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Décisions | Assistance juridique

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AC/1780/2023

DAAJ/135/2023 du 29.11.2023 sur AJC/4004/2023 ( AJC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

AC/1780/2023 DAAJ/135/2023

COUR DE JUSTICE

Assistance judiciaire

DÉCISION DU MERCREDI 29 NOVEMBRE 2023

 

 

Statuant sur le recours déposé par :

 

A______ Sàrl, sise ______ [GE],

représenté par Me Marguerite MOULIN-LE BASTART DE VILLENEUVE, avocate, rue de Saint-Léger 2, 1205 Genève,

 

contre la décision du 7 août 2023 de la vice-présidence du Tribunal civil.

 

 

 


EN FAIT

A.           a. Le 14 juin 2023, B______ a sollicité l'assistance juridique pour "une action demande en paiement – C______".

Il a exposé sa situation financière, qui est obérée.

b. Par pli du 6 juillet 2023, le greffe de l'Assistance juridique a invité B______, soit pour lui son conseil, à produire copie de la demande en paiement visée, ce qu'il a fait.

Au vu de dite demande, il s'est alors avéré que la partie au litige pour lequel la demande d'assistance juridique était formulée était non pas B______ lui-même, mais A______ SÀRL (ci-après : la recourante).

Le but social de la recourante, fondée en 2012, est l'exploitation d'un commerce de ______ et motos. Elle avait, jusqu'au début septembre 2023, B______ pour gérant et D______ pour associée unique détenant 20 parts de l'000 fr. l'une. Désormais, B______ est seul associé-gérant.

Dans sa demande en paiement, la recourante a exposé avoir pris à bail, dès le 1er novembre 2016, une arcade d'environ 100 m2 au rez-de-chaussée de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève, ainsi qu'un dépôt extérieur d'environ 30m2 au rez-de-chaussée, un dépôt au sous-sol d'environ 35 m2 et une cave au sous-sol d'environ 35 m2 à la même adresse, dont C______ est propriétaire. Elle y exploitait un garage. En juillet 2021, une partie du plancher de l'arcade s'était effondrée sous le poids de B______. Après l'intervention de la régie, une surface d'environ 35 m2 avait été identifiée comme susceptible de s'effondrer et interdite d'accès. Parallèlement, il avait été constaté qu'une partie des locaux loués était constituée d'une construction érigée illégalement qui ne pouvait pas être exploitée, ce que la recourante conteste. Ainsi, en raison de l'existence de cette construction prétendument illégale, l'assureur responsabilité civile de la recourante avait refusé de la couvrir dès septembre 2022. La recourante avait donc cessé son activité, en raison de l'absence de couverture d'assurance et parce qu'une partie des locaux était inexploitable. Tous ces événements étaient survenus au moment où la recourante s'apprêtait à céder son fonds de commerce. Comme le loyer n'était plus payé, la recourante se trouvait désormais menacée d'évacuation.

c. Par courrier du greffe de l'Assistance juridique du 12 juillet 2023, il a été constaté que la procédure concernait la recourante, une personne morale. Elle a invité celle-ci à exposer la situation financière de D______, justificatifs à l'appui.

d. La recourante a répondu le 26 juillet 2023 que la prénommée n'avait aucun pouvoir de décision dans la société et ceci, depuis sa fondation, pour laquelle elle avait agi à titre fiduciaire. D______ n'avait jamais eu de signature auprès du Registre du commerce. La recourante avait requis le jour même sa radiation du Registre du commerce.

Le lendemain, elle a produit une convention de cession de parts sociales conclue le jour même entre B______ et D______ aux termes de laquelle la seconde cède les 20 parts sociales de la société au premier pour le prix de 1 fr.

B.            Par décision du 7 août 2023, notifiée le 11 août 2023, la vice-présidence du Tribunal civil a rejeté la requête précitée.

En substance, elle a retenu que la recourante n'avait pas produit de justificatif concernant sa situation financière, ni celle de D______, de sorte qu'il n'était pas possible de les déterminer, le fait que le gérant soit indigent n'étant pas suffisant. Par ailleurs, avoir radié D______ de sa position d'associée au Registre du commerce ne changeait rien au fait que la situation financière de la recourante devait être déterminée.

C.           a. Recours est formé contre cette décision, par acte expédié le 21 août 2023 à la Présidence de la Cour de justice. La recourante conclut à l'annulation de la décision entreprise et à son admission au bénéfice de l'assistance juridique, sous suite de frais et dépens.

A l'appui de son recours, elle soutient que la situation financière de D______ était sans pertinence, car elle n'agissait qu'à titre fiduciaire. Le seul ayant droit économique avait toujours été B______. Elle-même ne réalisait plus aucun revenu, du fait de la cessation de son activité.

La recourante produit des pièces nouvelles.

b. Par pli expédié le 25 août 2023, la recourante a transmis des pièces nouvelles.

c. La vice-présidence du Tribunal civil a renoncé à formuler des observations.

EN DROIT

1.             1.1. En tant qu'elle refuse l'assistance juridique, la décision entreprise, rendue en procédure sommaire (art. 119 al. 3 CPC), est sujette à recours auprès de la présidence de la Cour de justice (art. 121 CPC, 21 al. 3 LaCC et 1 al. 3 RAJ), compétence expressément déléguée à la vice-présidence soussignée sur la base des art. 29 al. 5 LOJ et 10 al. 1 du Règlement de la Cour de justice (RSG E 2 05.47). Le recours, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance de recours (art. 321 al. 1 CPC) dans un délai de dix jours (art. 321 al. 2 CPC et 11 RAJ).

1.2. En l'espèce, le recours est recevable pour avoir été interjeté dans le délai utile et en la forme écrite prescrite par la loi.

1.3. Lorsque la Cour est saisie d'un recours (art. 121 CPC), son pouvoir d'examen est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC, applicable par renvoi de l'art. 8 al. 3 RAJ). Il appartient en particulier au recourant de motiver en droit son recours et de démontrer l'arbitraire des faits retenus par l'instance inférieure (Hohl, Procédure civile, tome II, 2ème éd., n. 2513-2515).

2.             Aux termes de l'art. 326 al. 1 CPC, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables dans le cadre d'un recours.

Par conséquent, les allégués de faits dont la recourante n'a pas fait état en première instance et les pièces nouvelles ne seront pas pris en considération.

3.             3.1. Selon l'art. 117 CPC, une personne a droit à l'assistance judiciaire lorsqu'elle ne dispose pas de ressources suffisantes (a) et lorsque sa cause ne paraît pas dépourvue de toute chance de succès (b).

En principe, une personne morale ne peut pas prétendre à l'assistance judiciaire (ATF 143 I 328 consid. 3.1; 131 II 306 consid. 5.2.1; 126 V 42 consid. 4; 116 II 651 consid. 2a; 88 II 386 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_173/2023 du 7 juillet 2023 sans numéro de considérant). L'assistance judiciaire n'est certes pas totalement exclue pour les personnes morales - le législateur a finalement renoncé à cette solution radicale dans sa dernière mouture du CPC -, mais cette institution demeure avant tout taillée pour les personnes physiques. S'inspirant du droit allemand (§ 116 al. 1 ch. 2 dZPO), la jurisprudence conçoit d'accorder une telle assistance à titre exceptionnel, soit lorsque l'unique actif de la personne morale est en litige et que les "personnes intéressées économiquement à la société" ("die wirtschaftlich Beteiligten" / "le persone interessate economicamente alla società") sont, comme elle, sans ressources financières (ATF 119 Ia 337 consid. 4e; 131 II 306 consid. 5.2; 143 I 328 consid. 3.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_446/2009 du 19 avril 2013 consid. 4.2.1 et 5.1; ordonnance 4A_322/2020 du 7 juillet 2020). La jurisprudence prescrit de ne pas distinguer entre les différents types de personnes morales, soit de ne pas différencier celles qui ont un but commercial de celles qui n'en n'ont pas (arrêt du Tribunal fédéral 2D_41/2018 du 8 janvier 2019 consid. 3.5). Il incombe ainsi à la personne morale de définir quelles sont les "personnes intéressées économiquement" et d'établir leur indigence (arrêt du Tribunal fédéral 4A_173/2023 du 7 juillet 2023 sans numéro de considérant et les références citées).

3.2. La levée du voile social a pour conséquence que l'indépendance formelle de la personne morale n'est pas prise en considération. La réalité économique est aussi déterminante juridiquement. La personne morale et celle qui la domine sont alors traitées juridiquement - avant tout dans les rapports patrimoniaux - comme une unité (dans ce sens, ATF 144 III 541 consid. 8.3.3; arrêt du Tribunal fédéral 5C.14/2003 du 3 juillet 2003 consid. 2.2; cf. ATF 121 III 319 consid. 3a). Ni le sociétaire ni la personne morale ne peuvent se prévaloir de la dualité juridique aux dépens de l'identité économique et, en conséquence, les rapports de droit liant l'une lient également l'autre. En revanche, en ce qui les concerne, ils doivent s'en tenir à la forme d'organisation qu'ils ont choisie et ne peuvent valablement prétendre qu'ils forment une unité juridique aux dépens de leurs créanciers (ATF 121 III 319 consid. 5a; ATF 144 III 541 consid. 8.3.3 et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 6B_134/2017 du 8 janvier 2019 consid. 7.1).

Ainsi, en matière d'assistance judiciaire, le Tribunal fédéral a retenu que celui qui crée une société doit se voir opposer la construction juridique qu'il a choisie et qu'il ne peut pas, selon son intérêt, invoquer tantôt l'unité économique, tantôt la dualité juridique (ATF 109 Ib 110 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_517/2007 du 14 janvier 2008 consid. 3.2).

3.3. Applicable à la procédure portant sur l'octroi ou le refus de l'assistance judiciaire, la maxime inquisitoire est limitée par le devoir de collaborer des parties. Ce devoir de collaborer ressort en particulier de l'art. 119 al. 2 CPC qui prévoit que le requérant doit justifier de sa situation de fortune et de ses revenus et exposer l'affaire et les moyens de preuve qu'il entend invoquer. Il doit ressortir clairement des écritures de la partie requérante qu'elle entend solliciter le bénéfice de l'assistance judiciaire et il lui appartient de motiver sa requête s'agissant des conditions d'octroi de l'art. 117 CPC et d'apporter, à cet effet, tous les moyens de preuve nécessaires et utiles (arrêts du Tribunal fédéral 4A_480/2022 du 29 novembre 2022 consid. 3.2 et 5A_287/2023 du 5 juillet 2023 consid. 3.2). L'autorité saisie de la requête d'assistance judiciaire n'a pas à faire de recherches approfondies pour établir les faits ni à instruire d'office tous les moyens de preuve produits. Elle ne doit instruire la cause de manière approfondie que sur les points où des incertitudes et des imprécisions demeurent, peu importe à cet égard que celles-ci aient été mises en évidence par les parties ou qu'elle les ait elle-même constatées (Ibid.).

Le juge doit inviter la partie non assistée d'un mandataire professionnel dont la requête d'assistance judiciaire est lacunaire à compléter les informations fournies et les pièces produites afin de pouvoir vérifier si les conditions de l'art. 117 CPC sont valablement remplies. Ce devoir d'interpellation du tribunal, déduit de l'art. 56 CPC, vaut avant tout pour les personnes non assistées et juridiquement inexpérimentées. Il est en effet admis que le juge n'a pas, de par son devoir d'interpellation, à compenser le manque de collaboration qu'on peut raisonnablement attendre des parties pour l'établissement des faits, ni à pallier les erreurs procédurales commises par ces dernières. Or, le plaideur assisté d'un avocat ou lui-même expérimenté voit son obligation de collaborer accrue dans la mesure où il a connaissance des conditions nécessaires à l'octroi de l'assistance judiciaire et des obligations de motivation qui lui incombent pour démontrer que celles-ci sont remplies. Le juge n'a de ce fait pas l'obligation de lui octroyer un délai supplémentaire pour compléter sa requête d'assistance judiciaire lacunaire ou imprécise (arrêts du Tribunal fédéral 4A_480/2022 du 29 novembre 2022 consid. 3.2 et 5A_287/2023 du 5 juillet 2023 consid. 3.2).

3.4. En l'espèce, il n'est plus remis en cause que la requête d'assistance juridique vise à mettre une personne morale au bénéfice de celle-ci.

Comme l'a souligné l'autorité précédente, l'octroi de l'assistance juridique à une personne morale est en principe exclu. Au vu des considérations qui suivent, il ne se justifie pas d'examiner si l'on se trouve dans l'un des cas exceptionnels où le seul actif de la personne morale est en jeu et où l'aide de l'Etat doit lui être accordée pour défendre ses intérêts.

En effet, d'une part, la recourante a eu pour associée unique, dès sa fondation, D______. La recourante allègue que celle-ci a agi à titre fiduciaire, ce qui est corroboré par l'acte de fondation, et que le seul ayant droit économique a toujours été B______. Cette dernière affirmation n'est étayée par aucune pièce, de sorte que rien ne démontre pour qui et à quelles conditions la prénommée serait intervenue à titre fiduciaire. Il doit être remarqué que, pendant plus de dix ans, D______ a ainsi détenu les parts sociales de la recourante pour ne les remettre au second nommé qu'au moment précis où il lui est demandé des éclaircissements financiers par l'autorité précédente. Cette coïncidence, dont les raisons peuvent être multiples, n'est pas pour conforter la position de la recourante. Il faudrait ainsi croire la recourante sur parole sur le fait que B______ est la seule personne physique effectivement chargée de sa gestion et détenant économiquement son capital social. Cela n'est pas admissible. Ainsi, conformément à la jurisprudence, la recourante doit se laisser opposer l'apparence créée à savoir que son capital social était détenu par un tiers, dont la situation financière n'a pas été éclaircie. Il lui incombait de désigner les ayants droit et d'établir leur situation financière, ce qu'elle n'a pas fait; cette carence peut lui être opposée.

De surcroît, B______ a commis une erreur, excusable puisqu'il procédait apparemment seul à ce moment, en demandant l'assistance juridique pour lui-même, alors que le litige concernait une personne morale tierce. Cette erreur était toutefois dissipée dès le moment où l'autorité précédente a attiré l'attention de la recourante, soit pour elle son organe et son avocat, sur ce point. Le recourante se devait alors d'exposer sa situation financière au jour de la requête ce qu'elle n'a pas fait : bien que son exposé des faits tende à démontrer que ses affaires sont mauvaises en l'état, elle pourrait jouir de réserves ou posséder un stock qui permettrait de couvrir les frais de procès. Cette hypothèse correspondrait d'ailleurs aux allégués de la recourante selon laquelle son activité était florissante jusqu'à ce que surviennent les événements relatifs à ses locaux. Certes, l'autorité précédente n'a expressément invité la recourante qu'à préciser la situation financière de D______, mais elle retient, dans la décision entreprise, que la situation financière de la recourante devait aussi être déterminée, ce qui est non seulement conforme au droit, mais aussi admis par la recourante dans son recours. La recourante affirme en effet être obérée et ne conteste pas que sa situation financière joue un rôle dans la présente procédure relative à l'assistance judiciaire et doit être établie. Dès lors qu'elle n'a produit aucun document établissant sa situation financière devant l'instance précédente, elle ne saurait bénéficier de l'aide de l'Etat pour mener son procès.

Par conséquent, l'identité et l'indigence des organes ou des personnes intéressées économiquement à la recourante n'ont pas été établies, de même que la situation financière de la recourante elle-même, de sorte que l'assistance juridique a été refusée à bon droit par l'autorité précédente.

La décision entreprise sera donc confirmée et le recours rejeté.

4.             Sauf exceptions non réalisées en l'espèce, il n'est pas perçu de frais judiciaires pour la procédure d'assistance juridique (art. 119 al. 6 CPC).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR
:

A la forme :

Déclare recevable le recours formé par A______ SÀRL contre la décision rendue le 7 août 2023 par la vice-présidence du Tribunal civil dans la cause AC/1780/2023.

Au fond :

Le rejette.

Déboute A______ SÀRL de toutes autres conclusions.

Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires pour le recours.

Notifie une copie de la présente décision à A______ SÀRL en l'Étude de Me Marguerite MOULIN-LE BASTART DE VILLENEUVE (art. 137 CPC).

Siégeant :

Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, vice-présidente; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.