Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3717/2021

ATA/1322/2021 du 03.12.2021 ( MARPU ) , ACCORDE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3717/2021-MARPU ATA/1322/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 3 décembre 2021

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Me Claire Bolsterli, avocate

contre

VILLE DE GENÈVE
représentée par Me Michel D'Alessandri, avocat

et

B______ SA



Vu le recours interjeté par A______ SA devant le chambre administrative de la Cour de justice le 1er novembre 2021 contre la décision publiée par la Ville de Genève le 12 octobre 2021 sur le site Simap adjugeant à B______ SA le marché public relatif au lot 1 de l’appel d’offres « Mainternat A2 » ; que la recourante conclut à l’annulation de cette décision et au renvoi du dossier à la Ville pour nouvelle décision ; qu’elle requiert, à titre préalable, l’octroi de l’effet suspensif ;

qu’elle expose que depuis 2018, elle est chargée de l’entretien des surfaces sportives de la Ville de Genève ; que le 25 août 2021, celle-ci a procédé, dans une procédure ouverte soumise à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), à un nouvel appel d’offres visant l’exécution de prestations de réfection des pelouses des terrains sportifs en gazon naturel de différents centres sportifs, divisé en deux lots, le premier concernant les centres sportifs de Vessy et du Bois-des-Frères (lot 1), le second ceux du Bout-du-Monde et de Frontenex (lot 2) ; le début des travaux était fixé au 1er janvier 2022 ; que la recourante avait soumissionné pour les deux lots ; les quantités « plus-value pour aération manuelle dans les endroits inaccessibles aux machines » et « plus-value pour sablage manuel dans les endroits inaccessibles aux machines » indiquaient par erreur le nombre de 12'000 ; la soumissionnaire s’était fondée sur ces indications erronées, de sorte qu’au lieu de CHF 3'600.- et CHF 3'000.- pour ces deux postes, les montants de CHF 48'000.- et CHF 18'000.- figuraient sur son offre ; la recourante avait, en outre, signalé dans son offre que le poste « carottage ou équivalent des surfaces engazonnées, réglage de l’aplanie » devait constituer un doublon avec celui de « intervention avec un aérateur muni de louchets, profondeur de carottage entre 5 et 20 cm selon la qualité du terrain, deux passages croisés, passage d’un treillis métallique après carottage pour briser les extraits de surface » ; elle s’était vue attribuer le lot 2, le lot 1 ayant été adjugé à B______ SA ; la publication de l’adjudication sur Simap comportait le tableau comparatif des deux offres reçues ; selon celui-ci, son offre était nettement mieux notée, à l’exception du critère du prix, qui était augmenté de CHF 68'000.- (sic) au vu des deux erreurs précitées ;

que l’effet suspensif devait être accordé dès lors qu’à défaut, la chambre administrative ne pourrait plus renvoyer le dossier au pouvoir adjudicateur pour un examen complémentaire des offres, notamment des prix ; les erreurs de calcul étaient manifestes et auraient dû être corrigées d’office par la Ville de Genève, ce d’autant plus qu’elle les avait signalées dans la colonne « Informations/remarques » ; les travaux adjugés ne pouvaient commencer qu’à partir du printemps 2022, après la période de gel, de sorte qu’aucune urgence ne s’opposait à l’octroi de l’effet suspensif ;

que B______ SA a exprimé son entier dévouement à l’exécution du marché confié et a précisé qu’elle souhaitait recevoir copie des tableaux comparatifs, qui ne lui avaient pas été notifiés ; elle ne souhaitait pas se déterminer sur la requête d’effet suspensif ;

que la Ville de Genève a conclu au rejet de cette requête ; l’appel d’offres ne présentait pas de défaut ou lacune, de sorte que la soumission de la recourante n’avait pas été automatiquement augmentée ; il lui appartenait de vérifier les montants soumis ; l’appel d’offres prévoyait la possibilité de poser des questions sur le forum de Simap ; seules des erreurs de calcul manifestes pouvaient être corrigées par ses soins ; l’offre de la recourante pour le lot 1 s’élevait à CHF 209'116.78, alors que celle de l’adjudicataire se montait à CHF 87'683.30 ; le critère « prix » avait été noté de 0.6 point (sic) pour la première et de 5 points pour la seconde, qui avait obtenu une note globale de 3.55, alors que la recourante avait eu la note globale de 2.17 ; les chances de succès du recours étaient faibles, le principe de l’intangibilité des offres s’opposant à ce que l’autorité adjudicatrice modifie les soumissions reçues ; la recourante, qui avait rempli et reporté les chiffres, aurait dû vérifier leur exactitude ; la recourante ne démontrait pas que l’appel d’offres contenait des erreurs ; en outre, le prix articulé par elle n’apparaissait pas sans commune mesure avec ce qui se pratiquait usuellement ; enfin, des prestations devaient être exécutées dès le 1er janvier 2022, notamment des séances de préparation, des visites de sites et des constats de l’état des pelouses ;

que, par courrier du 15 novembre 2021, B______ SA a précisé qu’elle ne souhaitait pas que son dossier de soumission et de prix soit transmis à la recourante ;

qu’avant l’échéance du délai de réplique, la recourante a fait valoir que l’adjudicataire avait adapté les prix unitaires pour les postes 2.5 et 2.7 ; si la recourante en avait fait de même, son offre aurait été meilleur marché que la sienne ; elle devait ainsi impérativement avoir accès au formulaire A de sa concurrente pour le lot 1 ; elle sollicitait donc l’accès à ce formulaire ainsi qu’à la grille tarifaire pour le lot 1 ;

qu’invitée par la chambre de céans à produire les décisions d’adjudication, la Ville de Genève a indiqué qu’elle ne communiquait ses décisions que sur le site Simap ;

que la chambre de céans a, par ailleurs, indiqué à la recourante qu’il serait statué ultérieurement sur sa demande d’accès aux pièces ;

que dans sa réplique sur effet suspensif, la recourante a relevé que le fait qu’elle n’ait pas posé de question dans la période prévue à cet effet ne guérissait pas les erreurs contenues dans l’appel d’offres ; les prix unitaires faisaient foi, le devis automatiquement généré étant qualifié par le pouvoir adjudicateur de fictif ; les mètres carrés indiqués par celui-ci pour les postes 2.5 et 2.7, soit des surfaces non atteignables par des machines, étaient de 12'000, à savoir l’équivalent de deux terrains de football ; il appartenait au pouvoir adjudicateur de corriger cette erreur, la soumissionnaire n’étant pas en mesure de connaître les surfaces à traiter qui étaient inaccessibles à une machine ; l’appel d’offres utilisait à cet égard le terme de « devis fictifs » et la recourante avait signalé qu’il y avait certainement une erreur sur ce point ; en corrigeant les postes en question, son offre aurait été meilleur marché que celle de sa concurrente ; la différence importante de prix des deux offres aurait dû conduire l’adjudicatrice à corriger ses propres indications, en tenant compte du prix unitaire proposé ; aucune urgence ne s’opposait à la restitution de l’effet suspensif ; enfin, l’autorité intimée aurait dû s’interroger sur le prix anormalement bas de l’offre de l’adjudicataire sur les deux points litigieux ;

que, sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif ;

que par duplique spontanée, comportant également la réponse au fond, la Ville de Genève a contesté que B______ SA aurait « adapté » son tarif unitaire pour les postes 2.5 et 2.7 ou que ceux-ci auraient été manifestement trop bas ; le principe de l’intangibilité des offres s’opposait à ce que l’autorité intimée modifie la soumission de la recourante sur ces deux points ; cette dernière avait elle-même rempli la soumission et en avait ainsi eu le contrôle, de sorte qu’elle aurait pu corriger toute éventuelle erreur ;

qu’il ressort du formulaire A établi par le pouvoir adjudicateur que « les tarifs HT renseignés se recopieront automatiquement dans les onglets " Lot 2 – Devis fictif X pause " et " Lot 2 –devis fictif Y annuel " et que « l’onglet " Récapitulatif " se remplit automatiquement conformément à tous les montants HTVA renseignés dans les onglets des devis fictifs » ;

que, dans le formulaire A soumis par la recourante, celle-ci a noté sous « Informations/remarques » aux points 2.5 et 2.7, comportant l’indication de 12'000 m2, « il y a certainement une erreur avec le point 2.4, respectivement 2.6 » ; dans un courrier du 17 septembre 2021, soit du même jour que le dépôt des offres de la recourante, celle-ci a attiré l’attention du pouvoir adjudicateur sur le fait qu’elle avait « noté plusieurs remarques sur les formulaires et les devis fictifs » ;

Considérant, en droit, que, interjeté en temps utile devant l'autorité compétente, le recours est recevable (art. 15 al. 2 de l'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - L-AIMP - L 6 05.0 et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 - RMP - L 6 05.01) ;

que les mesures provisionnelles sont prises par la présidente ou le vice-président de la chambre administrative ou, en cas d'empêchement de ceux-ci, par une autre juge (art. 21 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - GE  - E 5 10  ; art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020 ;

qu'aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n'a pas d'effet suspensif ; toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l'autorité de recours peut, d'office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose ;

que l'examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; l'effet suspensif doit être refusé au recours manifestement dépourvu de chances de succès et dont le résultat ne fait aucun doute ; inversément, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d'emblée à justifier l'octroi d'une mesure provisoire, mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/1106/2021 du 20 octobre 2021 ; ATA/987/2021 du 24 septembre 2021 ; ATA/217/2021 du 1er mars 2021 consid. 2 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, Zurich 2010, p. 317) ;

que lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur l'effet suspensif ou d'autres mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit (examen  prima facie), en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3) ;

que la restitution de l'effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu'avec restriction (ATA/1349/2019 précité ; ATA/446/2017 précité consid. 2 ; ATA/62/2017 du 23 janvier 2017 consid. 2 ; ATA/793/2015 du 5 août 2015 consid. 2) ;

que l'AIMP a pour objectif l'ouverture des marchés publics (art. 1 al. 1 AIMP) ; il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l'égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l'impartialité de l'adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP) et assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) ;

que lors de l'examen des offres, l'autorité adjudicatrice examine la conformité des offres au cahier des charges et contrôle leur chiffrage (art. 39 al. 1 RMP) et corrige les erreurs évidentes, telles que les erreurs de calcul et d'écriture (art. 39 al. 2 1ère phr. RMP) ;

qu’en présence d'une offre anormalement basse, l'autorité adjudicatrice doit demander au soumissionnaire de justifier ses prix, selon la forme prévue à l'art. 40 al. 2 RMP (art. 41 RMP) ;

qu’en l’espèce, la recourante a, dans son offre, précisé sous la rubrique « Informations/remarques » prévue à cet effet dans le formulaire A pré-imprimé par l’autorité intimée que pour les postes 2.5 et 2.7 (« plus-value pour aération manuelle dans des endroits inaccessibles aux machines » et « plus-value pour sablage manuel dans les endroits inaccessibles aux machines »), il y avait probablement une erreur dans les postes 2.4. et 2.6 qui étaient respectivement repris dans les postes 2.5. et 2.7 ; elle a, toujours dans la même rubrique, indiqué le calcul alternatif qui lui paraissait juste ; concrètement, le poste 2.5 était automatiquement calculé à CHF 48'000.-, alors qu’elle estimait qu’il devait être de CHF 3'600.- et pour le poste 2.7, il était automatiquement calculé à CHF 18'000.-, alors qu’elle estimait que le report automatique devait aboutir au montant de CHF 3'000.- ;

que ces deux éléments ont eu une répercussion très importante sur le prix total, qui était ainsi de CHF 209'116.78, alors qu’en retenant les montants considérés comme justes par la recourante il était de CHF 81'169.20 ; qu’au regard du premier montant, l’offre de la recourante, mieux notée que celle de sa concurrente sur l’ensemble des autres critères de notation, faisait passer celle-ci, sur le critère du prix, noté avec 0.06 points, clairement après celle de B______ SA, dont le prix de CHF 87'683.30 obtenait la note 5 ;

que l’écart très important observé entre le prix des deux offres soumises pour le lot 1 – obtenant chacune pour ce critère respectivement 0.06 et 5 points – repose uniquement sur une différence de prix majeure concernant deux des nombreux postes déterminants ; que cette différence a ainsi été déterminante dans l’adjudication du marché ; que partant, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, cet élément devait conduire le pouvoir adjudicateur à s’interroger sur les causes de cet écart lié à deux postes ; qu’il ne semble, à première vue, pas qu’il pouvait faire l’économie soit d’examiner les remarques faites par la recourante – étant rappelé qu’il avait expressément prévu la possibilité pour les soumissionnaires de remplir la rubrique « Informations/remarques » pour chaque poste – soit de s’interroger sur la question de savoir si l’écart de prix unitaire constituait un indice d’un prix anormalement bas ;

qu’à cet égard, les critiques de la recourante ne paraissent pas d’emblée dépourvues de fondement ;

que, par ailleurs, seules deux sociétés ayant soumissionné, une éventuelle issue favorable du recours est susceptible de conduire à l’adjudication du marché public à la recourante ;

que, en outre, aucune urgence à l’exécution immédiate des travaux adjugés n’est rendue vraisemblable ; en particulier, il n’est pas allégué que l’entretien des centres sportifs objets du lot 1 ne pourrait être assuré pendant la durée de la présente procédure ;

que l’intérêt public au respect des normes régissant la passation de marchés publics conforme au droit l’emporte sur l’intérêt privé des intimées à pouvoir conclure le contrat et commencer son exécution ;

qu’au vu de ces éléments, il convient de retenir, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, que les chances de succès du recours et l’absence d’urgence à l’exécution du marché public justifient de donner suite à la requête d’effet suspensif ;

qu’il sera statué ultérieurement sur les frais du présent incident ;

qu’enfin, les parties sont convoquées à une audience de comparution personnelle, qui se tiendra le 17 décembre 2021 à 14h15 en salle A1 ;

que les tableaux comparatifs pour les deux lots est communiqué à B______ SA, conformément à sa demande et l’écriture de duplique sur effet suspensif et réponse au fond est communiquée aux soumissionnaires.

 

* * * * *

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

octroie l’effet suspensif au recours ;

convoque les parties à une audience de comparution personnelle, qui se tiendra le 17 décembre 2021 à 14h15 en salle A1 ;

communique à B______ SA les tableaux comparatifs pour les deux lots ;

communique à A______ Sa et B______ SA l’écriture de duplique sur effet suspensif et réponse au fond de la Ville de Genève ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110) la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

si elle soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Claire Bolsterli, avocate de la recourante, ainsi qu'à Me Michel D'Alessandri, avocat de Ville de Genève, à B______ SA, ainsi qu'à la Commission de la concurrence (COMCO).

 

 

La présidente :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :