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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1775/2022

ATA/625/2022 du 14.06.2022 sur JTAPI/590/2022 ( MC ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1775/2022-MC ATA/625/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 juin 2022

 

dans la cause

 

COMMISSAIRE DE POLICE

contre

M. A______
représenté par Me Cédric Berger, avocat

_________




Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 juin 2022 (JTAPI/590/2022)


EN FAIT

1) a. M. A______, ressortissant B______, né le ______ 1975, alias C______, né le ______ 1988, a été condamné notamment par jugement du 8 août 2019 du Tribunal de police (ci-après : TP) pour infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) au sens de l’art. 19 al. 1 let. b et d et 2 LStup, de faux dans les certificats étrangers (art. 252 et 255 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et d'entrée illégale (art. 115 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), à une peine privative de liberté ferme de quinze mois.

Simultanément, le TP a ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans, en application de l'art. 66a al. 1 let. o CP.

b. Par décision du 29 octobre 2019, notifiée à M. A______ en son lieu de détention pénale, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : l'OCPM), après l’avoir entendu, a décidé de ne pas reporter l'exécution de l'expulsion.

c. Le 30 janvier 2020, à sa sortie de détention pénale et au bénéfice d'un laissez-passer délivré le 9 janvier 2020 par les autorités de son pays d'origine, M. A______ a été expulsé au B______.

2) a. Revenu en Suisse, M. A______ a été arrêté à Genève le 27 janvier 2022 en possession de quatorze « parachutes » de cocaïne d'un poids total brut de 11,8 g et six cailloux de crack d'un poids total brut de 3,2 g.

b. Par jugement du 18 mars 2022, le TP l'a reconnu, en lien avec ces faits, coupable de rupture de ban (art. 291 CP) et d'infraction à la LStup (art. 19 al.1 let. b et d) et l'a condamné à une peine privative de liberté ferme de quatre mois.

3) M. A______ a été remis au commissaire de police à sa sortie de détention pénale, le 31 mai 2022, en vue de son refoulement.

Le jour même, à 17h45, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à son encontre pour une durée de trois mois, en application des art. 75 al. 1 let. c, g et h LEI en lien avec l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI et 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI qu’il a soumis, le même jour, au Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

4) a. Entendu le 2 juin 2022 par le TAPI, M. A______ a déclaré qu'il n'était pas opposé à son renvoi au B______ mais qu'il préférerait être renvoyé en D______. Sa compagne et ses deux enfants habitaient E______. Son fils, âgé de 2 ans et demi, devait tout prochainement se faire opérer. Il devait subir une greffe de rein, un donneur venant d'être trouvé. Il souhaitait dès lors vivement se rendre à son chevet. Il ne vivait toutefois pas avec sa compagne, ni avec ses enfants mais avec des amis à l'adresse ______, avenue F______ à E______. Il était au bénéfice d'une autorisation de séjour en D______ valable jusqu'en 2024. Ce titre de séjour lui permettait de travailler en D______ et lui avait été délivré par la Préfecture G______ en 2020. Il se trouvait à son domicile à E______. Il ne s'opposait pas à un renvoi au B______ mais il souhaitait que le départ se fasse avant le 17 juin 2022, date à laquelle son fils se faisait opérer, pour qu'il soit en mesure de le rejoindre.

b. La représentante du commissaire de police a indiqué que les démarches avaient été entreprises pour exécuter le renvoi de M. A______ et qu'une place à bord d'un avion à destination du B______ avait été réservée pour le 6 juin 2022. Toutefois, en l'absence de passeport, les autorités suisses devaient demander et obtenir un laissez-passer de la part des autorités du B______, ce qui prenait environ trois semaines. Comme il y avait bon espoir que le B______ délivre le laissez-passer dans ce délai, une place à bord d'un avion avait été réservée pour le 20 juin 2022.

Si M. A______ produisait une autorisation de séjour valable délivrée par les autorités D______, un renvoi à destination de la D______ pourrait être organisé. Dans l'attente d'obtenir ce document, elle transmettrait ces informations aux autorités compétentes qui pourraient tenter des démarches auprès de leurs homologues D______. M. A______ était invité à transmettre tout document le rattachant à la D______, comme des abonnements, des factures ainsi que tous renseignements sur ses enfants, dates et lieux de naissance et leurs adresses, ce qui faciliterait les démarches en vue d'une réadmission. La durée de l'ordre de mise en détention tenait compte du temps que pouvait prendre l'obtention du laissez-passer d'une part, et l'exécution du renvoi, d'autre part.

5) Par jugement du 3 juin 2022, le TAPI a confirmé l’ordre de mise en détention administrative pris par le commissaire de police le 31 mai 2022 à l’encontre de M. A______ pour une durée de trois semaines, soit jusqu’au 21 juin 2022, inclus.

Il n’était pas légitimé, en l'état, à se rendre valablement en D______. La préparation de l'exécution de son refoulement de Suisse à destination de son pays d'origine ne prêtait donc pas le flanc à la critique. La question du lieu de sa destination pourrait néanmoins être revue s'il parvenait à prouver qu'il était bien titulaire d'un permis de séjour en D______ avant que son départ pour le B______ se concrétise.

Selon la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), l'expulsion pénale ordonnée en application de l'art. 66a ou 66abis CP valait interdiction d'entrée en Suisse au sens de l'art. 75 al. 1 let. c LEI (ATA/179/2018 du 27 février 2018 consid. 4 ss et les références citées).

L'ordre de mise en détention soumis en l'espèce au contrôle du TAPI se fondait sur l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 (en lien avec l'art. 75 al. 1 let. c, h et g) et ch. 3 et 4 LEI, quand bien même aucune décision de renvoi n'avait été prise à l'encontre de M. A______ à la suite de son retour illégal en Suisse le 27 janvier 2022. Il faisait en revanche l'objet d'une mesure d'expulsion définitive prise pour cinq ans par le TP le 8 août 2019. Par conséquent, sa détention administrative ne pouvait se fonder sur l'art. 76 LEI, mais seulement sur l'art. 75 al. 1 LEI, conformément à la jurisprudence du TAPI, à condition que les critères d'application de cette base légale soient réalisés.

L'assurance du départ de Suisse de M. A______ qui faisait l'objet d'une mesure d'expulsion valable pendant cinq ans, répondait à un intérêt public certain. Aucune autre mesure moins incisive ne saurait être envisagée. La durée effective de sa privation de liberté respectait le cadre légal.

Il appartiendrait à l'OCPM de prendre sans délai une décision quant au droit de séjour de M. A______. Ensuite, un nouvel ordre de mise en détention devrait être prononcé en application de l'art. 76 al. 1 let. a LEI qui ferait alors l’objet d’un examen judiciaire en application de l'art. 80 al. 2 LEI.

L’ordre de mise en détention administrative en cause était confirmé mais la durée de validité était réduite à trois semaines, une telle période apparaissant utile et amplement suffisante pour que la décision de renvoi précitée soit notifiée et, si nécessaire, qu'un nouvel ordre de mise en détention soit notifié à M. A______.

6) Par acte du 7 juin 2022, le commissaire de police a interjeté recours contre ce jugement auprès de la chambre administrative. Il a conclu à l’annulation de celui-ci et cela fait à la confirmation de sa décision du 31 mai 2022 ordonnant la détention administrative de l’intéressé pour une durée de trois mois sur la base des art. 75 al. 1 let. c, g et h et 76 al. 1 let. b, ch. 1,3 et 4 LEI. Préalablement, l’effet suspensif devait être restitué au recours.

Le TAPI avait réduit la durée de la détention administrative à trois semaines, soit jusqu’au 20 juin 2022 inclus en précisant :

« que le tribunal a déjà jugé à plusieurs reprises (pour l’instant sans confirmation ni infirmation de la part de la chambre administrative de la Cour de justice) que l’expulsion pénale est exécutée une fois pour toutes lorsque l’étranger quitte le territoire et qu’elle ne déploie ensuite plus d’effet que comme interdiction d’entrée, de sorte que si ce dernier revient en Suisse en dépit d’une telle mesure encore en cours de validité, une décision prononçant son renvoi doit être prononcée en vue de son éloignement ». Selon la juridiction de première instance, il appartenait en conséquence à l’OCPM « de prendre sans délai une décision quant au droit de séjour de M. A______ ».

Or, tant l’OCPM que le recourant considéraient ce raisonnement comme erroné. Ils contestaient devoir rendre une décision de renvoi fondée sur l’art. 64 LEI et ordonner à nouveau la mise en détention administrative en application de l’art. 76 LEI. Ils n’entendaient dès lors pas donner suite à cette injonction qui leur apparaissait illégale. De surcroît, en se conformant à ladite injonction, le présent recours risquerait de ne plus avoir d’intérêt, ce qui le rendrait irrecevable, conformément à la jurisprudence de la chambre.

Cette problématique juridique les opposait au TAPI depuis un obiter dictum dans un jugement du TAPI du 13 août 2020 :

« Selon la doctrine, lorsqu'un étranger a quitté la Suisse suite au prononcé d'un renvoi, mais qu'il revient ensuite en Suisse, une détention basée sur l'art. 76 LEI nécessite alors en principe une nouvelle décision de renvoi (Gregor CHATTON et Laurent MERZ, in Code annoté de droit des migrations, vol. II, Minh Son NGUYEN et Cesla AMARELLE, edit., ad art. 76 p. 783 ch. 12). Quand bien même ces auteurs n'évoquent pas spécifiquement la problématique de l'expulsion pénale, il n'existe pas d'indication selon laquelle l'obligation de quitter la Suisse suite au prononcé d'une telle mesure devrait être envisagée autrement que lorsqu'une telle obligation découle d'une décision de renvoi administrative au sens des art. 64 et ss LEI. La durée de l'expulsion pénale ne saurait être interprétée comme une obligation permanente valable à chaque fois que l'intéressé revient en Suisse. En effet, une obligation est satisfaite une fois pour toutes au moment où il y est donné suite (à moins qu'il ne s'agisse d'une obligation de répéter un comportement à plusieurs reprises), tandis qu'une interdiction peut se déployer dans la durée, en tant qu'il s'agit de s'abstenir d'un certain comportement. C'est ici que la double composante de l'expulsion pénale au sens des art. 66a ou 66abis CP prend son sens : l'obligation de quitter la Suisse est entièrement satisfaite au moment où l'intéressé quitte le territoire national et la décision d'expulsion est alors, sous cet angle, entièrement exécutée. Quant à la seconde composante de l'expulsion pénale, à savoir l'interdiction d'entrée, elle se déploie durant toute la durée prévue ».

Il était indispensable que la chambre de céans se prononce sur la question.

Il détaillait la problématique sur effet suspensif, étant contraint, au vu du jugement querellé et des délais que ce dernier induisait pour déposer la demande de prolongation de la détention, d’obéir à l’injonction du TAPI le 8 juin 2022 déjà, sous peine de risquer que M. A______ ne soit libéré.

Au fond, le jugement pénal prononçant l’expulsion n’avait pas à être complété par une décision administrative. Un retour en Suisse ne mettait pas à néant les effets du jugement pénal.

7) Par décision du 8 juin 2022, le vice-président de la chambre de céans a refusé de restituer l’effet suspensif au recours. La question de l’existence d’un intérêt actuel serait examinée au fond, étant rappelé que dans un précédent arrêt, la chambre de céans avait relevé qu’il se pourrait que la question soulevée revête une portée pratique lors d’un prochain contrôle de la détention, auquel cas la chambre pourrait entrer en matière.

Sur effet suspensif, rien ne justifiait de s’éloigner de la jurisprudence de la chambre de céans. Le commissaire de police n’encourrait aucun dommage irréparable en devant donner suite à l’injonction du TAPI de devoir prendre une décision de renvoi à l’encontre de l’intimé.

8) Dans sa réponse, l’intimé a conclu à la confirmation du jugement attaqué. Contrairement à ce qu’affirmait le commissaire de police, le TAPI était compétent pour rendre une nouvelle décision de mise en détention administrative. Une telle décision pouvait effectivement être prononcée pour une durée de trois semaines soit jusqu’au 22 juin 2022 inclus.

9) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) a. Le recours a été interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

b. Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1) ; si l'intérêt s'éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4).

Il est toutefois exceptionnellement renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 140 IV 74 consid. 1.3 ; 139 I 206 consid. 1.1) ou lorsqu'une décision n'est pas susceptible de se renouveler mais que les intérêts des recourants sont particulièrement touchés avec des effets qui vont perdurer (ATF 136 II 101 ; 135 I 79). Cela étant, l'obligation d'entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l'absence d'un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 135 I 79 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009 consid. 3).

c. En l’espèce, la demande d’octroi d’effet suspensif au recours ayant été refusée par décision du 8 juin 2022 par la chambre de céans, l’OCPM a été contraint de prononcer une décision de renvoi et de solliciter la prolongation de la détention du recourant en application de l’art. 76 LEI, rendant ainsi en principe irrecevable le présent recours qui n’aurait plus d’objet (ATA/1152/2021 du 27 octobre 2021). Ce procédé fait toutefois obstacle au contrôle de légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours. Il convient en conséquence de reconnaître un intérêt actuel au recours, lequel est en conséquence recevable.

2) Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr – F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 7 juin 2022 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3) Le commissaire de police conteste l’interprétation du TAPI selon laquelle lorsqu’une personne faisant l’objet d’une expulsion fondée sur les art. 66a et 66abis CP quitte la Suisse puis y revient pendant la durée de validité de cette mesure, l’OCPM doit prononcer à son endroit une décision de renvoi fondée sur les art. 64ss LEI.

Ceci implique que, dans cette situation, un ordre de mise en détention administrative de l’étranger ne pourrait, selon le TAPI se fonder que sur l’art. 75 LEI et non sur l’art. 76 LEI.

4) Les étrangers qui menacent la sécurité du pays peuvent être expulsés de Suisse (art. 121 al. 2 Cst). Ils sont privés de leur titre de séjour, indépendamment de leur statut, et de tous leurs droits à séjourner en Suisse : a) s’ils ont été condamnés par un jugement entré en force pour meurtre, viol, ou tout autre délit sexuel grave, pour un acte de violence d’une autre nature tel que le brigandage, la traite d’êtres humains, le trafic de drogue ou l’effraction ; ou b) s’ils ont perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale (art. 121 al. 3 Cst). Le législateur précise les faits constitutifs des infractions visées à l’al. 3. Il peut les compléter par d’autres faits constitutifs (art. 121 al. 4 Cst). Les étrangers qui, en vertu des al. 3 et 4, sont privés de leur titre de séjour et de tous leurs droits à séjourner en Suisse doivent être expulsés du pays par les autorités compétentes et frappés d’une interdiction d’entrer sur le territoire allant de cinq à quinze ans. En cas de récidive, l’interdiction d’entrer sur le territoire sera fixée à vingt ans (art. 121 al. 5 Cst). Les étrangers qui contreviennent à l’interdiction d’entrer sur le territoire ou qui y entrent illégalement de quelque manière que ce soit sont punissables. Le législateur édicte les dispositions correspondantes (art. 121 al. 6 Cst).

5) L’art. 5 LEI prévoit en son al. 1 let. d que pour entrer en Suisse, tout étranger doit notamment ne pas faire l’objet d’une mesure d’éloignement ou d’une expulsion au sens des art. 66a ou 66abis CP.

6) a. Les autorités compétentes rendent une décision de renvoi ordinaire à l’encontre : d’un étranger qui n’a pas d’autorisation alors qu’il y est tenu (let. a) ; d’un étranger qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d’entrée en Suisse au sens de l’art. 5 (let. b) ; d’un étranger auquel une autorisation est refusée ou dont l’autorisation, bien que requise, est révoquée ou n’est pas prolongée après un séjour autorisé (let. c al. 1 art. 64 LEI).

La décision visée à l’al. 1, let. a et b, peut faire l’objet d’un recours dans les cinq jours ouvrables suivant sa notification. Le recours n’a pas d’effet suspensif. L’autorité de recours statue dans les dix jours sur la restitution de l’effet suspensif (art. 64 al. 3 LEI).

b. Lorsqu’une personne est entrée illégalement en Suisse, la décision de renvoi lui est notifiée au moyen d’un formulaire type (art. 64b LEI). Le renvoi peut être immédiatement exécutoire (ou un délai de départ de moins de sept jours peut être fixé), notamment lorsque la personne concernée constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ou pour la sécurité intérieure ou extérieure (art. 64d al. 2 let. a LEI) ou lorsque des éléments concrets font redouter qu'elle entende se soustraire à l’exécution du renvoi (art. 64d al. 2 let. b LEI), de tels éléments résidant notamment dans le fait qu'elle a franchi la frontière malgré une interdiction d’entrer en Suisse (art. 64d al. 3 let. c LEI).

7) a. Afin d’assurer l’exécution d’une procédure de renvoi ou d’expulsion ou d’une procédure pénale pouvant entraîner une expulsion obligatoire au sens des art. 66a ou 66abis CP ou 49a ou 49abis du Code pénal militaire du 13 juin 1927 (CPM - RS 321.0), l’autorité cantonale compétente peut ordonner la détention pendant la préparation de la décision sur le séjour, pour une durée de six mois au plus, d’une personne qui n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, de séjour ou d’établissement, pour l’une des raisons suivantes. Suivent neuf raisons, mentionnées sous let. a à h (art. 75 al. 1 LEI).

L’autorité compétente prend sans délai une décision quant au droit de séjour de la personne mise en détention (art. 75 al. 2 LEI).

b. Après notification d’une décision de première instance de renvoi ou d’expulsion au sens de la LEI ou d’une décision de première instance d’expulsion obligatoire au sens des art. 66a ou 66abis CP ou 49a ou 49abis CPM, l’autorité compétente peut, afin d’en assurer l’exécution, soit maintenir en détention la personne concernée lorsque celle-ci est déjà détenue en vertu de l’art. 75 LEI (let. a), soit la mettre en détention (let. b) dans quatre cas de figure : pour les motifs cités à l’art. 75 al. 1 let. a, b, c, f, g, h ou i (ch. 1) ; si des éléments concrets font craindre que la personne concernée entend se soustraire au renvoi ou à l’expulsion, en particulier parce qu’elle ne se soumet pas à son obligation de collaborer en vertu de l’art. 90 LEI ou de l’art. 8 al. 1 let. a ou al. 4 de la loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31 ; ch. 3) ; si son comportement permet de conclure qu’elle se refuse à obtempérer aux instructions des autorités (ch. 4) ; ou si la décision de renvoi est notifiée dans un centre de la Confédération et que l’exécution du renvoi est imminente (art. 76 al. 1 ch. 5 LEI).

Les démarches nécessaires à l’exécution du renvoi, de l’expulsion au sens de la LEI ou de l’expulsion au sens des art. 66a ou 66abis CP ou 49a ou 49abis CPM doivent être entreprises sans tarder (art. 76 al. 4 LEI).

8) a. Aux termes de l’art. 66a CP, le juge expulse de Suisse l’étranger qui est condamné pour l’une des infractions suivantes, quelle que soit la quotité de la peine prononcée à son encontre, pour une durée de cinq à quinze ans. Suit une liste d’infractions répertoriées des let. a à p (al. 1). Le juge peut exceptionnellement renoncer à une expulsion lorsque celle-ci mettrait l’étranger dans une situation personnelle grave et que les intérêts publics à l’expulsion ne l’emportent pas sur l’intérêt privé de l’étranger à demeurer en Suisse. À cet égard, il tiendra compte de la situation particulière de l’étranger qui est né ou qui a grandi en Suisse (al. 2). Le juge peut également renoncer à l’expulsion si l’acte a été commis en état de défense excusable ou de nécessité excusable (al. 3).

b. L’expulsion s’applique dès l’entrée en force du jugement (art. 66c al. 1 CP). La peine ou partie de peine ferme ou la mesure privative de liberté doit être exécutée avant l’expulsion (al. 2). L’expulsion est exécutée dès que la personne condamnée est libérée conditionnellement ou définitivement de l’exécution de la peine ou de la mesure, ou dès que la mesure privative de liberté est levée, s’il n’y a pas de peine restante à exécuter et qu’aucune autre mesure privative de liberté n’est ordonnée (al. 3). Si la personne sous le coup d’une expulsion est transférée vers son pays d’origine pour y exécuter la peine ou la mesure, le transfèrement a valeur d’exécution de l’expulsion (al. 4). La durée de l’expulsion est calculée à partir du jour où la personne condamnée a quitté la Suisse (al. 5).

9) Par décision d’expulsion au sens des art. 66 CP on entend l’ordre donné, par une autorité compétente, à un étranger de quitter le territoire suisse, lié à l’interdiction d’y entrer à nouveau pendant la durée de l’expulsion (Commentaire romand du code pénal II-Aude BICHOVSKY, art.291 CP N 4 et les références citées).

10) À teneur d’un arrêt récent (ATF 147 IV 253 consid. 2.2.1) le Tribunal fédéral a rappelé que celui qui aura contrevenu à une décision d'expulsion du territoire de la Confédération ou d'un canton prononcée par une autorité compétente sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire selon l'art. 291 CP (rupture de ban). La rupture de ban suppose la réunion de trois conditions : une décision d'expulsion, la transgression de celle-ci et l'intention. L'infraction est consommée si l'auteur reste en Suisse après l'entrée en force de la décision, alors qu'il a le devoir de partir ou s'il y entre pendant la durée de validité de l'expulsion (ATF 147 IV 232 consid. 1.1 et les références citées). La rupture de ban est un délit continu qui est réalisé aussi longtemps que dure le séjour illicite (ATF 147 IV 232 consid. 1.1 ; ATF 135 IV 6 consid. 3.2).

La rupture de ban constitue un délit contre l'autorité publique (titre quinzième du CP ; ATF 147 IV 232 consid. 1.6 et les références citées). Elle vise à garantir l'exécution des décisions d'expulsion prises par les autorités judiciaires ou administratives. Par l'art. 291 CP, on veut assurer l'efficacité de l'expulsion, sorte de disposition spéciale par rapport à l'art. 292 CP (ATF 147 IV 253 précité et les références citées).

L'art. 115 al. 1 let. a et b LEI, qui réprime de manière générale le fait d'entrer ou de résider en Suisse illégalement, revêt un caractère subsidiaire par rapport à la rupture de ban, qui sanctionne la transgression d'une décision d'expulsion, judiciaire ou administrative, par le fait d'entrer ou de rester en Suisse au mépris d'une telle décision (ATF 147 IV 232 consid. 1.1 et les références citées). L'art. 291 CP n'est ainsi applicable qu'à celui qui contrevient à une expulsion, ce qui n'est notamment pas le cas si l'auteur a fait l'objet d'un refoulement, d'un renvoi, d'une interdiction d'entrée ou du non-renouvellement d'une autorisation de séjour. À défaut de contrevenir à une expulsion, c'est l'art. 115 LEI qui s'applique (ATF 147 IV 232 consid. 1.1 et les références citées). Il est admis en doctrine que le comportement réprimé par l'art. 115 al. 1 (let. a et b) LEI consistant à entrer ou rester en Suisse en violation d'une règle administrative est identique à celui réprimé par l'art. 291 CP. Ainsi, celui qui commet une rupture de ban en demeurant en Suisse malgré une décision d'expulsion, réalise également les éléments constitutifs du séjour illégal au sens de l'art. 115 al. 1 let. b LEI, disposition qui a un caractère subsidiaire par rapport à l'art. 291 CP (ATF 147 IV 232 consid. 1.1 et les références citées).

11) a. En l’espèce, le recourant a fait l’objet d’une expulsion pénale obligatoire (art. 66a al. 1 let. o CP) pour une durée de cinq ans, selon un jugement du TP du 8 août 2019, définitif et exécutoire.

Il a été expulsé le 30 janvier 2020 au B______, son pays d’origine. La durée de cinq ans a commencé à courir à cette date (art. 66c al. 5 CP).

Il est revenu en Suisse où il a été appréhendé le 27 janvier 2022, soit pendant les cinq ans de validité de l’expulsion pénale.

Se pose la question de savoir si in casu l’expulsion pénale judiciaire du 8 août 2019 suffit pour ordonner la détention administrative au sens de l’art. 76 LEI ou si le commissaire de police doit prononcer une nouvelle décision de renvoi au sens de l’art. 64 LEI.

Un retour de l’intéressé en Suisse, pendant la durée de l’expulsion pénale, après son exécution, constitue une rupture de ban au sens de l’art. 291 CP, infraction qui absorbe une violation de l’art. 115 LEI. Il a d’ailleurs été condamné pour cette infraction par jugement du TP du 18 mars 2022. Compte tenu des trois conditions rappelées par le Tribunal fédéral en lien avec l’art. 291 CP, revenir en Suisse pendant la durée de la mesure d’expulsion pénale est constitutif d’une transgression de celle-ci. Il en découle que l’exécution matérielle de l’expulsion n’influe pas sur sa validité.

De surcroît, le texte de l’art. 76 LEI est clair, dans la mesure où il prévoit qu’après notification d’une décision de première instance d’expulsion au sens des art. 66a ou 66abis CP, l’autorité compétente peut, afin d’en assurer l’exécution, soit maintenir en détention la personne concernée lorsque celle-ci est déjà détenue en vertu de l’art. 75 LEI (let. a), soit la mettre en détention (let. b).

Dès lors, le prononcé d’une nouvelle décision de renvoi n’est pas nécessaire, contrairement à ce qu’a retenu le TAPI, et l’intimé peut être maintenu en détention administrative en application de l’art. 76 LEI sur la base du jugement du TP du 8 août 2019 prononçant son expulsion au sens des art. 66a CP.

b. Le recourant a notamment été condamné pour un crime en violation de la LStup. Il a mis en échec l’exécution de son expulsion, en revenant en Suisse. Au vu de ces éléments, le risque que le recourant, s’il était libéré, disparaisse dans la clandestinité, apparaît concret et réel. Les conditions d’une détention administrative fondée sur l’art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI ainsi que le ch. 1 cum l’art. 75 al. 1 let. c, g et h sont donc remplies.

12) Reste à examiner si la détention ordonnée respecte le principe de la proportionnalité.

a. Ce principe, garanti par l'art. 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

b. Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention en vue du renvoi ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l'accord de l'autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l'autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l'obtention des documents nécessaires au départ auprès d'un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI).

c. Malgré la décision d’expulsion, l’intimé est revenu en Suisse. Il a indiqué qu’il n’entendait pas repartir au B______. Il allègue vouloir partir en D______ mais ne démontre en l’état pas être titulaire d’un droit d’y séjourner ni n’indique avoir produit de documents pour prouver son droit de séjour dans ce pays et les liens familiaux dont il se prévaut.

En outre, l’assurance de son départ effectif de Suisse répond à un intérêt public certain, notamment au vu de ses condamnations pour infraction à la LStup et faux dans les certificats étrangers.

Les autorités suisses ont agi avec célérité, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté. Par ailleurs, la durée de la mesure est compatible avec la limite posée par l’art. 79 LEI. Elle permet de tenir compte du temps nécessaire pour obtenir le laissez passer et procéder à l’exécution. Il s’agit par ailleurs d’une mise en détention et non d’une prolongation.

Dans ces circonstances, aucune mesure moins incisive que la mise en détention administrative n’est à même de garantir la présence du recourant lors de l'exécution du renvoi. La détention est ainsi apte à atteindre le but voulu par le législateur, s’avère nécessaire, compte tenu de la difficulté prévisible de l’exécution du renvoi en raison du refus du recourant d’être renvoyé au B______ et proportionnée au sens étroit au vu des démarches entreprises par les autorités helvétiques pour que le renvoi intervienne rapidement, le risque qu’il refuse de prendre le vol prévu le 20 juin 2022 vu son souhait de partir en D______, le fait qu’il est revenu en Suisse et de la gravité des infractions commises sur le territoire helvétique.

La détention administrative du recourant est ainsi conforme au droit et au principe de la proportionnalité.

Bien fondé, le recours sera admis.

13) La procédure étant gratuite, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA cum art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 juin 2022 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 juin 2022 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 juin 2022 ;

rétablit l’ordre de mise en détention émis par le commissaire de police le 31 mai 2022 pour une durée de trois mois, à savoir jusqu’au 31 août 2022 inclus ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au commissaire de police, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à Me Cédric Berger, avocat de M. A______, à l'office cantonal de la population et des migrations, au secrétariat d'Etat aux migrations, ainsi qu'à l’établissement de détention administrative Favra, pour information.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. Cichocki

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :