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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3840/2022

ATA/148/2023 du 14.02.2023 ( NAT ) , REJETE

Recours TF déposé le 22.03.2023, 1D_1/2023
En fait
En droit

3

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3840/2022-NAT ATA/148/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 février 2023

 

dans la cause

 

Monsieur A______ recourant
représenté par Me Yves Rausis, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé



EN FAIT

A. a. Monsieur A______, né le ______ 1974, est ressortissant russe.

b. Le 13 juillet 2010, il a déposé une demande de naturalisation pour lui, son épouse, Madame B______, et leurs enfants C______, D______ et E______F______.

c. Le secteur naturalisations (ci-après : SN) de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) et la commune de Cologny ont préavisé favorablement cette demande. Le SN a adressé ces préavis le 22 août 2012 au Secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM).

d. Le 13 juin 2016, le SEM a informé M. A______ que des investigations étaient encore en cours.

e. Le 16 mai 2017, la procédure de naturalisation de celui-ci a été disjointe de celle de son épouse et de ses enfants, qui ont obtenu la naturalisation suisse respectivement les 18 octobre et 28 novembre 2017.

f. M. A______, qui était alors au bénéfice d’une autorisation d’établissement valable jusqu’au 18 août 2020, a annoncé à l’OCPM son départ de Suisse le 12 février 2019.

B. a. Par décision du 15 juillet 2017, le SEM a refusé sa naturalisation en raison de « gros soupçons de blanchiment d’argent ».

b. Le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) a admis le recours formé contre cette décision, une première fois, le 20 décembre 2019 pour des carences constatées dans l’instruction et une seconde fois, le 17 décembre 2021, en raison de l’insuffisance d’éléments permettant de retenir que le candidat à la naturalisation risquait de compromettre la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse et a enjoint au SEM de délivrer l’autorisation convoitée.

c. Le SN a reçu l’autorisation fédérale de naturalisation le 7 février 2022.

d. Constatant que l’intéressé ne disposait plus d’un titre de séjour, le SN l’a invité à lui en communiquer un.

e. M. A______ a alors informé le SN qu’il avait déposé, le 14 février 2022, auprès de l’OCPM une demande d’autorisation de séjour pour regroupement familial pour vivre à nouveau avec son épouse et qu’il sollicitait la poursuite de la procédure de naturalisation.

Dans sa demande d’autorisation de séjour pour regroupement familial, il a exposé avoir quitté le canton pour des raisons « d’ordre personnel et professionnel ». Il souhaitait « reprendre résidence » en Suisse et demeurer, ainsi, auprès de son épouse et de ses enfants. Il fondait sa demande sur le fait d’être le mari d’une ressortissante suisse.

f. Invité par le SN le 7 avril 2022 à préciser ses lieux et périodes de séjour à l’étranger et la date de son retour effectif en Suisse, il a expliqué, après plusieurs demandes de prolongation de délai, le 30 juin 2022, qu’il avait quitté la Suisse pour des motifs professionnels, qu’il avait ensuite été victime du blocage des frontières et que le centre de ses intérêts familiaux, personnels et professionnels demeurait en Suisse.

g. Dans le cadre de l’exercice de son droit d’être entendu faisant suite à l’annonce du SN de classer la procédure de naturalisation, M. A______ a produit des photographies censées démontrer le lien avec son épouse et ses enfants ainsi qu’une copie de son titre de séjour permanent délivré par les autorités espagnoles, portant l’indication « Regim Comunitario Familiar Ciudano Union » (soit « carte de résidence d’un membre de la famille d’un citoyen de l’Union »).

h. À la demande de l’OCPM, les autorités consulaires espagnoles ont indiqué que le permis de M. A______ était valable jusqu’au 3 décembre 2025, que lors de sa demande de permis de séjour familial, il avait présenté un certificat d’enregistrement à Madrid de son épouse avec un permis de séjour et qu’un ressortissant d’un pays tiers ne pouvait obtenir un permis de séjour de membre de la famille de l’Union Européenne (ci-après : UE) si son conjoint habitait en Suisse.

i. Par décision du 18 octobre 2022, le SN a classé la procédure de naturalisation de M. A______, au motif qu’il ne disposait plus d’un titre de séjour, qu’il avait quitté la Suisse depuis plus de trois ans et n’avait pas informé les autorités de naturalisation de son départ. Enfin, les motifs d’une suspension de la procédure cantonale n’étaient pas remplis.

C. a. Par acte expédié le 18 novembre 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice, M. A______ a recouru contre cette décision, dont il a demandé l’annulation. Il a conclu à ce qu’il soit enjoint au SN de transmettre son dossier au Conseil d’État afin que celui-ci délivre l’arrêté de naturalisation.

Il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir signalé son départ de Suisse ; il l’avait signalé le 12 février 2019 à l’OCPM, service auquel le SN était rattaché. Il s’était absenté de Suisse pour des motifs professionnels pendant un peu plus de deux ans, ayant pendant cette période résidé en Espagne. Il avait cependant maintenu des contacts avec sa famille et ses amis, se rendant fréquemment en Suisse. Il avait adressé des pièces à ce sujet à l’OCPM. La durée de la procédure avait conduit à cette situation. En outre, s’il n’était plus en possession d’un titre de séjour, c’était en raison du retard que l’autorité accusait dans le traitement de son dossier.

Si le simple fait d’avoir annoncé son départ de Suisse suffisait à faire obstacle à la procédure de naturalisation, le SN aurait pu classer la procédure le 14 février 2022 déjà et non huit mois plus tard. Retenir l’absence d’un titre de séjour alors qu’en sa qualité de conjoint d’une citoyenne suisse, il avait droit à un tel titre, violait le principe de la bonne foi et de l’égalité de traitement.

b. Le SN a conclu au rejet du recours.

Le fait d’avoir annoncé son départ à l’OCPM ne permettait pas au recourant de considérer qu’il avait tenu informé le service compétent en charge de son dossier de naturalisation. L’OCPM gérait un bassin de 500'000 personnes et était composé de quatre services opérationnels. Il était impossible pour le SN d’examiner chaque mois le registre cantonal des habitants pour chacun des milliers de dossiers de naturalisation en cours. Le recourant avait quitté la Suisse pendant près de trois ans et perdu son titre de séjour à son départ. Sa résidence effective se trouvait en Espagne où il avait obtenu une autorisation de séjour au titre du regroupement familial avec son épouse, enregistrée comme résidente permanente. Il ne pouvait avoir qu’un domicile.

Il n’avait pas sollicité d’autorisation d’absence ni réagi lorsqu’il avait reçu l’attestation de départ. Il ne s’était plus manifesté jusqu’à l’obtention de l’autorisation fédérale de naturalisation, sollicitant alors seulement une autorisation de séjour au titre du regroupement familial. Cette demande constituait une nouvelle demande d’autorisation de séjour et non le renouvellement d’un titre déjà octroyé.

La durée de la procédure n’était pas imputable au SN. Devant ce service, le recourant avait demandé plusieurs prolongations pour répondre aux questions posées par celui-ci.

c. Dans sa réplique, le recourant a insisté sur le fait qu’il avait requis l’octroi d’un titre de séjour le 11 février 2022, à savoir la restitution de son autorisation d’établissement. Il avait conservé le centre de ses intérêts en Suisse. L’importance du « délai de résidence fédéral » de douze ans en Suisse était différente de celle de la résidence effective après les douze ans. Le classement de la procédure n’était ni apte ni nécessaire à atteindre le but poursuivi. Il consacrait un formalisme excessif. Aucun classement n’était d’habitude prononcé lorsqu’un candidat était dépourvu d’une autorisation d’établissement.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le recourant sollicite, préalablement, la production de toute pièce « propre à prouver la réalité des faits invoqués ».

2.1 Le droit d’être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit pour l'intéressé de produire des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références citées).

2.2 En l’espèce, le recourant a produit les pièces auxquelles il s’est référé dans ses écritures. L’autorité intimée a produit son dossier. Le recourant n’expose pas quelles pièces devraient encore être produites par lui ou par le SN. Par ailleurs, la chambre de céans constate que son dossier est complet et lui permet de trancher le litige sans procéder à d’autres actes d’instruction.

Il ne sera donc pas donné suite au chef de conclusions préalable.

3.             Se pose en premier lieu la question du droit applicable.

3.1 L’art. 50 al. 1 de la loi sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN - RS 141.0), entrée en vigueur le 1er janvier 2018, prévoit que l’acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s’est produit. Les demandes déposées avant l’entrée en vigueur de ladite loi sont traitées conformément aux dispositions de l’ancien droit jusqu’à ce qu’une décision soit rendue (art. 50 al. 2 LN).

3.2 Le recourant ayant déposé sa demande de naturalisation auprès de l’autorité compétente en 2012, soit avant l’entrée en vigueur de la LN, elle doit être traitée selon l’ancien droit, à savoir la loi fédérale sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse du 29 septembre 1952 (aLN) et la loi sur la nationalité genevoise du 13 mars 1992 dans sa teneur antérieure à la dernière modification législative entrée en vigueur le 4 avril 2018 (aLNat - A 4 05).

4.             Il convient d’examiner si la décision classant la procédure de naturalisation du recourant était fondée.

4.1 Selon l’art. 11 let. a à c aLN, l’autorisation fédérale de naturalisation est octroyée si le requérant remplit les conditions suivantes : a) son intégration est réussie ; b) il s’est familiarisé avec les conditions de vie en Suisse ; c) il ne met pas en danger la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse.

4.2 À Genève, le candidat à la naturalisation doit remplir les conditions fixées par le droit fédéral et celles fixées par le droit cantonal (art. 1 let. b aLNat). Selon l'art. 210 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), l'État facilite la naturalisation des personnes étrangères. La procédure est simple et rapide. Les dispositions de la LN et de l'aLN contenant des conditions formelles et matérielles minimales en matière de naturalisation ordinaire, les cantons peuvent définir des exigences concrètes en matière de résidence et d'aptitude supplémentaires, en respectant toutefois le droit supérieur, pour autant qu'ils n'entravent pas l'application du droit fédéral, par exemple en posant des exigences élevées au point de compliquer inutilement la naturalisation ou de la rendre tout simplement impossible (ATF 139 I 169 consid. 6.3 ; 138 I 305 consid. 1.4.3 ; 138 I 242 consid. 5.3).

4.2.1 L'étranger adresse sa demande de naturalisation au Conseil d'État (art. 13 al. 1 aLNat). Selon l'art. 14 al. 1 aLNat, le Conseil d'État délègue au département chargé d'appliquer la loi la compétence de procéder à une enquête sur la personnalité du candidat et sur celle des membres de sa famille ; il s'assure notamment que les conditions fixées à l'art. 12 aLNat sont remplies. Le département de la sécurité, de la population et de la santé est chargé de l'application de la aLNat (art. 1 al. 1 RNat). Il délègue cette tâche au service cantonal des naturalisations sous réserve – in casu non pertinente – des attributions conférées au service état civil et légalisations (art. 1 al. 2 aRNat).

4.2.2 Un candidat à la naturalisation genevoise doit remplir les conditions fixées par le droit fédéral (art. 1 al. 1 let. b aLNat). À cet effet, il doit disposer d'une autorisation fédérale accordée par l'office compétent, lequel examine ses aptitudes à la naturalisation (art. 12 et 15 aLN), d’une part. D'autre part, le requérant doit avoir résidé deux ans dans le canton d'une manière effective, dont les douze mois précédant l'introduction de sa demande, résider en Suisse pendant la procédure de naturalisation et être au bénéfice de l’autorisation d’établissement en cours de validité pendant toute la durée de la procédure (art. 11 al. 1 et 3 aLNat).

4.2.3 L'art. 36 aLN précise qu'au sens de la loi, la résidence est, pour l'étranger, la présence en Suisse conforme aux dispositions légales sur la police des étrangers (al. 1). La résidence n'est pas interrompue lorsque l'étranger fait un court séjour hors de Suisse avec l'intention d'y revenir (al. 2). En revanche, elle prend fin dès la sortie de Suisse lorsque l'étranger a déclaré son départ à la police ou a résidé en fait pendant plus de six mois hors de Suisse (al. 3).

Le requérant doit résider en Suisse aussi bien lors du dépôt de la demande que pendant la procédure de naturalisation et au moment du prononcé de la décision (ATF 106 Ib 1 consid. 2a ; JAAC 1962/1963 n. 88 et 90 ; ODM, Manuel sur la nationalité, 2013, n. 4.2.2.2). Il est ainsi exigé de l'intéressé non seulement une présence physique, mais également un certain lien permettant d'admettre qu'il réside ou vive en Suisse. Un court séjour à l'étranger n'interrompt pas la résidence, dans la mesure où le requérant a l'intention d'y revenir, cette intention étant suffisante pour le maintien de la résidence en Suisse. Il faut se fonder sur l'ensemble des circonstances pour déterminer si le requérant réside en Suisse (ATF 106 Ib 1 consid. 2b ; ATA/1251/2022 du 13 décembre 2022). Une absence à l’étranger d’un peu plus de trois ans ne remplit pas le critère de la résidence effective en Suisse exigée par l'art. 36 aLN (ATA/1785/2019 du 10 décembre 2019 consid. 4).

L’autorisation d’établissement de l’étranger prend fin lorsque celui-ci annonce son départ de Suisse (art. 61 al. 1 let. a LEI).

4.3 De jurisprudence constante, toutes les conditions de la naturalisation doivent être remplies tant au moment du dépôt de la demande que lors du prononcé de la délivrance de la décision de naturalisation (ATF 140 II 65 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_378/2021 du 8 novembre 2021 consid. 3.2.1).

4.4 L'art. 14 al. 4 et 6 aLNat précise que le candidat doit fournir les renseignements utiles sur les faits qui motivent sa demande et produire les pièces y relatives qui sont en sa possession. Le candidat est tenu d’informer le service compétent de tout changement survenant dans sa situation économique et familiale pendant la procédure.

4.5 La procédure peut être suspendue à l’échéance du titre de séjour ou d’établissement jusqu’à son renouvellement ou jusqu'à amélioration notoire des carences constatées lors de l'enquête (art. 13 al. 5 et 6 aRNat).

4.6 Une procédure est classée, soit à la demande du candidat, soit par décision du département, si la requête est déclarée irrecevable ou si elle a été suspendue pendant plus de 3 ans (art. 14 al. aRNat).

4.7 L’obtention de l’autorisation fédérale ne confère aucun droit à la naturalisation. Ni le droit fédéral, ni le droit cantonal n’accordent en principe aux candidats étrangers un droit subjectif à la naturalisation. Il n’en demeure pas moins que les procédures et les décisions de naturalisation doivent respecter les droits fondamentaux et que ce respect peut en principe être contrôlé par les tribunaux (ATA/622/2022 précité consid. 5h ; ATA/13/2022 du 11 janvier 2022 consid. 10 et l'arrêt cité ; Céline GUTZWILLER, Droit de la nationalité et fédéralisme suisse, 2008, p. 535, n. 1407)

4.8 Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l'une et l'autre se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l'administration doit s'abstenir de toute attitude propre à tromper l'administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; 129 I 161 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_227/2015 du 31 mai 2016 consid. 7).

4.9 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

4.10 Selon l'art. 8 al. 1 Cst., tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Une décision viole le principe de l'égalité de traitement consacré à l'art. 8 al. 1 Cst. lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente (ATF 140 I 201 consid. 6.5.1 ; 137 V 334 consid. 6.2.1).

La protection de l’égalité (art. 8 Cst.) et celle contre l’arbitraire (art. 9 Cst.) sont étroitement liées. Une décision est arbitraire au sens de l’art. 9 Cst., si elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité, non seulement dans ses motifs, mais également dans son résultat (ATF 141 I 49 consid. 3.4 ; 140 I 201 consid. 6.1 ; 138 I 49 consid. 7.1). L’inégalité de traitement apparaît comme une forme particulière d’arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l’être de manière semblable ou inversement (ATF 141 I 235 consid. 7.1 ; 129 I 1 consid. 3 ; 127 I 185 consid. 5).

5.             En l’espèce, le recourant n’a pas annoncé, en février 2019, au SN, service compétent pour le traitement de sa demande de naturalisation, qu’il allait quitter la Suisse. Il ne s’est pas non plus manifesté lorsque son autorisation d’établissement est arrivée à échéance en août 2020. Il n’en alors pas requis le renouvellement ni sollicité avant son départ de Suisse une autorisation d’absence, qui lui aurait, le cas échéant, permis de conserver son titre de séjour.

Contrairement à ce qu’il soutient, il ne peut être considéré qu’il aurait, malgré son départ de Suisse en février 2019, conservé sa résidence ou le centre de ses intérêts dans ce pays. D’une part, il a sollicité et obtenu en Espagne une autorisation de séjour, au titre du regroupement familial fondé sur le certificat d’enregistrement de son épouse à Madrid. Les autorités consulaires espagnoles ont indiqué qu’un ressortissant d’un pays tiers – comme le recourant – ne pouvait obtenir un permis de séjour de membre de la famille de l’UE si son conjoint habitait en Suisse. Au vu de ces conditions restrictives, l’octroi du titre de séjour au recourant en Espagne tend à confirmer que le recourant avait déplacé sa résidence dans ce pays et que le centre de ses intérêts, notamment affectifs, s’y trouvaient.

Dans sa demande du 11 février 2022, intitulée « demande d’autorisation de séjour fondée sur l’art. 42 al. 1 LEI », il a indiqué qu’il avait annoncé son départ de Suisse pour des raisons d’ordre personnel et professionnel, mais souhaitait « désormais reprendre résidence » en Suisse et « ainsi, demeurer auprès de son épouse et leurs enfants ». Le recourant reconnaît ainsi lui-même qu’il n’avait plus de résidence en Suisse et n’y avait pas non plus conservé le centre de ses intérêts personnels et professionnels entre la date de son départ, le 19 février 2019, et le 11 février 2022, date du dépôt de sa demande d’autorisation de séjour. Il n’y avait plus non plus le centre de ses intérêts professionnels, ayant indiqué avoir quitté la Suisse en 2019 également pour des motifs professionnels.

Contrairement à ce que fait valoir le recourant, son séjour à l'étranger de près de trois ans ne peut être qualifié de temporaire. D'une part, la durée de son absence de Suisse s'y oppose. D'autre part, comme cela vient d’être exposé, il n’a, entre le 19 février 2019, date à laquelle il a annoncé son départ de Suisse, et le début de l’année 2022, plus résidé en Suisse au sens de l'art. 36 al. 2 aLN. En outre, s’il avait souhaité son absence temporaire, il se serait soucié de renouveler son autorisation d’établissement, avant l’échéance de celle-ci.

Par ailleurs, l'autorité intimée ne pouvait pas, comme semble le vouloir le recourant, suspendre la procédure de naturalisation dans l’attente de l’octroi de son autorisation de séjour. En effet, une telle suspension ne peut entrer en ligne de compte que pour améliorer des critères qui font défaut au moment du dépôt de la demande de naturalisation, tels que l'intégration dans la communauté suisse et genevoise (connaissance de la langue, participation à la vie locale, réseau d'amitiés, moyens d'existence etc.). Elle ne peut toutefois pas permettre de combler l'absence de résidence en Suisse pendant la durée de la procédure de naturalisation. Un départ définitif de Suisse ne peut ainsi constituer une « carence » au sens de l'art. 13 al. 6 aRNat.

Il n’y a pas non plus lieu de suspendre la procédure dans l’attente de l’octroi de l’autorisation de séjour au titre du regroupement familial que le recourant a sollicitée. Il ne s’agit pas d’une hypothèse visée à l’art. 13 al. 5 aRNat, qui mentionne le renouvellement et non l’octroi d’un titre de séjour ou d’établissement. Il est à cet égard relevé que contrairement à ce qu’indique le recourant dans sa réplique, son autorisation d’établissement est échue depuis août 2020 et sa demande formée le 11 février 2022 ne vise pas le renouvellement de celle-ci, mais l’octroi d’une autorisation de séjour au titre du regroupement familial. Derechef, ces éléments ne comblent nullement l’absence de résidence en Suisse pendant près de trois ans.

Le SN ne peut non plus se voir reprocher un comportement déloyal, contraire à la bonne foi ou constitutif d’une inégalité de traitement. L’exigence de la résidence en Suisse pendant toute la durée de la procédure de naturalisation n’apparaît pas avoir été imposée uniquement au recourant, comme le montre encore la jurisprudence récente de la chambre de céans (ATA/1251/2022 du 13 décembre 2022 consid. 7 et 8 ; ATA/1785/2019 précité consid. 4). Le SN a donc traité de manière semblable des situations semblables.

Il ne peut non plus se voir reprocher la durée de la procédure de naturalisation, dont les retards sont essentiellement dus à la procédure de naturalisation fédérale. Le recourant ne lui fait d’ailleurs grief de cette durée qu’en ce qui concerne le temps pris à statuer après réception de l’autorisation de naturalisation fédérale. Si, certes, entre la réception de ladite autorisation et la décision cantonale environ huit mois se sont écoulés, ce délai est, en partie, également imputable au recourant, qui n’a répondu – que partiellement au demeurant – aux questions posées par le SN le 7 avril 2022 au sujet de ses lieux et périodes de séjour à l’étranger et de la date de son retour effectif en Suisse que le 30 juin 2022, à la suite de deux mises en demeure de ce service. En outre, le recourant ne peut déduire aucun droit à l’octroi d’une autorisation cantonale de naturalisation du fait d’un éventuel retard dans le traitement de son dossier, fût-il constitutif d’un retard non justifié. Il est également relevé qu’aucune assurance ne lui a été donnée que la naturalisation convoitée lui serait accordée par les instances cantonales. Enfin, le fait que l’annonce du départ de Suisse du recourant le 19 février 2019 a entraîné la perte de son permis d’établissement n’est nullement imputable à l’autorité intimée.

Au vu de l’ensemble de ce qui précède, le SN pouvait, sans abuser de son pouvoir d'appréciation ni violer la loi ou les principes de proportionnalité, d’égalité et de la bonne foi, classer la demande de naturalisation ordinaire du recourant.

Mal fondé, le recours sera ainsi rejeté.

6.             Aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA), la procédure étant gratuite s'agissant d'une décision en matière de naturalisation (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 novembre 2022 par Monsieur A______ contre la décision de l’office cantonal de la population et des migrations du 18 octobre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Yves Rausis, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations ainsi qu'au Secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Michel

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :