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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4393/2022

ATA/84/2023 du 26.01.2023 sur DITAI/2/2023 ( MC ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4393/2022-MC ATA/84/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 janvier 2023

en section

 

dans la cause

 

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

contre

Monsieur A______
représenté par Me Guglielmo Palumbo, avocat

_________


Recours contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 2 janvier 2023 (DITAI/2/2023)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1976 est originaire de Tunisie.

2) Par jugement du 11 décembre 2018, le Tribunal correctionnel de la République et canton de Genève l’a reconnu coupable de diverses infractions et condamné à une peine privative de liberté de 36 mois, dont 18 fermes. Il a prononcé une mesure d'expulsion de Suisse pour une durée de 5 ans en application de l'art. 66a al. 1 let. b et g et al. 2 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

3) Par décision du 5 février 2020, notifiée le surlendemain et après l'avoir entendu, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a refusé de reporter l'exécution de son expulsion.

4) Par arrêt du 10 mars 2021, la Chambre pénale de recours (ci-après : CPR) a rejeté le recours de M. A______ contre cette décision de l'OCPM.

Il en a été de même pour le Tribunal fédéral, selon arrêt du 1er septembre 2021, s’agissant du recours déposé contre l'arrêt de la CPR.

5) Le 31 mai 2022, M. A______ a déposé auprès de l’OCPM une demande de report de l’expulsion, invoquant l’évolution et des changements dans sa situation familiale.

6) Par décision du 25 novembre 2022, l’OCPM a considéré cette requête comme une demande de reconsidération de sa décision du 5 février 2020. Les arguments avancés n’étaient toutefois pas de nature à modifier celle-ci, de sorte qu’il a refusé d’entrer en matière.

La décision mentionnait une voie de recours auprès de la CPR, dans un délai de 10 jours.

7) Par arrêt du 15 décembre 2022, la CPR a déclaré irrecevable le recours déposé par M. A______ contre cette décision, laquelle n’était pas une décision de non-report d’expulsion, mais un refus de l’autorité administrative de reconsidérer une telle décision entrée en force.

La décision attaquée était fondée sur l’art. 48 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), de sorte qu’elle échappait à la cognition de la CPR qui n’était pas une autorité de recours administrative. Par ailleurs, la voie de la reconsidération n’était pas prévue par le Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), de sorte qu’une décision en ce sens, positive ou négative, n’était pas sujette à recours au sens de l’art. 393 al. 1 let. a CPP.

8) Par acte du 23 décembre 2022, reçu le 30 suivant au greffe du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), M. A______ a interjeté recours contre la décision de non-entrée en matière de l’OCPM du 25 novembre 2022. Il a conclu, à titre superprovisionnel et provisionnel, à ce qu’il soit sursis à l’exécution de son expulsion pénale, fait interdiction à toute autorité de l’expulser, fait interdiction à toute autorité de requérir un « laissez-passer » auprès des autorités tunisiennes ou toute autre démarche visant à mettre en œuvre son expulsion et à ce qu’il soit autorisé à rester sur le territoire suisse jusqu’à droit jugé sur le recours. Sur le fond, il a, préalablement, conclu à la suspension de la procédure jusqu’à ce que le Tribunal fédéral se prononce sur le recours qu’il déposerait à l’encontre de l’arrêt de la CPR du 15 décembre 2022. Principalement, il a conclu à l’annulation de la décision du 25 novembre 2022 et à ce qu’il soit ordonné à l’OCPM d’entrer en matière sur sa demande de reconsidération. Subsidiairement, il a conclu à l’annulation de cette décision et à plusieurs auditions.

La jurisprudence était claire en matière de compétence de la CPR sur les questions de report de l’expulsion judiciaire, raison pour laquelle il porterait l’arrêt de la CPR devant le Tribunal fédéral. Il faisait toutefois également recours devant le TAPI pour sauvegarder ses droits.

D'importants changements étaient intervenus dans sa situation personnelle et familiale, les plus considérables s'étant produits postérieurement à l'arrêt du Tribunal fédéral du 1er septembre 2021. Depuis lors, il avait repris des contacts réguliers avec ses trois enfants, puis des visites avec ses deux filles aînées au cours de l'année 2021 et enfin avec son fils cadet depuis l'été 2022. La situation de ses enfants avait, elle aussi, radicalement évolué puisqu'à ce jour, deux d’entre eux ne vivaient plus avec leur mère et avaient été placés en foyer, en Suisse, en raison des difficultés qu'ils traversaient, tandis que la troisième avait des problèmes de santé. Son rôle de père et son soutien dans ces circonstances avaient par conséquent pris une ampleur décisive.

Une fois la peine exécutée, il avait été incarcéré dès le 28 mai 2022 en vue de l'exécution de son expulsion. Durant les six mois séparant la date du dépôt de sa demande auprès de l’OCPM et la décision querellée du 25 novembre 2022, cette autorité avait mis tout en œuvre pour que son expulsion soit exécutée, malgré l'absence délibérée d'examen de sa situation actuelle et de l'existence de motifs empêchant l'exécution de celle-ci. Il s'exposait à une grave et irrémédiable violation de ses droits les plus fondamentaux. Aussi, des mesures permettant de préserver l'état de fait actuel et de sauvegarder ses intérêts et ceux de ses enfants, devaient être prises de toute urgence, la mise en œuvre de son expulsion pouvant avoir lieu à tout moment et rendre ainsi son recours sans objet. L'urgence de la situation rendait nécessaire que les mesures soient prononcées à titre superprovisionnel, soit sans entendre l'OCPM sur leur bien fondé.

9) Par décision du 2 janvier 2023, le TAPI, statuant sur mesures superprovsionnelles, soit avant d’entendre l’OCPM, a restitué l’effet suspensif au recours et imparti un délai à ce dernier au 13 janvier 2022 pour se déterminer sur les demandes de mesures provisionnelles et de suspension de la procédure.

Il est indiqué que cette décision pouvait faire l’objet d’un recours dans les 10 jours auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative).

10) L’OCPM a formé un tel recours par acte expédié le 19 janvier 2023 à la chambre administrative, concluant à ce qu’il soit constaté que le TAPI n’était pas compétent pour connaître du recours déposé le 23 décembre 2022 par M. A______, qui devait être déclaré irrecevable, et à l’annulation de la décision du TAPI du 2 janvier 2023.

11) Les parties ont été informées le 20 janvier 2023 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) a. La compétence des autorités est déterminée par la loi et ne peut être créée par accord entre les parties (art. 11 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). La chambre administrative examine d’office sa compétence (art. 1 al. 2, art. 6 al. 1 let. b et art. 11 al. 2 LPA).

b. Aux termes de l’art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative ; les compétences de la chambre constitutionnelle et de la chambre des assurances sociales sont réservées (al. 1) ; le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6, al. 1, let. a et e, et 57 LPA ; sont réservées les exceptions prévues par la loi (al. 2).

2) a. L'art. 21 al. 1 LPA permet le prononcé de mesures provisionnelles. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, de telles mesures ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016 consid. 4).

b. La LPA ne prévoit pas les mesures superprovisoires, à savoir sans entendre les parties préalablement, et la chambre de céans n’en ordonne que très exceptionnellement (ATA/1111/2022 du 26 octobre 2022 consid. 7).

c. Selon l'art. 43 let. c et d LPA, l'autorité n'est pas tenue d'entendre les parties avant de prendre notamment une décision incidente qui n’est pas séparément susceptible de recours ou d’autres décisions lorsqu’il y a péril en la demeure.

d. Le juge ne peut laisser une requête en mesures superprovisoires sans réponse, conformément à l’interdiction du déni de justice formel découlant de l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). La partie qui fait valoir un péril en la demeure doit en effet savoir quel sort est réservé à sa requête. Le juge doit motiver son rejet en quelques mots sur avis de réception du recours, la demande de réponse au recours ou la demande d’avance de frais, comme le fait le Tribunal fédéral par exemple. En cas d’admission de la requête, une ordonnance formelle peut être rendue, mais cela n’est pas obligatoire. Le juge peut ainsi simplement indiquer que l’effet suspensif est accordé à titre superprovisoire, les exigences du respect du droit d’être entendu étant ensuite aménagées par l’échange d’écritures et la décision sur effet suspensif rendue après cet échange (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 830 ad art. 66).

Il est des situations où l’urgence est telle que l’autorité peut prendre des mesures sans entendre préalablement les parties, voire sans procéder à une notification formelle. Ces mesures, que l’on peut qualifier de « superprovisionnelles » devront, en tout cas, si elles ont des effets durables, être régularisées par une décision en bonne et due forme, avec respect du droit d’être entendu dès que possible (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 847).

Le recours incident contre une mesure superproviosnnelle n’est ouvert que de manière restrictive et s’apparente à une forme de contestation pour déni de justice : l’autorité qui tarde à statuer sur la requête de mesures provisionnelles/d’effet suspensif (qui serait, elle, attaquable) est invitée à entreprendre l’examen sommaire de ladite décision temporaire (Cléa BOUCHAT, L’effet suspensif en procédure administrative, 2015, n. 611).

e. Selon l’art. 265 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272), sous le titre « Mesures superprovisionnelles », en cas d’urgence particulière, notamment s’il y a risque d’entrave à leur exécution, le tribunal peut ordonner des mesures provisionnelles immédiatement, sans entendre la partie adverse (al. 1). Le tribunal cite en même temps les parties à une audience qui doit avoir lieu sans délai ou impartit à la partie adverse un délai pour se prononcer par écrit. Après avoir entendu la partie adverse, le tribunal statue sur la requête sans délai (al. 2).

Les mesures superprovisionnelles sont obligatoirement suivies, après que les parties à la procédure ont été entendues, de la décision sur mesures provisionnelles, laquelle confirme, modifie ou annule la mesure précédemment ordonnée à titre superprovisionnel et la remplace (ATF 140 III 529 consi. 2.2 = JdT 2015 II 135 p. 137).

f. S'agissant de mesures superprovisionnelles, il n'y a pas de voie de recours au Tribunal fédéral (ATF 137 III 417 consid. 1.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_253/2017 du 4 avril 2017 consid. 2).

3) En l’espèce, le TAPI a rendu une décision incidente, laquelle est seule l’objet du présent litige, rejetant une demande de mesures superprovisionnelles, avant d’avoir reçu les observations de l’OCPM sur la demande de mesures provisionnelles formée par le recourant. Cette décision ne représente qu’une étape non seulement dans l’attente de mesures provisionnelles, après détermination de l’intimé et éventuelle réplique, mais aussi vers la décision finale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_98/2017 du 13 mars 2017 consid. 1 ; ATA/613/2017 du 30 mai 2017).

Cette décision ne saurait faire l’objet d’un recours, étant relevé qu’usuellement l’octroi de mesures superprovisoires se fait soit par une simple lettre, non motivée, ne mentionnant pas les voies de droit, voire par une mention manuscrite sur l’exemplaire du recours destiné à la partie intimée.

Ainsi, le recours n’est pas ouvert devant la chambre de céans contre la décision du TAPI du 2 janvier 2023, quand bien même elle le prévoit expressément, et sera partant déclaré irrecevable, sans échange d’écritures, conformément à l’art. 72 LPA.

Cette décision doit en tous les cas être suivie rapidement d’une nouvelle, sur mesures provisionnelles, après avoir recueilli les déterminations des parties, et remplacera la décision présentement attaquée.

4) Nonobstant l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de l’OCPM (art. 87 al. 1 LPA) ni aucune indemnité de procédure allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 23 décembre 2022 par l’office cantonal de la population et des migrations contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 2 janvier 2023 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à l’office cantonal de la population et des migrations, à Me Guglielmo Palumbo, avocat de Monsieur A______ ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :