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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/393/2015

ATA/607/2021 du 08.06.2021 sur JTAPI/110/2021 ( PE ) , REJETE

Recours TF déposé le 13.07.2021, rendu le 03.05.2022, IRRECEVABLE, 2C_564/2021
Normes : CDE.3.al1; CEDH.3; Cst.10.al3; Cst.25.al3; LEI.83.al2; LEI.83.al3; LEI.83.al4
Résumé : La personne qui invoque la violation de l’interdiction de la torture, des peines et traitements inhumains (ou dégradants) doit démontrer à satisfaction qu'il existe pour elle un risque réel, fondé sur des motifs sérieux et avérés, d'en être victime en cas de renvoi dans son pays. De plus, lorsqu’un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse et y a seulement commencé sa scolarité, il reste encore attaché dans une large mesure à son pays d’origine, par le biais de ses parents. Son renvoi du territoire suisse ne constitue pas un sacrifice qui ne peut lui être imposé.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/393/2015-PE ATA/607/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 juin 2021

1ère section

 

dans la cause

 

Madame et Monsieur A______, agissant en leur nom et pour le compte de leurs enfants mineures, B______, C______ et D______
représentés par Me Gabriel Raggenbass, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 février 2021 (JTAPI/110/2021)


EN FAIT

1) Madame A______, née _______ le ______ 1992 au Pakistan, pays dont elle est ressortissante, arrivée en Suisse le 30 juin 2009, a bénéficié d'une autorisation de séjour avec activité lucrative destinée aux membres de la famille de fonctionnaires des organisations intergouvernementales ou de membres des représentations étrangères (ci-après : permis Ci). Elle s'est mariée le ______ 2016 à Genève, après la naissance de leurs enfants B______ et C______, les ______ 2013 et ______ 2016, avec Monsieur A______ (ci-après : les époux A______), ressortissant du Pakistan également, né le ______ 1981 et arrivé en Suisse le ______ 2011. Leur troisième enfant, D______, est née le _____ 2018.

2) Par décision du 2 avril 2013, entrée en force, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a refusé de délivrer à M. A______ une autorisation de séjour pour études.

3) a. Le 15 avril 2013, Mme A______ a sollicité auprès de l'OCPM une autorisation de séjour, pour qu'elle puisse rester à Genève pour travailler et étudier après le retour de son père, diplomate à Genève, au Pakistan en juillet 2013.

b. Les 29 juillet et 22 août 2013, M. A______ a sollicité une attestation en vue de son mariage civil avec Mme A______.

4) Par arrêt du 8 octobre 2019 (ATA/1490/2019), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a partiellement admis le recours des époux A______ et de leurs enfants contre le jugement du 18 novembre 2016 du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), rejetant leurs recours dans les causes A/398/2015 et A/393/2015 dirigées contre les décisions de l'OCPM du 5 janvier 2015 refusant d'octroyer à Mme A______ une autorisation de séjour pour études et de délivrer à M. A______ une autorisation en vue de mariage et prononçant le renvoi de Suisse de la famille. Elle a renvoyé le dossier au TAPI pour nouvel examen de l'exécutabilité du renvoi des intéressés et nouveau jugement, après instruction complémentaire si nécessaire.

Le recours de Mme A______ devait être déclaré irrecevable faute d'intérêt actuel, celui de M. A______ avait été jugé sans objet par le TAPI. Les premiers juges avaient violé le droit d'être entendus des intéressés en n'examinant pas leur argument portant sur l'absence d'effet guérisseur de leur mariage postérieur à leurs relations intimes. Selon des éléments figurant au dossier, la police pakistanaise avait la possibilité de mettre en prévention des époux pour des relations sexuelles entretenues avant leur mariage. Le TAPI aurait dû se prononcer sur cette question, afin d'éclaircir les conséquences du mariage sur la punissabilité des relations sexuelles antérieures à celui-ci qui ont eu lieu à l'étranger et non au Pakistan.

5) Le 12 décembre 2019, le TAPI a invité l'OCPM à interpeller le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) et l'ambassade de Suisse au Pakistan (ci-après : ambassade), afin d'obtenir des informations quant aux risques concrets encourus par les époux A______ en cas de retour dans leur pays d'origine.

6) Le 27 mars 2020, l'OCPM a donné suite à la demande du TAPI et lui a fait parvenir plusieurs documents.

a. Selon un courrier du 12 mars 2020 du SEM, son service « Analyse sur les pays » n'avait pas connaissance d'une application régulière de la disposition du code pénal pakistanais réprimant l'infraction pénale de « fornication », passible d'une peine privative de liberté jusqu'à cinq ans et d'une amende de
PKR 10'000.-. Il ne connaissait pas non plus de cas concrets de personnes qui auraient été concernées par une application de la disposition susmentionnée à leur retour au Pakistan. L'existence du délit précité n'impliquait pas une poursuite pénale effective.

b. D'après un avis du domaine de direction asile du SEM (ci-après : DDAsile) du 11 mars 2020, l'Ordonnance Zina sur la « fornication » était toujours appliquée comme partie intégrante de l'Ordonnance Hodood (droit islamique). Celle-ci sanctionnait d'une manière générale les relations sexuelles avant mariage de sanctions corporelles draconiennes. L'existence d'un « enfant illégitime » représentait un problème social et juridique important au Pakistan. Néanmoins, des tribunaux pakistanais avaient mentionné dans des arrêts récents l'importance particulière de la présomption d'une union légitime dans le droit islamique. En cas de doute, il convenait de se prononcer en faveur de la légitimité de l'union. II pouvait être conclu à une union illégitime uniquement dans des situations clairement établies. Dans l'éventualité où une union conjugale n'aurait pas été conclue en présence d'un officier d'état civil musulman, la preuve pouvait également être apportée par des témoins oculaires ou par le comportement du couple, en particulier du mari s'il considérait sa compagne comme étant son épouse et assumait son entretien. Une longue vie commune fondait également la présomption d'une union légitime valable et la légitimité des enfants. Celui qui prétendait à l'inexistence d'une union véritable devait le prouver.

Si les époux A______ avaient déjà vécu un certain temps ensemble avant leur mariage et entretenaient une relation s'apparentant à un mariage, il pouvait être conclu à la légitimité de leurs deux premiers enfants. Il serait en outre difficile pour des tiers d'apporter la preuve d'une union illégitime.

Le code pénal pakistanais punissait aussi le crime d'honneur. Le parlement pakistanais avait cependant adopté en octobre 2016 une loi « anti crime d'honneur », qui prévoyait des sanctions lourdes en cas d'un tel crime. La mise en oeuvre de ces dispositions légales restait néanmoins difficile en raison de la structure profondément patriarcale de la société pakistanaise et de l'appartenance de l'auteur et de la victime à la même famille, le premier nommé étant souvent protégé par la famille. L'État pakistanais avait la volonté et était en mesure de fournir une infrastructure efficiente nécessaire pour protéger les personnes victimes de persécution de tiers. En outre, il existait au Pakistan - en tenant compte des circonstances personnelles ou familiales - la possibilité de refuge interne. Il était ainsi loisible à la famille A______ de s'installer dans une autre partie du pays. Sa crainte d'être exposée à un traitement inhumain ou dégradant devait se fonder sur des motifs sérieux et avérés. Il n'y avait pas d'éléments suffisants pour conclure à une illicéité de l'exécution du renvoi des intéressés.

c. Selon la réponse du 10 juin 2020 d'un avocat de confiance à l'ambassade qui se référait à une disposition du code pénal pakistanais réprimant l'adultère, il existait, au Pakistan, une loi punissant des personnes ayant eu des relations sexuelles sans être mariées. La disposition était cependant appliquée uniquement en cas de flagrant délit. Un homme et une femme vivant ensemble et ayant des enfants étaient présumés être mari et femme ou légalement mariés. Une preuve de mariage était rarement requise. Savoir si un homme et une femme qui vivaient ensemble étaient ou non légalement mariés n'avait pas d'importance pour les gens. Toutefois, si un couple ou une famille diffusait des informations sur une relation prémaritale, l'homme et la femme concernés risquaient d'être poursuivis, même après leur mariage. Admettre avoir entretenu des relations illicites et donner naissance à des enfants à la suite de telles relations pouvaient mettre en danger la vie des intéressés, si une telle allégation était véridique et non une fausse déclaration. Les époux A______ avaient « inventé » le risque encouru pour tenter de rester en Suisse.

d. D'après l'ambassade, l'exécution du renvoi des époux A______ et de leurs enfants était possible, licite et raisonnablement exigible. Les parents de Mme A______ avaient quitté la Suisse à fin juillet 2013 et au même moment, M. A______ avait demandé une attestation en vue de se marier avec celle-ci alors enceinte de plusieurs mois. Les familles musulmanes surveillaient toutefois leurs filles « de très près » et les contacts avec les hommes n'avaient pas lieu avant le mariage des concernés, même si la fille vivait à l'étranger. La famille n'aurait jamais laissé leur fille, âgée de moins de 21 ans, seule, célibataire et enceinte, sans la considérer comme « mariée ». Le père de l'intéressée, employé de l'État, aurait probablement perdu son emploi et la famille sa bonne réputation. Il existait suffisamment de possibilités de mariage pour les musulmans de Genève. Comme il s'agissait généralement de mariages religieux, les autorités suisses n'en étaient pas informées.

e. Selon un document élaboré par l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 5 mars 2018 et intitulé « Les femmes adultères », le processus d'islamisation du système juridique pakistanais s'était renforcé, en 1979, avec les ordonnances « Hudood », dont les dispositions sanctionnaient notamment le viol et l'adultère (ordonnance « Zina »). L'infraction de Zina était commise par un homme et une femme qui avaient délibérément une relation sexuelle sans être mariés. Lorsque les individus en cause étaient des musulmans non mariés, elle était passible d'un châtiment corporel de cent coups de fouet, exécuté dans un lieu public. L'adoption de la loi dite « Protection of Women Act » avait modifié deux des cinq ordonnances « Hudood » (dont l'ordonnance « Zina »), et le code pénal pakistanais.

7) Le 14 septembre 2020, les époux A______ ont formulé leurs observations sur les documents précités.

Ils avaient eu la volonté de se marier avant la naissance de leur premier enfant. La thèse d'une démarche abusive n'était pas crédible. L'indication de l'avocat de confiance selon laquelle il était possible de procéder à une fausse déclaration, afin de pouvoir vivre à l'étranger, ne reposait sur aucun élément objectif. Selon le même avocat, ils avaient violé la loi pakistanaise qui était toujours appliquée et le mariage subséquent ne changeait rien au risque encouru. Il évoquait un « crime » au sujet de leur comportement. Il confirmait au surplus la mise en péril de leur vie au Pakistan, si les faits étaient bien établis ou admis. Les considérations toutes générales selon lesquelles « les gens » n'accorderaient pas d'importance au fait de savoir si un couple vivant ensemble était marié légalement ou non étaient sans pertinence.

La considération des services du SEM sur la légitimité de leurs deux premiers enfants à la suite de leur vie commune avant le mariage et de leur relation s'apparentant à un mariage était contredite par les indications fournies par l'avocat de confiance, selon lesquelles même le mariage conclu postérieurement ne changeait rien au risque encouru de la mise en danger de leur vie au Pakistan. Ils ne pourraient pas solliciter la protection des autorités sans s'exposer à l'application, par ces mêmes autorités, des sanctions prévues par la loi. En outre, les crimes d'honneur étaient commis dans tout le pays, dans les régions rurales ou dans les grandes villes, et visaient toutes les classes sociales. Ils ne seraient en sécurité dans aucune région du pays. Il ne pouvait pas non plus être exigé d'eux de vivre avec leurs enfants reclus dans l'anonymat, coupés de tout lien social, afin de préserver leur vie.

8) Par jugement du 4 février 2021, le TAPI a rejeté les recours.

L'exécution du renvoi des époux A______ et de leurs enfants dans leur pays d'origine n'était pas illicite. Il n'était pas possible de retenir l'existence d'un véritable risque concret et sérieux de leur exposition à la torture ou aux traitements inhumains ou dégradants en cas de retour au Pakistan. Ils n'étaient pas parvenus à rendre suffisamment vraisemblable qu'ils seraient victimes d'une peine ou de traitements contraires aux dispositions conventionnelles et constitutionnelles.

Les relations sexuelles entretenues en Suisse par les époux A______ avant leur mariage étaient susceptibles de tomber sous le coup de la disposition du code pénal pakistanais sur la « fornication », qui prévoyait une peine privative de liberté pouvant aller jusqu'à cinq ans et une amende. De telles sanctions, certes sévères, n'équivalaient toutefois pas à des actes de torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Les relations prémaritales des intéressés pouvaient aussi tomber sous le coup de l'ordonnance « Zina » qui, comme partie de l'ordonnance « Hudood », était encore appliquée, malgré l'adoption, en 2006, du « Protection of Women Act », et donnait potentiellement lieu à un châtiment pouvant aller jusqu'à trente, voire cent coups de fouet, la conclusion de leur mariage civil subséquent n'étant pas de nature à les disculper.

Même si les époux A______ étaient théoriquement exposés à une telle peine, au motif que leur mariage civil en Suisse était intervenu après la naissance de leurs deux premiers enfants, les informations fournies par le SEM et l'avocat de confiance de l'ambassade se voulaient rassurantes. Les intéressés seraient exposés à une poursuite pénale uniquement s'ils venaient à déclarer ou reconnaître publiquement avoir eu de telles relations. En outre, si l'existence de ces relations avant mariage étaient connues dans leur village d'origine, il leur était possible de s'installer dans un autre lieu du pays, de façon à écarter tout risque. De même, ils pourraient soutenir avoir contracté un mariage religieux avant de concevoir leur premier enfant. Dans l'éventualité où une union conjugale n'avait pas été conclue en présence d'un officier d'état civil musulman, la preuve du mariage résultait, pour les autorités pakistanaises, dans une large mesure, du comportement du couple, en particulier de l'époux, s'il considérait sa compagne comme étant son épouse et pourvoyait à son entretien. De plus, aucune personne de retour au Pakistan n'avait été confrontée à une procédure pour « fornication », ce qui tendait à confirmer, de façon générale, l'évolution de la société pakistanaise et l'absence de suspicion sur le statut marital des couples. En outre, l'avis de l'ambassade, à teneur duquel les parents de l'intéressée n'auraient jamais laissé leur fille seule en Suisse avec un homme, si elle n'était pas déjà liée avec lui par les liens du mariage religieux, apparaissait convaincant.

9) Par acte expédié le 8 mars 2021, les époux A______ et leurs enfants ont recouru auprès de la chambre administrative contre le jugement précité, en concluant à son annulation et à ce qu'il soit constaté et dit que leur renvoi vers le Pakistan était illicite et qu'une demande d'admission provisoire au SEM soit formulée. Subsidiairement, ils ont conclu au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour une nouvelle décision.

Les ordonnances Zina et Hudood étaient toujours appliquées au Pakistan. La dernière réprimait les rapports sexuels consentis entre un homme et une femme non mariés de cent coups de fouet sur une place publique, cinq ans d'emprisonnement ou dix mille coups de bâton. Les sanctions étaient prononcées indépendamment du lieu où l'acte avait été commis. De telles pratiques constituaient des traitements inhumains et dégradants. Le risque d'y être soumis devait être considéré comme concret, réel et sérieux en cas de retour de la famille au Pakistan. Ils avaient entretenu des rapports intimes hors mariage ayant conduit à la naissance de leurs deux premiers enfants. Cette situation irrégulière avait interpellé les officiers de l'état civil lorsque l'époux avait sollicité un certificat d'état civil. L'épouse arrivée en Suisse à l'âge de 16 ans avait été imprégnée par la culture et les moeurs suisses. Elle s'était émancipée des traditions pakistanaises et avait entretenu une relation avec un homme qui n'avait pas été choisi par sa famille. Leurs deux familles n'avaient pas supporté une relation intervenue hors mariage et sans leur accord préalable. Ils en avaient été exclus dans la mesure où ils les avaient déshonorées par leur comportement « occidental ». Des extrémistes religieux avaient menacé leurs familles en leur intimant l'ordre de les exécuter, dans le cas contraire, ils étaient décidés de s'en charger. Eux-mêmes ne pouvaient pas compter sur le soutien de leurs familles. Au Pakistan, ils seraient considérés comme ayant été corrompus par les moeurs occidentales. Ils ne bénéficiaient pas de la présomption de mariage religieux dans la mesure où ils ne vivaient pas au Pakistan au moment de leurs relations hors mariage. Ils n'avaient pas contracté en Suisse un mariage religieux avant la naissance de leur premier enfant. En outre, ils ne seraient en sécurité dans aucune région de leur pays.

10) Le 12 avril 2021, l'OCPM a conclu au rejet du recours en se référant au jugement attaqué et à ses décisions du 5 février 2015.

11) Ensuite de quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la question de savoir si l'exécution du renvoi des recourants confirmée par le jugement attaqué est licite.

3) Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr), qui a alors été renommée loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI - RS 142.20), ainsi que de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées avant le 1er janvier 2019 sont régies par l'ancien droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1075/2019 du 21 avril 2020 consid. 1.1).

En l'espèce, la demande d'autorisation de séjour pour études de Mme A______ date du 5 avril 2013 et celle d'une autorisation en vue de mariage de M. A______ des 29 juillet et 22 août 2013, ce sont la LEI et l'OASA dans leur teneur avant le 1er janvier 2019 qui s'appliquent, étant précisé que la plupart des dispositions sont demeurées identiques.

4) Les autorités cantonales peuvent proposer au SEM d'admettre provisoirement un étranger si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion n'est pas possible, n'est pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 et
6 LEI).

A contrario, l'exécution du renvoi est ordonnée lorsqu'elle est licite, raisonnablement exigible et possible. Les trois conditions posées par l'art. 83 al. 2 à 4 LEI, empêchant l'exécution du renvoi (illicéité, inexigibilité et impossibilité) sont de nature alternative (arrêt du Tribunal administratif fédéral [ci-après : TAF]) E-1385/2019 du 29 octobre 2020 consid.10.2 et les références citées).

5) a. L'exécution de la décision n'est pas licite lorsque le renvoi de l'étranger dans son État d'origine, dans son État de provenance ou dans un État tiers, est contraire aux engagements de la Suisse relevant du droit international (art. 83
al. 3 LEI).

b. L'art. 83 al. 3 LEI vise notamment l'étranger pouvant démontrer qu'il serait exposé à un traitement prohibé par l'art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) qui dispose que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et par l'art. 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (Conv. torture - RS 0.105) qui prévoit qu'aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture (arrêt du TAF E-7712/2008 du 19 avril 2011 consid. 6.1 ; ATA/827/2016 du 4 octobre 2016 ; ATA/598/2016 du 12 juillet 2016). Ces dispositions conventionnelles ont la même portée que l'art. 10 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) selon lequel la torture et tout autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants sont interdits et l'art. 25
al. 3 Cst. d'après lequel nul ne peut être refoulé sur le territoire d'un État dans lequel il risque la torture ou tout autre traitement ou peine cruels et inhumains (ATF 139 II 65 consid. 5.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_55/2015 du 9 mai 2016 consid. 4.1).

c. Si l'interdiction de la torture, des peines et traitements inhumains (ou dégradants) s'applique indépendamment de la reconnaissance de la qualité de réfugié, cela ne signifie pas encore qu'un renvoi ou une extradition serait prohibée par le seul fait que dans le pays concerné des violations de l'art. 3 CEDH devraient être constatées. Une simple possibilité de subir des mauvais traitements ne suffit pas. Il faut au contraire que la personne qui invoque cette disposition démontre à satisfaction qu'il existe pour elle un risque réel, fondé sur des motifs sérieux et avérés, d'être victime de tortures ou encore de traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans son pays. Il en ressort qu'une situation de guerre, de guerre civile, de troubles intérieurs graves ou de tension grave accompagnée de violations des droits de l'homme ne suffit en principe pas (hormis des cas exceptionnels de violence d'une extrême intensité) à justifier la mise en oeuvre de la protection issue de l'art. 3 CEDH, tant que la personne concernée ne peut rendre hautement probable qu'elle serait visée personnellement - et non pas simplement du fait d'un hasard malheureux - par des mesures incompatibles avec la disposition en question (ATAF 2014/28 consid. 11 ; arrêts du TAF E-4629/2017 du 30 janvier 2020 consid. 6.2 ; E-1420/2016 du 27 novembre 2017 consid. 6.4). Il faut une preuve fondée sur un faisceau d'indices ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants, sans qu'il faille exiger une certitude absolue (ATAF 2011/24 consid. 10.4.1 ; arrêts du TAF D-2576/2020 du 4 juin 2020, p. 7). La garantie conventionnelle et constitutionnelle précitée trouve en particulier application lorsque le risque pour la personne menacée de refoulement d'être soumise à des mauvais traitements dans le pays de destination découle d'actes des autorités de ce pays ou d'organismes indépendants de l'État contre lesquels les autorités ne sont pas en mesure d'offrir une protection appropriée (ATAF 2010/42 consid. 11.2 et 11.3 ; 2009/2 consid. 9.1 ; arrêt du TAF C-374/2014 du 2 mars 2016 consid. 6.3.1).

d. En l'espèce, il n'est pas contesté que les dispositions Zina s'appliquent toujours au Pakistan, que les cas de crimes d'honneur existent et que des extrémistes religieux peuvent sévir en cas de connaissance des relations sexuelles hors mariage entre un homme et une femme. Cependant, même si les époux A______ sont théoriquement exposés à des peines prévues par les dispositions susmentionnées, le risque encouru n'est concrètement ni réel ni fondé sur un faisceau d'indices ou de présomptions non réfutées. L'exclusion de leurs familles respectives et l'absence du soutien de celles-ci à leur égard ne sont pas démontrées. En revanche, il ressort du dossier que la famille de la recourante a quitté la Suisse en la laissant seule et enceinte avec le recourant, ce qui démontre, comme l'affirme l'ambassade, qu'un mariage religieux avait été vraisemblablement conclu. En outre, bien que les recourants soutiennent que leur situation irrégulière avait attiré l'attention des officiers de l'état civil pakistanais, ces derniers leur ont tout de même délivré un certificat d'état civil pour se marier en Suisse et rien au dossier ne vient appuyer leur thèse d'être exposés à des poursuites de la part des autorités pakistanaises à la suite de leurs relations sexuelles hors mariage. Ils n'ont pas réussi à démontrer non plus que les autorités pakistanaises ne pouvaient pas assurer leur protection dans ce pays en cas de besoin ou de persécution par des tiers, notamment des extrémistes religieux. Aucun élément au dossier ne permet non plus de soutenir que la menace de ces derniers à leur égard soit concrète même si de manière générale celle-ci est reconnue comme potentiellement possible. Les recourants ne parviennent pas non plus à démontrer que la présomption de mariage religieux ne s'appliquerait pas à leur situation dans la mesure où ils ne vivaient pas au Pakistan au moment de leur relation hors mariage. Au demeurant, il ressort du dossier qu'ils ont vécu ensemble un certain temps avant leur mariage et ont entretenu une relation qui, vue de l'extérieur, apparaissait comme la relation d'un couple marié.

En outre, la possibilité d'un refuge interne dans d'autres régions du Pakistan apparaît comme une alternative crédible au cas où les recourants seraient exposés à la menace des extrémistes religieux voire, comme ils le soutiennent, des membres de leurs propres familles.

Ainsi, en dépit de la pénalisation des relations sexuelles hors mariage au Pakistan, les recourants n'ont pas réussi à démontrer qu'ils risquent d'être victimes des traitements inhumains et dégradants qu'ils redoutent. La naissance de leurs deux enfants avant leur mariage civil en Suisse n'est pas suffisante pour être considérée comme une preuve d'une relation sexuelle hors mariage religieux qui est le seul pertinent en l'espèce. Les recourants n'ont pas démontré qu'ils auraient avoué ou confié à un tiers avoir eu des relations sexuelles hors mariage religieux, le flagrant délit étant exclu dans la mesure où la période mise en cause couvre celle durant laquelle ils vivaient à l'extérieur du Pakistan. Il ne ressort pas non plus du dossier que la famille de la recourante aurait tenu des propos menaçants à leur égard. En outre, les recourants n'arrivent pas à démontrer que le mariage religieux musulman est conclu sous une autre forme qu'un échange de déclarations entre les intéressés et que le fait que la famille de la recourante ait laissé celle-ci enceinte en Suisse ne serait pas un indice probant, comme l'affirme l'ambassade, d'un mariage religieux qui aurait été contracté par ce moyen. Il n'existe ainsi pas de risque établi que les recourants subiraient en cas de retour au Pakistan des traitements inhumains et dégradants en raison de leurs relations intimes hors mariage.

Le grief des recourants sera dès lors écarté.

6) Les recourants ont trois enfants qui sont également touchés par l'exécution du renvoi de Suisse.

a. Dans le cadre de l'examen d'un cas de rigueur concernant le renvoi d'une famille, la jurisprudence considère que, pour un enfant qui est déjà scolarisé et qui a dès lors commencé à s'intégrer de manière autonome dans la réalité quotidienne suisse, le retour forcé peut constituer un véritable déracinement. La scolarité correspondant à la période de l'adolescence contribue de manière décisive à l'intégration de l'enfant dans une communauté socioculturelle bien déterminée, car, avec l'acquisition proprement dite des connaissances, c'est le but poursuivi par la scolarisation obligatoire. Selon les circonstances, il se justifie de considérer que l'obligation de rompre brutalement avec ce milieu pour se réadapter à un environnement complètement différent peut constituer un cas personnel d'extrême gravité ; encore faut-il cependant que la scolarité ait revêtu, dans le cas de l'intéressé, une certaine durée, ait atteint un certain niveau et se soit soldée par un résultat positif (ATF 123 II 125 consid. 4b).

D'une manière générale, lorsqu'un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse et y a seulement commencé sa scolarité, il reste encore attaché dans une large mesure à son pays d'origine, par le biais de ses parents. Son intégration au milieu socioculturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet (ATAF 2007/16 consid. 9 ; ATA/618/2017 du 30 mai 2017). Avec la scolarisation, l'intégration au milieu suisse s'accentue. Dans cette perspective, il convient de tenir compte de l'âge de l'enfant lors de son arrivée en Suisse et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, du degré et de la réussite de la scolarité, de l'état d'avancement de la formation professionnelle, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter, dans le pays d'origine, la scolarisation ou la formation professionnelle entamée en Suisse. Un retour dans la patrie peut, en particulier, représenter une rigueur excessive pour des adolescents ayant suivi l'école durant plusieurs années et achevé leur scolarité avec de bons résultats (ATF 123 II 125 consid. 4a et les arrêts cités ; SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers, octobre 2013 [ci-après : Directives LEI], état au 1er janvier 2021, ch. 5.6.10.2).

Sous l'angle du cas de rigueur, le Tribunal fédéral a considéré que cette pratique différenciée réalisait la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, telle qu'elle est prescrite par l'art. 3 al. 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 2 novembre 1989 (CDE - RS 0.107), convention entrée en vigueur pour la Suisse le 26 mars 1997 (arrêts du Tribunal fédéral 2A.679/2006 du 9 février 2007 consid. 3 ; 2A.43/2006 du 31 mai 2006 consid. 3.1 ; arrêt du TAF C-3592/2010 du 8 octobre 2012 consid. 6.2).

b. En l'espèce, B______ et C______, âgées respectivement de 8 et 5 ans sont au début de leur scolarité obligatoire. D______ n'a pas encore l'âge de commencer l'école. L'intégration des enfants des recourants n'est dès lors pas encore, au sens de la jurisprudence précitée, si profonde et irréversible qu'un renvoi dans leur patrie constituerait un déracinement complet. En outre, même si elles sont nées en Suisse et que, selon leurs parents, elles ne connaissent pas le Pakistan, elles restent attachées à celui-ci par le biais de ces derniers. L'intégration des enfants n'est ainsi pas suffisante pour considérer que les conditions d'un cas d'extrême gravité soient réalisées. Vu leur âge et la faible durée de la scolarisation de B______ et C______ en Suisse, il ne peut être retenu que leur renvoi du territoire suisse constituerait un sacrifice qui ne peut leur être imposé.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

7) Malgré l'issue de la procédure, aucun émolument ne sera mis à la charge des recourants, ces derniers plaidant au bénéfice de l'assistance juridique (art. 87 al. 1 LPA ; art. 13 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière de procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 mars 2021 par Madame et Monsieur  A______, agissant en leur nom propre et pour le compte de leurs filles mineures B______, C______ et D______, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 février 2021 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gabriel Raggenbass, avocat des recourants, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Balzli

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

...

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

...

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l'entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l'admission provisoire,

4. l'expulsion fondée sur l'art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d'admission,

6. la prolongation d'une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d'emploi du titulaire d'une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d'asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l'objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

...

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

...

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l'expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l'objet d'aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l'expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.