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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/322/2022

ATA/433/2023 du 25.04.2023 ( AIDSO ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/322/2022-AIDSO ATA/433/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 avril 2023

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______ recourant

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES intimé

 



EN FAIT

A. a. Monsieur A______, née le ______ 1956, est de nationalité syrienne. Il est marié depuis 1984 à Madame B______, née le ______ 1960 et également de nationalité syrienne.

b. Arrivé à Genève en 2013 en raison du conflit en Syrie, M. A______ a bénéficié d'une admission provisoire puis, dès 2019, d'une autorisation de séjour avec activité lucrative.

c. Il résulte des bordereaux de taxation 2018 des époux AB______ que l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a retenu pour le couple une fortune brute uniquement mobilière d'un montant total de CHF 4'107.-.

B. a. Le 27 avril 2021, M. A______ et son épouse ont rempli un formulaire de demande de prestations complémentaires (ci-après : PC) à l'assurance vieillesse et survivants (ci-après : AVS) et à l'assurance-invalidité (ci-après : AI) auprès du service des prestations complémentaires (ci-après : SPC).

Dans la rubrique dédiée à la fortune mobilière, ils ont mentionné trois biens immobiliers en Syrie, sans indiquer de valeur, à savoir « une maison à C______ que ma mère habite », « la maison familiale à C______ » et « part d'héritage des terres agricoles propriété de mon père – une parcelle de terrain agricole ».

b. Le 7 mai 2021, se référant à une décision du SPC du 4 mai leur refusant la mise au bénéfice de PC pour cause de durée insuffisante de résidence à Genève, M.  A______ et son épouse ont rempli un formulaire de demande d'aide sociale auprès du SPC, avec les mêmes indications s'agissant des biens immobiliers.

c. Le 20 mai 2021, le SPC a demandé aux époux AB______ la transmission de divers renseignements et pièces, notamment une déclaration de biens immobiliers (jointe en annexe) remplie, l'estimation officielle de la valeur vénale et l'évaluation de la valeur locative du marché (estimation par un architecte, un notaire ou un agent immobilier) pour l'année 2021 du bien immobilier de M. A______ en Syrie, ainsi que l'estimation officielle de la valeur vénale et l'évaluation de la valeur locative du marché (estimation par un architecte, un notaire ou un agent immobilier) pour l'année 2020 des terrains agricoles des époux AB______ en Syrie.

d. Le 21 juin 2021, le SPC a procédé à un rappel, les pièces précitées n'ayant pas été fournies.

e. Le 16 juillet 2021, les époux AB______ ont fourni au SPC diverses pièces, notamment :

-          une traduction, effectuée par une traductrice-jurée en Syrie, d'un extrait de propriété concernant l'appartement des époux AB______ à C______, dont ils étaient copropriétaires à parts égales ; l'appartement était situé au deuxième étage d'un immeuble et comprenait une entrée, un hall, quatre chambres, une cuisine, une salle de bains, un WC, deux greniers et deux balcons ;

-          une traduction, effectuée par une traductrice-jurée en Syrie, d'un extrait de propriété concernant l'appartement de la fratrie de M. A______ à C______, dont ce dernier était copropriétaire à raison d'un tiers, un autre tiers appartenant à son frère cadet et le dernier à sa sœur cadette ; l'appartement était situé au quatrième étage d'un immeuble et comprenait une entrée, un hall, cinq chambres, une cuisine, une salle de bains, un WC, un grenier, une buanderie et deux balcons ;

-          une traduction, effectuée par une traductrice-jurée en Syrie, d'un rapport d'expertise effectuée le 15 juin 2021 par Monsieur D_____, expert en évaluation immobilière ; le premier bien précité, situé rue ______ à E_____, d'une surface d'environ 160 m2, était évalué à SYP 500'000'000.- « seulement », et le second, situé rue ______ à F_____, d'une surface d'environ 140 m2, à SYP 150'000'000.- « seulement ».

Ils possédaient également deux terrains dans un village en Syrie, dans une région non sécurisée, rendant les démarches administratives pour obtenir le document demandé impossibles en l'état.

f. Le 1er août 2021, les époux AB______ ont fourni des pièces au SPC, notamment le formulaire de déclaration de biens immobiliers rempli, mentionnant les mêmes biens immobiliers que le formulaire de demande de prestations. Les deux appartements ainsi que le terrain agricole dont M. A______ était copropriétaire se situaient à C______, le terrain appartenant à Mme B______ à G_____.

g. Le 2 septembre 2021, le SPC a demandé des pièces aux époux AB______, toutes sauf une concernant la valeur de leurs biens immobiliers en Syrie – y compris les biens pour lesquels les intéressés avaient déjà fourni les pièces précitées le 16 juillet 2021.

h. Le 23 septembre 2021, les époux AB______ ont renvoyé les pièces déjà expédiées le 16 juillet 2021. Dans son courrier d'accompagnement, M. A______ a indiqué que leur appartement en Syrie était évalué à SYP 500'000'000.-, ce qui représentait, selon les estimations du jour, USD 145'000.-. La maison de sa mère était estimée à SYP 150'000'000.-, soit USD 43'500.-, dont il était propriétaire pour un tiers. Leur maison d'édition était fermée depuis le 5 novembre 2012, était un magasin loué, servant désormais de dépôt, dont le loyer annuel était de SYP 100'000.-, soit USD 30.-, mais il ne possédait pas de documents à ce sujet. Il possédait par héritage un quart de la terre de son père, les trois autres quarts appartenant à sa mère et à ses deux sœurs ; les terrains étaient situés dans la province de H_____, et en raison de la guerre il n'avait pas été possible d'effectuer les démarches de partage ni d'obtenir l'évaluation demandée. Il en allait de même pour le terrain appartenant à son épouse, située dans la même province. Il s'engageait à obtenir les documents manquants dès que l'occasion le permettrait.

i. Par décision du 1er novembre 2021, le SPC a rejeté la demande de prestations d'aide sociale, le montant de la fortune du couple étant supérieur aux normes légales en vigueur qui prévoyaient un maximum de CHF 10'000.-.

Il était retenu dans le tableau en annexe une fortune immobilière de CHF 400'995.65 (avec le commentaire : « lorsque des immeubles ou biens-fonds ne servent pas d'habitation au requérant ou à une personne comprise dans le calcul des PC, la valeur de ces biens prise en compte correspond à leur valeur vénale »), ainsi que des produits de biens immobiliers de CHF 18'919.70 (avec le commentaire : « lorsque des immeubles ou biens-fonds ne servent pas d'habitation au requérant ou à une personne comprise dans le calcul des PC, le revenu pris en compte correspond aux loyers encaissés ou à un revenu déterminé sur la base de la valeur du bien selon le taux forfaitaire de l'AFC-GE »).

j. Le 29 novembre 2021, les époux AB______ ont formé opposition à la décision précitée. Ils avaient déjà dépensé leur épargne. Leurs biens immobiliers en Syrie étaient inaccessibles ; l'immobilier n'avait aucun intérêt.

k. Par décision du 16 décembre 2021, le SPC a rejeté l'opposition.

Les époux AB______ avaient expliqué que leurs biens sis en Syrie ne pouvaient pas être utilisés, de sorte qu'il ne fallait pas en tenir compte dans le calcul. Le SPC avait converti la valeur des biens immobiliers au moment de la demande, soit au 22 octobre 2021, représentant un montant de plus de CHF 360'000.- pour l'appartement appartenant au couple et CHF 109'000.- pour la maison de la mère de M. A______, dont ce dernier était cohéritier.

Par ailleurs, il ne ressortait pas de leurs explications qu'une mise en vente ou en location seraient impossibles, de sorte que le SPC n'avait d'autre choix que de tenir compte de ces biens immobiliers pour le calcul du droit à l'aide sociale.

C. a. Par acte posté le 27 janvier 2022, M. A______ s'est adressé à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en disant vouloir former un recours contre la décision précitée, et en demandant l'octroi d'un délai pour le compléter car il venait de sortir de l'hôpital.

b. Dans le délai accordé par le juge délégué à ces fins, M. A______ a complété son recours, sans prendre de conclusions formelles.

En 2020, il avait fondé I_____ Sàrl, une librairie en ligne, mais la crise sanitaire avait freiné ses projets. Depuis avril 2021, il était à la retraite et recevait un montant mensuel de CHF 164.-. Vu qu'il ne voulait pas demander l'aide sociale, dans l'espoir de mener à bien son projet de librairie en ligne, il avait présenté une demande de prestations complémentaires à l'AVS/AI, fournissant les informations nécessaires sur le salaire de son épouse, leurs dépenses à Genève et leurs biens immobiliers en Syrie.

Ces derniers étaient au nombre de trois. Le premier était un appartement à C______, qu'il possédait en copropriété avec son épouse, bien d'une valeur de CHF 125'000.-. Malheureusement il n'était pas possible de trouver d'acheteur ni de locataires en Syrie à cause de la crise économique. Le deuxième était l'appartement de sa mère à C______, dont il était propriétaire pour un tiers avec ses deux frères, mais qui était occupé par leur mère. La valeur totale de ce bien était de CHF 39'000.-. Il y avait également deux terrains à G_____, un village syrien à la frontière de la Turquie, et donc dans une zone dangereuse en raison des conflits continus, rendant les terrains sans valeur pour le moment et l'obtention de documents officiels impossible.

La situation l'obligeait à demander des prestations complémentaires, mais il faisait de grands efforts pour continuer à exercer sa profession d'origine, soit comme éditeur.

c. Le 16 février 2022, le juge délégué a imparti un délai à M. A______ pour indiquer s'il entendait bien faire recours dès lors qu'il ne prenait pas de conclusions formelles et déclarait ne pas souhaiter demander l'aide sociale, alors que la décision attaquée portait sur l'aide sociale et que la chambre administrative n'était pas compétente en matière de prestations complémentaires.

d. Le 8 mars 2022, M. A______ a informé la chambre administrative qu'il souhaitait recourir afin de bénéficier de l'aide sociale versée par le SPC.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, en l'absence de ressources disponibles ou réalisables à court terme, ce qui n'était en général pas le cas des biens-fonds, l'intéressé devait être considéré comme étant dans le besoin. Dans son cas, la situation en Syrie rendait impossible la vente ou la location des biens immobiliers litigieux, et il lui était donc nécessaire de bénéficier de l'aide sociale le temps de lui permettre d'être financièrement indépendant.

e. Le 29 juillet 2022, le SPC a conclu au rejet du recours. M. A______ n'invoquait dans son écriture aucun argument nouveau, ni n'apportait de nouvel élément susceptible de conduire à une appréciation différente du cas.

f. Invitées à présenter toutes requêtes ou observations complémentaires, les parties ne se sont pas manifestées, si bien que la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et art. 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 52 de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 - LIASI - J 4 04).

Il convient de préciser que si l'Hospice général est le principal organe d'exécution de la LIASI (art. 3 al. 1 LIASI), il n'est pas le seul puisque le SPC gère et verse les prestations d'aide sociale pour certaines personnes, notamment celles en âge AVS – c'est le cas du recourant –, au bénéfice d'une rente AI ou au bénéfice de prestations complémentaires familiales (art. 3 al. 2 LIASI), ce qu'il fait pour le compte de l'hospice (arrêt du Tribunal fédéral 8C_1041/2012 du 11 juillet 2013 consid. 1.2). Lorsque la décision contestée émane du SPC, ce dernier statue sur opposition, décision qui ouvre la voie au recours par-devant la chambre administrative (art. 52 LIASI ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). Cette pratique, bien que non conforme à la lettre de l'art. 51 al. 1 LIASI, qui ne mentionne que l'hospice comme possible auteur de la décision sur opposition, est éprouvée (ATA/823/2021 du 10 août 2021 consid. 1b ; ATA/582/2021 du 1er juin 2021 consid. 1b ; ATA/1347/2020 du 22 décembre 2020 consid. 3d), et le Tribunal fédéral ne l'a jamais censurée (arrêts du Tribunal fédéral 9C_816/2015 du 22 mars 2016 consid. 3 ; 8C_1041/2012 précité).

2.             Le litige a pour objet le refus de l'intimé de faire bénéficier le recourant et son épouse de prestations d'aide sociale.

2.1 La LIASI a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1 LIASI). Elle vise à garantir à ceux qui se trouvent dans la détresse matérielle et morale des conditions d’existence conformes à la dignité humaine (art. 1 al. 2 phr. 2 LIASI). Avec le règlement d'exécution de la LIASI du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01), elle concrétise les art. 12 Cst. et 39 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00 ; ATA/256/2020 du 3 mars 2020 consid. 4b).

2.2 Les prestations d'assistance sont fournies notamment sous forme de prestations financières (art. 2 let. b LIASI), qui sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI). Le bénéficiaire et les membres du groupe familial doivent faire valoir sans délai leurs droits auxquels l’aide financière est subsidiaire et doivent mettre tout en œuvre pour améliorer leur situation sociale et financière (art. 9 al. 2 LIASI).

Le droit aux prestations d'aide financière naît dès que les conditions de la loi sont remplies, mais au plus tôt le 1er jour du mois du dépôt de la demande (art. 28 al. 1 LIASI). Il s’éteint à la fin du mois où l’une des conditions dont il dépend n’est plus remplie (art. 28 al. 2 LIASI).

2.3 Ont droit à des prestations d'aide financière les personnes majeures qui ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien ou à celui des membres de la famille dont ils ont la charge (art. 8 al. 1 LIASI). Ces prestations ne sont pas remboursables, sous réserve des art. 12 al. 2 et 36 à 41 LIASI (art. 8 al. 2 LIASI). L’art. 11 al. 1 LIASI précise que ces personnes doivent avoir leur domicile et leur résidence effective sur le territoire genevois (let. a), ne pas être en mesure de subvenir à leur entretien (let. b) et répondre aux autres conditions de la loi (let. c).

Les prestations d'aide financière sont accordées aux personnes dont le revenu mensuel déterminant n'atteint pas le montant destiné à la couverture des besoins de base et dont la fortune ne dépasse pas les limites fixées par règlement du Conseil d'État (art. 21 al. 1 LIASI). L'art. 1 al. 1 RIASI prévoit que les limites de fortune permettant de bénéficier des prestations d'aide financière sont de CHF 4'000.- pour une personne seule majeure (let. a), de CHF 8'000.- pour un couple et de CHF 2'000.- pour chaque enfant à charge (let. c). Le total de la fortune ne peut en aucun cas dépasser la somme de CHF 10'000.- pour l’ensemble du groupe familial (art. 1 al. 2 RIASI).

2.4 Selon l’art. 12 al. 2 LIASI, exceptionnellement, une aide financière peut être accordée à une personne propriétaire d’un bien immobilier, si ce bien lui sert de demeure permanente. Dans ce cas, l'aide financière accordée est remboursable (art. 39 al. 1 LIASI). L'immeuble peut être grevé d'une hypothèque au profit de l'hospice. À teneur de l’art. 39 al. 2 LIASI, l’hospice demande le remboursement de prestations versées à un propriétaire d’un bien immobilier en vertu de l’art. 12 al. 2 LIASI, dès que le bénéficiaire ne remplit plus les conditions de l'art. 8 al. 1.

Cette exception s’explique par le fait que la valeur d'un immeuble dépasse pratiquement toujours les limites de fortune fixées à l'art. 1 al. 1 RIASI, une personne propriétaire d'un immeuble n'aura pratiquement jamais droit à des prestations d'aide financière (ATF 146 I 1 consid. 6.4). La volonté du législateur était d’offrir l’aide de l’hospice à une personne propriétaire de son logement pour éviter que celle-ci soit obligée de réaliser son bien et qu’elle se retrouve sans toit, à certaines conditions notamment que ledit logement constitue sa demeure permanente (MGC 2006-2007/V A - Séance 25 du 23 février 2007 ; ATA/10/2020 du 7 janvier 2020 consid. 2f et les références citées).

2.5 Dans une affaire genevoise (ATF 146 I 1), le Tribunal fédéral a rappelé que, selon le principe de la subsidiarité, qui s'applique tant dans le cadre de l'aide sociale cantonale que dans le cadre de l'aide d'urgence selon l'art. 12 Cst., l'aide n'intervient que si la personne ne peut pas subvenir elle-même à ses besoins et si toutes les autres sources d'aide disponibles ne peuvent pas être obtenues à temps et dans une mesure suffisante. Ainsi, pour apprécier si une personne est dans le besoin, il faut tenir compte des ressources qui sont immédiatement disponibles ou qui sont réalisables à court terme. En l'absence de ressources disponibles ou réalisables à court terme, l'intéressé doit être considéré comme étant dans le besoin et l'État doit au moins lui accorder une aide à titre transitoire (consid. 8.2.1 et les références citées).

Les ressources du demandeur d'aide comprennent aussi sa fortune, soit l'argent liquide, les choses mobilières (telles que véhicules privés ou objets de valeur), les immeubles, les créances et autres droits (avoirs bancaires, titres, assurances vie, participation à des sociétés, quote-part d'une succession non partagée), en bref l'ensemble des droits subjectifs ayant une valeur patrimoniale. Ces ressources doivent être prises en compte, conformément aux principes précités, si elles sont immédiatement disponibles ou réalisables à court terme. Sinon, le demandeur d'aide doit les réaliser aussi rapidement que possible. Lorsque l'élément de fortune constitue un bien-fonds, il ne peut en général pas être réalisé à court terme ou à temps pour couvrir les besoins actuels du demandeur d'aide. Dans l'intervalle, celui-ci doit pouvoir compter sur une aide de l'État, qu'il remboursera dès la réalisation des éléments de fortune en question (consid. 8.2.2 et les références citées).

En cas d’une succession non partagée (communauté de propriété en main commune), il faut l’accord de tous les héritiers pour réaliser les biens en question et ainsi subvenir à ses besoins ou, à défaut d’un tel accord, ouvrir une action en partage. L’autorité compétente en matière d’aide sociale doit le cas échéant fixer à l’héritier sollicitant l’aide sociale un délai approprié à cet effet. Jusqu’à ce que le partage intervienne et que le demandeur d'aide dispose ainsi de moyens propres pouvant être affectés à son entretien, l'État doit lui accorder une aide transitoire, sous forme d'avances remboursables (consid. 8.2.3).

Dans cette affaire genevoise, l'immeuble dont la recourante était propriétaire en main commune, en communauté héréditaire avec ses deux sœurs, ne constituait pas une ressource immédiatement disponible vu qu’elle ne pouvait en disposer qu'en commun avec ses cohéritières et que, faute d'accord sur le partage, elle avait dû ouvrir une action en partage, ce qu'elle avait fait. Dans la mesure où la recourante ne disposait pas des moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine, les juges cantonaux avaient violé l'art. 12 Cst. en confirmant le refus de l'autorité intimée de lui verser quelque prestation que ce soit au motif qu'elle disposait d'une fortune supérieure aux normes en vigueur, alors que celle-ci était en l'état indisponible. Le jugement cantonal ne pouvait pas être confirmé, étant précisé que l'art. 12 Cst. ne garantissait que la couverture des besoins élémentaires (consid. 8.3).

Pour les prestations ordinaires de l’aide sociale, incombant aux cantons et se distinguant de l’aide d’urgence de l’art. 12 Cst. (consid. 5), le Tribunal fédéral a également considéré que la recourante pouvait y prétendre sur la base de l’art. 9 al. 3 let. b LIASI, mais à titre d’avance et avec l’obligation de les rembourser dès qu’elle disposerait de sa part de succession (consid. 9.3). L’interprétation cantonale vidait cette disposition de son sens, les éléments de fortune de la recourante n’étant pas immédiatement disponibles pour couvrir ses besoins d’entretien. Rien ne justifiait, selon notre Haute Cour, de conditionner le versement de l’aide transitoire de l’art. 9 al. 3 let. b LIASI à la possibilité d’être qualifié de bénéficiaire des prestations financières de la LIASI. Si une personne remplissait les conditions pour bénéficier de celles-ci, elle n’aurait a priori aucun intérêt à demander une avance sur la base de cette disposition, étant rappelé que, selon les juges cantonaux, les avances visées par cette norme ne se différenciaient pas de l’aide financière générale (consid. 9.2).

2.6 Le Tribunal fédéral reconnaît les normes de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (ci-après : CSIAS) relatives à la conception et au calcul de l’aide sociale. Il s’agit de recommandations à l’intention des autorités sociales des cantons, des communes, de la Confédération et des institutions sociales privées, non contraignantes mais contribuant à harmoniser la notion de besoin dans l’aide sociale (ATF 146 I 1 consid. 5.2). Élaborées en collaboration avec les cantons, les communes, les villes et les organismes d’aide sociale privée, approuvées par la Conférence suisse des directeurs cantonaux des affaires sociales (ci-après : CDAS) et régulièrement révisées, les normes CSIAS visent à garantir la sécurité juridique et l’égalité de droit (site internet de la CSIAS in : https://skos.ch/fr/les-normes-csias/origine-et-signification, consulté en avril 2023).

Selon la norme CSIAS D.3.1, dans sa version du 1er janvier 2021, accessible sur le site Internet précité de la CSIAS, font partie de la fortune tous les biens sur lesquels une personne demandant une aide a un droit de propriété. Le besoin d’aide est évalué sur la base des biens effectivement disponibles ou réalisables à court terme (al. 1). Certains biens peuvent ne pas être pris en compte lorsque (al. 2) : une rigueur excessive en résulterait pour les bénéficiaires de l’aide ou leurs proches (let. a), l’utilisation ne serait pas rentable (let. b) ; ou la vente d’objets de valeur ne serait pas raisonnablement exigible pour d’autres raisons (let. c). Un délai approprié doit être accordé pour la vente des actifs réalisables. Si nécessaire, une aide financière est accordée dans l’intervalle (al. 3).

Le commentaire CSIAS de la norme D.3.1 (point c) concernant les biens non réalisables à court terme, comme en cas de copropriété dans une hoirie ou de propriété immobilière, précise qu’il est possible que des personnes demandant une aide possèdent des biens qui doivent être pris en compte et dont la valeur dépasse le montant de la franchise, mais que la réalisation de tels biens peut s’avérer impossible à court terme. Dans de tels cas, malgré la présence d’une fortune, une situation de détresse peut survenir faute de liquidités. Les besoins de base seront alors couverts à titre d’avance. Un délai approprié sera fixé pour la vente des biens en question. De même, le remboursement de prestations d’aide consenties à titre d’avances devra être assuré.

La norme CSIAS D.3.2, dans sa version du 1er janvier 2021, relative à la propriété immobilière dispose que les biens immobiliers en Suisse et à l’étranger font partie de la fortune. Ils sont pris en compte dans l’examen des conditions d’octroi. Il n’existe aucun droit à leur conservation (al. 1). Il est possible de renoncer à la vente d’un bien immobilier dans quatre cas de figure (al. 2), lorsqu’un bien immobilier est occupé par la personne bénéficiaire qui peut y loger aux conditions du marché ou à des conditions plus avantageuses encore (let. a), lorsque l’aide sera vraisemblablement de courte ou de moyenne durée (let. b), lorsque l’aide est d’un montant relativement faible (let. c) ou lorsque le produit de la vente s’avère trop peu élevé en raison des conditions du marché (let. d). Lorsqu’on renonce à la réalisation du bien, des mesures appropriées doivent être prises pour garantir le remboursement (al. 3).

À titre d’aide pratique, la commission Questions juridiques de la CSIAS a élaboré une notice intitulée « Biens immobiliers en Suisse et à l’étranger », accessible sur le site Internet précité. Il s’agit de recommandations en matière de biens immobiliers, qui entre autres mentionnent les principes en matière de propriété de tels biens (par ex. subsidiarité, proportionnalité, soutien pendant la réalisation, détermination de la valeur, y compris de biens immobiliers situés à l’étranger, détermination du régime de propriété à l’étranger, possibilités de réalisation) et présentent les possibilités de procéder en cas de propriété immobilière (aliénation, mise en location, hypothèque de sûreté). Il y est notamment mentionné une liste de circonstances pouvant parler en faveur d'une exception et entraîner un examen plus approfondi de la proportionnalité (p. 5), notamment le fait que des membres de la famille vivent en permanence dans l'immeuble concerné ou encore qu'en raison d'une demande insuffisante du marché, le produit de l'aliénation serait dérisoire.

2.7 Selon l’art. 32 al. 1 LIASI, le demandeur doit fournir gratuitement tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d'aide financière. Le bénéficiaire doit immédiatement déclarer à l'hospice tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d'aide financière qui lui sont allouées ou leur suppression (art. 33 al. 1 LIASI).

Par ailleurs, la procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d'office (art. 19 LPA). De ce fait, l'autorité est tenue de réunir tous les renseignements et procéder aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision, en appréciant notamment les moyens de preuve des parties (art. 20 al. 1 LPA).

La maxime inquisitoire, applicable à la procédure en matière d’aide sociale, ne dispense pas le requérant de l’obligation d’exposer les circonstances déterminantes pour fonder son droit. Son devoir de collaborer ne libère pas l’autorité compétente de son devoir d’établir les faits mais limite son obligation d’instruire, ce qui conduit à un déplacement partiel du fardeau de la preuve du côté des requérants d’aide sociale. Ceux-ci supportent le fardeau objectif de la preuve qu’ils sont en partie ou entièrement tributaires d’une telle aide en raison d’un manque de moyens propres. Le devoir de collaborer ne peut toutefois être soumis à des exigences trop grandes. C’est pourquoi on ne peut exiger des intéressés qu’ils fournissent des documents qu’ils n’ont pas ou qu’ils ne peuvent se procurer sans complication notable. La preuve exigible doit porter sur l’état de besoin. Dès lors, comme c’est le manque de moyens suffisants qui doit être démontré, l’intéressé doit pour ainsi dire prouver un fait négatif. La preuve appropriée consiste donc à démontrer un fait positif dont on peut déduire un fait négatif. Il appartient à l’autorité compétente en matière d’aide sociale d’établir, sur la base de faits positifs (comme la résiliation des rapports de travail, l’évolution de la fortune sur un compte d’épargne, l’état de santé, les obligations familiales), s’il existe un état de nécessité. De son côté, le requérant est tenu de collaborer en ce sens qu’il donne les informations nécessaires et verse les documents requis au dossier. Comme il est naturellement plus aisé de prouver l’avoir que l’absence d’avoir, il y a lieu de poser une limite raisonnable à l’obligation légale d’apporter la preuve, ainsi qu’à l’exigence relative à la présentation d’un dossier complet (arrêts du Tribunal fédéral 8C_702/2015 du 15 juin 2016 consid. 6.2.1 ; 8C_50/2015 du 17 juin 2015 consid. 3.2.1).

2.8 En l'espèce, le refus de prestations financières se fonde exclusivement sur la fortune immobilière du recourant et de son épouse. Or ceux-ci se sont acquittés de leur obligation de renseigner, notamment en précisant leurs différents biens immobiliers en Syrie dans la demande de prestations ainsi qu'en produisant des traductions d'extraits immobiliers et d'une expertise immobilière évaluant les deux principaux biens concernés. S'agissant des terres agricoles, elles ne sont pas prises en compte dans la décision sur opposition, mais au vu de leur situation près de la frontière turque, donc dans une zone notoirement instable, les allégations du recourant sur la difficulté d'obtenir des documents apparaissent vraisemblables.

Le fait que la valeur des biens immobiliers en Syrie détenus par le recourant et son épouse soit supérieure à la limite de CHF 10'000.- n'est pas contentieuse, bien que la question du taux de change entre la livre syrienne et le franc suisse soit délicate.

Il n'en demeure pas moins que l'intimé n'a ni investigué, ni demandé de renseignements aux époux AB______ au sujet des possibilités concrètes de vendre ou de louer leurs biens, se contentant dans la décision sur opposition attaquée de dire qu'il ne ressortait pas des explications du couple qu'une mise en vente ou en location serait impossible. La motivation juridique tant de la décision de refus que de la décision sur opposition ne fait du reste aucune mention de l'ATF 146 I 1, pourtant applicable en l'espèce, en particulier pour l'appartement apparemment occupé par la mère du recourant et ne lui appartenant que pour un tiers. La jurisprudence en cause met pourtant au premier plan la question du caractère liquide (ou disponible) ou non de la fortune immobilière, considérant notamment que lorsque l'élément de fortune est un bien-fonds, il ne peut en général pas être réalisé à court terme ou à temps pour couvrir les besoins actuels du demandeur d'aide. Or, à l'évidence, ce qui vaut pour un bien-fonds sis en Suisse est à plus forte raison valable pour des biens situés dans le nord de la Syrie, région notoirement touchée de manière considérable par un conflit interne de forte intensité ayant duré une décennie, et connaissant encore une situation de forte tension au plan national et international.

En outre, le fait que l'expert ayant évalué les immeubles fasse suivre leur prix estimé de la mention « seulement » peut donner à penser que la valeur vénale en l'état du marché immobilier apparaissait comme très basse, soit un motif éventuel de renonciation à l'exigence d'une mise en vente ou en location.

Il s'ensuit que l'intimé devait instruire la question du caractère indisponible de la fortune immobilière du recourant et de son épouse, et qu'il ne pouvait se contenter de refuser d'emblée toute prestation pour cause de dépassement des barèmes.

Le recours sera ainsi partiellement admis, et la cause sera renvoyée à l'intimé pour élucider cette question ainsi que celle de la proportionnalité de l'exigence d'une mise en vente ou en location, en permettant en outre au recourant de fournir toutes explications et pièces à ce sujet.

3.             Vu la nature du litige et son issue, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA et art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Malgré son issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA), le recourant n'y ayant pas conclu et n'ayant pas indiqué avoir encouru de frais pour sa défense.

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 janvier 2022 par Monsieur A______ contre la décision sur opposition du service des prestations complémentaires du 16 décembre 2021 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

renvoie la cause au service des prestations complémentaires au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'au service des prestations complémentaires.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :