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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/811/2004

ATA/876/2004 du 09.11.2004 ( CE ) , REJETE

Descripteurs : DROIT DE PREEMPTION; LOGEMENT SOCIAL; GARANTIE DE LA PROPRIETE; LIBERTE ECONOMIQUE; SUBSIDIARITE; PROPORTIONNALITE; POUVOIR D'EXAMEN; INTERET PUBLIC
Normes : LGL.3 al.1; LGL.9 al.1; LGL.16; LGL.26 litt.c; CST.26; CST.27; CST.36 al.1
Résumé : Recours de la commune contre le refus du Conseil d'Etat de lui permettre l'exercice du droit de préemption prévu par l'art. 3 al. 1 LGL dans le but d'acquérir la parcelle pour y construire un EMS et des logements. Selon le Conseil d'Etat, seuls les logements exhaustivement énumérés par l'art. 16 LGL seraient admis par l'art. 3 al. 1 LGL. Interprétation confirmée par le Tribunal administratif.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/811/2004-CE ATA/876/2004

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 9 novembre 2004

dans la cause

 

COMMUNE DE X.
représentée par Me Christian Buonomo, avocat

contre

CONSEIL D'ETAT

et

Caisse de prévoyance du personnel enseignant de l’instruction publique et des fonctionnaires de l’administration du canton de Genève

appelée en cause et représentée par Me David Lachat, avocat



 


1. Le 29 août 2002, le Grand Conseil a déclassé la parcelle…, feuille .., sise … à X, dont la propriétaire était feu Madame M.M. L., de la 5ème zone de villas en zone de développement 4A. Ce faisant, la volonté de l’Etat de Genève était de lutter contre la pénurie de logement, notamment en densifiant la zone villas.

Sur intervention de la Commune de X. (ci-après : la commune), l’indice d’utilisation du sol a été réduit et limité à 0,6.

2. Le 8 octobre 2003, la caisse de prévoyance du personnel enseignant de l’instruction publique et des fonctionnaires de l’administration du canton de Genève (ci-après : CIA) a acquis ladite parcelle de l’hoirie de feu Madame L. à l’occasion d’enchères volontaires publiques.

Lors de ces enchères publiques, la CIA a été la seule à enchérir. La commune n’a présenté aucune offre. La CIA a proposé un prix correspondant à la mise minimum requise.

3. Le 12 janvier 2004, apprenant que la commune envisageait d’exercer son droit de préemption, la CIA a précisé les buts poursuivis par l’acquisition de la parcelle, à savoir pallier la crise aiguë du logement dans le canton de Genève en réalisant des ensembles de logements répondant aux besoins de la population.

4. Le 15 janvier 2004, le conseil municipal de la Ville de X. a pris une délibération autorisant le conseil administratif à exercer son droit de préemption sur ladite parcelle.

La Ville de X. entendait acquérir la parcelle pour édifier un établissement médico-social (EMS), ainsi que des bâtiments destinés au logement. Il était prévu de revendre le terrain à la fondation communale pour le logement des personnes âgées et à la fondation de la Ville de X. pour la construction d’habitations à loyer modéré.

5. Le 15 mars 2004, le Conseil d’Etat a rendu un arrêté qui refusait d’approuver la délibération du conseil municipal du 15 janvier 2004.

6. Le 21 avril 2004, la commune a interjeté recours au Tribunal administratif contre la décision du Conseil d’Etat, pour l’essentiel au motif que l’exercice de son droit de préemption répondait à un intérêt public et que le refus du Conseil d’Etat contrevenait au principe de la proportionnalité. Elle conclut principalement à l’annulation de la décision du Conseil d’Etat, à la condamnation de celui-ci en tous les frais de la procédure et à une équitable indemnité, ainsi qu’à débouter l’Etat de Genève de toutes autres ou contraires conclusions.

7. Le 11 mai 2004, la CIA a fait savoir au Tribunal administratif qu’elle entendait participer à la procédure.

8. Le 14 mai 2004, le Tribunal administratif a appelé la CIA en cause.

9. Le 25 juin 2004, le département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement (ci-après : le DIAE), désigné département rapporteur par le Conseil d’Etat, a fait part des observations de l’Etat au Tribunal administratif.

Le DIAE a considéré en particulier qu’un EMS, quand bien même il est destiné à l’hébergement de personnes âgées, n’entrait pas dans la catégorie des logements prévue par la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL – I 4 05) et que le droit de préemption ne pouvait donc pas être exercé dans le but de construire un tel immeuble. En outre, le Conseil d’Etat n’avait pas violé le principe de la proportionnalité, car la construction d’un EMS et la revente de la parcelle étaient contraires à la LGL et il n’était pas possible au Conseil d’Etat de se substituer au conseil municipal pour redéfinir en partie ce but précis du crédit voté, en le limitant à la construction de logements au sens de la LGL, sans violer l’autonomie communale.

Le Conseil d’Etat conclut principalement au rejet du recours, à la confirmation de sa décision, au déboutement de la commune de toutes autres ou contraires conclusions, ainsi qu’à la condamnation de celle-ci aux frais et dépens de la procédure.

10. Le 4 août 2004, la CIA s’est déterminée sur le recours en considérant pour l’essentiel que si la commune était admise à exercer son droit de préemption, les droits fondamentaux dont elle pouvait se prévaloir, à savoir tant la garantie de la propriété que la liberté économique, seraient violés.

11. La commune et le DIAE ont informé le Tribunal administratif, respectivement le 29 et le 30 septembre 2004, qu’ils ne souhaitaient pas faire d’observation supplémentaire sur les écritures de la CIA.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A al. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 5 litt. a et 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Lorsqu'il connaît d'un litige relatif au droit de préemption de l'Etat selon la LGL, le Tribunal administratif se reconnaît un pouvoir d'appréciation étendu (Arrêt du Tribunal fédéral du 22 mai 1991, publié in RDAF 1992 54, p. 56 ; ATA/557/2001 du 4 septembre 2001 ; ATA/533/1998 du 1er septembre 1998).

3. Selon l'article 3 LGL, l'Etat jouit d'un droit de préemption sur les biens-fonds situés en zone de développement dans le but de construire des logements d'utilité publique. Ce droit équivaut, par ses effets, à une expropriation (ATF 88 I 248 consid. 5a ; 114 Ia 15 consid. 2). Selon la jurisprudence fédérale, cette base légale et l'intérêt public poursuivi restreignent valablement la garantie constitutionnelle de la propriété (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.552/1998 du 9 février 1999).

4. a. La recourante estime que sa décision remplit les conditions d’exercice du droit de préemption conféré par l’article 3 LGL en ce qu’elle poursuit un intérêt public.

La deuxième phrase de l’article 3 alinéa 1 LGL prévoit que le droit de préemption ne peut s’exercer qu’aux fins de construction de logements au sens de la LGL. Il s’agit d’un renvoi à l’article 16 LGL qui énumère les catégories d’immeubles admises au bénéfice de la loi. Ce sont exclusivement les immeubles d’habitation bon marché (HBM), les immeubles d’habitation à loyers modérés (HLM) et les immeubles d’habitation mixte (HM), comprenant des logements avec subvention proportionnelle aux revenus des locataires et des logements sans subvention.

Ce droit de préemption porte gravement atteinte à la garantie de la propriété (art. 26 Cst.) et à la liberté économique (art. 27 Cst.) du propriétaire de la parcelle sur laquelle il s’exerce. Or, toute restriction grave d’un droit fondamental doit impérativement être prévue dans une loi (art. 36 al. 1 2ème phrase Cst.). La base légale doit être formellement adoptée par le législateur et présenter une certaine densité normative, à savoir être suffisamment claire et précise. Plus une restriction sera importante, plus étendue devra être l’exigence de clarté et de précision de la base légale (cf. ATF 123 I 112 consid. 7 p. 124 et réf. citées ; Auer/Malinverni /Hottelier, Droit constitutionnel, tome II, Berne 2000, p. 87 ss, notamment 91 N° 183).

En l’espèce, si la recourante exerçait son droit de préemption, l’atteinte aux droits fondamentaux de la CIA serait grave, puisque ce droit, on l’a vu, équivaut dans ses effets à une expropriation. Dès lors, l’exigence d’une base légale claire et précise est avérée.

b. La recourante souhaite, sans plus de précision, construire sur la parcelle litigieuse un établissement médicaux-social (EMS) et des bâtiments destinés au logement. La question se pose donc de savoir si ce but est conforme à l’exigence de l’article 3 al. 1 LGL. La recourante admet que son projet ne satisfait pas aux catégories énumérées par l’article 16 LGL, mais elle se prévaut de l’article 26 lettre c LGL, qui stipule que des immeubles comprenant des chambres individuelles, lorsqu’ils sont exploités par des institutions sans but lucratif, notamment par des foyers d’étudiants, de personnes âgées ou d’infirmes, peuvent également être admis au bénéfice de la LGL.

L’article 26 lettre c LGL figure dans la section sur l’aide au financement. Il est à lire en relation avec l’article 25 LGL, comme l’indiquent leurs notes marginales respectives. Il ressort des travaux législatifs qu’ils ont tous deux été modifiés dans le but d’élargir les possibilités de subventionner les transformations et rénovations. Toutefois, la volonté de faciliter le subventionnement de certaines catégories d’immeubles n’a pas eu pour effet d’accorder à ces immeubles, qui demeurent des exceptions dérogeant au régime ordinaire, le caractère de logement sociaux au sens de l’article 3 LGL. Compte tenu de l’exigence accrue de base légale claire et précise commandée par la sévérité de l’atteinte aux droits fondamentaux du propriétaire de la parcelle, on ne saurait étendre les catégories expressément prévues aux articles 3 et 16 LGL aux immeubles visés par l’article 26 LGL.

Et même si tel devait être le cas, il serait douteux que l’article 26 lettre c LGL puisse s’appliquer aux EMS. Il faudrait pour cela que les chambres de l’EMS soient destinées à la location ; en effet, dans le système actuel de la LGL, les logements doivent, selon une interprétation systématique de la loi (cf. art. 25 lettre a, 30 ss, 42 ss LGL), être loués au sens des articles 253 ss du Code des obligations. Il faudrait également que l’immeuble bénéficie de l’une des formes de subventionnement prévue par la LGL. Or, à Genève, les EMS ont un système de subventionnement propre, différent de celui décrit aux articles 23 ss LGL.

c. Comme les EMS ne s’inscrivent dans aucune des trois catégories prévues par l’article 16 LGL (HBM, HLM et HM) et que l’article 3 alinéa 1 LGL, base légale claire et précise, ne permet pas d’étendre les catégories des logements visées par l’article 16 LGL, le droit de préemption ne saurait être exercé pour la construction d’un EMS.

Au demeurant, dans la jurisprudence alléguée par la recourante (cf. ATA/533/1998 du 1er septembre 1998, consid. 7b), il ne s’agissait pas de la construction d’un EMS, mais de logements qui devaient héberger des résidents âgés, sans être exclusivement destinés à cette catégorie de la population. C’est pourquoi, cette jurisprudence ne lui est d’aucun secours car elle ne permet nullement d’assimiler les EMS à l’une des catégories énumérées par l’article 16 LGL.

5. La recourante prétend que la décision du Conseil d’Etat viole les principes de la proportionnalité et de la subsidiarité, d’une part parce qu’il aurait omis de tenir compte du fait que l’EMS n’est pas un élément central du projet, et d’autre part parce qu’il se serait borné à considérer que la revente de la parcelle ne serait pas admise par l’article 9 LGL, alors que les membres du conseil municipal semblaient avoir envisagé d’octroyer un droit de superficie sur la parcelle.

L’article 3 LGL ne prévoit pas que le droit de préemption puisse s’exercer seulement « partiellement » ou même « principalement » pour la construction de logements sociaux. Le législateur, en stipulant que ce droit ne peut s’exercer « qu’aux fins de constructions » de tels logements, a clairement exprimé sa volonté d’admettre la préemption exclusivement au profit d’appartement HBM, HLM ou HM. La formulation de l’article 3 LGL est sans équivoque et ne laisse pas de liberté d’appréciation aux autorités, c’est pourquoi le Conseil d’Etat n’a pas violé le principe de la proportionnalité en considérant que la décision de la recourante ne satisfaisait pas aux conditions du droit de préemption.

En outre, le procès-verbal du conseil municipal, qui seul fait foi, prévoit la construction de bâtiments destinés au logement, sans préciser de quel type. Rien n’indique qu’il s’agisse de logement à caractère social. Dans ces conditions, la décision du Conseil d’Etat ne paraît pas disproportionnée.

Enfin, le conseil municipal a lui-même considéré comme douteux que l’acquisition de la parcelle aux fins de la revendre ensuite soit un procédé admissible au regard de l’article 9 LGL. Même si, dans son recours, la recourante n’exclut pas l’hypothèse de mettre les terrains litigieux en droit de superficie au profit de la fondation communale pour le logement des personnes âgées et de la fondation de la Ville de X. pour la construction d’habitations à loyer modéré, cela n’est pas suffisant. En effet, cette possibilité aurait à tout le moins dû être prévue par le texte de la délibération. En l’absence d’une telle mention, la cession de droits de superficie en vue de construire des logements à caractère social n’auraient pu être envisagés qu’après un nouveau processus de délibération devant le conseil municipal, qui aurait d’ailleurs pu aboutir à un refus d’octroi de ce droit pour divers motifs. Par conséquent, le Conseil d’Etat n’a pas violé le principe de subsidiarité en considérant que la décision de la recourante était insatisfaisante sur ce point également.

6. Vu la qualité de la recourante, aucun émolument ne sera perçu.

* * * * *

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 avril 2004 par la Commune de X. contre la décision du Conseil d'Etat du 15 mars 2004;

au fond :

le rejette;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

communique le présent arrêt à Me Christian Buonomo, avocat de la recourante, au Conseil d'Etat, ainsi qu’à Me David Lachat, avocat de l’appelée en cause.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mme Hurni, Mme Junod, M. Thélin, M. Paychère, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :