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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/884/2012

ATA/819/2012 du 04.12.2012 ( CPOPUL ) , REJETE

Descripteurs : ; RÉTROACTIVITÉ ; RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ; INTÉRÊT PRIVÉ ; PESÉE DES INTÉRÊTS
Normes : LIPAD.39 ; RDROCPC.3
Résumé : Recours contre une décision de l'OCP autorisant la divulgation de l'adresse du recourant ayant lui-même quitté le canton de Genève. Applicabilité du règlement entré en vigueur en cours de procédure mais avant que la décision soit rendue car la communication de l'adresse est une mesure qui a des conséquences dans l'avenir, à l'instar des autorisations de construire. Recours rejeté, le recourant n'ayant pas démontré un intérêt légitime à s'opposer à la mesure alors que le tiers dispose d'un intérêt privé prépondérant à intenter une action judiciaire à son encontre.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/884/2012-CPOPUL ATA/819/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 décembre 2012

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur X______
représenté par Me Charles Sulmoni, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION

et

Y______ en liquidation

représentée par Me Sylvie Horowitz Challande, avocate

 

 

 



EN FAIT

1. Le 7 novembre 2011, Y______(ci-après  : Y______), société anglaise en liquidation, a demandé à l’office cantonal de la population (ci-après  : OCP) de lui communiquer la nouvelle adresse de Monsieur X______, indiquée par ce dernier lors de l’annonce de son départ du canton de Genève.

2. A la requête de l’OCP, Y______ a exposé le 28 novembre 2011 qu’elle avait l’intention d’intenter une action en paiement en dommages et intérêts à l’encontre de M. X______. Ce dernier, qui exerçait à l’époque des fonctions dirigeantes auprès de la banque Z______, aurait en effet effectué des paiements indus à des tiers en se servant des comptes dont Y______ était titulaire auprès de cet établissement à Genève. A l’appui de sa demande, la société a produit un courrier de ses conseils anglais adressé à l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (ci-après  : FINMA) au sujet de ses prétentions.

3. Par courriel du 14 décembre 2011 Y______ a précisé à l’OCP que sa créance à l’encontre de l’établissement bancaire précité et de M. X______ pris solidairement s’élevait à  :

- CHF 987'279,99 (contre-valeur de Euros 800'000.- au cours de 1,2341) avec intérêts à 5 % du 6 novembre 2006 ;

- CHF 2'240'750,04 (contre-valeur de USD 2'500'000.- au cours de 0,8963) avec intérêts à 5 % du 6 novembre 2006 ;

- CHF 3'661'289,89 (contre-valeur de GBP 2'550'000.- au cours de 1,4358) avec intérêts à 5 % du 6 novembre 2006.

4. Le 20 décembre 2011, l’OCP a demandé à M. X______ s’il consentait à ce que son adresse de destination soit communiquée à Y______. En cas d’opposition de sa part, la demande de renseignement serait transmise au bureau du préposé à la protection des données (ci-après : BPPDT) pour préavis.

5. Par courrier du 23 janvier 2012, M. X______ s’est opposé formellement à la transmission de ses données personnelles, considérant que les prétentions formulées par Y______, avec laquelle il n’avait pas de relation directe, étaient fantaisistes et totalement infondées.

6. Le 10 février 2012 Y______ a transmis à l’OCP copie des courriers qu’elle avait adressés à Z______ en septembre 2010 et en septembre 2011 pour faire valoir ses prétentions pécuniaires.

Il ressortait de ces documents qu’Y______ soupçonnait M. X______ d’avoir utilisé les comptes de la société à l’insu de cette dernière pour effectuer des virements en faveur d’un tiers non autorisé. Y______ tenait Z______ pour responsable des actes illicites commis par son ancien employé, M. X______, et faisait également référence à la responsabilité contractuelle de la banque à son égard.

7. Par décision du 20 février 2012, l’OCP a informé M. X______ qu’il communiquerait son adresse à Y______ dès l’entrée en force de la décision. La voie de recours à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) était indiquée dans la décision.

Le 29 décembre 2011 était entré en vigueur l’art. 3 al. 2 du règlement relatif à la délivrance de renseignements et de documents, ainsi qu’à la perception de diverses taxes, par l’office cantonal de la population et les communes du 23 janvier 1974 (RDROCPC - F 2 20.08). En vertu de cette disposition constituant une règle de procédure, applicable dès son entrée en vigueur, l’OCP pouvait transmettre à un tiers, justifiant d’un intérêt privé prépondérant, l’adresse ou le lieu de destination de toute personne ayant quitté le canton, sans devoir préalablement solliciter le préavis du préposé à la protection des données.

Selon les prises de position du BPPDT, le seul intérêt de se soustraire à des prétentions fondées en droit ou d’empêcher la sauvegarde d’autres intérêts dignes de protection ne pouvait suffire pour s’opposer à une demande de renseignement. La demande d’Y______ était fondée sur une créance qu’elle entendait faire valoir par une action en justice. M. X______ s’était borné à s’opposer formellement à toute divulgation de ses coordonnées sans justifier d’un intérêt privé prépondérant. En conséquence, l’intérêt d’Y______ à obtenir les coordonnées de M. X______ pour faire valoir ses droits en justice devait primer la protection de la sphère privée de ce dernier.

8. Le 20 mars 2012 M. X______ a interjeté recours à l’encontre de la décision précitée auprès de la chambre administrative, concluant à son annulation.

L’OCP n’était pas compétent pour traiter la demande d’Y______ et encore moins pour lui transmettre l’adresse du recourant du moment que lui-même n’était plus domicilié dans le canton de Genève.

Y______ n’avait aucune prétention à faire valoir à son encontre puisque cette société n’avait jamais eu de relation contractuelle avec lui. Seule Z______ pouvait être recherchée par Y______. Les prétentions de l’intimée n’étaient pas fondées en droit et, partant, il avait un intérêt digne de protection à ce que ses données personnelles ne soient pas divulguées.

9. L’OCP s’est déterminé le 4 mai 2012 en concluant au rejet du recours et à la confirmation de la décision querellée.

Les renseignements étaient fournis sur la base des données enregistrées à l’OCP. L’adresse que M. X______ avait communiquée lors de son départ du canton figurait dans le registre des habitants. Seule cette donnée était susceptible d’être communiquée à Y______. En revanche, l’OCP n’était pas compétent pour vérifier si cette adresse correspondait à l’adresse actuelle du recourant.

Pour le surplus, la demande de renseignement était accompagnée de pièces rendant vraisemblable l’existence d’une créance et donc un intérêt privé prépondérant d’Y______ à obtenir cette information. La question de savoir si la société précitée disposait d’une action directe contre M. X______ ou si elle devait d’abord agir contre la banque ne relevait pas de la compétence de l’OCP.

10. Y______ a déposé ses observations le 14 mai 2012 en concluant au rejet du recours et à la confirmation de la décision querellée.

Entre 2006 et 2007, elle avait été victime d’agissements délictueux de la part d’un de ses organes et d’une société contrôlée par ce dernier. Ces faits avaient impliqué l’utilisation de ses propres comptes bancaires auprès de Z______ à Genève qui étaient contrôlés par M. X______. Lors des investigations menées dans le cadre de la procédure diligentée en Angleterre à l’encontre du dirigeant d’Y______, il s’était avéré que M. X______ avait entretenu des relations étroites avec cette personne.

Au vu de ces éléments, la responsabilité délictuelle de M. X______ et de Z______, ainsi que la responsabilité contractuelle de cette dernière étaient très probablement engagées.

L’action en paiement en dommages et intérêts qu’Y______ envisageait d’intenter à l’encontre de Z______ et de M. X______ était fondée tant sur la violation d’obligations contractuelles de la banque que d’actes illicites apparemment commis par M. X______. Partant, la société justifiait d’un intérêt digne de protection à obtenir les coordonnées du recourant afin de pouvoir l’assigner valablement en justice. Le bien fondé des prétentions en dommages et intérêts ne devait pas faire l’objet d’un examen plus approfondi dans le cadre de la présente procédure, dès lors qu’il appartiendrait au juge du fond, saisi du litige, de trancher ce point.

Pour le surplus, l’OCP était compétent pour traiter la demande d’information en vertu de l’art. 3 al. 2 RDROCPC.

11. Le 15 mai 2012 le juge délégué a informé les parties que l’instruction de la cause était terminée. Il leur a imparti un délai au 30 mai 2012 pour formuler toute requête complémentaire.

12. Dans le délai imparti, M. X______ a sollicité un nouvel échange d’écritures.

13. Y______ s’est opposée à un deuxième échange d’écritures le 1er juin 2012, ce dernier n’ayant qu’un but dilatoire.

14. Le 5 juin 2012 le juge délégué a imparti au recourant un délai au 19 juin 2012 pour exercer son droit à la réplique.

15. Dans sa réplique du 19 juin 2012, le recourant a contesté tous les allégués d’Y______, aucun des éléments fournis ne permettant de conclure prima facie à l’existence d’une fraude et à une éventuelle responsabilité de sa part. Y______ n’ayant pas été en mesure de rendre vraisemblable sa créance à l’encontre du recourant, sa demande de renseignements devait être rejetée.

16. Par pli du 27 juin 2012 le juge délégué a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. L’art. 39 al. 9 de la loi sur l’information du public et l’accès aux documents du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08) règle les questions relatives à la communication des données personnelles. Conformément à son alinéa 9, la communication de données personnelles à une tierce personne de droit privé n’est possible, alternativement, que si  a) une loi ou un règlement le prévoit explicitement ou b) un intérêt privé digne de protection du requérant le justifie sans qu’un intérêt prépondérant des personnes concernées ne s’y oppose. Selon l’alinéa 10 de ce même article, dans les cas visés à l’alinéa 9, let. b, l’organe requis est tenu de consulter les personnes concernées avant toute communication, à moins que cela n’implique un travail disproportionné. A défaut d’avoir pu recueillir cette détermination, ou en cas d’opposition d’une personne consultée, l’organe requis sollicite le préavis du préposé cantonal. La communication peut être assortie de charges et conditions, notamment pour garantir un niveau de protection adéquat des données.

3. Le 29 décembre 2011 est entré en vigueur l’art. 3 al. 2 RDROCPC, selon lequel l'office est autorisé à fournir au public, contre paiement d'une taxe et sur demande démontrant un intérêt privé prépondérant à l'obtention du renseignement, l'adresse ou le lieu de destination et la date de départ de toute personne ayant quitté le canton, même si elle est décédée depuis lors.

Le recourant conteste la compétence de l’OCP, l’art. 3 al. 2 RDROCPC permettant de transmettre au public l’adresse d’une personne ayant quitté le canton n’étant pas encore en vigueur au moment où il a été saisi.

Selon la doctrine, en principe, lorsqu’une décision tire les conséquences juridiques de faits passés, les règles applicables sont celles qui étaient en vigueur au moment où les faits se sont produits (administration répressive). En revanche, une mesure juridique ou matérielle qui aura des conséquences de fait dans l’avenir, est régie par les règles légales en vigueur au moment où la mesure est prise (B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4e édition, Bâle 1991, n° 55 p.116 et les références citées).

Ce principe a reçu application notamment en matière d’autorisation. La demande d’autorisation vise un comportement futur, qui n’a pas eu lieu, par définition, puisqu’il doit être autorisé : une requête de permis de construire vise un projet à réaliser, celle d’aliéner un immeuble à une personne domiciliée à l’étranger une opération juridique à passer. L’autorité doit dès lors logiquement appliquer le droit en vigueur au moment où la question de la conformité au droit du comportement ou de la situation en cause avec la loi se pose : c’est-à-dire au jour où elle statue (ATF 107 Ib 133 ; P. MOOR, Droit administratif, vol. 1, 2ème éd., 1994, p. 172).

Dans le cas d’espèce, l’OCP devait dire s’il autorisait la communication de l’information requise. Le fait déterminant est la communication de l’adresse que le recourant a indiquée lorsqu’il a quitté le canton de Genève. L’art. 3 al. 2 RDROCPC autorisant la communication de l’adresse de toute personne ayant quitté le canton étant entré en vigueur avant que l’OCP ne statue était donc applicable au moment où la décision querellée a été rendue. C’est ainsi à juste titre que l’OCP est entré en matière et cet argument du recourant doit être rejeté.

4. Reste à déterminer si Y______ disposait d’un intérêt privé prépondérant à connaître l’adresse du recourant.

Pour motiver sa demande de renseignement, Y______ a exposé qu’elle entendait faire valoir en justice une créance à l’encontre du recourant. A l’appui de sa requête, elle a produit la copie de courriers adressés à des tiers et notamment une autorité comme la FINMA exposant ses griefs à l’encontre du recourant.

Ce dernier s’est d’abord opposé formellement à toute communication, puis a contesté le fondement de la créance invoquée par Y______, arguant du fait qu’il n’avait pas eu de relation directe avec l’intimée.

Il n’appartient pas à la chambre de céans de se prononcer sur le litige de fond existant entre Y______ et le recourant qui n’est pas de sa compétence. Cependant il apparaît que l’intérêt d’Y______ à obtenir l’adresse du recourant pour faire valoir ses droits en justice constitue un intérêt privé prépondérant au sens de la loi et du règlement qui l’emporte sur la protection de la sphère privée du recourant. Au demeurant, ce dernier ne s’est prévalu d’aucun intérêt légitime pour s’opposer à la demande. La décision de l’office cantonal de la population ne prête pas le flanc à la critique. Le recours doit être rejeté.

5. Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté et la décision de l’office cantonal de la population du 20 février 2012 sera confirmée. Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de M. X______, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée à Y______ qui y a conclu (art. 87 al. 2 LPA), à la charge de M. X______.

 

 

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 mars 2012 par Monsieur X______ contre la décision de l’office cantonal de la population du 20 février 2012 ;

au fond :

le rejette ;

confirme la décision de l’office cantonal de la population du 20 février 2012 ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de Monsieur X______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Y______ en liquidation, à la charge de Monsieur X______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Charles Sulmoni, avocat du recourant, à Me Sylvie Horowitz Challande, avocate de l'intimée, à l'office cantonal de la population, au bureau du préposé cantonal à la protection des données et à la transparence, ainsi qu'au responsable LIPAD du département de la sécurité.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Hurni, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction a.i. :

 

 

 

C. Sudre

 

le président siégeant :

 

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :