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Décisions | Chambre civile

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C/19421/2016

ACJC/756/2024 du 11.06.2024 sur JTPI/14296/2022 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19421/2016 ACJC/756/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 11 JUIN 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante d'un jugement rendu par la 10ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 30 novembre 2022 et intimée sur appel joint, représentée par Me B______, avocat,

et

LES HOPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE (HUG), sis avenue de
V______ 20, 1206 Genève, intimés et appelants sur appel joint, représentée par
Me Michel BERGMANN, avocat, PONCET TURRETTINI, rue de Hesse 8,
case postale, 1211 Genève 4.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/14296/2022 du 30 novembre 2022, reçu par les parties le 2 décembre 2022, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure ordinaire, a, préalablement, déclaré irrecevables la pièce 23 produite par A______ avec ses plaidoiries finales reçues le 1er juillet 2022 ainsi que les allégués nouveaux articulés dans le cadre de sa réplique spontanée du 18 juillet 2022 (chiffre 1 du dispositif) et, cela fait et statuant sur la demande, a débouté A______ de toutes ses conclusions (ch. 2).

Le Tribunal a arrêté les frais judiciaires à 42'750 fr. (ch. 3), qu'il a compensés à concurrence de 200 fr. avec l'avance versée par A______ d'une part et à concurrence de 1'200 fr. avec l'avance versée par les HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE (HUG) (ci-après : les HUG) d'autre part (ch. 4), puis qu'il a mis, déduction faite des montants avancés par chacune des parties, à la charge de A______ à concurrence de 34'000 fr. et à la charge des HUG à concurrence de 7'350 fr. (ch. 5). Il a condamné les HUG à payer à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, le montant de 7'350 fr. (ch. 6), dispensé provisoirement A______ du paiement de sa part des frais judiciaires, sous réserve d'une décision fondée sur l'art. 123 CPC (ch. 7) et condamné A______ à payer aux HUG le montant de 27'213 fr. à titre de dépens (ch. 8).

B. a. Par acte expédié le 17 janvier 2023 au greffe de la Cour de justice, A______ a formé appel contre ce jugement, dont elle a sollicité l'annulation.

Préalablement, elle a conclu à la mise en œuvre d'une contre-expertise.

Principalement, elle a conclu, sous suite de frais judiciaires et dépens (sollicitant que la note de frais et honoraires qu'elle produirait en fin de procédure soit prise en compte), à ce que la Cour condamne les HUG à lui verser 50'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er juin 2012 à titre d'indemnité pour dommage d'assistance, 30'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er juin 2012, à titre d'indemnité pour tort moral et 19'791 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 30 novembre 2015 à titre de participation aux frais d'avocat engagés avant le procès.

Subsidiairement, elle a conclu au renvoi de la cause en première instance dans le sens des considérants.

Elle a produit une pièce non soumise au premier juge, soit un certificat médical établi le 9 janvier 2023 par le Prof. C______, au sujet d'un suivi dont elle bénéficierait depuis 2012 (pièce 5).

b. Par réponse du 15 août 2023, les HUG ont conclu, sous suite de frais judiciaires et dépens, à l'irrecevabilité et au rejet de l'appel formé par A______.

Les HUG ont en outre formé un appel joint, concluant, sous suite de frais judiciaires et dépens, à l'annulation des chiffres 4 à 8 du jugement entrepris et, cela fait, à ce que la Cour mette l'intégralité des frais judiciaires et dépens (lesquels ne pouvaient être inférieurs à 34'016 fr.) de première instance à charge de A______.

c. Le 2 octobre 2023, A______ a répondu à l'appel joint, concluant à son rejet.

d. Le 16 octobre 2023, elle a répliqué sur appel principal, persistant dans ses conclusions.

e. Les parties ont été informées le 28 novembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger, les HUG n'ayant pas fait usage de leur droit de dupliquer.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. A______, née le ______ 1955, a fait une chute à son domicile le 1er juin 2012.

Elle a estimé l'heure de la chute à 7h30/8h, expliquant s'être levée comme à son habitude et s'être rendue aux toilettes. Sa vision avait alors été troublée par un voile et A______ était tombée de la cuvette sur le côté droit, heurtant le porte-papier hygiénique. Elle s'était retrouvée au sol "raide comme une bûche" et n'avait pas réussi à se relever, car elle n'arrivait plus à bouger la jambe droite, se sentant comme "paralysée". Elle n'avait pas perdu conscience mais était restée recroquevillée par terre sur son côté droit.

Son époux, chauffeur de taxi, était absent au moment de la chute. A son retour du travail vers 9h40, il a trouvé son épouse étendue sur le sol des toilettes et a essayé de la relever, sans succès.

b. L'époux de A______ a appelé D______ [consultations à domicile 24 heures sur 24] à 10h23.

Lorsque le médecin, le Dr E______, s'est rendu à son domicile à 11h, A______ lui a expliqué avoir consommé un ou deux verres de vin la veille au soir. Elle avait de la peine à s'exprimer. Le médecin a tenté de relever A______ avec son époux, en vain.

Les éléments suivants figurent dans son rapport : une chute, une perte musculaire, le fait que A______ n'arrivait pas à se relever et qu'elle souffrait d'éthylisme chronique et que son état de santé se dégradait rapidement depuis quelques années.

Entendu en qualité de témoin dans le cadre de la présente procédure, le Dr E______ a déclaré au Tribunal que le mari de A______ lui avait confié que l'état général de son épouse se dégradait depuis deux ou trois ans et qu'elle consommait excessivement d'alcool, raison pour laquelle il avait noté "éthylisme chronique" dans son rapport. Il n'avait cependant pas procédé à un examen pour déterminer son taux d'alcoolémie. Il ne trouvait pas normal que A______ n'ait pas réussi à se relever depuis la chute et ne se souvenait pas d'éventuelles difficultés à s'exprimer.

c. Le médecin a appelé une ambulance, qui est arrivée à 11h32.

Le rapport des ambulanciers mentionne comme antécédents un alcoolisme chronique, de l'hypertension artérielle, une tachyarythmie et des problèmes de thyroïde. A______ ne souffrait pas d'un traumatisme crânien et n'avait pas perdu connaissance. Elle avait des hématomes au membre supérieur droit. Elle était par ailleurs incapable de se relever et présentait une faiblesse musculaire ainsi que des tremblements.

A teneur de ce rapport, elle avait consommé la veille au soir un à deux litres de vin et était tombée en se relevant des toilettes vers 4h.

A______ a contesté la quantité d'alcool consommée et l'heure de la chute, affirmant avoir expliqué aux ambulanciers avoir chuté quatre heures auparavant et non à 4h.

Le Dr E______ a déclaré au Tribunal que les informations figurant dans la fiche d'informations des ambulanciers correspondaient à celles fournies par lui-même, la patiente et son époux.

d. A______ a été emmenée en ambulance au service des urgences des HUG. Elle est arrivée à 12h35.

Dans son rapport, l'infirmière à l'accueil du service des urgences des HUG, F______, a noté comme motif d'entrée une chute ayant eu lieu la nuit vers 4h à la suite d'une consommation d'une à deux bouteilles de vin blanc la veille au soir, pas de traumatisme crânien, pas de perte de connaissance, asthénie, tremor (soit tremblements) et trauma au bras droit avec hématome, et précisé que la patiente ne tenait pas debout.

L'infirmière a également noté un alcoolisme chronique et des antécédents d'hypertension artérielle et de tachyarythmie.

Entendue par le Tribunal, F______ a déclaré que les informations portées dans son rapport pouvaient provenir de ses propres constatations, des dires de la patiente et des informations recueillies par les ambulanciers.

Elle a évalué le degré d'urgence à 3 sur une échelle allant de 1 à 4, le degré 1 étant le degré le plus grave. Selon les déclarations du Prof. G______, entendu comme représentant des HUG dans la présente procédure, un patient en degré d'urgence 3 était pris en charge dans les deux heures suivant son arrivée. Il s'agissait de "cibles" à atteindre. Le long délai de prise en charge s'expliquait par le fait que ce jour-là, il y avait beaucoup plus de monde que d'habitude.

e. A______ a été placée dans une salle d'attente en zone couchée avant d'être déplacée au bloc C à 20h20.

Elle a allégué avoir interpellé l'infirmière en charge de la salle d'attente à plusieurs reprises, souffrant de "douleurs horribles sur tout le côté droit". Elle ne pouvait pas se lever ni même s'asseoir car elle ne parvenait pas à bouger son côté droit.

f. A______ a été examinée par un médecin, la Dre H______, alors médecin en chirurgie au service des urgences, pour la première fois aux alentours de 21h.

Dans son rapport, la doctoresse a noté que A______ avait fait une chute pendant la nuit dans un contexte d'éthylisation, que celle-ci n'avait souffert ni de traumatisme crânien ni de perte de connaissance et que l'examen neurologique ne relevait pas de déficit moteur (pas de latéralisation).

Elle a retenu, comme diagnostic principal, une chute sur abus d'alcool ("chute s/ abus OH").

A______ a allégué avoir expliqué à la Dre H______ le contexte de sa chute, soit qu'elle avait eu un étourdissement et que sa vue avait été troublée par un voile. Elle a également affirmé lui avoir dit qu'elle ne parvenait plus à bouger ni son pied ni sa cheville droits et qu'elle souffrait d'hypertension artérielle. Selon A______, la doctoresse semblait ne pas la croire et considérer que sa chute était due à une consommation excessive d'alcool. Lorsque A______ avait attiré son attention sur le fait qu'elle n'arrivait pas à bouger son pied et sa cheville droite, la Dre H______ avait estimé que c'était plus ou moins normal, notamment au niveau des réflexes.

Selon le Prof. G______, il ne ressortait pas du dossier médical que la Dre H______ avait conclu à une intoxication de type alcoolique mais uniquement à une chute d'origine peu claire. Le fait qu'aucune latéralisation n'ait été constatée à l'admission aux urgences signifiait qu'aucun déficit moteur des membres supérieurs et inférieurs n'avait été mis en évidence, ni à droite ni à gauche.

La Dre H______ a confirmé au Tribunal que l'examen neurologique qu'elle avait pratiqué ne mettait pas en évidence de déficit moteur. Cet examen consistait par exemple à faire serrer au patient les deux mains en même temps pour voir s'il y avait une faiblesse d'un côté. Elle n'avait pas constaté d'asymétrie. La force était la même des deux côtés du corps, raison pour laquelle elle avait noté "pas de latéralisation". Elle avait ainsi pu exclure un symptôme typique d'un AVC. Le fait que la patiente se plaignait de difficultés à bouger les membres ou qu'elle ne tenait pas debout n'était pas forcément un indice de déficit moteur, les causes pouvant être multiples (notamment la fatigue, les douleurs).

g. La Dre H______ a prescrit des analyses de sang et d'urine.

Ces analyses ont révélé des taux de P-créatine kinase (2'427, pour une référence/un seuil indiqué de 33 à 187) et de P-protéine C-réactive (38.50, pour une référence/un seuil indiqué de 0.00 à 10.00) anormalement élevés.

Ces taux n'ont pas provoqué de réaction particulière de la part de la Dre H______, qui n'a pas ordonné d'examens complémentaires.

Selon les HUG, le taux élevé de P-créatine kinase pouvait s'expliquer par la position couchée prolongée après la chute, A______ n'ayant pas réussi à se relever pendant plusieurs heures.

Selon la Dre H______, un taux élevé de P-créatine kinase pouvait résulter par exemple d'un traumatisme musculaire, notamment lors d'une chute, mais pouvait également être le signe d'un AVC ou encore avoir une autre origine. Le contexte clinique permettait de déterminer s'il fallait procéder à des examens complémentaires. La doctoresse ne se souvenait pas du visage ou du nom de A______. Si cette dernière avait exposé qu'elle avait eu un étourdissement avant sa chute et que durant son séjour en observation, elle ne pouvait pas bouger le pied, le contexte clinique aurait alors été compatible avec un AVC et aurait dû amener à des examens complémentaires. Une telle conclusion ne pouvait être déduite de cette seule analyse sanguine, quand bien même le taux de P-créatine kinase était élevé. Ce taux de P-créatine kinase était cohérent avec une atteinte musculaire qui libérait cette toxine, compte tenu de la présence d'hématomes, notamment à la hauteur du genou droit, du bras droit et de la jambe droite de la patiente. Cette affection survenait en cas d'immobilisation prolongée du corps contre une surface dure avec une compression musculaire.

h. A teneur de la feuille d'observation fréquente remplie par l'unité d'observation, il a été relevé, le 1er juin 2012, que A______ présentait de nombreux hématomes au bras et à la jambe droite, qu'elle avait plus de difficulté à bouger la jambe droite que la jambe gauche et que son élocution était pâteuse (avec l'interrogation de savoir si c'était "habituel?"). L'infirmière avait remarqué en mobilisant A______ pour l'asseoir sur la chaise et la mettre au lit que celle-ci bougeait plus difficilement.

Il est également indiqué que la patiente avait confié connaître un problème de consommation excessive d'alcool. Il s'agissait d'un problème "de longue date" pour lequel elle n'avait jamais consulté.

i. De nouvelles analyses de sang ont été ordonnées quelques heures plus tard, soit le 2 juin 2012 à 6h.

Le taux de P-créatine kinase était toujours très élevé (1'711), mais avait baissé depuis la première prise de sang.

j. Le 2 juin 2012, à 8h, A______ s'est plainte de fourmillements dans l'hémicorps droit. Un examen neurologique a alors été réalisé. Selon les indications mentionnées dans le dossier de suivi, celui-ci s'est avéré normal.

k. Plus tard dans la journée, A______ a été admise à l'hôpital V______ pour la suite de ses soins.

La note d'admission mentionne la présence d'hématomes au niveau de l'épaule, du coude, du genou et du dos du pied droits, à la suite d'une chute ayant eu lieu après que A______ se fut relevée des toilettes, dans un contexte d'éthylisation la veille au soir. Une élévation de la créatinine a été relevée ainsi qu'une asthénie importante et l'absence de céphalées.

À son arrivée, une anamnèse succincte a été réalisée. Il a alors été constaté que A______ éprouvait de la difficulté à utiliser son bras et sa main droits et qu'elle souffrait de douleurs importantes sur tout le côté droit. L'infirmière avait dû servir le repas de midi à A______ en raison de ses difficultés à utiliser son bras et sa main droits.

Le Prof. G______ a expliqué au Tribunal que la gêne ressentie par la patiente au moment de prendre son petit-déjeuner avait été investiguée mais que les examens n'avaient pas mis en évidence de déficit neurologique.

l. Le soir du 2 juin 2012, le médecin de garde, la Dre I______, médecin interne au service de médecine interne de réhabilitation à V______, a effectué un diagnostic différentiel, dans le cadre duquel elle a recherché les différentes causes possibles de la chute, notamment la possibilité d'un AVC (accident vasculaire cérébral) et d'un AIT (accident ischémique transitoire). L'examen neurologique, sans particularité, avait toutefois écarté ces pistes.

Dans sa note de suite, elle a précisé que la patiente avait été admise en raison de douleurs sur le côté de la réception traumatique suite à une chute dans un contexte d'éthylisation aiguë. Entendue en qualité de témoin par le Tribunal, elle a relevé que des plaintes formulées par A______ quant à des douleurs ou des difficultés à utiliser ses membres inférieurs et supérieurs, à se déplacer ou à manger seule ne figuraient pas dans sa note. Elle a par ailleurs déclaré au Tribunal avoir été appelée par l'infirmière, qui devait contacter le médecin de garde lorsqu'elle constatait un problème aigu, ce qui ressortait de la seconde note de suite qu'elle avait rédigée ("Note de suite : Appel pour EF 38.1°"). Il n'était en revanche pas possible de savoir si elle avait été appelée en raison des problèmes constatés lors de l'admission. Dans un tel cas, il était possible que l'infirmière n'appelle pas le médecin de garde s'il était très occupé et si ces problèmes avaient déjà été évalués aux urgences.

Entendue par le Tribunal, elle a également déclaré que l'examen neurologique auquel elle avait procédé et qui avait exclu un AVC ou un AIT consistait en un passage en revue des différentes fonctions neurologiques du patient (état de vigilance, orientation dans le temps et dans l'espace, force, sensibilité, réflexes, équilibre, etc.). Elle n'était toutefois pas en mesure de dire si elle avait elle-même effectué cet examen ou si elle avait repris les conclusions des urgences.

Elle a par ailleurs confirmé que le taux élevé de P-créatine kinase pouvait s'expliquer par la position couchée prolongée après la chute, A______ n'ayant pas réussi à se relever pendant plusieurs heures.

m. Le 3 juin 2012, un examen par électrocardiogramme a été effectuée sur A______ pour un bilan d'entrée à l'Hôpital V______. Le résultat de cet examen présentait une différence par rapport à celui pratiqué aux urgences.

n. Le soir du 3 juin 2012, le médecin de garde, qui avait constaté une persistance de la parésie du côté droit de la patiente et une modification de l'ECG d'entrée, a décidé de transférer la patiente aux urgences pour des examens plus approfondis.

La note de suite indique une faiblesse du membre inférieur droit et du membre supérieur droit, ainsi que dans la flexion de la cuisse et du pied droit, une hypoesthésie et des difficultés à la marche avec la jambe droite traînant au sol. Une impression de modification de l'ECG dans le cadre d'un AVC était également notée et un CT-scan cérébral ordonné en urgence.

o. L'imagerie par CT-scan effectuée le 3 juin 2012 a montré un hématome intraparenchymateux capsulo-lenticulaire gauche réalisant un effet de masse sur le ventricule gauche sans engagement sous-falcoriel, sans lésion vasculaire sous-jacente décelable dans le cadre de cet examen, compatible dans le contexte avec un hématome hypertensif.

Un rapport a été établi le 5 juin 2012 par le Dr J______, alors chef de clinique au service de neuroradiologie diagnostique et interventionnelle, et le Dr K______, médecin interne.

Entendu en qualité de témoin par le Tribunal, le Dr J______ a déclaré ne pas se souvenir du cas de A______. Le scanner cérébral du 3 juin 2012 révélait une hémorragie, dont l'origine était hypertensive, vu que la patiente souffrait d'hypertension artérielle. Sur la base du seul rapport, et sans voir les images, il ne pouvait pas déterminer quand s'était produit l'AVC. Il n'était pas non plus en mesure de déterminer à quel moment son état de santé s'était stabilisé.

p. A______ a également bénéficié d'une consultation en cardiologie le 3 juin 2012.

Le rapport établi le 4 juin 2012 à 1h50 fait état d'un hématome profond, probablement sur une hypertension artérielle mal contrôlée. La patiente présentait de façon asymptomatique des modifications ECG en antérieur dans un contexte d'hématome cérébral profond. L'évènement cardiaque semblait au décours et datait probablement de 24h à 48h auparavant.

Le diagnostic était un TakoTsubo ou une cardiomyopathie de stress.

Il était prévu de transférer A______ aux soins continus de neurologie. Une surveillance rythmique n'était pas forcément indiquée vu que l'évènement était au décours.

q. Une IRM (imagerie par résonance magnétique) cérébrale a été réalisée le 11 juin 2012.

Cet examen a fait apparaître une stabilisation de l'hématome lenticulo-capsulo-insulaire gauche avec œdème péri-lésionnel et effet de masse sur la corne frontale gauche d'allure hypertensif, un microbleed pariétal gauche et une séquelle hémorragique lenticulo-capsulaire droite.

r. Le 15 juin 2012, A______ a été transférée au service de neurorééducation de V______.

s. Un autre CT-scan cérébral a été réalisé le 26 juin 2012, duquel il résultait une nette diminution de la composante hématique au sein de l'AVC capsulo-lenticulaire gauche. Le reste du status était stable.

t. A______ a quitté le service de neurorééducation de V______ le 2 août 2012, date à laquelle elle est retournée vivre à son domicile.

Son bilan de sortie mentionne la persistance d'un hémisyndrome sensitivomoteur droit d'évolution favorable, la persistance d'un manque de dextérité au membre supérieur droit, une main fonctionnelle avec des gestes coordonnés et une écriture lisible, des troubles exécutifs modérés, des difficultés en expression écrite et dans le calcul, une marche sans moyen auxiliaire sur de petites distances et un rollator sur de plus grandes distances.

u. Le 17 août 2012, le Service de neuro-rééducation de V______ a établi un rapport concernant A______, dans le cadre duquel le diagnostic principal d'accident vasculaire cérébral (AVC) hémorragique capsuolo-lenticulaire gauche d'origine hypertensive probable, survenu le 1er juin 2012, était posé.

Sont mentionnés dans ce rapport à titre de comorbidités actives : l'hypertension artérielle (HTA) avec rétinopathie de stade I et néphropatie avec insuffisance rénale chronique, une hypovitaminose D, un syndrome TakoTsubo (cardiomyopathie de stress) en juin 2012 et une insuffisance veineuse chronique des membres inférieurs.

Le Service a indiqué l'éthylisme comme antécédent de la patiente.

Cette dernière présentait des difficultés mnésiques et attentionnelles, était dépendante d'une aide légère pour les actes de la vie quotidienne et plus importante pour les transferts; les déplacements se faisaient en fauteuil roulant. A______ était indépendante pour la toilette et l'habillage, gérait son traitement, était autonome pour les activités de cuisine et les courses mais nécessitait une aide quotidienne pour la mise en place et le retrait des bas de contention introduits en raison de l'insuffisance veineuse chronique. Sa capacité de travail devait être réévaluée ultérieurement, étant précisé que A______ avait liquidé le magasin de vêtements dont elle était propriétaire. Au vu de la persistance de troubles neurologiques au moment de la sortie et de la forte probabilité de séquelles prédominant sur la motricité de la main droite, une demande AI avait été initiée.

Dans la mesure où l'examen neurologique avait mis en évidence des troubles exécutifs modérés, des difficultés en expression écrite et dans le calcul et une légère altération du graphisme due à la parésie droite résiduelle, il était souhaitable que A______ bénéficie d'une aide de ses proches pour la gestion des tâches administratives.

Il était prévu que celle-ci suive à sa sortie des séances d'ergothérapie à domicile et des séances de physiothérapie en ambulatoire.

Le rapport est signé par le Dr L______, médecin chef de clinique scientifique, la Dre M______, médecin interne, la Dre N______, médecin adjointe, et le Dr O______, médecin chef de clinique.

Entendu en qualité de témoin par le Tribunal, le Dr O______ a confirmé que A______ avait séjourné dans le service de neuro-rééducation du 15 juin au 2 août 2012, à sa sortie du service de neurologie, afin de traiter les conséquences de l'AVC hémorragique dont elle avait été victime. Il n'était pas en mesure de dater exactement la survenance de l'AVC sur la base de l'anamnèse de la patiente, mais il était tout à fait possible qu'il soit survenu le 1er juin 2012. Il ne se souvenait pas avoir vu les résultats des examens neurologiques pratiqués aux urgences ni du scanner effectué la nuit du 3 juin 2012.

v. Le 31 janvier 2013, A______ a passé une IRM cérébrale.

Le résultat de cet examen a été comparé à celui réalisé le 11 juin 2012 ainsi qu'au résultat du CT-scan effectué le 26 juin 2012. À teneur du rapport établi le 1er février 2013 (partiellement illisible), les médecins ont constaté la présence d'une séquelle d'hématome capsulo-lenticulaire gauche et l'apparition d'une dégénérescence wallérienne pont (..illisible) et mésencéphalique gauche. Ils n'ont relevé aucune nouvelle lésion cérébrale.

w. Le 3 mai 2016, A______ a passé une nouvelle IRM cérébrale.

Un examen comparatif avec celle effectuée le 31 janvier 2013 a été réalisée.

A teneur du rapport établi le jour même (partiellement illisible), le médecin a constaté des séquelles d'anciens hématomes de localisation capsulo-lenticulaire gauche et capsulo-lenticulaire droit, ainsi que des séquelles hémorragiques de localisation temporale bilatérale, déjà visibles lors du précédent examen comparatif et qui demeuraient inchangées. L'aspect de la lésion micro-hémorragique (illisible) pariétale gauche demeurait également inchangée.

Le médecin a conclu à la présence de séquelles d'hématome capsulo-lenticulaires bilatéraux et la présence de séquelles hémorragiques de siège temporal bilatéral ainsi que d'un micro-bleed pariétal gauche, inchangés, précisant que l'examen ne montrait pas de nouvelle lésion hémorragique. Le micro-anévrisme du segment supra-clinoïdien de l'artère carotide interne gauche n'avait pas évolué, ses dimensions et sa géométrie demeurant inchangés par rapport au dernier bilan.

x. Le 19 août 2016, les HUG, qui avaient été interpellés par le conseil de A______ en janvier 2016, ont signé une déclaration de renonciation à invoquer la prescription jusqu'au 18 janvier 2018, pour autant que celle-ci ne soit pas déjà acquise.

Cette déclaration précisait que la renonciation ne valait pas reconnaissance de responsabilité.

D. a. Après avoir agi en conciliation le 3 octobre 2016 et obtenu l'autorisation de procéder le 23 novembre 2016, A______ a, par acte transmis le 16 janvier 2017 au Tribunal de première instance, assigné les HUG en paiement des montants de 89'145 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er juin 2012 à titre d'indemnité pour atteinte à l'avenir économique, de 522'419 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er juin 2012 à titre d'indemnité pour dommage ménager, de 100'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er juin 2012 à titre d'indemnité pour tort moral, de 286'977 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er juin 2012 à titre d'indemnité pour dommage d'assistance et de 19'791 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 30 novembre 2015 à titre de participation aux frais d'avocat engagés avant procès.

Elle a allégué que sa prise en charge du 1er juin 2012 avait été effectuée en violation des règles de l'art et du devoir de diligence compte tenu du délai d'attente et du traitement inadéquat prodigué. Son état de santé ne s'étant stabilisé qu'en 2016, elle ne pouvait pas déterminer l'ampleur de son préjudice et faire valoir ses droits plus tôt.

À l'appui de ses conclusions, elle a notamment produit une fiche d'information intitulée "Accident vasculaire cérébral : quels sont les signes d'alerte?" et une brochure "L'accident vasculaire cérébral – Des réponses à vos questions", édités par les HUG. La brochure indique notamment qu'en cas d'attaque cérébrale, chaque minute compte car plus vite est instauré un traitement, meilleures sont les chances de récupération.

b. Les HUG se sont opposés à cette demande, concluant, sous suite de frais et dépens, au déboutement de A______ de toutes ses conclusions.

Ils ont contesté toute responsabilité, alléguant qu'aucun manquement à la diligence ou aux règles de l'art ne pouvait leur être reproché.

Ils ont par ailleurs fait valoir que l'action en responsabilité était, en tout état prescrite, A______ connaissant son préjudice à tout le moins depuis 2013.

c. Lors de l'audience de débats d'instruction, de débats principaux et de premières plaidoiries du 6 septembre 2017, A______ s'est déterminée sur les allégués présentés par sa partie adverse et a complété ses allégués concernant ses séquelles. Elle a ainsi allégué ne plus pouvoir bouger ses membres inférieur et supérieur droits, être contrainte de se déplacer avec un déambulateur, peiner à se déplacer seule et devoir constamment être accompagnée de son époux. Elle qui était droitière devait constamment faire appel à son mari et à des tiers pour écrire à sa place. Elle ne pouvait par ailleurs plus assumer sa part de tâches ménagères et avait été contrainte de cesser toute activité professionnelle.

Lors de cette audience, A______ a également sollicité la mise en œuvre d'une expertise. Les HUG, qui se sont prononcés sur les nouveaux allégués de A______, ne s'y sont pas opposé sur le principe, en précisant qu'il conviendrait de veiller à ce que cette expertise ne porte que sur les allégués pertinents.

Dans le cadre de leurs premières plaidoiries, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives. Selon les HUG, la demanderesse devait être déboutée sans procéder à aucun acte d'instruction, dès lors qu'aucune violation des règles de l'art par les HUG n'avait été alléguée par A______.

d. Par ordonnance ORTPI/882/2018 du 19 octobre 2018, le Tribunal a estimé qu'il se justifiait de faire procéder à une expertise et a imparti un délai aux parties pour se prononcer sur le projet de mission d'expertise qu'il leur soumettait.

e. Par courriers des 29 et 30 novembre 2018, les parties ont formulé leurs observations sur la mission d'expertise, sollicitant que des questions complémentaires soient posées à l'expert.

f. Lors de l'audience de débats principaux du 17 janvier 2019, le Tribunal a procédé à l'audition des parties, dont les déclarations ont été intégrées à l'état de fait ci-dessus dans la mesure utile.

Il en ressort pour le surplus ce qui suit :

S'agissant des séquelles qu'elle gardait encore aujourd'hui, A______ a déclaré qu'elle souffrait toujours de parésie du côté droit et de fortes douleurs. Elle ne pouvait plus écrire, ni porter un verre dans la main. Elle ne pouvait pas se déplacer sans son déambulateur. Si elle s'asseyait sur une chaise trop basse, elle ne pouvait plus se relever. Elle n'était plus en mesure de monter les escaliers. Son mari l'aidait pour la cuisine et de nombreuses autres tâches ménagères. Elle avait dû arrêter de travailler dans sa boutique de vêtements. Elle avait pu annuler ses commandes auprès des fournisseurs, liquider son stock avec l'aide d'une amie et trouver un arrangement avec le propriétaire pour la remise de l'arcade. Elle avait pris contact avec le secrétariat du Prof. G______ qui l'avait orientée vers des praticiens pour continuer à améliorer son état de santé, lequel ne s'était stabilisé qu'en 2016.

Les HUG, représentés par le Prof. G______, n'ont pas contesté que les séquelles dont se plaignait A______ étaient la conséquence d'un AVC hémorragique. En revanche, ils ont contesté tout lien de causalité entre la prise en charge de la patiente et ces séquelles, dans la mesure où un examen neurologique avait été pratiqué trois fois : une première fois le 1er juin 2012 vers 21h par la Dre H______, le lendemain matin avant son transfert à l'hôpital V______, puis à son admission dans ce dernier. Aucun de ces examens n'avait mis en évidence un déficit neurologique. Les plaintes de A______ (étourdissement et voile) n'étaient pas typiques d'un AVC. Le Prof. G______ a fait valoir qu'il existait deux types d'AVC : l'AVC ischémique (80% des cas), pour lequel il était importait d'intervenir très rapidement, une intervention rapide étant déterminante quant à la nature des séquelles; et l'AVC hémorragique (20% des cas), dont avait été victime A______. Pour l'AVC hémorragique, le temps n'était pas déterminant car les possibilités thérapeutiques étaient beaucoup moins efficaces. L'on pouvait par exemple drainer le sang dans le cerveau et abaisser la tension, mais l'on traitait dans ce cas les conséquences de l'AVC et non sa cause. En l'occurrence, ni l'anamnèse ni les examens neurologiques n'avaient mis en évidence d'AVC. Les symptômes typiques étaient une perte de motricité dans les membres, une perte de sensibilité de ceux-ci, des troubles de la parole et des troubles de la vue. Il n'y avait pas de différence symptomatologique entre les deux types d'AVC. Seul un scanner permettait de mettre en évidence un AVC.

Les HUG ont contesté avoir assuré le suivi postérieur de A______. Ils ignoraient donc quand son état de santé s'était stabilisé. Le Prof. G______ a déclaré n'avoir trouvé ni souvenir ni trace d'un contact entre A______ et son secrétariat.

g. À l'issue de l'audience du 6 juin 2019, le Tribunal a prononcé la clôture des enquêtes et fixé aux parties un délai supplémentaire pour déposer des observations sur la mission d'expertise, ce qu'elles ont fait par courriers des 2 et 8 juillet 2019 s'agissant de A______, et courriers des 2, 5 et 16 juillet 2019 s'agissant des HUG. Dans ce cadre, A______ a notamment sollicité que l'expert possède des compétences en radiologie. Les HUG ont formulé des questions complémentaires, auxquelles A______ s'est opposée.

h. Par ordonnance du 6 mars 2020, le Tribunal, statuant sur mission d'expertise, a commis le Dr P______, neurologue AIHP – ACCA à la Clinique du Centre Hospitalier Q______ (France) et expert auprès de la Cour d'appel de R______ (France) en qualité d'expert et lui a confié la mission d'expertise suivante :

"a. Prendre connaissance de l'intégralité du dossier de la cause qui lui sera remis par le Tribunal;

b. Répondre aux questions suivantes en indiquant pour chaque réponse le degré de probabilité de la réponse, soit : possible, probable (c'est-à-dire plutôt oui que non), avec une vraisemblance prépondérante (c'est-à-dire qu'une autre cause ne peut être raisonnablement retenu), certain :

1. A______ a-t-elle bien été victime d'un AVC et dans l'affirmative :

a. quand (année, mois, jour, heure) a-t-il eu lieu? et

b. de quel type était cet AVC (prière de nommer le type d'AVC et d'en expliciter la nature et les conséquences concrètes)?;

2. Les HUG ont-ils ou non diagnostiqué tardivement cet AVC compte tenu des délais découlant de l'art médical et des circonstances, y compris l'état de la patiente?;

3. Les HUG ont-ils ou non procédé à tous les examens et gestes nécessaires recommandés en vue de l'établissement d'un tel diagnostic, compte tenu des règles de l'art médical et au vu des symptômes que présentait la patiente?;

4. Les HUG ont-ils ou non pris en charge et traité la patiente de manière adaptée compte tenu de son état et du diagnostic posé, compte tenu des règles de l'art médical?;

5. Les HUG ont-ils ou non prodigué tardivement ledit traitement compte tenu des délais découlant de l'art médical?;

6. A______ souffre-t-elle effectivement actuellement, et dans l'affirmative depuis quand (date de stabilisation de l'état):

a. d'une parésie des membres supérieur et inférieur droits?;

b. de fortes douleurs dans les membres supérieur et inférieur droits?;

c. de limitations fonctionnelles en lien avec l'affection visée sous lettre a) et b) ci-dessus, notamment d'une limitation ou d'une privation de la marche, de l'écriture, de l'accomplissement de tâches ménagères ou de tout autre fonction, et dans l'affirmative pour quel pourcentage de la fonction?;

7. Les troubles neurologiques ou fonctionnels éventuellement constatés sous lettre 6 ci-dessus sont-ils ou non la conséquence des éventuels manquements aux règles de l'art médical visés aux chiffres 2 à 5 ci-dessus?;

8. Tout ou partie des constats médicaux effectués supra sous question n. 6 et 7 ont-ils ou non affecté la capacité de travail de A______ et dans l'affirmative, à raison de quel pourcentage?

c. Faire toutes autres observations, conclusions ou observations utiles.

d. Prendre note, dans la perspective de la réponse aux questions ci-dessus décrites sous a) supra, que les "règles de l'art médical" doivent être compris comme "l'ensemble des principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens".

i. Le 26 octobre 2020, l'expert a rendu son rapport après avoir pris connaissance des pièces produites par les parties ainsi que des pièces de la procédure, notamment des différents procès-verbaux d'audience, qu'il a commentés, relevant notamment qu'une augmentation du taux de P-créatine kinase survenait chez des personnes restées longtemps immobiles à terre.

L'expert a retracé la chronologie entre la chute de A______, sa prise en charge aux urgences des HUG et le moment où le diagnostic d'AVC avait été posé.

Dans le cadre de son expertise, le Dr P______ a confirmé que A______ avait été victime d'un accident vasculaire cérébral hémorragique dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2012 entre 4h et 9h ou 9h40 le matin. L'AVC hémorragique s'était manifesté à l'occasion d'une chute dont on ne pouvait pas préciser si elle était la conséquence de l'AVC ou la cause de l'accident hémorragique. Un accident hémorragique cérébral "spontanément constitué" comme celui survenu chez A______ pouvait résulter d'un saignement spontané, notamment sur un terrain hypertensif comme c'était le cas pour l'intéressée qui était traitée pour cette pathologie. Il n'y avait toutefois pas eu de poussée hypertensive majeure lors de sa prise en charge par les ambulanciers, selon les chiffres notés par ceux-ci. L'AVC pouvait également résulter d'un hématome constitué à la suite de la chute, lié à l'ébranlement de la masse cérébrale lors du choc chez une patiente présentant une atrophie cortico-sous-cortisale et un contexte d'œnolisme chronique, facteurs connus pour favoriser les saignements lors des ébranlements importants de la masse cérébrale. Dans un tel cas, le saignement serait d'origine traumatique. Selon l'expert, rien ne permettait d'affirmer, contrairement à ce qui était rapporté dans le dossier, qu'il n'y avait eu ni traumatisme crânien ni perte de connaissance. A______ était seule au moment de sa chute, de sorte que personne ne pouvait la décrire, y compris la patiente elle-même qui, si elle avait perdu connaissance, ne pouvait se souvenir des circonstances exactes de sa chute. Cela pouvait d'ailleurs expliquer pourquoi A______ fixait l'heure de sa chute à 7h/7h30, ce qui devait correspondre en réalité à l'heure à laquelle elle avait possiblement retrouvé ses esprits, alors que sa chute avait vraisemblablement eu lieu avant (réponse à la question 1 a).

Après avoir réaffirmé que A______ avait été victime d'un accident vasculaire hémorragique, l'expert a expliqué les différences entre un AVC hémorragique et un AVC ischémique. Un AVC ischémique résultait de l'obstruction d'une artère se rendant au cerveau ou à une région du cerveau, tandis qu'un AVC hémorragique résultait d'une rupture vasculaire avec écoulement de sang à l'intérieur même du tissu cérébral. En cas d'AVC ischémique, on pouvait bénéficier de techniques thérapeutiques sophistiquées permettant de dissoudre le caillot de sang bouchant une artère, ce qui permettait, souvent, une récupération neurologique complète ou partielle avec des signes neurologiques atténués. Ce type de traitement d'urgence ne pouvait pas être prodigué à A______ puisqu'elle avait été victime d'un AVC hémorragique. Dans un tel cas, les méthodes de prise en charge étaient radicalement différentes. Deux attitudes thérapeutiques pouvaient alors être adoptées. La première consistait en une intervention chirurgicale d'évacuation de l'hématome, laquelle était souvent responsable d'un déficit définitif assez important dans la mesure où l'aspiration de l'hématome entraînait des lésions cérébrales. Ce type de traitement n'était mis en œuvre que lorsqu'il existait une menace vitale, ce qui n'avait pas été le cas de A______. L'intervention chirurgicale comportait dès lors plus de risques que d'avantages pour celle-ci. La seconde attitude thérapeutique envisageable consistait en une mise en observation et une surveillance de la tension artérielle, une adaptation éventuelle des traitements anti-hypertenseurs et un éventuel traitement anti-oedémateux cérébral, ce qui n'était pas indiqué pour A______. Pour l'expert, la seule attitude thérapeutique possible in casu était la mise en observation de la patiente (réponse à la question 1b).

L'expert a retenu que les éléments du dossier évoquaient un possible retard dans la pose de diagnostic, relevant que la patiente s'était plainte à plusieurs reprises d'une difficulté à mobiliser le côté droit et de douleurs du côté droit, ce qui pouvait être lié à l'AVC hémorragique. Des examens neurologiques avaient toutefois été pratiqués sans qu'un déficit neurologique soit mis en évidence. Un tel déficit avait été noté pour la première fois le 3 juin 2012 à 18h. Selon l'expert, il n'était pas possible d'éliminer la possibilité que A______ présentait un trouble de la mobilité volontaire avant le 3 juin 2012, la patiente n'ayant pas été examinée par un neurologue, seul spécialiste apte à procéder à un tel examen. En tout état, le déficit avait paru plus important à cette date et avait conduit au diagnostic d'accident cérébral hémorragique. Selon l'expert, il était tout à fait probable que le diagnostic ait pu être posé plus tôt, précisant toutefois qu'il était plus facile de l'évoquer a posteriori et qu'il devait être admis que le contexte de chute avec hématomes multiples du bras droit compliquait l'analyse de ces douleurs.

Cela étant, le retard à poser le diagnostic exact n'avait causé aucune perte de chance à l'intéressée. En effet, les constantes de A______ n'avaient pas varié entre le temps où elle était arrivée aux urgences et le moment où le diagnostic avait été posé, et seule une mise en observation et une surveillance des constances étaient préconisées dans le cas de A______. Aucun traitement particulier n'aurait pu être appliqué pour que l'hémorragie régresse plus vite, en dehors de la prise d'antalgiques (réponse à la question 2).

L'expert a considéré que les HUG avaient procédé à tous les examens et gestes nécessaires en vue de l'établissement du diagnostic à compter du 3 juin 2012. Les examens effectués auraient pu être réalisés plus tôt. Il n'était en effet pas acceptable qu'une patiente arrivée à 12h35 ne soit prise en charge qu'à 21h pour une suspicion d'accident vasculaire cérébral. L'expert a admis que le tableau clinique n'était pas immédiatement parlant et qu'il était possible qu'il ait existé un déficit de la motricité mais sans déficit de la force musculaire, mais a rappelé que cette prise en charge retardée avait été sans conséquence, les séquelles dont souffrait A______ étant dues à l'AVC hémorragique qu'elle avait subi et non au retard dans la pose du diagnostic (réponse à la question 3).

Selon l'expert, les HUG avaient, une fois le diagnostic posé, pris en charge et traité la patiente d'une façon tout à fait adaptée (réponse à la question 4). Le traitement et la surveillance nécessaires avaient toutefois été mis en place tardivement, bien que cela n'emporte aucune conséquence (réponse à la question 4).

S'agissant des séquelles dont souffrait A______, l'expert a retenu que, d'après les indications figurant au dossier, celle-ci souffrait d'une parésie des membres supérieur et inférieur droits, ainsi que de douleurs dans les membres supérieur et inférieur droits en raison d'un syndrome thalamique directement lié à l'atteinte hémorragique du thalamus gauche et d'une limitation fonctionnelle notamment au niveau de la main droite ainsi que lors de la marche. A______ ne pouvait faire un certain nombre de gestes avec la main droite, devait utiliser un déambulateur et éprouvait des difficultés à écrire (réponse aux questions 6a, b et c). Les troubles neurologiques et fonctionnels résultaient directement de l'accident vasculaire hémorragique de survenue spontanée ou traumatique et n'étaient pas la conséquence des "manquements observés" (réponse à la question 7).

Selon l'expert, les capacités de travail de A______ avaient été altérées par l'accident vasculaire hémorragique et les conséquences qu'il avait entrainées. Les constatations médicales rapportées en réponses aux question 6 et 7 n'intervenaient "en aucun cas" dans la perte de la capacité de travail de A______ (réponse à la question 8).

Enfin, dans la rubrique "observations", l'expert a retenu que l'état de santé de A______ pouvait être considéré comme consolidé au 31 décembre 2015, soit un peu plus de trois ans après la survenue de l'AVC.

L'expert a fait figurer, sous bibliographie, deux articles scientifiques dans leur intégralité.

j. Par ordonnance du 30 octobre 2020, le Tribunal a invité les parties à lui communiquer d'éventuelles questions complémentaires à poser à l'expert, ce qu'a fait A______ par courriers reçus les 17 décembre 2020 et 26 janvier 2021.

Par courriers reçus les 17 décembre 2020 et 6 janvier 2021, les HUG ont renoncé à poser des questions complémentaires et se sont déterminés sur celles de A______, formulant, pour certaines, des contre-questions.

k. Par ordonnance ORTPI/718/2021 du 28 juin 2021, le Tribunal a posé les questions complémentaires suivantes à l'expert :

"9. a. Compte tenu des symptômes présentés par A______ lors de son admission et des plaintes de la patiente alors connues, les HUG auraient-ils dû procéder à un examen neurologique complet de celle-ci dès cette admission?

b. En cas de réponse affirmative à cette question, cela modifie-t-il les conclusions de l'expert posées en page 23, en réponse aux questions n. 3, 4, 5 et en page 24 à la question 7?

10. a. En page 21 du rapport d'expertise, il est exposé que A______ a bénéficié de plusieurs examens neurologiques durant son hospitalisation. Prière de préciser lesquels exactement, en quoi ils consistaient, s'ils ont été accomplis entièrement et dans les règles de l'art.

b. La réponse à cette question influe-t-elle ou non sur la réponse de l'expert en page 23, en réponse aux questions n. 3, 4 et 5 et en page 24 à la question 7?

11. a. Quels médicaments ont-ils été administrés à A______ au cours de son hospitalisation?

b. L'administration de l'un ou l'autre de ces médicaments a-t-il pu aggraver les conséquences de l'AVC dont la patiente a souffert?

c. En cas de réponse affirmative, dire en quoi et dans quelle mesure et si la réponse modifie dans la même mesure celle de l'expert en page 23, en réponse aux question 3, 4, 5 et en page 24 à la question 7?"

l. Le 29 novembre 2021, l'expert a rendu son rapport complémentaire.

Lorsque A______ était arrivée aux urgences, elle se plaignait de ses difficultés à mobiliser son membre supérieur droit. Il n'était pas possible de savoir si ces difficultés étaient d'origine traumatique ou liée à un déficit neurologique. La seule façon de le savoir aurait été de pratiquer un examen neurologique. Les examens neurologiques qui avaient été pratiqués n'avaient pas mis en évidence de déficit neurologique mais on ignorait la teneur de ces examens et s'ils n'avaient pas été quelque peu sommaires. L'on ne pouvait exclure qu'un examen réalisé par un neurologue expérimenté aurait permis de mettre en évidence ce déficit neurologique et de déclencher des investigations complémentaires plus rapidement qu'elles ne l'avaient été. L'expert a rappelé que le très long temps d'attente aux urgences ne correspondait pas à une prise en charge correcte pour une personne de son âge dont on suspectait qu'elle avait subi un traumatisme atteignant l'extrémité céphalique mais que dans le cas d'espèce, l'attitude adaptée, à savoir une surveillance de la patiente, n'aurait pas été différente de celle qui avait réellement eu lieu, malgré le retard. Ainsi, l'attente et le retard de diagnostic n'avaient pas eu d'incidence sur l'évolution de l'état de santé de la patiente et ses séquelles (réponse à la question 9a). Ce qui précède ne modifiait par ailleurs en rien ses réponses aux questions 3, 4, 5 et 7 (réponse à la question 9b).

Selon l'expert, il n'était pas possible de savoir si des examens neurologiques détaillés "par une personne connaissant bien cet examen" avaient été réalisés. Aucun détail n'était fourni à ce sujet dans les documents remplis par les médecins. L'expert ne pouvait donc pas confirmer que de réels examens neurologiques avaient été pratiqués avant celui réalisé le 3 juin 2012 ayant permis de détecter l'AVC hémorragique (réponse à la question 10a). Ce qui précède ne modifiait en rien ses précédentes réponses (réponse à la question 10b).

Pendant son hospitalisation, A______ avait bénéficié d'une prescription de TRAMAL et de CALCIPARINE (en injection sous-cutanée). La posologie administrée de CALCIPARINE n'avait pas entraîné de modification des constantes de coagulation, de sorte que ce traitement ne pouvait pas être à l'origine de l'hémorragie cérébrale (réponse à la question 11a). L'administration de ces médicaments n'avait par ailleurs pas aggravé les conséquences de l'AVC dont A______ avait souffert (réponse à la question 11b). Enfin, ce qui précède ne modifiait en rien ses précédentes réponses (réponse à la question 11c).

m. Par ordonnance du 11 janvier 2022, le Tribunal a prononcé la clôture de la phase d'administration des preuves et fixé une audience de plaidoiries finales.

Par courrier reçu le 19 janvier 2022, A______ a sollicité des plaidoiries finales écrites, demande qu'elle a retiré par courrier reçu le 8 février 2022, expliquant n'avoir reçu les réponses complémentaires de l'expert qu'après l'ordonnance du 11 janvier 2022. Les parties n'ayant pas pu s'exprimer sur le contenu du rapport complémentaire, A______ s'opposait à la clôture de la phase d'administration des preuves et sollicitait qu'il soit procédé à l'audition de l'expert. Elle se réservait, de plus, le droit de solliciter une contre-expertise, qu'elle requerrait en tout état si le Tribunal refusait l'audition de l'expert.

Les HUG ont sollicité que des plaidoiries finales écrites soient ordonnées.

n. Par ordonnance du 11 février 2022, le Tribunal a fixé un délai aux parties pour déposer leurs plaidoiries finales écrites.

Il a par ailleurs relevé que A______ n'avait pas recouru contre l'ordonnance prononçant la clôture de la phase d'administrations des preuves et considéré qu'elle ne disposait d'aucun droit à interroger l'expert oralement lors d'une audience et que son droit d'être entendu avait été respecté dès lors qu'elle avait pu se déterminer à plusieurs reprises à ce sujet. Il n'avait pas non plus lieu de rouvrir l'instruction pour que celle-ci puisse éventuellement solliciter une contre-expertise, étant relevé que la mise en œuvre d'une contre-expertise n'était envisagée qu'à certaines conditions, et que A______ n'avait même pas prétendu que celles-ci étaient remplies en l'occurrence.

o. Dans ses plaidoiries finales écrites, reçues par le Tribunal le 1er juillet 2022, A______ a persisté dans ses conclusions et a pris une nouvelle conclusion préalable, sollicitant qu'une contre-expertise soit ordonnée.

À l'appui de cette nouvelle conclusion, elle a fait valoir qu'elle n'avait pas pu se déterminer sur le rapport d'expertise complémentaire avant la clôture de la phase d'administration des preuves. N'ayant pas pu solliciter l'audition de l'expert, le cas échéant lui poser des questions supplémentaires, ni solliciter de contre-expertise, son droit d'être entendue avait été violé. Elle sollicitait par conséquent que l'instruction soit reprise et qu'une contre-expertise soit réalisée.

Si le Tribunal devait néanmoins considérer que tel ne devait pas être le cas, celui-ci devait en tout état se détacher de l'expertise rendue compte tenu de ses contradictions.

Dans un chapitre consacré aux commentaires sur le rapport de l'expertise médicale du Dr P______ du 26 octobre 2020 et sur les réponses complémentaires du Dr P______ du 29 novembre 2021, elle a exposé s'être renseignée auprès d'un médecin spécialiste, le Dr S______, médecin associé au Centre hospitalier universitaire vaudois afin de mieux appréhender la portée du rapport d'expertise et de son complément. Selon elle, l'analyse de ce médecin, datée du 11 mars 2022, qu'elle produisait à l'appui de ses plaidoiries finales, consistait en des faits notoires, que l'on pouvait aisément retrouver sur internet et dont le Tribunal devait dès lors tenir compte, ce d'autant que certaines de ces informations figuraient dans la fiche d'information et la brochure éditées par les HUG et produites à l'appui de sa demande (cf. supra let. a). Elle a fait valoir que les conclusions prises par l'expert s'agissant des conséquences du retard de diagnostic et de prise en charge de la patiente ne convainquaient pas et ne pouvaient être suivies. Elle a insisté sur la nécessité d'une prise en charge rapide et agressive en cas d'AVC et a soutenu que ses séquelles étaient la conséquence de la prise en charge tardive et incomplète par les HUG.

p. Dans leurs plaidoiries finales écrites du 30 juin 2022, les HUG ont persisté dans leurs conclusions.

Selon les HUG, il fallait garder à l'esprit que l'expert était un médecin français et qu'il avait donc analysé la violation des règles de l'art conformément aux règles de la médecine légale française. En l'occurrence, une telle violation ne pouvait être retenue que si elle était hautement vraisemblable, ce qui n'était pas le cas ici, l'expert ayant retenu que les éléments du dossier évoquaient un possible retard dans le diagnostic.

q. Par plis des 15 et 18 juillet 2022, les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

A______ a allégué des faits nouveaux quant à l'évolution de son état de santé et le fait qu'elle percevait une rente AI notamment et a produit une pièce nouvelle. Les HUG ont conclu à l'irrecevabilité de la pièce produite par A______ à l'appui de ses plaidoiries finales et ont fait valoir que l'expertise judiciaire était complète, compréhensible et convaincante, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de s'en écarter.

Les HUG ont encore déposé des déterminations spontanées le 30 août 2022.

r. La cause a été gardée à juger par le Tribunal par ordonnance du 20 septembre 2022.

E. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que le droit d'être entendue de A______ avait été respecté puisque celle-ci avait eu maintes fois l'occasion de se déterminer sur la mission d'expertise, de poser des questions à l'expert par écrit, de formuler des commentaires sur le contenu du rapport d'expertise et de son complément. A______ avait requis la reprise de l'instruction et sollicité l'audition de l'expert après la clôture de la phase d'administration des preuves, prononcée par ordonnance du 11 janvier 2022, contre laquelle elle n'avait pourtant pas recouru, et s'était réservée le droit de demander une contre-expertise et l'octroi d'un nouveau délai pour présenter ses conclusions à cet égard. Il avait refusé de rouvrir l'instruction de la cause par ordonnance du 11 février 2022, au motif que le droit d'être entendue de A______ avait été respecté et qu'elle n'avait pas expliqué pour quelle raison la valeur probante du rapport d'expertise pouvait être remise en question. Ce qu'elle n'avait pas fait non plus dans le cadre de ses plaidoiries finales écrites, ne produisant par ailleurs aucun avis médical permettant de remettre en cause la validité du rapport d'expertise. Le premier juge a estimé que le rapport d'expertise et son complément répondaient, en tout état, aux réquisits jurisprudentiels leur donnant pleine valeur probante, sous réserve de la question de la date à laquelle l'expert considérait que l'état de santé de A______ s'était stabilisé.

S'agissant de la prescription de l'action, le Tribunal a relevé ignorer tout de l'évolution de l'état de santé de A______ entre sa sortie de V______ le 2 août 2012 et le dépôt de sa requête en conciliation le 3 octobre 2016, ou la renonciation à la prescription signée par [les HUG] le 19 août 2016, pour autant qu'elle ne soit pas déjà acquise. A______ avait allégué, sans le prouver, que son état de santé s'était stabilisé en 2016 et qu'elle n'était donc pas en mesure de déterminer l'étendue de son dommage plus tôt. Les seuls documents produits étaient des résultats d'IRM passés les 31 janvier 2013 et 3 mai 2016 et ces images montraient qu'aucun changement significatif n'était intervenu dans l'intervalle. Celles-ci ne permettaient donc pas de déterminer l'évolution de l'état de santé de A______ et le moment à partir duquel celle-ci avait été en mesure de fixer l'étendue de son dommage. A______ avait par ailleurs indiqué avoir remis son commerce dans les semaines suivant son AVC, de sorte qu'elle pouvait déjà à ce moment déterminer sa perte de gain et son atteinte à l'avenir économique. S'agissant des actes de la vie quotidienne qu'elle ne pouvait plus accomplir et l'étendue de l'aide de tiers dont elle avait besoin, A______ n'avait pas renseigné le Tribunal sur leur évolution dans le temps et le Tribunal ignorait si les séquelles dont elle souffrait actuellement étaient différentes de celles présentes au moment de sa sortie de V______ et si leur impact sur la vie quotidienne avait évolué entre 2012 et 2016. A______, à qui incombait le fardeau de la preuve quant au moment où son état de santé s'était stabilisé, lequel fixait le dies a quo du délai de prescription, avait ainsi échoué à prouver qu'elle n'était pas en mesure de fixer l'étendue de son dommage avant le 19 août 2015, soit un an avant la signature de la renonciation à se prévaloir de la prescription par les HUG, seul acte interruptif de prescription intervenu depuis sa sortie de V______ le 2 août 2012. La prescription était ainsi déjà atteinte lorsque les HUG avaient signé la déclaration de renonciation à invoquer la prescription, laquelle précisait qu'elle n'était valable que si la prescription n'était pas déjà atteinte à ce moment-là.

Selon le Tribunal, la date retenue par l'expert, soit le 31 décembre 2015, consistait en une simple estimation statistique qui devait être comprise comme signifiant qu'au plus tard trois ans et demi après un AVC, l'état de santé d'une personne victime d'un AVC hémorragique pouvait être considéré comme stabilisé. L'expert n'avait toutefois pas précisé si, dans le cas concret, l'état de santé de A______ ne pouvait pas être considéré comme stabilisé plus tôt. En outre, aucun document fourni à l'expert ne permettait d'évaluer précisément le moment où son état de santé s'était stabilisé. L'expert n'avait d'ailleurs fourni aucune explication permettant de comprendre comment il avait fixé cette date.

Bien qu'il considérât l'action prescrite, le Tribunal a tout de même examiné si les conditions pour fonder la responsabilité des HUG étaient remplies.

Il a retenu que les précités avaient violé les règles de l'art médical en ne détectant l'AVC qu'environ 48h après l'arrivée aux urgences de A______. Ses auxiliaires n'avaient pas accordé l'importance justifiée par les symptômes de la patiente, les mettant d'emblée sur le compte de sa chute et de son alcoolisme chronique, et n'avaient pas effectué les examens nécessaires permettant d'écarter ou de confirmer les causes de ses symptômes. Le taux d'alcoolémie de la patiente était ignoré, de sorte que l'on ne pouvait savoir si celui-ci pouvait expliquer tous les symptômes. L'expert avait noté que l'on ignorait tout des examens neurologiques pratiqués, qu'ils avaient probablement été sommaires et non réalisés par un spécialiste. Les HUG n'avaient pas démontré que tel avait été le cas. Il apparaissait difficilement compréhensible que l'examen neurologique, si tant est qu'il ait bien été pratiqué au moment indiqué, soit le 2 juin 2012, ne donnait aucun résultat probant alors qu'il avait été constaté par le personnel que la patiente n'arrivait pas à se déplacer seule et que son élocution était pâteuse. Ce n'était que le 3 juin 2012, après qu'un ECG avait été effectué, dont les résultats montraient des différences par rapport à celui pratiqué aux urgences, qu'un CT-scan cérébral avait été effectué en urgence permettant de détecter l'AVC. La note de suite ce jour-là indiquait pourtant les mêmes symptômes que ceux présentés par la patiente depuis son arrivée. Il était donc difficile de comprendre pourquoi les HUG n'avaient pas investigué plus avant pour écarter les différentes causes possibles de ces symptômes, ce d'autant que l'hypertension artérielle et l'alcoolisme chronique étaient des facteurs favorisant la survenue d'un AVC. L'expert avait du reste retenu que les HUG avaient commis une violation des règles de l'art et auraient dû investiguer bien plus tôt afin de détecter l'AVC, appréciation que le Tribunal a fait sienne. Certes, le contexte de chute rendait le tableau clinique plus compliqué mais cela n'exonérait pas les HUG de leur obligation d'investiguer pour écarter ou confirmer les différences causes possibles des symptômes présentés par A______. Le premier juge était d'avis que la patiente aurait pu bénéficier d'une prise en charge correcte si le diagnostic avait été posé plus tôt et a conclu que la violation des règles de l'art consistait en l'occurrence en une omission, les HUG n'ayant pas prescrit les examens complémentaires qui auraient permis de détecter l'AVC plus tôt et n'ayant pas pris en charge A______ d'une manière adéquate dans les 48h qui ont suivi son arrivée aux urgences.

Cela étant, l'expert avait considéré que cette prise en charge tardive n'avait eu aucune influence sur les séquelles que conservait A______ puisqu'elles auraient été identiques si les HUG n'avaient pas commis l'omission fautive retenue, celles-ci étant uniquement dues à l'AVC hémorragique subi. Cette appréciation dûment motivée par un professionnel de l'art médical commis en tant qu'expert était d'autant plus convaincante que, contrairement aux HUG, l'expert avait mis en évidence une lacune dans la prise en charge de la patiente, et son avis aussi objectif que documenté, dans le cadre d'une question de fait établie par une expertise judiciaire, devait être suivie par le Tribunal, qui ne pouvait s'en écarter sans motifs convaincants, lesquels faisaient défaut ici. Le Tribunal a par conséquent considéré qu'il n'existait pas de lien de causalité naturelle entre la violation de l'art médical commise par les HUG et la survenance de l'AVC ou ses conséquences sur la santé de la patiente, excluant ainsi toute responsabilité de leur part.

Malgré ce qui précède, le Tribunal est entré en matière sur la question du dommage et a relevé que même dans l'hypothèse où l'action n'aurait pas été prescrite et si toutes les conditions de responsabilité avaient été remplies, il aurait dû rejeter la plupart des prétentions émises par A______ faute pour celle-ci, pourtant dûment assistée d'un avocat, d'avoir apporté les preuves nécessaires à la constatation de ce dommage.

Statuant sur la question des frais, le Tribunal a considéré que, bien que A______ n'ait pas obtenu gain de cause, il n'y avait pas lieu de les mettre intégralement à sa charge et a procédé à une "répartition plus fine" des frais et dépens en application de l'art. 107 al. 1 let. a et f CPC. En effet, A______ avait triomphé dans sa démonstration d'une violation de l'art médical, soit des faits qui ne pouvaient pas être démontrés autrement que par l'expertise diligentée. La longueur de la procédure et son coût auraient en outre été notablement moindres si les HUG avaient admis leurs carences dans la prise en charge de A______. Le Tribunal a alors réparti les frais judiciaires en équité, laissant 4/5 de ceux-ci à charge de A______ et 1/5 à charge des HUG. Pour les mêmes raisons, il a réduit les dépens que A______ était condamnée à verser aux HUG d'un cinquième.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance, si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 CPC), ce qui est le cas en l'espèce.

Interjeté dans le délai utile de trente jours (art. 311 al. 1 et 145 al. 1, let. a CPC), et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable sous cet angle. La réduction des conclusions prises par l'appelante – celle-ci ne concluant au paiement d'un montant total de 99'791 fr. devant la Cour et non plus 1'018'332 fr. comme devant le premier juge - ne constitue pas une modification de la demande.

Il en va de même de l'appel joint formé par l'intimée dans sa réponse à l'appel (art. 312 al. 2 et 313 al. 1 CPC), ainsi que de la réponse sur appel joint et réplique sur appel principal, déposées dans les délais impartis à cet effet (art. 312 al. 2 et 316 al. 2 CPC).

1.2 Il incombe à l'appelant de motiver son appel (art. 311 al. 1 CPC), c'est-à-dire de démontrer le caractère erroné de la motivation attaquée. Pour satisfaire à cette exigence, il ne lui suffit pas de renvoyer aux moyens soulevés en première instance, ni de se livrer à des critiques toutes générales de la décision attaquée. Sa motivation doit être suffisamment explicite pour que l'autorité d'appel puisse la comprendre aisément, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision que l'appelant attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 141 III 569 consid. 2.3.3; 138 III 374 consid. 4.3.1). La motivation de l'appel constitue une condition de recevabilité, qui doit être examinée d'office; Lorsque l'appel est insuffisamment motivé, l'autorité n'entre pas en matière (arrêts du Tribunal fédéral 5A_247/2013 du 15 octobre 2013 consid. 3.1; 4A_651/2012 du 7 février 2013 consid. 4.2).

L'appel ne saurait être considéré comme insuffisamment motivé dans son ensemble et déclaré irrecevable, comme le sollicitent les intimés. En effet, l'appelante formule des critiques à l'égard du jugement entrepris et ne se contente pas de renvoyer aux moyens soulevés devant le premier juge, sous réserve de la question de la violation de son droit d'être entendue et de sa conclusion préalable, point sur lequel il sera revenu ultérieurement (cf. infra consid. 4). Son appel, suffisamment motivé, est donc recevable.

1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

1.4 La maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC) et le principe de disposition (art. 58 al. 1 CPC) sont applicables à la présente procédure.

2. L'appelante a produit une pièce nouvelle en appel.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuves nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

S'agissant des vrais nova, soit les faits qui se sont produits après le jugement de première instance – ou plus précisément après les débats principaux de première instance (art. 229 al. 1 CPC) –, la condition de nouveauté posée à l'art. 317 al. 1 let. b CPC est sans autre réalisée et seule celle d'allégation immédiate (art. 317 al. 1 let. a CPC) doit être examinée.

La diligence requise suppose que dans la procédure de première instance chaque partie expose l'état de fait de manière soigneuse et complète et qu'elle amène tous les éléments propres à établir les faits jugés importants (arrêts du Tribunal fédéral 5A_392/2021 du 20 juillet 2021 consid. 3.4.1.2, 5A_276/2019 du 10 octobre 2019 consid. 3.2, 5A_1006/2017 du 5 février 2018 consid. 3.3 et 4A_334/2012 du 16 octobre 2012 consid. 3.1, in SJ 2013 I 311).

2.2 En l'espèce, la pièce 5 produite par l'appelante date de janvier 2023 et est donc postérieure à la date à laquelle cause a été gardée à juger par le premier juge. Cela étant, il s'agit d'un certificat établi par un médecin qui la suit depuis de nombreuses années et l'appelante n'a pas allégué avoir été dans l'impossibilité de l'obtenir avant cette échéance. Elle n'explique au demeurant pas pourquoi elle ne produit cette pièce qu'à ce stade, alors que les HUG se prévalent de la prescription de l'action depuis le début de la procédure, et qu'ils avaient déclaré lors de l'audition le 17 janvier 2019 ne pas s'être occupés du suivi postérieur de la patiente. Dans ces circonstances, cette pièce a été produite tardivement et sera déclarée irrecevable.

3. L'appelante se plaint d'une constatation incomplète des faits opérée par le Tribunal.

Les critiques de l'appelante ont été prises en compte et l'état de fait complété dans la partie "EN FAIT" ci-dessus, dans la mesure utile à la solution du litige.

4. À titre préalable, l'appelante sollicite la mise en œuvre d'une contre-expertise.

Dans ce cadre, elle fait grief au Tribunal d'avoir violé son droit d'être entendue, en admettant la valeur probante de l'expertise et de son complément et en refusant de procéder à l'audition de l'expert et de réaliser une contre-expertise.

4.1.1 Le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) comprend pour l'intéressé celui de se déterminer avant qu'une décision ne soit prise qui touche sa situation juridique, d'offrir des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 136 I 265 consid. 3.2; 135 II 286 consid. 5.1; 132 II 485 consid. 3.2; 127 I 54 consid. 2b).

Le droit d'être entendu implique également pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Le juge doit mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision. (ATF 142 III 433 consid. 4.3.2; 142 II 154 consid. 4.2; 141 IV 249 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_17/2020 du 20 mai 2020 consid. 3.2.1 et les références citées).

Ce droit - dont le respect doit être examiné en premier lieu (ATF 124 I 49 consid. 1) et avec un plein pouvoir d'examen (ATF 140 III 1 consid. 3.1.1) - est une garantie constitutionnelle de nature formelle, dont la violation entraîne, par principe, l'annulation de la décision attaquée, sans égard aux chances de succès du recours au fond (ATF 135 I 279 consid. 2.6.1).

4.1.2 Conformément à l'art. 316 al. 3 CPC, l'instance d'appel peut librement décider d'administrer des preuves. Cette disposition ne confère toutefois pas à l'appelant un droit à la réouverture de la procédure probatoire et à l'administration de preuves (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1). Elle peut également refuser une mesure probatoire en procédant à une appréciation anticipée des preuves, lorsqu'elle estime que le moyen de preuve requis ne pourrait pas fournir la preuve attendue ou ne pourrait en aucun cas prévaloir sur les autres moyens de preuve déjà administrés par le tribunal de première instance, à savoir lorsqu'il ne serait pas de nature à modifier le résultat des preuves qu'elle tient pour acquis (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_851/2015 du 23 mars 2016 consid. 3.1). L'autorité jouit d'un large pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 4A_229/2012 du 19 juillet 2012 consid. 4).

4.1.3 Le tribunal peut, à la demande d'une partie ou d'office, demander une expertise à un ou plusieurs experts (art. 183 al. 1 CPC) et faire compléter ou expliquer un rapport d'expertise lacunaire, peu clair ou insuffisamment motivé, ou faire appel à un autre expert (art. 188 al. 2 CPC).

Le juge apprécie librement la force probante d'une expertise. Dans le domaine des connaissances professionnelles particulières, il ne peut toutefois s'écarter des conclusions de l'expert que pour des motifs importants qu'il lui incombe d'indiquer, par exemple lorsque le rapport d'expertise présente des contradictions ou attribue un sens ou une portée inexacts aux documents et déclarations auxquels il se réfère. Il appartient dès lors au juge d'examiner, au regard des autres preuves et des observations des parties, si des objections sérieuses viennent ébranler le caractère concluant de l'expertise. Lorsque les conclusions de l'expertise judiciaire se révèlent douteuses sur des points essentiels, le juge est tenu de recueillir des preuves complémentaires pour dissiper ses doutes, notamment par un complément d'expertise ou une nouvelle expertise. A défaut, en se fondant sur une expertise non concluante, il pourrait commettre une appréciation arbitraire des preuves (ATF 146 IV 114 consid. 2.1; 142 IV 40 consid. 2.1.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_381/2020 du 1er septembre 2020 consid. 4.1 et les références citées).

Concrètement, si le juge considère que le rapport n'est pas suffisamment explicite ou s'il est incomplet, il ordonnera un complément d'expertise, lequel sera en principe rendu par écrit. Ce n'est que si le rapport présente des lacunes grossières que l'expert en cause n'est manifestement pas en mesure de combler, ou lorsqu'il se révèle que l'expert ne disposait pas des garanties suffisantes d'indépendance et d'impartialité qu'une nouvelle expertise (contre-expertise ou surexpertise) sera ordonnée (Bovey, Le juge face à l'expert, in La preuve en droit de la responsabilité civile, 2011, p. 112 et les références citées).

Le juge ne doit pas placer ses connaissances au-dessus de celles, spécialisées, de l’expert, et ne doit pas se poser en arbitre d’un conflit d’opinions entre spécialistes, mais peut au contraire, sur les questions techniques, se fier à l’avis motivé de l’expert qu’il a désigné. Il peut en général se limiter à examiner des questions formelles, comme l’existence de motifs de récusation de l’expert ou les contradictions manifestes dans l’expertise, et admettre que pour le reste, il incombe aux parties, dans le cadre de leur devoir de coopération, de remettre en cause les fondements de l’expertise en produisant une expertise privée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_202/2014 du 18 février 2015 consid. 4.1).

4.2.1 En l'espèce, c'est à tort que l'appelante fait valoir une violation de son droit d'être entendue en lien avec l'expertise et son complément, puisqu'elle a eu l'occasion de se déterminer sur ceux-ci, et que le Tribunal a motivé son refus de procéder à l'audition de l'expert et d'ordonner une contre-expertise. L'appelante n'a d'ailleurs pas énoncé les éléments sur lesquels elle entendait faire porter l'audition de l'expert, ni les raisons pour lesquelles elle sollicitait la réalisation d'une contre-expertise (cf. infra consid. 4.2.2).

Le Tribunal n'avait enfin, contrairement à ce que semble prétendre l'appelante, pas à avertir les parties de ce qu'il entendait s'écarter du rapport d'expertise pour déterminer la date de stabilisation de l'état de santé de l'appelante avant de rendre son jugement. L'interprétation faite par le Tribunal de la réponse donnée à cet égard par l'expert sera en revanche abordée dans le cadre de l'examen de la prescription (cf. infra consid. 5).

Le grief de violation du droit d'être entendu est donc infondé.

4.2.2 L'appelante sollicite la mise en œuvre d'une contre-expertise par la Cour.

Elle formule deux critiques à l'égard de l'expertise ordonnée par le Tribunal et établie par le Dr P______.

Tout d'abord, elle soutient que, dans son rapport, l'expert ne répondrait pas à toutes les questions posées dans le cadre de sa mission, soit notamment sur les points a), b) et c) de la question 6, puisqu'il n'a pas indiqué de pourcentage. L'expert a présenté ses réponses sous les questions posées par le Tribunal afin de faciliter leur compréhension. Il a ainsi répondu par l'affirmative, s'agissant des points a) (question de la parésie des membres supérieur et inférieur droits), b) (question des fortes douleurs dans les membres supérieur et inférieur droits) de la question 6, il a également indiqué que l'appelante souffrait d'une limitation fonctionnelle notamment au niveau de la main droite ainsi que lors de la marche en réponse au point c) de la question 6. Certes, il lui était demandé d'indiquer, en cas de réponse affirmative, à quel pourcentage la fonction était limitée, ce qu'il n'a pas fait. Cette circonstance ne suffit pas à remettre en cause la valeur probante de l'expertise, ce d'autant que l'appelante n'a pas posé des questions complémentaires à cet égard, lorsque le Tribunal lui en a laissé l'occasion.

L'appelante laisse également entendre que le rapport d'expertise et son complément présenteraient des contradictions que de "simples recherches" sur internet ou une consultation des documents édités par les HUG permettraient de mettre en évidence. Dans la mesure où elle ne fournit toutefois pas davantage d'explications sur ce point, sa critique n'est pas suffisamment motivée, étant par ailleurs relevé que le seul fait qu'une brochure des HUG insiste sur l'importance d'une prise en charge rapide en cas d'accident cérébral ne saurait remettre en cause l'avis d'un expert spécialiste, qui s'est basé sur le dossier médical de l'appelante pour répondre aux questions posées dans le cadre de sa mission d'expertise.

En tout état, le rapport d'expertise et son complément ne présentent pas de contradictions ni d'incohérences. Le fait que l'expert n'ait pas indiqué le pourcentage représentant les limitations fonctionnelles dont souffre l'appelante ne suffit par ailleurs pas à considérer que celui-ci serait incomplet, et il n'apparaît pas que le rapport présenterait des lacunes grossières ni que l'expert ne disposerait pas de garanties suffisantes d'indépendance et d'impartialité.

Pour le surplus, en tant que l'appelante se contente de renvoyer à ses écritures de plaidoiries finales de première instance, ses conclusions tendant à la mise en œuvre d'une contre-expertise ne répondent pas aux exigences de motivation de l'appel (cf. supra consid. 1.3).

Il n'y a par conséquent aucune raison de s'écarter de l'expertise ni d'ordonner une contre-expertise.

La réquisition de preuve formulée par l'appelante sera ainsi rejetée.

5. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir considéré son action prescrite.

5.1 La présente cause est régie par la Loi genevoise sur la responsabilité de l'Etat et des communes (LREC; A 2 40), applicable aux intimés en vertu de l'art. 5 al. 2 de la Loi genevoise sur les établissements publics médicaux (LEMP; K 2 05), ainsi que de l'art. 61 CO.

Les corporations et établissements de droit public dotés de la personnalité juridique répondent ainsi du dommage résultant pour des tiers d'actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l'exercice de leur travail (art. 2 al. 1 et 9 LREC).

5.1.1 La LREC ne contenant aucune disposition sur la prescription, il faut admettre le renvoi aux règles générales du Code civil et du Code des obligations appliquées à titre de droit cantonal supplétif (art. 6 LREC).

En application de l'ancien art. 60 al. 1 CO (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2019, cf. art. 49 al. 1 Tit. fin. CC), dont l'application au cas d'espèce n'est à juste titre pas remise en cause par les parties, l'action en dommages-intérêts ou en paiement d'une somme d'argent à titre de réparation morale se prescrit par un an à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne qui en est l'auteur, et, dans tous les cas, par dix ans dès le jour où le fait dommageable s'est produit.

Le créancier connaît suffisamment le dommage lorsqu'il apprend, touchant son existence, sa nature et ses éléments, les circonstances propres à fonder et à motiver une demande en justice; le créancier n'est pas admis à différer sa demande jusqu'au moment où il connaît le montant absolument exact de son préjudice, car le dommage peut devoir être estimé selon l'art. 42 al. 2 CO (ATF 131 III 61 consid. 3.1.1).

Vu la brièveté du délai de prescription d'un an, on ne saurait se montrer trop exigeant à ce sujet à l'égard du créancier; suivant les circonstances, un certain temps doit encore lui être laissé pour lui permettre d'estimer l'étendue définitive du dommage, seul ou avec le concours de tiers (ATF 111 II 55 consid. 2a et les références citées).

Le délai part du moment où le lésé a effectivement connaissance du dommage, et non de celui où il aurait pu découvrir l'importance de sa créance en faisant preuve de l'attention commandée par les circonstances (ATF 111 II 55 consid. 3a). Cette jurisprudence ne va cependant pas jusqu'à protéger celui qui se désintéresse de la question du dommage. Le lésé est tenu d'avoir un comportement conforme à la bonne foi (art. 2 CC). S'il connaît les éléments essentiels du dommage, on peut attendre de lui qu'il se procure les informations complémentaires nécessaires à l'ouverture d'une action (arrêt du Tribunal fédéral 4A_454/2010 précité consid. 3.1).

5.1.2 Il peut être difficile d’évaluer le dommage corporel avec une précision suffisante. En particulier, dès lors que ce dommage se compose de plusieurs postes différents (frais médicaux, perte de gain, etc.), on ne peut pas fixer un point de départ unique pour le délai. Celui-ci court à partir du moment où la victime a connaissance dans les grandes lignes de toutes les conséquences de l’acte dommageable. Selon le Tribunal fédéral, le lésé ne saurait attendre de connaître son taux précis d’invalidité ou la décision des assureurs sociaux. En règle générale, on retient qu’il a suffisamment connaissance de son dommage dès qu’il dépose une demande auprès de l’AI. Le délai de prescription commence donc avec la connaissance du dernier poste du dommage en relation de causalité avec l’acte générateur de responsabilité (Werro/Perritaz, Commentaire romand, Code des obligations I, 2021, n. 20 ad art. 60 CO et les références).

Si l'ampleur du préjudice dépend d'une situation qui évolue, la prescription ne court pas avant le terme de cette évolution (ATF 108 Ib 97 consid. 1c; ATF
93 II 498 consid. 2). En effet, selon le principe de l'unité du dommage, celui-ci doit être considéré comme un tout et non comme la somme de préjudices distincts. Par conséquent, en cas d'évolution de la situation, le délai de prescription ne court pas avant que le plus tardif des éléments du dommage ne soit apparu. Cette règle vise essentiellement le préjudice consécutif à une atteinte à la santé de la victime, quand il n'est pas possible d'en prévoir l'évolution avec suffisamment de certitude (ATF 112 II 118 consid. 4).

5.1.3 Aux termes de l'art. 8 CC, chaque partie doit prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit. Celui qui prétend être titulaire d'un droit doit prouver les faits générateurs dont dépend la naissance du droit. En revanche, celui qui invoque l'extinction d'un droit ou conteste sa naissance ou sa mise en application a le fardeau de la preuve des faits destructeurs ou dirimants. Il s'agit là d'une règle générale qui, d'une part, peut être renversée par des règles légales concernant le fardeau de la preuve et qui, d'autre part, doit être concrétisée dans le cas d'espèce (ATF 139 III 13 consid. 3.1.3.1; 130 III 321 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_317/2021 du 12 octobre 2021 consid. 3).

Il appartient au débiteur d'alléguer et de prouver les faits qui sous-tendent la prescription. Le créancier peut opposer le fait que la prescription a été empêchée, suspendue ou interrompue. Il s'agit d'un fait dirimant qu'il appartient au créancier d'alléguer et de prouver (Grobéty, La suspension conventionnelle de la prescription et sa mise en œuvre procédurale, in: PJA 2021 p. 720, p. 723; cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_487/2018 du 30 janvier 2019 consid. 4.3.1).

5.2 En l'espèce, l'appelante reproche au Tribunal de s'être écarté des conclusions de l'expert, selon lequel l'état de l'appelante pouvait être considéré comme consolidé à fin décembre 2015, soit plus de trois ans après la survenue de l'AVC hémorragique. Elle fait valoir que les séquelles et douleurs ressenties ne peuvent être distinguées sur une image et soutient, pour la première fois en appel, qu'elle n'est parvenue à mobiliser son bras droit qu'à partir de novembre 2014. Il s'agit d'un fait nouveau irrecevable, qui n'est en tout état corroboré par aucune pièce du dossier. Il en va de même de ses allégations concernant son suivi par le Dr T______, la Dre U______ ou encore le Prof. C______. Si l'appelante a allégué devant le premier juge que son état de santé ne s'était stabilisé qu'en 2016, elle n'a produit aucun document médical l'attestant. Elle n'a fourni aucune indication quant à la rente AI qu'elle percevrait, de sorte que l'on ignore à quelle date une décision a été rendue à ce sujet, quel taux d'invalidité a été retenu et depuis quand la rente lui est versée. Il ressort par ailleurs du rapport établi en août 2012 par le Service de neuro-rééducation de V______ que l'appelante avait alors déjà mis fin à l'exploitation de son magasin de vêtements et déposé une demande à l'AI. L'appelante ne saurait dans ces circonstances être suivie lorsqu'elle soutient que la date située par l'expert à fin décembre 2015 devrait seule être retenue pour déterminer le dies a quo du délai de prescription : dans la mesure où l'expert a procédé à une estimation en retenant que l'état de santé de l'appelante pouvait être considéré comme consolidé après écoulement d'un peu plus de trois ans après la survenance de l'AVC, le Tribunal a procédé à une correcte appréciation des faits en privilégiant les éléments concrets retenus ci-avant pour retenir que l'appelante n'avait pas démontré n'avoir pas été en mesure de fixer l'étendue de son dommage avant le 19 août 2015, soit un an avant la signature de la déclaration de renonciation à invoquer la prescription par les intimés le 19 août 2016.

La question peut, quoi qu'il en soit, demeurer indécise, dans la mesure où l'action de l'appelante doit en tout état, comme retenu par le Tribunal, être rejetée pour les motifs suivants.

6. 6.1 La LREC n'institue pas une responsabilité de type objectif ou causal, mais une responsabilité pour faute dont les conditions correspondent à celles de l'art. 41 CO, ce qui implique la réalisation des quatre conditions cumulatives suivantes : un acte illicite commis par un agent ou un fonctionnaire, une faute de la part de celui-ci, un dommage subi par un tiers et un lien de causalité (naturelle et adéquate) entre l'acte illicite et le dommage (arrêts du Tribunal fédéral 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.1 et 4A_315/2011 du 25 octobre 2011 consid. 2.1). L'art. 6 LREC précise en outre que le droit civil fédéral s'applique à titre de droit cantonal supplétif.

6.1.1 La notion d'illicéité est la même en droit privé fédéral et en droit public cantonal de la responsabilité.

Le personnel chargé des soins (médecins, infirmiers, sages-femmes, etc.) est tenu de respecter les règles de l'art médical, lesquelles constituent des principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens (ATF 133 III 121 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_487/2016 du 1er février 2017 consid. 2.3).

Il doit observer la diligence requise. Si le propre de l'art médical consiste, pour le médecin, à obtenir le résultat escompté grâce à ses connaissances et à ses capacités, cela n'implique pas pour autant qu'il doive atteindre ce résultat ou même le garantir, car le résultat en tant que tel ne fait pas partie de ses obligations. L'étendue du devoir de diligence qui incombe au médecin se détermine selon des critères objectifs. Les exigences qui doivent être posées à cet égard ne peuvent pas être fixées une fois pour toutes; elles dépendent des particularités de chaque cas, telles que la nature de l'intervention ou du traitement et les risques qu'il comporte, la marge d'appréciation, le temps et les moyens disponibles, la formation et les capacités du médecin. La violation, par celui-ci, de son devoir de diligence - communément, mais improprement, appelée "faute professionnelle" - correspond à la notion d'illicéité propre à la responsabilité délictuelle (ATF 133 III 121 consid. 3.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_487/2016 du 1er février 2017 consid. 2.3; 4A_315/2011 du 25 octobre 2011 consid. 3.1).

Le médecin viole son devoir de diligence lorsqu'il pose un diagnostic ou choisit une thérapie ou une autre méthode qui, selon l'état général des connaissances professionnelles, n'apparaît plus défendable et ne satisfait pas aux exigences objectives de l'art médical (ATF 134 IV 175 consid. 3.2; 130 IV 7 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1287/2018 du 11 mars 2019).

Savoir si le médecin a violé son devoir de diligence est une question de droit; dire s'il existe une règle professionnelle communément admise, quel était l'état du patient et comment l'acte s'est déroulé relève du fait (ATF 133 III 121 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_487/2016 du 1er février 2017 consid. 2.3; 6B_999/2015 du 28 septembre 2016 consid. 5.1).

Il appartient au lésé d'établir la violation des règles de l'art médical (ATF
133 III 121 consid. 3.1).

6.1.2 Il existe un lien de causalité naturelle entre deux événements lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit du tout ou qu'il ne serait pas survenu de la même manière. Il n'est pas nécessaire que l'événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat: il suffit qu'associé éventuellement à d'autres facteurs, il ait provoqué l'atteinte préjudiciable, c'est-à-dire qu'il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte (ATF 142 V 435 consid. 1; 133 III 462 consid. 4.4.2 et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 8C_540/2018 du 22 juillet 2019 consid. 4.1).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral à propos de la causalité en cas d'omission (cf. ATF 132 III 715 consid. 2.3), pour retenir une causalité naturelle en pareil cas, il faut admettre par hypothèse que le dommage ne serait pas survenu si l'intéressé avait agi conformément à la loi. Un lien de causalité naturelle ne sera donc pas nécessairement prouvé avec une exactitude scientifique. Le rapport de causalité étant hypothétique, le juge se fonde sur l'expérience générale de la vie et émet un jugement de valeur. En règle générale, lorsque le lien de causalité hypothétique entre l'omission et le dommage est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité. Ainsi, lorsqu'il s'agit de rechercher l'existence d'un lien de causalité entre une ou des omissions et un dommage, il convient de s'interroger sur le cours hypothétique des événements (arrêts du Tribunal fédéral 4A_543/2016 du 1er novembre 2016 consid. 3.2.3; 4A_297/2015 du 7 octobre 2015 consid. 4.2).

Comme c'est généralement le cas pour la preuve du rapport de causalité, il est difficile d'apporter cette preuve dans certains domaines de la responsabilité, le demandeur se trouvant souvent dans un état de nécessité en matière de preuve (ATF 132 III 715 consid. 3.2.1), qui se rencontre lorsque, par la nature même de l'affaire, une preuve stricte n'est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée, en particulier si les faits allégués par la partie qui supporte le fardeau de la preuve ne peuvent être établis qu'indirectement et par des indices (ATF
144 III 264 consid. 5.3; 133 III 81 consid. 4.2.2). La jurisprudence admet depuis longtemps - en accord avec les règles générales concernant les dommages-intérêts - un allégement de la preuve concernant le rapport de causalité. Il n'est pas exigé une preuve stricte et absolue, mais seulement la preuve d'une vraisemblance prépondérante, qui suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération. Le juge doit se satisfaire de la certitude que l'on peut exiger selon le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie (ATF 132 III 715 consid. 3.2.1 et 3.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_113/2018 du 12 décembre 2018 consid. 6.2.2.1 et les références citées). En effet, la mise en œuvre du droit ne doit pas échouer en raison de difficultés probatoires qui se présentent de manière récurrente dans certaines situations. Toutefois, un état de nécessité ne peut pas être admis au motif qu'un élément de fait, qui devrait par nature être l'objet d'une preuve directe, ne peut être établi, faute par la partie à qui la preuve incombe de disposer des moyens de preuve nécessaires. De simples difficultés probatoires dans un cas concret ne sauraient conduire à un allègement de la preuve (ATF 144 III 264 consid. 5.3, arrêt du Tribunal fédéral 5A_113/2018 du 12 décembre 2018 consid. 6.2.2.1).

Cet allègement de la preuve n'exerce aucune influence sur le fardeau de la preuve. S'agissant d'une condition de la prétention en responsabilité, le fardeau de la preuve du rapport de causalité incombe au demandeur (ATF 132 III 715 consid. 3.2.2).

6.2.1 En l'espèce, l'appelante a été admise aux urgences le 1er juin 2012 à 12h35, suite à une chute. Elle ne tenait pas debout et présentait des hématomes ainsi que des tremblements. Après avoir été classée en degré d'urgence 3, elle a été placée en salle d'attente et a été vue pour la première fois par un médecin aux alentours de 21h. Durant sa mise en observation, il a été constaté que la patiente éprouvait de la difficulté à bouger son côté droit et que son élocution était pâteuse notamment. Ses résultats sanguins faisaient par ailleurs apparaître un taux anormalement élevé de P-créatine kinase et de P-protéine C-réactive. Ce n'est que le 3 juin 2012 que l'appelante, qui avait été transférée à V______, a été à nouveau admise aux urgences pour effectuer des examens plus approfondis, lesquels ont permis de détecter un AVC.

L'expert a conclu que les intimés avaient, une fois le diagnostic posé, pris en charge et traité la patiente correctement. Ceux-ci avaient néanmoins tardivement mis en place le traitement et la surveillance nécessaires compte tenu des délais découlant de l'art médical. Dans son rapport complémentaire, il a confirmé ce qui précède, réaffirmant que le très long temps d'attente aux urgences ne correspondait pas à une prise en charge correcte pour une personne de l'âge de l'appelante suspectée d'avoir subi un traumatisme atteignant l'extrémité céphalique, ainsi que l'importance d'un examen neurologique pratiqué par un spécialiste dans un pareil cas.

Le Tribunal, considérant qu'il n'y avait pas de raison de s'écarter de l'expertise, a ainsi retenu que les intimés avaient violé les règles de l'art en ne détectant l'AVC qu'environ 48h après l'arrivée de l'appelante aux urgences, faute d'investigation menée sur la cause des symptômes présentés par la patiente, et en ne la prenant pas en charge de manière adéquate durant ce délai.

Contrairement à ce que soutiennent les intimés, le Tribunal s'est ainsi bien fondé sur l'avis de l'expert pour parvenir à cette conclusion. En effet, si celui-ci n'a pas affirmé expressément que les intimés avaient commis une violation des règles de l'art médical – à juste titre puisque seules des questions de fait, et non de droit, peuvent être posées à l’expert, il a en revanche fourni une réponse claire aux questions 4 ("Les HUG ont-ils ou non pris en charge et traité la patiente de manière adaptée compte tenu de son état et du diagnostic posé, compte tenu des règles de l'art médical?") et 5 ("Les HUG ont-ils ou non prodigué tardivement ledit traitement compte tenu des délais découlant de l'art médical?") de sa mission d'expertise, concluant que les intimés avaient tardivement mis en place le traitement et la surveillance nécessaires et qu'il n'était pas acceptable qu'une patiente arrivée à 12h35 ne soit prise en charge qu'à 21h pour une suspicion d'accident vasculaire cérébral. Le fait que certains éléments de réponse fournis par l'expert soient plus nuancés ne signifie pas que la violation retenue serait simplement vraisemblable.

Le Tribunal ne s'est par ailleurs pas écarté de l'expertise lorsqu'il a formulé des observations quant aux plaintes de la patiente et aux doutes exprimés par l'expert s'agissant de la bonne exécution voire de la réalité des examens neurologiques réalisés avant le 3 juin 2012. Il était par ailleurs fondé à tenir compte des explications fournies par les témoins s'agissant des résultats de P-créatine kinase et de P-protéine C-réactive. Enfin, et contrairement à ce que prétendent les intimés, le Tribunal ne s'est pas non plus écarté des explications données par l'expert judiciaire lorsqu'il a considéré que les difficultés à mobilier le côté droit et les douleurs ressenties sur cette zone pouvaient être liés à l'AVC hémorragique, celui-ci l'ayant précisément affirmé dans le cadre de son rapport du 26 octobre 2020.

La Cour relèvera encore que dans le cadre de la procédure de première instance, les intimés ont considéré l'expertise judiciaire complète, compréhensible et convaincante et estimé qu'il n'y avait pas lieu de s'en écarter.

Il faut ainsi admettre, compte tenu des circonstances d'espèce, que l'état de l'appelante présentait des éléments objectifs et concrets suffisamment alarmants pour justifier, ne serait-ce qu'en vertu du principe de précaution, des examens complémentaires plus rapides afin de déceler la cause des symptômes persistants, lesquels étaient compatibles avec un accident vasculaire cérébral, et ce quand bien même ils étaient intervenus dans le contexte d'une chute.

Il sera donc confirmé que la prise en charge de l'appelante a souffert de manquements aux règles de l'art, constitutifs d'une violation du devoir de diligence des intimés.

6.2.2 Reste à examiner le lien de causalité entre les manquements retenus à l'encontre des intimés et les préjudices que l'appelante allègue avoir subi (soit, au stade de l'appel, un dommage d'assistance, un tort moral et des frais de défense avant procès).

L'expert a conclu que le retard dans le diagnostic n'était pas à l'origine d'un quelconque dommage subi par l'appelante, dans la mesure où les séquelles qu'elle alléguait avoir gardées étaient dues à l'AVC hémorragique et non au retard dans la pose de diagnostic. Il a longuement expliqué les différences entre un AVC hémorragique et AVC ischémique, précisant que l'appelante avait été victime d'un AVC hémorragique et que dans son cas, la seule attitude thérapeutique à adopter consistait en la surveillance de l'état de la patiente ("mise en observation"). Dans la mesure où les constantes de l'intéressée n'avaient pas varié entre son arrivée aux urgences et le moment où le bon diagnostic avait été posé, le retard pris par les intimés n'avaient emporté aucune conséquence sur l'état de santé de l'appelante.

Sur la base de ces éléments, le Tribunal a ainsi retenu qu'il n'existait aucun lien de causalité entre la violation des règles de l'art reprochée aux intimés et le préjudice dont l'appelante réclame la réparation.

L'appelante considère que sa prise en charge n'a pas été adéquate en raison du retard de diagnostic, puisqu'elle n'avait pas pu bénéficier d'une mise au repos total ni de couvertures froides notamment. Selon elle, ces omissions des intimés avaient causé des séquelles, telles que la parésie ou les douleurs neurologiques, dont elle souffrait encore. L'absence de guérison entière ne permet toutefois pas de présumer un lien de causalité entre le manquement retenu à l'égard des intimés et l'état de santé actuel de l'appelante. Il ressort de l'expertise que les troubles de l'appelante sont la conséquence de son accident vasculaire hémorragique et aucun traitement particulier n'aurait pu être mis en œuvre par les intimés pour que l'hémorragie régresse plus vite. Une prise en charge sans délai n'aurait ainsi eu aucun impact sur le cours des événements.

Les remarques toutes générales de l'appelante, qui soutient qu'il serait notoire qu'un AVC hémorragique constitue une urgence médicale devant être immédiatement diagnostiquée et prise en charge de façon agressive, ne sauraient enfin se substituer aux constatations et explications fournies par l'expert.

L'appelante semble par ailleurs confondre les notions d'acte illicite et de lien de causalité, en revenant ici sur tous les actes ou omissions qu'elle reproche aux médecins qui étaient en charge de son suivi. Elle ne remet en revanche pas en cause le fait qu'aucun des médecins entendus, que ce soit ceux qui sont intervenus dans sa prise en charge en juin 2012 et qui ont été entendus en qualité de témoin ou l'expert judiciaire lui-même, n'aient établi de lien entre la rapidité d'intervention et les séquelles gardées par l'appelante, se contentant d'affirmer qu'il ne serait pas possible de préjuger des effets d'un meilleur traitement si celui-ci avait été mis en place dans les temps recommandés.

Elle n'a ainsi apporté aucun élément qui permettrait de retenir, avec une probabilité suffisante, qu'une prise en charge sans délai aurait eu un impact sur le cours des évènements.

Aucun lien de causalité entre le retard de diagnostic et de traitement et le préjudice subi par l'appelante, que ce soit son tort moral (qu'elle fonde uniquement sur les séquelles qu'elle dit garder de son AVC et non sur l'expérience vécue aux urgences ou à V______), son dommage d'assistance ou ses frais d'avocat avant procès, ne peut en conséquence être retenu.

Faute de relation de cause à effet entre la violation des règles de l'art retenue et le préjudice dont l'appelante réclame réparation, la responsabilité des intimés n'est pas engagée. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé.

7. Dans le cadre de leur appel joint, les intimés remettent en cause la répartition des frais opérée par le Tribunal.

7.1.1 Si seule l'une des parties fait appel, l'autre peut, par appel joint, se limiter à attaquer la question des frais (Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 11 ad art. 110).

7.1.2 Selon l'art. 105 CPC, les frais judiciaires sont fixés et répartis d'office (al. 1). Le tribunal fixe les dépens selon le tarif (art. 96). Les parties peuvent produire une note de frais (al. 2).

Les frais sont mis à la charge de la partie succombante (art. 106 al. 1 CPC). Lorsqu'aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, les frais sont répartis selon le sort de la cause (art. 106 al. 2 CPC). Cette règlementation confère au juge un large pouvoir d'appréciation en matière de répartition des frais (arrêts du Tribunal fédéral 5A_80/2020 et 5A_102/2020 du 19 août 2020 consid. 4.3; 4A_207/2015 du 2 septembre 2015 consid. 3.1).

Selon l'art. 107 al. 1 CPC, le tribunal peut cependant s’écarter des règles générales et répartir les frais selon sa libre appréciation, notamment lorsque le demandeur obtient gain de cause sur le principe de ses conclusions mais non sur leur montant, celui-ci étant tributaire de l'appréciation du tribunal ou difficile à chiffrer (let. a), lorsqu'une partie a intenté le procès de bonne foi (let. b) ou lorsque des circonstances particulières rendent la répartition en fonction du sort de la cause inéquitable (let. f).

Pour que la répartition des frais puisse intervenir selon la libre appréciation du tribunal dans la première de ces hypothèses (let. a), il faut que le demandeur obtienne gain de cause sur le principe de son action et non seulement sur des points accessoires sans se voir allouer la totalité ou l’essentiel de ce qu’il réclamait, mais aussi qu’on n’ait pu attendre de lui qu’il limite d’emblée ses prétentions au montant auquel il avait droit, parce que celui-ci était difficile à déterminer ou dépendait d’une appréciation du tribunal (Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 9 ad art. 107 CPC). Une répartition en équité peut également entrer en considération lorsque la situation économique des parties est sensiblement différente (en ce sens : arrêts du Tribunal fédéral 5A_245/2021 du 7 septembre 2022 consid. 4.2.1; 5A_70/2013 du 11 juin 2013 consid. 6; Tappy, op. cit., n. 18 et 19 ad art. 107 CPC).

7.2 En l'espèce, le montant des frais judiciaires n'est pas remis en cause par les parties et sera confirmé en tant qu'il est conforme au règlement applicable.

Les intimés ne sauraient en particulier être suivis lorsqu'ils soutiennent que l'expertise ordonnée par le Tribunal était superflue ou que ce dernier n'avait pas à examiner les différents postes de dommage allégués vu l'absence de lien de causalité, puisqu'ils ne remettent pas en cause le montant des frais judiciaires arrêtés par le premier juge.

Ils contestent en revanche la répartition en équité des frais judiciaires et dépens faite par le Tribunal sur la base des let. a et f de l'art. 107 al. 1 CPC, en faisant valoir que le Tribunal a débouté l'appelante de ses prétentions en raison de leur prescription. La décision du Tribunal de déroger à la règle posée par l'art. 106 CPC en laissant un cinquième des frais judiciaires et dépens de première instance à charge des intimés, qui obtiennent gain de cause, apparaît conforme au large pouvoir d'appréciation que lui laisse l'art. 107 CPC, compte tenu notamment de la violation des règles de l'art commise par les intimés et des situations financières respectives des parties.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé dans son intégralité.

8. Reste à statuer sur les frais d'appel.

Les frais judiciaires de seconde instance seront arrêtés à 4'500 fr. pour ce qui est de l'appel et 2'700 fr. pour ce qui est de l'appel joint (art. 17 et 35 RTFMC). Ils seront compensés avec les avances de même montant fournies par les parties, qui restent acquises à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Au vu de l'issue du litige devant la Cour, chacune des parties supportera les frais judiciaires liés à son appel.

Les dépens d'appel seront arrêtés à 4'500 fr., débours et TVA inclus, mis à la charge de l'appelante, et ceux d'appel joint à 3'000 fr., débours et TVA inclus, mis à la charge de l'intimée (art. 85 et 90 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC), étant relevé que, contrairement à ce qui figure dans ses conclusions d'appel, l'appelante n'a produit aucune note de frais en appel.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 17 janvier 2023 par A______ contre le jugement JTPI/14296/2022 rendu le 30 novembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19421/2016, ainsi que l'appel joint interjeté le 15 août 2023 par les HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE (HUG) contre ce même jugement.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 4'500 fr., mis à la charge de A______, et les frais judiciaires d'appel joint à 2'700 fr., mis à la charge des HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE (HUG), et les compense avec les avances fournies, qui restent acquises à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser aux HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE (HUG) 4'500 fr. à titre de dépens d'appel.

Condamne les HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE (HUG) à verser à A______ 3'000 fr. à titre de dépens d'appel joint.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

 

La présidente :

Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI

 

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.