux enquêteurs, deux n’étant pas établis.

La description de chacun des griefs est la reprise textuelle des conclusions du rapport d’enquête. Toutefois, les autres éléments de faits mentionnés dans les conclusions dudit rapport, en faveur du recourant, n’ont été ni évoqués dans la décision querellée ni a fortiori analysés : il s’agit de la présence épisodique de la direction du LOM auprès des employés travaillant sur le site de Saint-Georges, de l’absence de participation du recourant à la fabrication de la poupée ayant conduit au licenciement d’un autre employé et « au passif ancien entre l’intéressé et son supérieur, E______, lequel a, à quelques reprises, adopté une attitude parfois inappropriée à l’égard du recourant, semble-t-il en lien avec le fait qu’il semblait être "à bout". L’autorité intimée n’indique pas non plus que ces éléments factuels ne seraient pas pertinents.

De même, le paragraphe conclusif du rapport selon lequel : « les enquêteurs souligneront également que l’intéressé est âgé de 55 ans, qu’il est membre du personnel de la Ville de Genève depuis 31 ans et que la qualité de son travail est unanimement appréciée » n’a pas fait non plus l’objet ni d’une mention ni d’une analyse dans la décision.

Dans ces conditions, cette absence de prise en compte d’éléments pertinents, que les enquêteurs ont pourtant mis en évidence dans les conclusions, relève à tout le moins d’un défaut de motivation, voire d’un établissement incomplet des faits pertinents.

4.4.2 Par ailleurs, en reprenant textuellement une partie, exclusivement à charge, des conclusions de l’enquête, l’autorité intimée n’a procédé à aucune analyse critique du rapport de 39 pages qui lui avait été soumis après l’audition de 20 témoins, certains ayant été entendus à plusieurs reprises après plus d’une année d’enquête et de nombreux incidents procéduraux.

Les enquêteurs, pour établir les faits, se sont fondés sur des documents, les interrogatoires et renseignements des parties ainsi que des témoignages et renseignements de tiers conformément à l’art. 20 al. 2 let. A à c LPA. Il leur appartenait toutefois, conformément à l’art. 20 al. 1 LPA, d’apprécier les moyens de preuve des parties. Or, tel n’a pas été le cas. Pour chacun des griefs analysés, ils ont rappelé les pièces, à charge, au dossier, le contenu de l’audition de chaque témoin sur la problématique avant de considérer le fait comme établi ou non. Ils n’ont en revanche pas procédé à une appréciation des différents témoignages. Il suffisait que certains d’entre eux soient à charge pour qu’il soit considéré que le complexe de faits reprochés au recourant était établi. Aucune discussion, ni générale, ni à propos de chacun des griefs, n’a été effectuée quant à la valeur probante de chacun des témoignages. Or, il aurait fallu analyser la pondération ou la crédibilité donnée à chacun d’entre eux compte tenu, par exemple, du fait qu’il s’agissait de propos rapportés par un tiers, examiner la position du tiers en question par rapport au recourant et la problématique, ou déterminer la pertinence du témoignage en fonction du lien ou du rôle du témoin. En effet, ceux-ci différaient selon qu’il s’agissait de B______, binôme du recourant, de D______ et C______, binôme opposé au recourant, S______, ancien supérieur du recourant relatant des faits antérieurs à 2015, O______, membre de la commission du personnel ou de ses supérieurs, notamment F______ ou E______.

Cette analyse aurait été d’autant plus importante qu’elle s’inscrivait dans un contexte de conflits interpersonnels importants et un système manifestement clanique au sein du LOM. Or, si ce contexte a, à quelques reprises, été évoqué par les enquêteurs, il n’a pas fait l’objet d’un établissement des faits suffisant et complet, notamment sur les allégations que la hiérarchie participait ou en tous les cas était impliquée dans ce système de clans, ce que certains indices confirmeraient.

Si, certes, l’enquête administrative devait porter sur les faits reprochés au recourant, l’établissement de ceux-ci nécessitait de les appréhender dans leur contexte, ce que les enquêteurs n’ont fait que partiellement en évoquant par exemple, dans la conclusion, l’épisode de la poupée, source à l’origine de tensions importantes entre A______ et son chef d’unité, E______.

À cela s’ajoute que les tensions importantes vécues au sein du service datent de nombreuses années sans avoir été résolues par les responsables hiérarchiques. Si une intervention en 2013 est évoquée, il n’est pas fait mention de prise en main de la problématique par le département à la suite de l’échec de cette mesure. De même, si le rapport d’enquête évoque l’absence d’entretiens d’évaluation au sein du service pendant de nombreuses années, cette déficience institutionnelle n’est à aucun moment pondérée en faveur du recourant, alors même que son importance avait été mise en évidence dans le rapport de 2013 de l’unité de psychologie du travail de la DRH. Le rapport cite par ailleurs des faits remontant jusqu’en 1993, sans les nuancer en fonction de l’écoulement du temps, à condition encore qu’ils puissent être pertinents, voire pris en considération. L’évocation du « nombre assez fourni d’écrits divers et variés » « tout au long [du parcours du recourant ] en Ville de Genève » est assez symptomatique : y sont mentionnés, sur un même plan, deux plaintes d’un collègue datant de plus de 15 ans, la séance du 11 juillet 2019 avec la direction du département à la demande du GdC, ainsi que huit « rappels à l’ordre » « rappel des règles » et « communication adressée à la direction du LOM ou à celle du département ou à la DRH, par F______ », postérieurement à la dénonciation du 11 juillet 2019 précitée. À ce titre, si l’existence d’une plainte du recourant auprès du GdC est évoquée, aucun examen n’est effectué des conséquences de l’incitation du GdC auprès du recourant à s’ouvrir de ses difficultés relationnelles à sa hiérarchie. Par ailleurs, aucune suite ne semble avoir été donnée par la direction du département à cette impulsion, pourtant apparemment voulue par le GdC. Ainsi, l’audition de K______ a été refusée par les enquêteurs alors qu’il aurait pu être pertinent de savoir quelles mesures avaient été prises à la suite de la dénonciation, voire si aucune ne l’avait été, les raisons de cette situation.

De même, si le rôle du recourant au sein de la commission du personnel depuis l’automne 2011 et sa présidence de mars 2016 à juin 2020 sont évoqués, les implications de ce rôle dans le contexte précité de tensions ne sont pas abordées.

En conséquence, en l’absence de toute pondération des témoignages, il doit être retenu que les faits ont été établis de façon incomplète dans le rapport d’enquête et a fortiori dans la décision querellée qui a même épuré les quelques nuances et éléments contextuels retenus par les enquêteurs.

Il est d’ailleurs révélateur que lorsque l’établissement des faits a pu s’effectuer non seulement en fonction de témoignages, mais aussi sur la base de données objectives, telles que des extractions de données, les enquêteurs ont considéré que, malgré des témoignages défavorables au recourant, le grief ne pouvait pas être retenu à son encontre, à l’instar du grief portant sur les heures optionnelles, sur la planification des vacances ainsi que sur la durée des pauses. Ce constat conforte l’importance, dans le présent dossier, au vu des tensions et du contexte conflictuel du LOM, de procéder à une analyse critique de chaque témoignage et de les mettre en perspective.

Sans nier qu’il puisse exister des difficultés de collaboration avec le recourant, à l’instar de plusieurs autres personnes au sein du service, il ne peut être sans autre conclu, à l’issue de l’enquête administrative, que le recourant aurait adopté un comportement pouvant manquer de respect envers sa hiérarchie et agir de manière agressive, menaçante, défiante et contestataire (grief 2) ou que son attitude a contribué à la création de clans au sein de l’UAG, lesquels ont été la source de tensions parmi certains employés conduisant, parfois, à un climat délétère au sein du LOM (grief 3) sans que ces griefs ne soient contextualisés. Certains autres reproches et griefs doivent être relativisés d’une part quant à la gravité de l’éventuel manquement, à l’instar pour l’exemple le plus évident, de l’utilisation en décembre 2013 et juillet 2019 de la photocopieuse à des fins privées ou de l’écoulement du temps notamment.

Dans ces conditions, en l’absence d’appréciation des moyens de preuve et de l’établissement du contexte précis, il ne peut être retenu, comme le conclut le rapport, que les faits sont établis conformément à l’art. 20 LPA.

La décision querellée, se limitant à reprendre les conclusions, sans même évoquer le début du contexte mentionné dans le rapport, ne remplit a fortiori pas la condition d’un établissement des faits pertinents exact et complet, au sens de l’art. 61 al. 1 let. b LPA. La décision querellée est en conséquence contraire au droit.

5.             Le recourant considère que le licenciement était de surcroît injustifié et abusif. Il relèverait d’un abus du pouvoir d’appréciation, d’une appréciation arbitraire des preuves et d’une violation de l’art. 32 al. 1 Cst ce qui justifiait sa réintégration obligatoire en application de l’art. 106 statut.

5.1 Selon l’art. 105 statut, si la chambre administrative de la Cour de justice retient qu'un licenciement est contraire au droit, il peut proposer au CA la réintégration de la personne intéressée. D'un commun accord, les parties peuvent convenir d'un transfert de la personne intéressée dans un poste similaire (al. 1). En cas de refus du CA, la chambre administrative alloue à la personne intéressée une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à 3 mois et supérieur à 24 mois du dernier traitement brut. (al. 2). En lieu et place de la réintégration, la personne intéressée peut demander le versement d'une indemnité. La chambre administrative alloue à la personne intéressée une indemnité dont le montant se calcule comme suit, pour les cas autres que les licenciements immédiats sans juste motif, y compris en cas de licenciement abusif, un montant qui ne peut être inférieur à 3 mois et supérieur à 12 mois du dernier traitement brut (al. 4 let. b).

5.2 En dérogation avec l'art.105 statut, lorsque le licenciement contraire au droit est également abusif au sens de l'art. 336 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) ou des art. 3 ou 10 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (loi sur l’égalité, LEg - RS 151.1) ou sans juste motif au sens de l'art. 30, la chambre administrative annule le licenciement et ordonne la réintégration de la personne intéressée.

5.3  Aux termes de l'art. 336 CO, le congé est abusif notamment lorsqu'il est donné par une partie pour une raison inhérente à la personnalité de l'autre partie, à moins que cette raison n'ait un lien avec le rapport de travail ou ne porte sur un point essentiel un préjudice grave au travail dans l'entreprise (let. a), en raison de l'exercice par l'autre partie d'un droit constitutionnel, à moins que l'exercice de ce droit ne viole une obligation résultant du contrat de travail ou ne porte sur un point essentiel un préjudice grave au travail dans l'entreprise (let. b), seulement afin d'empêcher la naissance de prétentions juridiques de l'autre partie, résultant du contrat de travail (let. c), parce que l'autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail (let. d), parce que l'autre partie accomplit un service obligatoire, militaire ou dans la protection civile, ou un service civil, en vertu de la législation fédérale, ou parce qu'elle accomplit une obligation légale lui incombant, sans qu'elle ait demandé de l'assumer (let. e).

5.4 Est notamment abusif le congé donné par une partie parce que l'autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail (art. 336 al. 1
let. d CO). L'émission de ces prétentions doit avoir joué un rôle causal dans la décision de licenciement ; à tout le moins doit-il s'agir du motif déterminant (ATF 136 III 513 consid. 2.6 ; arrêt 4A_401/2016 du 13 janvier 2017 consid. 5.1.3).

L'abus peut en outre découler du fait que l'employeur exploite sa propre violation du devoir de protéger l'employé, découlant de l'art. 328 CO ; il peut en être ainsi, par exemple, lorsqu'il est confronté à un employé au caractère difficile et qu'il laisse une situation conflictuelle s'envenimer sans prendre les mesures adéquates pour l'atténuer, puis se prévaut de ce que l'ambiance est devenue préjudiciable au travail pour licencier le salarié apparaissant, en raison de son mauvais caractère, comme un fauteur de troubles (ATF 132 III 115 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_158/2010 du 22 juin 2010 consid. 3.2).

5.5 En l’espèce, si certes, le recourant travaille depuis 30 ans pour la ville, que la bien-facture de son travail n’est pas contestée, que les tensions au sein du service perdurent depuis de nombreuses années et que le dossier ne contient en l’état pas la démonstration que l’employeur ait pris des mesures efficaces pour protéger la personnalité des différents employés qui semblent être en souffrance dans ce service depuis longtemps, notamment de ceux qui n’exercent aucune responsabilité hiérarchique, il ressort des pièces du dossier, y compris de certains témoignages par exemple de S______, son ancien supérieur, voire même des évaluations faites depuis le début de son activité que le comportement de l’intéressé n’est pas exempt de tous reproches. Même si les faits n’ont pas été établis à satisfaction de droit, il ne peut être retenu que le recourant aurait été licencié pour l’un des motifs mentionnés aux let. a à e de l’art. 336 CO et que ce motif soit causal dans la fin des rapports de travail. De même, l’apparente demande de J______ à C______ de rédiger un rapport concluant à l’ouverture d’une enquête administrative, apparait critiquable mais porte sur la seule ouverture d’une enquête administrative et ne saurait suffire à considérer le licenciement comme abusif.

Le grief sera écarté.

5.6 Le recourant soutient que par le biais de l’art. 31 de la loi sur l'administration des communes du 13 avril 1984 (LAC - B 6 05), la réintégration serait obligatoire.

À teneur de l’art. 101 LAC, en cas de recours contre une résiliation des rapports de service, le statut du personnel peut prévoir une réglementation analogue à celle de l’art. 31 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05). Le statut du personnel peut également instituer une instance de recours spéciale pour connaître des litiges relatifs à son application.

En l’espèce, la chambre de céans a déjà jugé que le renvoi à la LPAC, outre qu’il offre une simple possibilité et n’impose pas une obligation aux communes, visait uniquement à donner une base légale à celles souhaitant prévoir en cas de résiliation des rapports de service un système analogue à celui alors prévu par l'art. 30 LPAC (ATA/587/2018 du 12 juin 2018  consid. 4).

Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis. La réintégration du recourant à son poste de menuisier au sein du LOM ou à un autre poste équivalent sera proposée. En cas de refus, la ville devra transmettre sa décision au recourant et à la chambre administrative pour que celle-ci fixe l'indemnité due.

6.             Le recourant obtient partiellement gain de cause dans la présente procédure. En conséquence, l'intimée supportera un émolument de CHF 500.- (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée au recourant, à charge de l'intimée (art. 87 al. 2 LPA).

7.             Compte tenu des conclusions du recours, la valeur litigieuse est supérieure à CHF 15'000.- (art. 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 [LTF - RS 173.110]).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 31 octobre 2022 par A______ contre la décision de la Ville de Genève du 28 septembre 2022 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

constate que la décision de résiliation des rapports de travail du 28 septembre 2022 est contraire au droit ;

propose la réintégration de A______au sein de la ville de Genève ;

ordonne à la ville de Genève, en cas de refus de procéder à cette réintégration, de transmettre immédiatement sa décision à la chambre administrative de la Cour de justice ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de la ville de Genève ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à A______, à charge de la ville de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat du recourant, ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Valérie LAUBER, Fabienne MICHON RIEBEN,
juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :