Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/457/2022 du 03.05.2022 ( LIPAD ) , ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3459/2021-LIPAD ATA/457/2022 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 3 mai 2022 |
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dans la cause
Madame A______ et Monsieur A______
représentés par Me Gazmend Elmazi, avocat
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
1) Madame A______ et Monsieur A______ (ci-après : les propriétaires) sont propriétaires des immeubles n° 1______ et 2______ sur la parcelle n° 11119 de la commune de B______. Les immeubles concernés sont situés dans le périmètre protégé par le plan de site « C______ » (plan 3______) et inscrits à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés.![endif]>![if>
2) Le 25 novembre 2020, la direction de l’inspectorat de la construction
(ci-après : DIC) de l’office des autorisations de construire (ci-après : OAC) a été saisie d’une dénonciation relative à des travaux en cours d’exécution sur les immeubles n° 1______ et 2______ en question. ![endif]>![if>
La dénonciation a été transmise au service des monuments et site
(ci-après : SMS) de l’office du patrimoine et des sites (ci-après : OPS).
3) Par courriel du même jour, transmis à 11h27, Monsieur D______, architecte-conservateur du SMS, a informé l’architecte des propriétaires de ce que le service avait été interpellé par un voisin au sujet des travaux en cours. M. A______ lui avait indiqué, par téléphone, que les travaux étaient liés à la pose de panneaux solaires. Ce dernier serait toutefois « déjà en train d’enlever le bardage ». Il fallait donc « lui dire d’arrêter tous travaux encore non autorisés ». Une visite du chantier aurait lieu le lendemain matin, 26 novembre 2020, à 8h30.![endif]>![if>
4) Par réponse du même jour, transmise à 13h42, l’architecte des propriétaires a déclaré être surpris par le message et par le fait qu’un « simple téléphone d’un voisin impliqu[ait] un arrêt de chantier pour un dossier au bénéfice d’une autorisation de construire en force ». Les travaux incriminés, soit la pose de panneaux solaires, étaient non seulement autorisés mais requis par l’office cantonal de l’énergie (OCEN) dans des délais précis. Le plus surprenant était l’anonymat de l’interpellation, ce qui empêchait le propriétaire de « se retourner » et « se défendre ». Ils souhaitaient connaître l’identité du dénonciateur.![endif]>![if>
5) M. D______ a répondu, par courriel du même jour, que, « pour les panneaux solaires, ces derniers semblaient effectivement autorisés mais pas l’enlèvement du bardage ». Il verrait « tout ça demain ».![endif]>![if>
6) Par courriel du 26 novembre 2020, transmis à 14h17, M. D______ a informé l’architecte des propriétaires que les travaux en cours d’exécution étaient conformes à l’autorisation de construire DD 4______. ![endif]>![if>
7) Par courrier du 16 décembre 2020, les propriétaires, par l’intermédiaire de leur mandataire, ont informé l’OAC de ce que l’interruption injustifiée des travaux leur avait causé un dommage financier. Ils ont produit un courriel de la société E______ du 1er décembre 2020, dont le contenu était le suivant : « Suite à la décision du canton, nous avons dû interrompre les travaux de votre chantier. Tous ces contretemps nous incombent des frais supplémentaires que nous sommes obligés de vous facturer. Il s’agit d’un montant de CHF 2'500.- ». Il appartenait à l’État de les indemniser pour avoir interrompu, malgré toutes les explications de M. A______ et de son architecte, les travaux en cours qui étaient parfaitement autorisés. Ils invitaient dès lors l’OAC à procéder au versement de la somme de CHF 2'500.-. ![endif]>![if>
Ils ont demandé, à nouveau, à ce que l’identité du dénonciateur leur soit révélée dans les plus brefs délais. Ils souhaitaient également connaître l’auteur des deux dénonciations effectuées au mois d’octobre 2017 dans le cadre du dossier I/5______.
8) Par courriers des 8 février et 7 avril 2021 adressés à l’OAC, les propriétaires ont réitéré leur demande d’accès à l’identité du dénonciateur et au contenu de la dénonciation ayant entraîné l’interruption des travaux du 25 novembre 2020.![endif]>![if>
9) Par courrier du 30 avril 2021, le conseiller d’État en charge du Département du territoire (ci-après : DT) a refusé de donner suite à la prétention pécuniaire des propriétaires et à leur requête d’accès à la dénonciation du 25 novembre 2020.![endif]>![if>
Aucune décision ordonnant la suspension des travaux visés par l’autorisation de construire DD 4______ ne leur avait été notifiée. La prétention pécuniaire des propriétaires n’était dès lors pas fondée.
De pratique constante, le DT ne communiquait pas l’identité des dénonciateurs. L’intérêt public de l’État à pouvoir instruire avec les soins nécessaires une dénonciation et à veiller au respect des lois, ainsi qu’à l’intérêt privé du dénonciateur à voir son identité préservée devaient être poursuivis. Ces intérêts l’emportaient sur ceux des propriétaires.
10) Par courrier du 12 mai 2021 adressé au conseiller d’État, les propriétaires ont répondu qu’il leur avait été clairement demandé d’interrompre leurs travaux alors qu’ils avaient pourtant expliqué, de même que leur architecte, qu’ils étaient parfaitement autorisés. M. A______ avait dû insister auprès de M. D______ pour que ce dernier se rende sur place le plus rapidement possible afin d’en permettre la reprise. En raison du courriel du 25 novembre 2020, ils avaient dû interrompre leurs travaux et étaient alors contraints de verser la somme de CHF 2'500.- à la société E______. Ils avaient également dû assumer les frais de leur avocat. Ils n’étaient en aucun cas responsables du dommage. Ils sollicitaient la notification d’une décision formelle.![endif]>![if>
11) Par courrier du 1er juillet 2021, le conseiller d’État a confirmé que le DT ne transmettrait pas les informations sollicitées par les propriétaires. L’intérêt public de l’État à pouvoir exécuter les tâches publiques l’emportait sur les intérêts privés de ces derniers. Ils étaient toutefois invités à saisir le préposé cantonal à la protection des données et de la transparence (ci-après : le préposé cantonal) d’une requête en médiation.![endif]>![if>
12) Le 7 septembre 2021, le préposé cantonal a recommandé au DT de donner accès aux requérants au courriel du 25 novembre 2020, y compris à l’identité du dénonciateur, et de maintenir son refus de transmettre les courriers des 25 septembre 2017 et 27 juillet 2020.![endif]>![if>
L’intérêt des requérants à connaître l’identité de l’auteur du courriel du 25 novembre 2020 afin d’entamer des démarches en justice pour obtenir réparation du dommage l’emportait sur celui de l’État à pouvoir exécuter les tâches publiques qui lui incombaient, ainsi que sur celui du dénonciateur à voir son identité préservée. Même s’il ne lui appartenait pas de juger du bien-fondé d’une action en dommages-intérêts, les conditions d’une telle action n’étaient a priori pas exclues au vu du lien de causalité « évident ». Par ailleurs, à la lecture du courriel du 25 novembre 2020, il ne semblait « pas exclu que le dénonciateur ait agi par pure malveillance, c’est-à-dire dans le seul but de nuire aux époux A______. Le ton de ce document et son contenu permett[aient] en effet une telle hypothèse ». Partant, la dénonciation ne saurait être protégée, au vu de la jurisprudence du Tribunal fédéral.
En revanche, les requérants n’expliquaient pas en quoi la connaissance de l’identité des auteurs des courriers des 25 septembre 2017 et 27 juillet 2020 pourrait engendrer une quelconque action devant les tribunaux et constituer de ce fait un intérêt l’emportant sur celui de l’État à instruire les dénonciations et sur celui du dénonciateur à rester anonyme. Ces dénonciations spontanées répondaient à des considérations relatives à la cause et méritaient d’être protégées.
13) Par décision du 17 septembre 2021, le DT, soit pour lui l’OAC, a refusé de donner l’accès aux propriétaires à la dénonciation du 25 novembre 2020 et suivi la recommandation du préposé cantonal de refuser l’accès aux courriers des 25 septembre 2017 et 27 juillet 2020.![endif]>![if>
La confidentialité liée aux dénonciateurs devait être strictement préservée, car, sans elle, certaines informations ne parviendraient pas à l’autorité compétente. Contrairement à ce que retenait le préposé cantonal, les propriétaires n’avaient en aucun cas démontré que leur intérêt privé devait être privilégié, afin de leur permettre d’entamer des démarches en justice pour pouvoir obtenir la réparation d’un éventuel dommage. Aucune décision d’arrêt de chantier n’avait été émise par l’État et, contrairement à ce qu’ils soutenaient, les travaux en cours d’exécution n’avaient jamais cessé, comme avait pu le constater M. D______, photographies à l’appui. La protection de l’identité du dénonciateur, eu égard à l’intérêt public qui était celui de l’autorité à pouvoir veiller à ce que les travaux exécutés le soient conformément à la loi, notamment lorsqu’il était question d’un site protégé, devait l’emporter sur l’intérêt privé, non démontré, des propriétaires à pouvoir agir en justice. L’accès à la dénonciation du 25 novembre 2020 devait également être refusé dès lors qu’il aurait pour incidence de contrecarrer la mise en œuvre de
l’art. 45 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985
(LPA-GE - E 5 10). Enfin, un accès partiel à ce document n’était pas envisageable.
14) Par acte expédié le 11 octobre 2021, les propriétaires ont recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) à l’encontre de cette décision, concluant à son annulation et à ce qu’il soit ordonné au DT de donner accès à la dénonciation du 25 novembre 2020 aux propriétaires, le tout « sous suite de frais et dépens ».![endif]>![if>
La décision entreprise les empêchait d’intenter une action en dommages-intérêts ou de déposer une plainte pénale à l’encontre du dénonciateur. La jurisprudence de la chambre administrative faisait prévaloir l’intérêt privé à obtenir des données personnelles de tiers, notamment l’adresse d’une personne pour faire valoir ses droits en justice, sur la protection de la sphère privée de ladite personne. Il ressortait de la recommandation du préposé cantonal que le dénonciateur avait agi par « pure malveillance », dans le seul but de leur nuire. Le DT avait tort de protéger cette dénonciation.
15) Par réponse du 6 décembre 2021, le DT a conclu au rejet du recours.![endif]>![if>
Contrairement à ce que soutenaient les propriétaires, la dénonciation n’était pas anonyme. Le seul intérêt privé des propriétaires était d’agir en justice à l’encontre du dénonciateur et d’obtenir réparation. Or, ces derniers ne pouvaient invoquer aucun préjudice en lien avec un éventuel arrêt de chantier puisqu’aucun ordre d’arrêt de chantier n’avait été rendu, le courriel de M. D______ du 25 novembre 2020 ne pouvant être considéré comme une décision. Il ressortait d’ailleurs des photographies produites et des explications fournies par M. D______ à la suite de son transport sur place que le chantier n’avait jamais été arrêté. Dans ces conditions, le DT n’avait pas à privilégier les intérêts privés non démontrés des propriétaires au détriment des intérêts publics. Si le nom des dénonciateurs était communiqué aux propriétaires, le risque que ces derniers se rétractent et ne dénoncent plus d’infractions était bien réel. La dénonciation n’avait du reste rien de malveillant. Elle visait simplement à s’informer de la légalité des travaux en cours, sur un bâtiment inscrit à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés.
L’intimé a produit le courriel de dénonciation du 25 novembre 2020. La chambre de céans n’a pas transmis cette pièce aux recourants.
16) Par réplique du 11 janvier 2022, les recourants ont relevé qu’il était faux de soutenir que le chantier n’avait pas été interrompu. Il ressortait clairement du courriel de la société E______ du 1er décembre 2020 que celle-ci avait été contrainte d’interrompre ses travaux. C’était à juste titre que le préposé cantonal n’avait pas exclu la possibilité pour les propriétaires d’agir en justice contre le dénonciateur. Dans sa recommandation, le préposé cantonal avait précisé qu’il semblait que le dénonciateur avait agi par « pure malveillance ».![endif]>![if>
17) Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées le 17 janvier 2022.![endif]>![if>
18) Le 25 janvier 2022, les propriétaires ont produit un courrier qu’ils avaient adressé le jour même à la DIC et l’informant de ce que leur voisin, « le fils F______ » avait « décidé de dévisser le toit du poulailler et de le retourner à moitié ». Puis, à l’aide d’une tronçonneuse, il avait « coupé la panne faitière de ce même bâtiment ». Les attaques de cette famille arrivaient à un « degré inimaginable de haine ».![endif]>![if>
Le même jour, le DT a indiqué renoncer à formuler des observations complémentaires.
Ces écritures ont été transmises aux parties.
1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente contre la décision de l'autorité intimée prononcée à la suite de la recommandation du préposé cantonal, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA ; art. 60 al. 1 de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 - LIPAD - A 2 08).![endif]>![if>
2) Le litige porte sur la conformité au droit du refus de l’autorité intimée de donner accès aux recourants à l’identité de l’auteur, ainsi qu’au contenu, de la dénonciation du 25 novembre 2020. C’est le lieu de préciser que les intéressés ne sollicitent plus, devant la chambre de céans, l’accès aux courriers des 25 septembre 2017 et 27 juillet 2020. ![endif]>![if>
a. La LIPAD régit l'information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle poursuit deux objectifs, soit favoriser la libre formation de l'opinion et la participation à la vie publique (let. a) ainsi que protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (let. b ; art. 1 al. 2 LIPAD).
Elle comporte deux volets. Le premier concerne l'information du public et l'accès aux documents ; il est réglé dans le titre II (art. 5 ss LIPAD). Le second porte sur la protection des données personnelles, dont la réglementation est prévue au titre III (art. 35 ss LIPAD).
La LIPAD s'applique, sous réserve de l'art. 3 al. 3 LIPAD, non pertinent en l'espèce, et de l'art. 3 al. 5 LIPAD, aux institutions publiques visées à
l'art. 3 al. 1 LIPAD et aux entités mentionnées à l'art. 3 al. 2 LIPAD. Sont notamment concernés les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire cantonaux, ainsi que leurs administrations et les commissions qui en dépendent (art. 3 al. 1 let. a LIPAD).
L'art. 24 LIPAD prévoit que toute personne, physique ou morale, a accès aux documents en possession des institutions, sauf exception prévue ou réservée par la LIPAD (al. 1). L'accès comprend la consultation sur place des documents et l'obtention de copies des documents (al. 2).
Selon l'art. 25 LIPAD, les documents au sens de cette loi sont tous les supports d'information détenus par une institution contenant des renseignements relatifs à l'accomplissement d'une tâche publique (al. 1). Constituent notamment des documents les messages, rapports, études, procès-verbaux approuvés, statistiques, registres, correspondances, directives, prises de position, préavis ou décisions
(al. 2). Pour les informations qui n'existent que sous forme électronique, l'impression qui peut en être obtenue sur support papier par un traitement informatique est un document (al. 3). En revanche, les notes à usage personnel, les brouillons ou autres textes inachevés ainsi que les procès-verbaux encore non approuvés ne constituent pas des documents (al. 4).
La demande d'accès n'est en principe soumise à aucune exigence de forme. Elle n'a pas à être motivée, mais doit contenir des indications suffisantes pour permettre l'identification du document recherché. En cas de besoin, l'institution peut demander qu'elle soit formulée par écrit (art. 28 al. 1 LIPAD).
L'adoption de la LIPAD a renversé le principe du secret de l'administration pour faire primer celui de la publicité. Toutefois, l'application de la LIPAD n'est pas inconditionnelle. En effet, dans la mesure où elle est applicable, elle ne confère pas un droit d'accès absolu, mais prévoit des exceptions, aux fins notamment de garantir la sphère privée des administrés et de permettre le bon fonctionnement des institutions (ATA/427/2020 du 30 avril 2020 consid. 5 ; MGC 2000/VIII 7641 p. 7694 ; MGC 2001 49/X 9676 p. 9680 ss, 9697 et 9738). L'application des restrictions au droit d'accès implique une juste pesée des intérêts en présence lors de leur mise en œuvre (MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7694 ss ; MGC 2001 49/X 9676 p. 9680).
Les exceptions au principe de la publicité sont prévues à l'art. 26 LIPAD. Sont soustraits au droit d'accès les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s'oppose (art. 26 al. 1 LIPAD ; art. 7 al. 1 du règlement d'application de la loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles du 21 décembre 2011 - RIPAD - A 2 08 01). Tel est notamment le cas lorsque l’accès aux documents est propre à rendre inopérantes les restrictions au droit d’accès à des dossiers qu’apportent les lois régissant les procédures judiciaires et administratives (let. e), rendre inopérantes les restrictions légales à la communication de données personnelles à des tiers (let. f), porter atteinte à la sphère privée ou familiale (let. g) ou révéler des informations couvertes par des secrets professionnels, de fabrication ou d’affaires, le secret fiscal, le secret bancaire ou le secret statistique (let. i ; art. 26 al. 2 LIPAD). Est également soustrait au droit d'accès tout document couvert par un autre secret protégé par le droit fédéral, une loi ou un règlement (art. 7 al. 2 let. b RIPAD). Sont également exclus du droit d’accès les documents à la communication desquels le droit fédéral ou une loi cantonale fait obstacle (art. 26 al. 4 LIPAD).
L’exception au droit d’accès prévue à l’art. 26 al. 2 let. f LIPAD constitue un renvoi à l’art. 39 al. 9 LIPAD (ATA/576/2017 du 23 mai 2017 consid. 5b).
La communication de données personnelles à une tierce personne de droit privé n’est possible, alternativement, que si une loi ou un règlement le prévoit explicitement (let. a) ou un intérêt privé digne de protection du requérant le justifie sans qu’un intérêt prépondérant des personnes concernées ne s’y oppose
(let. b ; art. 39 al. 9 LIPAD). Selon l’exposé des motifs relatif au PL 8356, la lettre f coordonne quant à elle l’application de la LIPAD avec la législation (au sens large) sur la protection des données personnelles, dont l’application est d’ailleurs également réservée par l’art. 2 al. 4 LIPAD (MGC 2000 45/VIII 7697).
Par données personnelles ou données, la LIPAD vise toutes les informations se rapportant à une personne physique ou morale de droit privé, identifiée ou identifiable (art. 4 let. a LIPAD).
L'art. 27 LIPAD, qui est une concrétisation du principe de la proportionnalité (MGC 2000 45/VIII 7699 ss), prévoit encore que pour autant que cela ne requière pas un travail disproportionné, un accès partiel doit être préféré à un simple refus d'accès à un document dans la mesure où seules certaines données ou parties du document considéré doivent être soustraites à communication, en vertu de
l'art. 26 LIPAD (art. 27 al. 1 LIPAD). Les mentions à soustraire au droit d'accès doivent être caviardées de façon qu'elles ne puissent être reconstituées et que le contenu informationnel du document ne s'en trouve pas déformé au point d'induire en erreur sur le sens ou la portée du document (art. 27 al. 2 LIPAD). Lorsque l'obstacle à la communication d'un document a un caractère temporaire, l'accès au document doit être différé jusqu'au terme susceptible d'être précisé plutôt que simplement refusé (art. 27 al. 3 LIPAD). Le caviardage des mentions à soustraire au droit d'accès peut représenter une solution médiane qui doit l'emporter
(MGC 2000 45/VIII 7699).
b. Selon l’art. 45 LPA, l’autorité peut interdire la consultation du dossier si l’intérêt public ou des intérêts privés prépondérants l’exigent (al. 1). Le refus d’autoriser la consultation des pièces ne peut s’étendre qu’à celles qu’il y a lieu de garder secrètes et ne peut concerner les propres mémoires des parties, les documents qu’elles ont produits comme moyens de preuves, les décisions qui leur ont été notifiées et les procès-verbaux relatifs aux déclarations qu’elles ont faites (al. 2).
c. Le Tribunal fédéral a précisé que l’intérêt de la personne dénoncée à connaitre l'identité de ses dénonciateurs peut se voir limiter par les intérêts publics de l'État ou les intérêts légitimes du tiers dénonciateur. Toutefois, il ne peut être accepté un intérêt général pour garantir la confidentialité de tout informateur ; il convient de se déterminer par une pesée des intérêts en examinant les intérêts du dénoncé et du dénonciateur (ATF 129 I 249 ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, ch. 2.2.7.6, p. 326 s.).
Dans un arrêt portant sur le droit de consulter un dossier médical, le Tribunal fédéral a considéré que les personnes qui fournissaient des informations pouvaient elles-mêmes avoir un intérêt légitime à la conservation du secret. Ces personnes ne devaient pas nécessairement compter que les informations qu’elles livraient, le plus souvent de bonne foi, seraient portées à la connaissance du patient et pourraient lui être reprochées un jour. Ne sauraient toutefois bénéficier d’une telle protection les dénonciateurs et les motifs étrangers au but du traitement, par exemple le fait pour une personne de vouloir « se débarrasser » du patient (ATF 122 I 153 consid. 6 in RDAF 1997 p. 417).
Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a retenu que, dans l'application de ces règles, l'intérêt privé d'une personne à obtenir des données personnelles (en l'occurrence une adresse) pour faire valoir ses droits en justice constituait un intérêt privé prépondérant au sens de la loi et du règlement qui l’emportait sur la protection de la sphère privée de la personne concernée (ATA/175/2019 du 26 février 2019 consid. 4g ; ATA/819/2012 du 4 décembre 2012 consid. 4 ; ATA/373/2014 du 20 mai 2014 consid. 5).
3) En l’occurrence, les recourants sollicitent l’accès à l’identité de l’auteur du courriel du 25 novembre 2020, ainsi qu’à son contenu. L’intimé a refusé cet accès en raison de l’intérêt public de l’État à pouvoir instruire avec les soins nécessaires les dénonciations, à veiller au respect des lois et à préserver l’anonymat des dénonciateurs. ![endif]>![if>
L’intimé fait partie de l’administration cantonale (art. 1 al. 1 let. d du règlement sur l’organisation de l’administration cantonale du 1er juin 2018
[ROAC – B 4 05.10], de sorte qu’il est soumis à la LIPAD, conformément à son art. 3 al. 1 let. a. Les recourants sollicitent l’accès à des données personnelles de tiers au sens de l’art. 4 let. a LIPAD, afin de pouvoir engager des procédures judiciaires en raison du dommage prétendument subi. Il convient donc de déterminer si, conformément à l’art. 39 al. 9 LIPAD, un intérêt privé digne de protection des recourants justifie l’accès à la dénonciation du 25 novembre 2020 et, le cas échéant, si un intérêt prépondérant des personnes concernées, ou un intérêt public, s’y oppose (cf. aussi art. 45 al. 1 LPA).
S’agissant d’abord de l’intérêt des recourants, force est de relever que, conformément à la jurisprudence de la chambre de céans, l’intérêt à faire valoir des droits en justice constitue un intérêt digne de protection au sens de la LIPAD. Contrairement à ce que soutient l’intimé, les recourants ont rendu cet intérêt vraisemblable. S’il n’existe certes au dossier aucune décision formelle d’arrêt de chantier, le courriel que l’architecte du SMS a adressé à l’architecte des recourants le 25 novembre 2020 à 11h27 contenait une injonction expresse « d’arrêter tout travaux encore non autorisés ». Or, dans la mesure où certains travaux ne lui paraissaient pas conformes à l’autorisation de construire, cette injonction pouvait être comprise, par ses destinataires, comme un arrêt de chantier, à tout le moins pour certains travaux. On ne peut, dès lors, pas reprocher aux recourants d’avoir interprété l’injonction ainsi. La chambre de céans relève d’ailleurs que lorsque l’architecte des recourants s’est étonné, par réponse du même jour, de ce qu’un « simple téléphone d’un voisin impliqu[ait] un arrêt de chantier », l’architecte du SMS n’a pas réagi, se limitant à constater que « les panneaux solaires lui paraissaient effectivement autorisés mais pas l’enlèvement du bardage » et qu’il « verrai[t] tout ça demain ». À cela s’ajoute que les recourants ont produit un courriel du 1er décembre de la société E______, attestant de ce que celle-ci avait dû interrompre les travaux de leur chantier et que cela avait engendré des frais supplémentaires. S’il n’appartient certes pas à la chambre de céans de se prononcer sur le litige de fond existant entre les recourants et le dénonciateur – qui n’est pas de sa compétence –, force est de constater que les recourants ont rendu vraisemblable avoir dû interrompre le chantier, à tout le moins certains travaux, et qu’il n’est pas exclu que des prétentions civiles puissent être élevées en justice. Les photographies versées au dossier par l’intimé ne prouvent pas le contraire. Outre que celles-ci ne sont pas datées, la présence d’un ouvrier sur le chantier ne permet pas de démontrer qu’aucun travail sur le chantier n’a été interrompu. Il convient donc de retenir qu’un intérêt privé digne de protection des recourants justifie l’accès à la dénonciation du 25 novembre 2020.
Reste à déterminer si l’intérêt public ou un intérêt prépondérant des dénonciateurs s’y oppose.
S’agissant d’abord de l’intérêt privé des dénonciateurs, la chambre de céans partage le point de vue du préposé cantonal, selon lequel il n’est pas exclu que le dénonciateur ait agi par pure malveillance, c’est-à-dire dans le seul but de nuire aux intérêts des recourants. Le ton et le contenu du courriel litigieux laissent penser à un conflit personnel entre les personnes concernées. Ces éléments relativisent donc la protection qui doit être accordée au dénonciateur. Quant à l’intérêt de l’État, il existe certes un intérêt public à pouvoir exécuter les tâches publiques qui lui incombent et à recevoir les informations pertinentes. Or, la jurisprudence précitée considère qu’un tel intérêt doit céder le pas à l’intérêt privé d’une personne à obtenir des données pour faire valoir ses droits en justice, ce d’autant plus en l’occurrence, que la pertinence de la dénonciation apparaît discutable. La jurisprudence citée par l’intimé (ATA/240/2017) ne lui est d’aucun secours dans la mesure où elle a trait à la dénonciation anonyme au sens de l’art. 10A LPA, situation qui n’est pas visée in casu, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté.
Il suit des éléments qui précèdent que les conditions de l’art. 39 al. 9 let. b LIPAD sont réalisées s’agissant de la dénonciation du 25 novembre 2020. Cette conclusion est d’ailleurs conforme à la recommandation du préposé cantonal.
Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision querellée annulée. Il sera ordonné à l’intimé de donner accès aux recourants au courriel de dénonciation du 25 novembre 2020, sans qu’un caviardage ne soit nécessaire.
4) Vu l’issue du recours, aucun émolument ne sera mis à la charge des recourants (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- leur sera allouée, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).![endif]>![if>
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 11 octobre 2021 par Madame A______ et Monsieur A______ contre la décision du département du territoire du 17 septembre 2021 ;
au fond :
l’admet ;
ordonne au département du territoire de donner accès à Madame A______ et Monsieur A______ au courriel de dénonciation du 25 novembre 2020 ;
l’y condamne en tant que de besoin ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;
alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Madame A______ et Monsieur A______, solidairement entre eux, à la charge de l’État de Genève ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Gazmend Elmazi, avocat des recourants, au département du territoire - office des autorisations de construire, ainsi qu’au préposé cantonal à la protection des données et de la transparence.
Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et McGregor, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
S. Hüsler Enz
|
| la présidente siégeant :
F. Payot Zen-Ruffinen |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
|
| la greffière :
|