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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4016/2021

ATA/544/2022 du 24.05.2022 ( FORMA ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4016/2021-FORMA ATA/544/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 24 mai 2022

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

UNIVERSITÉ DE GENÈVE



EN FAIT

1) a. Madame A______ (ci-après : l'étudiante) s'est immatriculée à la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation (ci-après : la faculté ou FPSE) de l’Université de Genève (ci-après : l’université) au semestre de printemps 2018, pour y suivre les cursus de Maîtrise en français langue étrangère et de Maîtrise en sciences de l'éducation – analyse et intervention dans les systèmes éducatifs (M-AISE).

Elle a d'abord été inscrite à l'École de langue et de civilisation française (ci-après : ELCF), subdivision de la Faculté de lettres, lors de l'année académique 2018-2019, en année propédeutique, qu'elle a validée à son issue et qui lui a permis d'intégrer le cursus de M-AISE.

Il lui a toutefois été demandé encore un complément de formation sous la forme d'un certificat complémentaire en sciences de l'éducation, analyse et intervention dans les systèmes éducatifs (ci-après : C-AISE), totalisant 60 crédits devant être validés avant septembre 2021.

b. Par décision du 4 novembre 2020, Monsieur B______, président de la section, a accepté par dérogation son opposition du 20 octobre 2020, formée en lien avec sa demande d'inscription rétroactive aux enseignements du semestre d'automne, aux fins de lui permettre d'obtenir les crédits requis dans le temps imparti.

2) Par décision du 29 septembre 2019 (sic 2021), l'étudiante a été éliminée du programme C-AISE.

À l'issue de la session d'examens d'août-septembre 2021, elle avait totalisé vingt-sept crédits en échec sur les six réglementairement autorisés et n'avait pas obtenu le nombre de crédits requis dans le délai d'études fixé.

Son élimination du certificat entrainait l'annulation de son admission à la M-AISE.

3)   Le 11 octobre 2021, l'étudiante a fait opposition à son élimination. Elle sollicitait l'effet suspensif. Elle relevait une erreur, un cours « manqué » ayant été marqué deux fois et un cours « réussi » marqué comme « manqué ». Sa première formation universitaire en Iran avait été menée sans embuches et elle devait faire face à des difficultés majeures, en lien avec son apprentissage de la langue française, qui ralentissaient son parcours et nécessitaient de gros efforts de sa part ; avec l'état de santé déficient de ses deux parents, qui plus est âgés et nécessitant un accompagnement constant tant sur le plan humain que financier ; avec son taux d'activité professionnel qu'elle avait dû pendant quelque temps augmenter, ainsi qu'avec la difficulté des études à distance.

4) Par décision du 26 octobre 2021, déclarée exécutoire nonobstant recours, la doyenne de la FPSE a rejeté l'opposition. Suite au préavis émis par la commission désignée pour instruire celle-ci, la décision d’élimination du programme d’études du certificat était maintenue. Les difficultés alléguées ne présentaient pas le caractère exceptionnel nécessaire à une dérogation aux dispositions réglementaires, étant partagées par un grand nombre d’étudiants. Le nombre de crédits en échec indiqué dans la décision était correct, une des deux unités ayant été échouée sur deux années académiques et la seconde ayant été échouée en seconde tentative. Selon l'art. 12.7 du règlement, lorsqu'une unité de formation (ci-après : UF) était échouée au terme de la deuxième évaluation, l'échec et le nombre de crédits correspondant restent inscrits dans la situation de l'étudiant jusqu'au l'obtention du diplôme, même si l'UF est réussie lors de la seconde inscription.

5) Le 25 novembre 2021, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, confirmant son élimination du programme d’études du C-AISE, de la faculté du fait des deux échecs successifs, au terme des années académiques consécutives 2019-2020 et 2020-2021 de l'UF 742382, et, à l’occasion d’une seconde tentative pour l’année académique 2019-2020 lors de la session d’examens de janvier-février 2021 de l’UF 742395, concluant principalement à son annulation.

À titre préalable, elle a requis la restitution de l'effet suspensif au recours, car elle considérait que le refus d'effet suspensif au recours constituait un abus de pouvoir de la part de l'université.

Les décisions avaient été prises à la hâte, de façon arbitraire et avec un excès de sévérité déplorable et extrêmement préjudiciable pour elle, car bouleversant ses espoirs professionnels. Elle se trouvait dans une situation exceptionnelle. Elle se référait à son courrier d’opposition du 10 octobre 2021, dans lequel elle exposait qu’elle avait enseigné en Iran au bénéfice de diplômes universitaires, puis avait émigré en Suisse depuis quatre ans, où elle avait dû reprendre sa formation, maîtriser le français, s’occuper de ses parents âgés et malades, gérer la perte inattendue de son beau-père, travailler à temps partiel comme accompagnatrice pour enfants allophones pour assurer son entretien et enfin affronter les difficultés de l’enseignement à distance imposé par la pandémie, soit en particulier l’impossibilité de créer les liens indispensables avec d’autres étudiants.

6) La restitution de l’effet suspensif au recours a été refusée par décision du 7 janvier 2022.

7) L'université a conclu au rejet du recours en l'absence de justes motifs.

L'étudiante avait dépassé le nombre maximal de crédits autorisé en échec et n'avait pas validé le nombre de crédits requis. Son élimination du programme résultait de l'application du règlement d'études, qu'elle ne contestait pas, pas plus que les notes obtenues.

Les circonstances qu'elle invoquait ne pouvaient pas être qualifiées d’exceptionnelles au sens de la jurisprudence, qu'elles soient prises de manière individuelle ou de façon cumulée. Elle disposait des connaissances nécessaires en français pour suivre le cursus de C-AISE, puisqu'elle avait réussi le programme de français intensif au sein de l'ELCF. Les difficultés en lien avec l'état de santé de ses parents existaient en septembre 2019, voire étaient antérieures, étaient communes à de très nombreux étudiants et n'avaient été invoquées pour la première fois que lors de son opposition à son élimination. L'étudiante ne démontrait ni leurs effets perturbateurs ni leur lien de causalité avec son élimination, survenues bien ultérieurement. Ni l'obligation d'exercer une activité professionnelle parallèlement à ses études ni les difficultés de voisinage, pas plus que celles liées à la crise sanitaire, également exprimées après la décision d'élimination, ne pouvaient être qualifiées de circonstances exceptionnelles au sens de la jurisprudence.

Si la recourante estimait que le cumul de ces difficultés ne lui permettait pas de poursuivre ses études, il lui appartenait de les invoquer sans délai, à tout le moins sans attendre son élimination et de demander un congé, une absence justifiée à un ou plusieurs examens ou une prolongation du délai d'études auprès de la doyenne de la faculté, afin de compenser son impact.

8) Dans sa réplique, la recourante a persisté dans ses conclusions. Le refus de reconnaître qu'elle se trouvait dans une situation exceptionnelle était excessivement sévère, alors que ses arguments étaient sérieux, prouvés et réalisaient clairement les conditions de l'article invoqué. Il ne pouvait pas lui être reproché de ne pas avoir anticipé l'incidence sur ses études des nombreuses difficultés auxquelles elle avait été confrontée, dans une période de pandémie où même les personnes œuvrant au plus haut niveau avaient pris des décisions suivies de « contre-décisions ».

9) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

10) Le contenu des pièces produites sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 43 al. 2 de la loi sur l’université du 13 juin 2008 – LU – C 1 30 ; art. 91 du statut de l'université du 22 juin 2011 (ci-après : statut) ; art. 36 al. 1 du règlement relatif à la procédure d’opposition au sein de l’université du 16 mars 2009 - RIO-UNIGE, révisé le 25 mars 2015 ; art. 17.2 du règlement du certificat complémentaire en sciences de l'éducation, analyse et intervention dans les systèmes éducatifs du 18 septembre 2017 [ci-après: RE]).

2) Le présent litige porte sur l'élimination définitive de la recourante de la FPSE et s'examine à l'aune du RE, du plan d'études ainsi que du statut de l'université, ce qui n'est au demeurant pas contesté.

3) Selon l’art. 16 al. 1 let. a RE, l’étudiant qui n’a pas obtenu les crédits requis dans les délais fixés à l'art. 8, ou échoue à un nombre d'UF totalisant plus de 6 crédits, conformément à l'art. 13.1 RE, est éliminé de la faculté.

4) a. La recourante ne remet pas en cause les notes obtenues, mais se prévaut de circonstances exceptionnelles, qui n'avaient pas été retenues de manière excessivement sévère.

b. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Ce principe se compose ainsi des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé - de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

c. En l’espèce, la recourante n’a pas obtenu les soixante crédits nécessaires en quatre semestres et a cumulé vingt-sept crédits en échec, au lieu des six autorisés. Son élimination est donc fondée.

Elle ne paraît pas disproportionnée car apte et nécessaire à assurer que seuls les étudiants respectant toutes les conditions du règlement puissent poursuivre leur cursus. Elle reste proportionnée au sens étroit, l’élimination, certes lourde de conséquences pour l’étudiante, permettant toutefois d’assurer l’égalité de traitement entre les étudiants notamment quant aux conséquences en termes de nombres de crédits exigés, respectivement échoués.

d. À teneur de l'art. 58 al. 3 du statut, l'étudiant qui échoue à un examen ou à une session d'examens auxquels il ne peut plus se présenter en vertu du règlement d'études est éliminé (let. a). La décision d'élimination est prise par le doyen de l'unité principale d'enseignement et de recherche, lequel tient compte des situations exceptionnelles (art. 58 al. 4 du statut).

Le doyen ou la doyenne tient compte des situations exceptionnelles lors de la prise d'une décision d'élimination (art. 58 al. 4 du statut).

Selon la jurisprudence, l'admission d'une situation exceptionnelle doit se faire avec restriction. Il en va de l'égalité de traitement entre tous les étudiants s'agissant du nombre de tentatives qu'ils sont autorisés à effectuer pour réussir leurs examens. N'est ainsi exceptionnelle que la situation particulièrement grave et difficile pour l'étudiant, ce tant d'un point de vue subjectif qu'objectif. Les effets perturbateurs doivent avoir été dûment prouvés par l'étudiant et être en lien de causalité avec l'événement. Les autorités facultaires disposent dans ce cadre d'un large pouvoir d'appréciation, dont l'autorité de recours ne censure que l'abus. La chambre de céans n'annule donc le prononcé attaqué que si l'autorité intimée s'est laissée guider par des motifs sans rapport avec l'examen ou d'une autre manière manifestement insoutenable (ATF 136 I 229 consid. 6.2 ; 131 I 467 consid. 3.1 ; ATA/1121/2020 du 10 novembre 2020 consid. 4.d ; ATA/716/2020 du 4 août 2020 et les références citées).

Ont ainsi été considérées comme des situations exceptionnelles le décès d'un proche s'il est établi qu'il a causé un effet perturbateur en lien de causalité avec l'échec de l'étudiant, de graves problèmes de santé ou encore l'éclatement d'une guerre civile avec de très graves répercussions sur la famille de l'étudiant. En revanche, des difficultés financières, économiques ou familiales ainsi que l'obligation d'exercer une activité lucrative en sus des études ne constituent pas des circonstances exceptionnelles, même si elles représentent une contrainte. Ces difficultés sont certes regrettables, mais font partie d'une réalité commune à de très nombreux étudiants (ATA/459/2020 du 7 mai 2020 consid. 5b ; ATA/250/2020 du 3 mars 2020 consid. 4b et les références citées).

e. Un motif d'empêchement ne peut, en principe, être invoqué par le candidat qu'avant ou pendant l'examen (arrêt du Tribunal administratif fédéral [ci-après : TAF] B-6593/2013 du 7 août 2014 consid. 4.2 ; ATA/281/2021 du 2 mars 2021).

Les candidats qui ne se sentent pas aptes, pour des raisons de santé, à se présenter à un examen doivent l'annoncer avant le début de celui-ci. À défaut, l'étudiant accepte le risque de se présenter dans un état déficient qui ne peut justifier par la suite l'annulation des résultats obtenus (ATA/459/2020 précité ; ATA/345/2020 du 7 avril 2020 consid. 7b).

f. En l'espèce, la recourante se prévaut principalement de difficultés en lien avec sa maîtrise de la langue française, l'état de santé et le besoin de soutien de ses parents, le brusque décès de son beau-père, et son activité professionnelle parallèle, pour soutenir que leur cumul constituerait des circonstances exceptionnelles.

La recourante ne s’est toutefois préoccupée des conséquences des difficultés qu'elle invoque qu’à la réception de la décision d’élimination. Or, elles lui étaient connues de longue date, pour certaines antérieurement à son inscription au cursus. Elle ne conteste d’ailleurs pas que les modalités de son parcours universitaire auraient pu être discutées en tout temps avec la doyenne, mais se prévaut d'un manque d'anticipation de leur impact. Elle est en conséquence forclose à s'en prévaloir.

De surcroît, si certaines situations dans lesquelles s’est retrouvée la recourante à la suite des problèmes de santé rencontrés simultanément par ses parents, avec pour conséquence de devoir augmenter ses revenus, de même que le décès de son beau-père, ont pu compliquer son parcours, elle n'en démontre pas la causalité avec ses échecs, ni qu'elle aurait demandé des aménagements particuliers pour en tenir compte, ce que la faculté a rappelé à juste titre.

Enfin, les difficultés liées à la pandémie se sont imposées à tous les étudiants de l’université et l’obligation d’exercer une activité lucrative en sus des études ne constitue pas non plus une circonstance exceptionnelle.

Compte tenu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

5)   Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et n’indique pas être exonérée des taxes universitaires (art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 novembre 2021 par Madame A______ contre la décision sur opposition de l' Université de Genève du 26 octobre 2021 ;

 

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Madame A______ un émolument de CHF 400.-;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, s'il porte sur le résultat d'examens ou d'autres évaluations des capacités, en matière de scolarité obligatoire, de formation ultérieure ou d'exercice d'une profession (art. 83 let. t LTF) ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______ ainsi qu'à l'Université de Genève.

Siégeant : Mme Lauber, présidente, M. Mascotto et Mme Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. Lauber

 

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :