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Décisions | Chambre civile

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C/2738/2018

ACJC/824/2021 du 22.06.2021 sur JTPI/8401/2020 ( OO ) , JUGE

Recours TF déposé le 06.09.2021, rendu le 29.08.2022, CONFIRME, 4A_425/2021
Descripteurs : BANQUE ;DEPOT;GIROBA;RESTIT;ORDPAI;FAUX NON DECELES;CLAUSE DE TRANSFERT DE RISQUE
Normes : CO.402.al1; CO.100.al1; CO.102; CO.104
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2738/2018 ACJC/824/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 22 JUIN 2021

Entre

Hoirie de feu A______, soit pour elle :

Monsieur B______, domicilié ______ (Belgique),

Monsieur C______, domicilié ______ (Belgique),

Monsieur D______, domicilié ______ (Belgique),

Madame E______, domiciliée ______ (Belgique),

appelants d'un jugement rendu par la 18ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 29 juin 2020, comparant par Me Jean-Cédric MICHEL, avocat, Kellerhals Carrard Genève SNC, rue François-Bellot 6, 1206 Genève, en l'étude duquel ils font élection de domicile,

et F______ & CIE SA, sise ______ [GE], intimée, comparant par Me Daniel TUNIK, avocat, Lenz & Staehelin, route de Chêne 30, case postale 615, 1211 Genève 6, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/8401/2020 du 29 juin 2020, reçu par les parties le 3 juillet 2020, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure ordinaire, a condamné F______ & CIE SA à verser à B______, C______, D______ et E______, solidairement entre eux, la somme de 2'680.70 EUR plus intérêts à 5% l'an dès le 27 mars 2018 (ch. 1), arrêté les frais judiciaires à 12'340 fr., compensés avec les avances versées par les parties, mis à la charge de B______, C______, D______ et E______, solidairement entre eux, à hauteur de 11'840 fr., et de F______ & CIE SA à hauteur de 500 fr., ordonné la restitution aux parties du solde de leurs avances, condamné F______ & CIE SA à rembourser 500 fr. à B______, C______, D______ et E______, solidairement entre eux
(ch. 2), condamné les précités, solidairement entre eux, à verser 14'890 fr. TTC à F______ & CIE SA à titre de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B. a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 3 septembre 2020, B______, C______, D______ et E______ ont formé appel de ce jugement, concluant à l'annulation des chiffres 2, 3 et 4 de son dispositif et, cela fait, à la condamnation de F______& CIE SA au paiement de 141'619.50 EUR plus intérêts à 5% dès le 10 mai 2017, sous suite de frais judiciaires et dépens.

b. Dans sa réponse du 4 novembre 2020, F______ & CIE SA a conclu au déboutement de B______, C______, D______ et E______ de toutes leurs conclusions, sous suite de frais.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d. La cause a été gardée à juger le 6 janvier 2021, ce dont les parties ont été avisées le jour même.

C. Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. F______ & CIE SA (ci-après : F______ ou la Banque), inscrite au Registre du commerce de Genève depuis le ______ 1910, a pour but social l'exploitation d'une banque et l'exercice d'une activité de négociant en valeurs mobilières.

G______ et H______ sont respectivement directeur et sous-directrice de F______, chacun avec signature collective à deux.

F______ exploite des succursales en Suisse, notamment à Bâle.

b. Le 22 février 2013, A______ et son épouse, I______, alors domiciliés en Belgique, ont ouvert un compte-joint n° 8______ (ci-après : le compte n° 8______) auprès de F______.

Leurs enfants, B______, C______, D______ et E______ (ci-après : les consorts B/C/D/E______) étaient également chacun titulaire d'un compte bancaire au sein de la Banque.

Par ailleurs, B______ et C______ étaient tous deux au bénéfice d'une procuration générale sur le compte n° 8______, cela depuis l'ouverture du compte pour le premier et depuis le 23 mars 2016 pour le second.

c. Lors de l'ouverture du compte n° 8______, A______ et I______ ont expressément autorisé la Banque à communiquer avec eux par téléphone et/ou télécopieur et, notamment, à accepter leurs instructions téléphoniques et/ou par télécopieur.

Le document relatif à cette acceptation stipulait en outre : "Le Client assume d'avance tous les risques, et plus particulièrement ceux provenant d'une utilisation frauduleuse de la part de tiers, d'une erreur de transmission ou de compréhension de cette manière de procéder, même en cas d'erreur de la part de la Banque quant à son identité et dégage d'ores et déjà la Banque de toute responsabilité de ce chef".

d. Début 2016, la Banque a communiqué de nouvelles conditions générales à ses clients, lesquelles stipulaient notamment ce qui suit :

"Le Client est tenu de conserver ses documents bancaires avec soin afin qu'aucune personne non autorisée n'ait accès aux informations qu'ils contiennent. Le Client est par ailleurs tenu de prendre toutes les précautions nécessaires, notamment lorsqu'il donne des instructions de paiement, afin de réduire le risque d'utilisation abusive et répond de tout dommage découlant d'une violation de ces obligations de diligence. Il s'engage par ailleurs à informer la Banque sans délai s'il a connaissance d'une utilisation abusive et à entreprendre toutes les démarches possibles pour limiter le dommage" (art. 1 al. 2).

"La Banque vérifie avec la diligence usuelle la légitimation du Client, de ses mandataires ou d'autres personnes disposant d'un droit de signature. Dès lors que la Banque a fait preuve de la diligence d'usage, tout dommage pouvant résulter de défauts de légitimation ou de falsifications non décelées est à la charge du Client" (art. 1 al. 3).

"Tout dommage lié à l'utilisation de services postaux, services de courrier, téléphone, télécopieur, courrier électronique ou tout autre moyen de transmission, en particulier par suite de retard, perte, malentendu, altération, double expédition ou fraude, est à la charge du Client, sauf en cas de faute grave de la Banque" (art. 3).

"La Banque n'est pas tenue d'exécuter les ordres qui lui sont communiqués par téléphone, téléfax ou courrier électronique, sous réserve d'accord particulier à cet égard" (art. 5 al. 3).

e. Lors de l'interrogatoire des parties par le Tribunal, H______ a déclaré que F______ disposait d'un fichier central qui recensait les signatures de ses clients et les documents contractuels. Les employés de la Banque ne recevaient pas de formation particulière en matière de vérification des signatures. La vérification effectuée par la Banque consistait en une comparaison de la signature figurant dans l'instruction du client avec celle figurant dans le dossier de ce client, en particulier les documents d'ouverture du compte. Entendu comme témoin, G______ a précisé que la vérification des signatures était effectuée soit par le fichier central soit par le gestionnaire en charge de la relation bancaire; cette vérification relevait de la responsabilité du gestionnaire, puisque c'est lui qui validait les ordres reçus.

La Banque s'est également dotée, à tout le moins dès 2013, d'une procédure visant à contrôler la légitimation du donneur d'ordre. A cet effet, F______ a établi une note d'instruction intitulée "Prérequis anti-fraude et gestion des alertes en cas de fraude supposée ou avérée" qui expose de manière détaillée les vérifications auxquelles le collaborateur doit procéder pour identifier le donneur d'ordre. Selon cette note, lorsque l'ordre est transmis par courrier, le collaborateur est tenu d'authentifier le donneur d'ordre, de vérifier la signature, de procéder à un "contrôle de la plausibilité" et, en cas de doute, d'effectuer un "contre-appel" (à savoir appeler le client pour s'assurer qu'il est le donneur d'ordre), le gérant devant en outre marquer son accord à l'exécution de l'instruction en y apposant son visa ("accord du gérant par son visa").

De manière générale, lorsqu'une instruction de paiement est entrée dans le système informatique de la Banque, le paiement ne peut pas être exécuté lorsque le numéro d'IBAN et le nom du titulaire du compte ne correspondent pas (décl. H______, témoin G______).

f. Dès le mois de février 2013, la gestion du compte n° 8______ a été assurée par J______, gestionnaire au sein de la Banque. Le précité a également été vice-directeur de la succursale bâloise de F______, avec signature collective à deux, de juillet 2010 à juin 2018, date de son départ à la retraire anticipée. G______, basé à Genève et responsable du groupe de gestion France/Belgique au sein de F______, était son supérieur hiérarchique.

Les contacts par téléphone étaient réguliers entre la Banque et A______, ainsi qu'avec ses représentants, notamment avec B______. J______ se rendait par ailleurs régulièrement en Belgique.

Entendu comme témoin, J______ a déclaré que lorsqu'il recevait des instructions de paiement, il en prenait connaissance, sans vérifier spécifiquement les signatures, cette tâche incombant selon lui aux assistantes, dont faisait notamment partie K______, à qui il transmettait ensuite l'instruction pour exécution; il y avait une liste des signatures autorisées, à savoir celles qui figuraient sur la documentation d'ouverture du compte. Il n'était pas sûr d'avoir eu connaissance de la note d'instruction "Prérequis anti-fraude et gestion des alertes en cas de fraude supposée ou avérée". Selon lui, les démarches décrites dans cette note étaient effectuées par les assistantes. De son côté, G______ a déclaré devant le Tribunal qu'il ignorait que J______ ne procédait pas lui-même à la vérification des ordres et qu'il déléguait cette tâche aux assistantes. Une telle vérification relevait pourtant de la responsabilité du gestionnaire du compte concerné.

g. Par courriel du 30 mars 2015, B______ a donné pour instruction à la Banque de procéder à deux paiements (2 x 113'997.80 EUR) en faveur de l'administration fiscale belge en lien avec le décès de I______, alors co-titulaire du compte n° 8______.

Selon les fiches de contact de la Banque, J______ s'est entretenu téléphoniquement avec le client le 31 mars 2015 et les ordres de paiement ont été exécutés le même jour.

h. A______ est décédé le ______ 2016, laissant pour héritiers ses quatre enfants, lesquels sont devenus titulaires du compte n° 8______.

Le 8 décembre 2016, B______ a informé J______ du décès de son père par téléphone. A l'occasion de cet entretien téléphonique, il lui a demandé de payer 7'976.75 EUR au titre des impôts 2015 de son père, ordre confirmé par courriel et exécuté le jour même sans qu'un courrier par voie postale ne soit requis.

Le certificat d'héritiers établi le 8 février 2017 a été adressé à J______ par courriel du 19 février 2017 et le certificat de décès par courriel du 26 février 2017.

i. Devant le Tribunal, H______ et G______ ont déclaré qu'en présence d'une hoirie composée de plusieurs membres, la Banque demandait que les instructions des héritiers lui soient transmises par la voie postale, avec la signature de toutes les personnes concernées, la voie électronique n'étant pas suffisante en pareil cas. A ce sujet, J______ a précisé que le compte
n° 8______ avait été bloqué car il s'agissait d'une hoirie; c'était la raison pour laquelle un courrier postal avait été demandé concernant l'instruction datée du 30 avril 2017 (cf. infra let. m.c). H______ a précisé qu'en présence de paiements de frais médicaux du défunt ou encore de frais funéraires, la Banque était moins formelle, un tel paiement pouvant dans ce cas se faire sans instruction écrite, dès lors qu'il était manifestement opéré dans l'intérêt de la succession. A rigueur des conditions générales, une instruction téléphonique demeurait possible pour autant qu'elle provienne de tous les membres de l'hoirie.

j. A partir du 27 février 2017, la Banque a eu plusieurs contacts avec B______
au sujet du compte n° 8______, de la succession de feu A______ et des opérations à effectuer sur ledit compte.

k. Le 24 mars 2017, B______ a annoncé à J______ que la Banque recevrait prochainement une instruction portant sur le transfert de diverses positions du compte n° 8______ (titres, lingots d'or, etc.) en faveur des quatre héritiers, à répartir entre eux à parts égales, sur leurs comptes respectifs au sein de F______.

B______ a transmis cette instruction à la Banque par courriel du 26 mars 2017. J______ ayant requis "la lettre originale", l'instruction signée par les héritiers est parvenue à la Banque, par courrier postal, le 30 mars 2017. L'ordre de transfert a été exécuté dans le courant du mois d'avril 2017, après avoir été transmis au fichier central et au service juridique de la Banque, pour vérification. Devant le Tribunal, H______ a précisé que l'instruction reçue par courrier postal avait été tamponnée par le service juridique - qui avait vérifié que les noms y figurant correspondaient aux membres de l'hoirie de feu A______ - et par le fichier central - qui avait vérifié les signatures. H______ a ajouté que la vérification des signatures par le fichier central n'était pas obligatoire; en l'occurrence, J______ avait transmis l'instruction au service juridique et, vu que le fichier central "se trouv[ait] à côté", celui-ci avait vérifié les signatures.

l.a Par courriel du 25 avril 2017, B______ a adressé à J______ l'instruction suivante, datée du 12 avril 2017 et munie de la signature de tous les héritiers :

"F______ & Cie SA"
______
Bâle

Le 12 avril 2017

Hoirie 8______

Madame, Monsieur,

Veuillez s.v.pl. transférer la contrevaleur de 80'000 e par personne dans les monnaies respectives aux dossiers chez vous suivants :

9______ : B______
10______ : E______
11______ : C______
12______ : D______

D'autre part veuillez transférer mensuellement 7'000 e par le débit du
compte hoirie sur le compte " A______ " 13______ BIC : N______

D'avance nous vous en remercions.
Avec nos meilleures salutations.
"

l.b Cette instruction n'a pas été précédée d'une conversation téléphonique. Dans son courriel du 25 avril 2017, B______ s'est référé à une lettre adressée à la Banque par voie postale à une date non spécifiée. Les parties conviennent que F______ a reçu cette instruction par courriel uniquement, le courrier postal évoqué par B______ ne lui étant jamais parvenu.

l.c Les paiements mentionnés dans l'instruction du 12 avril 2017 ont été exécutés par K______ le 27 avril 2017, suite à un entretien téléphonique survenu la veille entre J______ et l'un des héritiers.

F______ a allégué avoir effectué ces paiements à la suite de "contacts répétés" avec les héritiers et "en considération du fait qu'il s'agissait exclusivement de procéder à des transferts internes sur des comptes ouverts au nom des héritiers". Les consorts B/C/D/E_______ contestent ces explications.

m.a Par courriel du 1er mai 2017, B______ a envoyé à J______ une copie scannée de deux instructions de paiement (signées par tous les héritiers) dont ils avaient discuté par téléphone au cours des jours précédents. Il s'agissait notamment d'effectuer un paiement en faveur de Me L______, notaire en charge de la succession de feu A______.

m.b L'une consistait dans l'instruction du 12 avril 2017 susvisée (cf. supra let. l.a).

m.c L'autre instruction, datée du 30 avril 2017 et munie de la signature de tous les héritiers, était rédigée comme suit :

"F______ & Cie SA
______
Bâle

Le 30 avril 2017

Hoirie 8______

Madame, Monsieur,

Veuillez s.v.pl. transférer le montant de 141.599,85 e sur le compte
de la notaire L______ 7______
BIC : M______

D'avance nous vous en remercions.
Avec nos meilleures salutations.
"

m.d Ces deux instructions étaient rédigées avec la même police de caractère et la même syntaxe. S'agissant des signatures, elles mentionnaient deux fois le nom "C______", de sorte que pour l'une de ces mentions, le terme "C______" avait été barré et remplacé de façon manuscrite par "D______".

B______ précisait dans son courriel du 1er mai 2017 que les deux instructions annexées étaient postées à l'attention de la Banque le jour même, ainsi que l'avait demandé J______.

m.e J______ a accusé réception de ce courriel dans l'après-midi du 2 mai 2017, en indiquant ce qui suit : "Cher Monsieur B______, Bien reçu. Fais le nécessaire. Avec mes meilleurs salutations".

n.a A une date indéterminée, F______ a reçu l'instruction suivante par la voie postale, munie de la signature de tous les héritiers, et l'a traitée le 10 mai 2017 :

F______ & Cie SA
______
Bâle

Le 30 avril 2017

Hoirie 8______

Madame, Monsieur,

Veuillez s.v.pl. transférer le montant de 141.599,85 e sur le compte de la
notaire L______ 3______ : N______

D'avance nous vous en remercions.
Avec nos meilleures salutations.

n.b Cette instruction était rédigée avec la même police de caractère que les deux instructions susmentionnées (cf. let. l.a et m.c). Le nom des quatre héritiers y figurait en lettres capitales et dans le même ordre. Le prénom "C______" n'apparaissait pas deux fois et le prénom "D______" était dactylographié.

Cette instruction a été traitée par K______ le 10 mai 2017, qui l'a ensuite barrée de façon manuscrite dans le sens vertical et y a apposé un tampon rouge stipulant "ordre exécuté évitez double-emploi", ceci avant de la faire acheminer au siège de la Banque à Genève pour classement (décl. H______).

Devant le Tribunal, J______ a déclaré que le "courrier a[vait] été reçu à Bâle [et que] la lettre originale a[vait] été envoyée à Genève". Il ignorait qui avait vérifié ce courrier, mais ce n'était pas lui. Selon son souvenir, "Genève a[vait] déclaré le courrier valable et autorisé le paiement". De son côté, H______ a déclaré qu'à sa connaissance, l'ordre était arrivé à Bâle auprès de J______ qui avait vérifié les signatures et demandé au service juridique s'il pouvait aller de l'avant. Cette instruction n'avait pas été soumise au service juridique ni au fichier central.

n.c Selon les fiches de contact de la Banque, les quatre héritiers ont téléphoné à J______ le 10 mai 2017; dans la mesure où le compte courant présentait un solde insuffisant (100'612.30 EUR) pour procéder au paiement des frais de succession en 141'599.85 EUR, les héritiers lui ont demandé d' "extourner 4x SEK 166'968.75 crédités sur leurs comptes respectifs", ce qui a immédiatement été fait.

o. Le 10 mai 2017, la somme de 141'599.85 EUR a été débitée du compte n° 8______ et créditée en faveur de "L______, NOTAIRE" sur le compte n° 4______ ouvert dans les livres de la banque R______ SA en Belgique.

p. Le 16 mai 2017, F______ a reçu par la voie postale l'instruction suivante :

"F______ & Cie SA
______
Bâle

Le 12 mai 2017

Hoirie : 8______

Madame, Monsieur,

Nous souhaitons acquérir un bien immobilier de ce fait, veuillez s.v.pl.
transférer le montant de 1 070 000,00 e (un million septante mille euros)
sur le compte de la notaire L______ 14______ BIC : N______ en mentionnant la communication suivante : O______- 15______.

Pourriez-vous faire le nécessaire pour que ce montant soit sur son compte dans le plus bref délai (urgent) ?

D'avance nous vous en remercions.
Avec nos meilleures salutations
."

q. Ayant des doutes quant aux auteurs de cette nouvelle instruction, J______ a interpellé B______ à ce sujet le 16 mai 2017. Devant le Tribunal, J______ a déclaré que cet ordre écrit n'avait pas été évoqué au préalable par le client lors d'un entretien téléphonique, tandis que le montant de la transaction dépassait les avoirs en compte. En outre, il était douteux qu'une hoirie ait l'intention d'acquérir un bien immobilier.

r. Me L______ n'ayant pas reçu la somme de 141'599.85 EUR, B______ a relancé F______ le 17 mai 2017.

s. Lors d'une conversation téléphonique du 18 mai 2017, J______ a indiqué à B______ que cette somme avait été versée sur un compte bancaire différent de celui indiqué dans l'instruction reçue par courriel et qu'il avait demandé le retour de cette somme à la banque R______ SA en Belgique.

Par courriel du même jour, B______ a reproché à la Banque de ne pas avoir tenu compte de ses avertissements quant aux risques inhérents à la transmission d'instructions par voie postale - le courrier étant, selon lui, un moyen de communication beaucoup plus risqué que l'e-mail, surtout en Belgique -, de s'être entêtée, via son service juridique, à maintenir cette exigence vis-à-vis de l'hoirie et de ne pas avoir comparé l'instruction reçue par courriel avec celle reçue par pli postal. Si l'argent n'était pas retourné, il demandait à la Banque de rectifier son erreur.

Dès ce moment-là, le suivi du dossier au sein de la Banque a été repris par G______.

t. F______ s'est vainement employée à obtenir le retour de l'argent auprès de la banque R______ SA.

Dans un courriel du 19 mai 2017 adressé à B______, G______ a précisé que d'après lui, la banque précitée avait commis une grossière erreur en créditant des fonds sur un compte alors que le bénéficiaire de l'instruction ne correspondait pas au titulaire du compte crédité. Partant, l'argent devait être réclamé à la banque R______ SA, laquelle n'entrerait toutefois en matière que si les héritiers déposaient une plainte pénale, étant précisé que F______ offrait de prendre en charge les honoraires d'avocat y relatifs.

u. Par courrier du 30 juin 2017, les consorts B/C/D/E______ ont mis en demeure F______ de leur verser le montant détourné plus les frais, à savoir
141'619.85 EUR.

La Banque a opposé une fin de non-recevoir à cette prétention par courrier du
5 juillet 2017.

v. Par courriers adressés à la Banque les 2 et 13 octobre 2017, les consorts B/C/D/E______ ont demandé à consulter les pièces en possession de la Banque en lien avec l'instruction falsifiée du 30 avril 2017.

Le 21 novembre 2017, F______ leur a adressé les documents d'ouverture des comptes de C______, D______ et E______, ainsi qu'une copie des messages SWIFT échangés avec la banque R______ SA dans le cadre de l'opération litigieuse.

w. Le 20 janvier 2018, les consorts B/C/D/E______ ont déposé une plainte pénale devant le Ministère public de Bruxelles (Belgique) en lien avec le virement frauduleux de 141'599.85 EUR. Ils persistaient toutefois à considérer que F______ était civilement responsable du dommage occasionné par ce virement.

Dans le cadre de cette procédure, les consorts B/C/D/E______ ont appris, notamment, que le titulaire du compte n° 6______ était l'entité P______, gérée par O______. Ce compte avait été clôturé par la banque R______ SA le 29 juin 2017 pour "suspicion de Fraude". Il avait été crédité de 141'559.85 EUR le 11 mai 2017 et débité le jour même de 98'254.25 EUR en faveur de Q______ sur un compte en Turquie. En outre, 26'500 EUR avaient été transférés sur un compte de P______ dans les livres d'une autre banque et 16'100 EUR avaient été retirés en argent liquide le 12 mai 2017.

Le 7 septembre 2018, O______ a été inculpé d'escroquerie, d'abus de confiance et de faux et usage de faux. Le 17 avril 2019, il a été renvoyé devant le Tribunal correctionnel par le Ministère public de Bruxelles pour escroquerie et tentative d'escroquerie.

x. Par demande du 5 février 2018, déclarée non conciliée le 23 avril 2018 et introduite devant le Tribunal le 8 juin 2018, les consorts B/C/D/E______ ont assigné F______ en paiement de 141'619.85 EUR, plus intérêts à 5% l'an dès le 10 mai 2017, et de 2'978.55 EUR, plus intérêts à 5% dès le 27 mars 2018, ce second montant étant réclamé au titre des honoraires d'avocat relatifs au dépôt de la plainte pénale devant les instances bruxelloises.

y. Par réponse du 31 octobre 2018, F______ a conclu à ce que la demande soit rejetée et à ce qu'il lui soit donné acte de son accord de couvrir les frais encourus par les consorts B/C/D/E______ en lien avec le dépôt de la plainte pénale en Belgique à concurrence de 2'978.55 EUR au maximum - sur présentation d'une note d'honoraires tenant compte uniquement des frais relatifs à la préparation et au dépôt de ladite plainte pénale.

z. Le Tribunal a procédé à l'interrogatoire des parties et à l'audition des témoins J______ et G______ lors des audiences des 28 mai et 24 septembre 2019. Leurs déclarations ont été reprises ci-avant dans la mesure utile.

Les consorts B/C/D/E______ ont renoncé à solliciter l'audition de K______ en qualité de témoin.

Lors de l'audience de plaidoiries finales du 28 novembre 2019, les parties ont persisté dans leurs conclusions, après quoi la cause a été gardée à juger.

D. Dans la décision entreprise, le Tribunal a retenu que l'hoirie de feu A______ et la Banque étaient liées par un contrat de compte courant et de giro bancaire, ce qui était admis par les parties. Le virement litigieux avait été opéré sur la base d'une instruction falsifiée émanant d'un tiers non autorisé, de sorte que le dommage en découlant était en principe à la charge de F______. Dans la mesure toutefois où l'exécution de l'instruction était le fait d'un auxiliaire de la Banque, l'art. 3 des conditions générales - lequel stipulait que "tout dommage lié à l'utilisation de services postaux, services de courrier, téléphone, télécopieur, courrier électronique ou tout autre moyen de transmission, en particulier par suite de retard, perte, malentendu, altération, double expédition ou fraude, [était] à la charge du client, sauf en cas de faute grave de la Banque" - était pleinement applicable au cas d'espèce.

Le premier juge a considéré que les instructions données par téléphone - sans confirmation écrite - étaient possibles du vivant de A______, y compris lorsque les instructions étaient données par ses fils au bénéfice d'une procuration générale. Suite au décès de leur père, les consorts B/C/D/E______ étaient devenus titulaires du compte. En tant que membres d'une communauté héréditaire, ils devaient donner leurs instructions de façon conjointe. Une instruction téléphonique demeurait encore possible, pour autant toutefois qu'elle émane des quatre héritiers. L'instruction de procéder à une opération bancaire était généralement donnée téléphoniquement par B______ et suivie d'une instruction écrite des quatre membres de l'hoirie, transférée par courriel. En l'absence d'accord entre les parties sur la possibilité de transmettre valablement des instructions par courriel, la Banque avait demandé que les ordres donnés téléphoniquement par l'un des héritiers soient confirmés par une instruction écrite des quatre membres de l'hoirie, en original, communiquée par la voie postale. C'est de cette manière que les parties avaient procédé s'agissant de l'instruction du 12 avril 2017, que la Banque avait exécutée le 27 avril 2017 après avoir reçu l'original par pli postal.

S'agissant du virement litigieux, l'instruction de payer la notaire avait été discutée préalablement par téléphone et J______ avait reçu l'instruction écrite des héritiers (non falsifiée) par courriel du 1er mai 2017. La Banque avait certes attendu de recevoir l'instruction écrite par pli postal avant d'exécuter le paiement. Toutefois, lorsqu'elle avait reçu l'instruction falsifiée, le traitement de cet ordre par K______ avait été précédé, le même jour, d'une conversation téléphonique avec les quatre héritiers, ceux-ci ayant demandé à J______ de procéder aux opérations nécessaires pour que le virement puisse être effectué en faveur de la notaire, le compte n'étant alors pas suffisamment provisionné. Aussi, en remettant l'instruction reçue le 10 mai 2017 à son assistante pour être exécutée, J______ ne pouvait pas soupçonner que cet ordre était falsifié - cela d'autant moins que les caractères utilisés étaient exactement les mêmes que ceux de l'instruction reçue par courriel, de même que les phrases et mots utilisés. La mise en page était quasiment identique et le bénéficiaire du virement demeurait Me L______. La divergence entre ces deux instructions se situait dans les numéros d'IBAN et de code BIC. Dans ces circonstances, J______ pouvait partir du principe que l'instruction exécutée le 10 mai 2017 correspondait à celle reçue par courriel le 1er mai 2017, sans qu'il ne doive procéder à de plus amples vérifications. Tout au plus pouvait-on lui reprocher de ne pas avoir personnellement vérifié les signatures de l'instruction falsifiée, ce qui, dans le cas d'espèce, aurait constitué une faute légère pour laquelle la Banque s'était valablement exonérée. Les consorts B/C/D/E______ avaient certes allégué qu'ils avaient informé la Banque d'une fraude au courrier postal sévissant en Belgique et qu'ils l'avaient prévenue des risques inhérents à ce mode de communication. Toutefois, ils ne démontraient pas avoir communiqué sur ce sujet avec F______ avant le 10 mai 2017, pas plus qu'ils ne prouvaient que cette fraude devait être connue de la Banque. Par ailleurs, J______ était attentif aux ordres qu'il recevait de la part de l'hoirie puisqu'il n'avait pas exécuté l'ordre falsifié du 12 mai 2017, reçu le 16 mai 2017, quand bien même la police de caractère utilisée et la mise en page étaient identiques aux instructions d'ores et déjà envoyées par B______. En conséquence, les consorts B/C/D/E______ devaient être déboutés de leur conclusion en paiement de 141'619.85 EUR, intérêts moratoires en sus.

Au surplus, F______ s'était engagée à prendre en charge les honoraires de l'avocat mis en oeuvre par les consorts B/C/D/E______ pour déposer une plainte pénale en Belgique contre les responsables (alors inconnus) de la fraude dont ils avaient été victimes, dans le but de favoriser un accord d'indemnisation avec la banque R______ SA. Au vu des pièces produites, la Banque était redevable à ce titre d'un montant de 2'680.70 EUR, intérêts moratoires en sus.

EN DROIT

1. 1.1 Interjeté dans les délai et forme prévus par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1, 145 al. 1 lit. b et 311 CPC) par une partie qui y a intérêt (art. 59 al. 2 let. a CPC), à l'encontre d'une décision finale (art. 308 al. 1 let. a CPC), dans une affaire patrimoniale dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions de première instance était supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), l'appel est recevable.

1.2 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), en appliquant la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC). Elle applique le droit d'office (art. 57 CPC), contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3).

1.3 Le litige revêt un caractère international en raison du domicile étranger des appelants. Il n'est toutefois pas contesté que les tribunaux genevois sont compétents et que le droit suisse est applicable.

2. Les parties conviennent qu'au moment des faits litigieux, elles étaient liées par un contrat de compte courant (ou contrat de dépôt) et par un contrat de giro bancaire, l'hoirie de feu A______ ayant donné mandat à la Banque d'assumer son trafic de paiement, en effectuant des versements à sa place et en recevant des virements lui étant destinés (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_301/2007 du 31 octobre 2007 consid. 2.1 et les références citées).

Les appelants reprochent au Tribunal d'avoir retenu que l'intimée n'avait pas commis de faute grave en exécutant l'instruction falsifiée du 30 avril 2017. Selon eux, cet ordre de paiement comportait plusieurs éléments qui auraient dû conduire la Banque à découvrir sa falsification, pour elle-même ou par comparaison avec l'instruction initiale envoyée par courrier électronique du 1er mai 2017.

3. Lorsque le demandeur allègue que des versements ou virements ont été exécutés par la banque en dépit du défaut de légitimation du donneur d'ordre ou à la suite de faux non décelés, le juge doit examiner qui, du client ou de la banque, doit supporter le dommage qui en résulte en procédant en trois étapes (ATF 146 III 121 consid. 2).

Tout d'abord (première étape), sur l'action principale du client en restitution de son avoir non amputé des prélèvements indus (cf. art. 107 al. 1 CO), il doit examiner si les virements ont été exécutés sur mandat ou sans mandat du client, ce qui présuppose, en cas de représentation du titulaire du compte par un tiers, de se poser la question des pouvoirs du représentant, respectivement de la ratification des


 

virements par le titulaire (cf. infra consid. 4). Ce n'est que si les ordres ont été exécutés sans mandat que le juge doit examiner (deuxième étape) si le dommage est un dommage de la banque ou si, en raison de la conclusion d'une clause de transfert de risque, le dommage est à la charge du client (cf. infra consid. 5) (ATF (146 III 121 consid. 2).

Ce n'est enfin que lorsque le dommage est subi par la banque que le juge peut encore devoir examiner (troisième étape) si la banque peut opposer, en compensation, à l'action en restitution de son client, une prétention en dommages-intérêts (art. 97 al. 1 CO) parce que celui-ci aurait fautivement contribué à causer ou à aggraver le dommage en violant ses propres obligations (par exemple, en ne contestant pas dans le délai convenu les opérations irrégulières ou infondées, respectivement en ne consultant pas son dossier de banque restante) (ATF 146 III 121 consid. 2). Lorsque les parties ont conclu une clause de transfert de risque, il n'y a pas de troisième étape : c'est dans le cadre de l'examen de la faute grave de la banque, qui est réservée (art. 100 al. 1 CO par analogie), que le juge doit examiner la faute concomitante du client comme facteur d'interruption du lien de causalité adéquate ou de réduction de l'indemnité qui lui est due (ATF 146 III 326 consid. 4.2).

4. Dans la première étape, il faut examiner si le virement a été exécuté par la banque sur mandat ou sans mandat du client.

4.1 Par l'ouverture d'un compte, la banque s'engage envers son client à lui restituer, selon les modalités prévues, tout ou partie de l'avoir disponible (ATF 132 III 449 consid. 2; 112 II 450 consid. 2).

Lorsqu'elle opère un virement depuis le compte de son client, la banque transfère son propre argent (le client disposant uniquement d'une créance à l'égard de la banque à concurrence des sommes déposées). Si elle agit en exécution d'un ordre de son client, la banque acquiert une créance en remboursement du montant débité à l'égard de ce dernier, au titre de frais relatifs à l'exécution régulière du mandat
(art. 402 CO). En revanche, lorsqu'elle vire de l'argent depuis ce compte à un tiers sans ordre (sans mandat) du client, la banque n'acquiert pas de créance en remboursement. A l'action en restitution du client, elle ne peut donc pas opposer en compensation une créance en remboursement : elle doit contre-passer l'écriture et l'art. 402 CO n'entre pas en considération (ATF 146 III 121 consid. 3.1.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_379/2016 du 15 juin 2017 consid. 3.2.2; 4A_438/2007 du 29 janvier 2008 consid. 5.1).

En effet, dans le système légal, le défaut de légitimation ou l'existence de faux non décelés font partie des risques inhérents à l'activité bancaire, au même titre que l'insolvabilité du client. Le client dispose donc, en cas de virements exécutés par la banque sans mandat de sa part, à la suite de défauts de légitimation ou de faux non décelés, d'une action en restitution de ses avoirs (sauf clause de transfert de risque), qui est une action en exécution du contrat. Cette action, qui n'est pas subordonnée à l'existence d'une faute de la banque, ne doit pas être confondue avec l'action en responsabilité pour inexécution contractuelle intentée par le client, laquelle est subordonnée à l'existence d'une faute de la banque (art. 398 al. 2 et 97 al. 1 CO qui pose une présomption de faute) (ATF 146 III 121 consid. 3.1.2 et les références).

4.2 En l'espèce, il est admis que le virement litigieux de 141'599.85 EUR a été exécuté sur la base d'une instruction écrite falsifiée, qui émanait de tiers inconnus agissant dans un but frauduleux. Il a donc été exécuté sans mandat des appelants.

5. Dans une deuxième étape, il faut examiner si le dommage occasionné par l'ordre de virement exécuté sans mandat est à la charge de la banque (système légal) ou, si, en raison de la conclusion d'une clause de transfert de risque, il est à la charge du client. Le cas échéant, le juge doit examiner la validité et les conditions de la clause de transfert de risque conclue par les parties, en particulier si la banque a commis une faute grave dans l'exécution de l'ordre de virement frauduleux.

5.1.1 Comme on l'a vu, dans le système légal, le dommage découlant du paiement exécuté sans mandat par la banque est un dommage de celle-ci, non du client (ATF 132 III 449 consid. 2). En effet, conformément aux principes généraux applicables en matière d'exécution des obligations (art. 68 ss CO), la banque subit un dommage car, ayant payé à un non-créancier, elle est tenue de payer une seconde fois le montant à son client (ATF 146 III 387 consid. 5.1 et les références). Dans ces cas, la banque n'acquiert pas de prétention en remboursement qu'elle pourrait opposer à ce dernier (art. 402 al. 1 CO; ATF 132 III 449 consid. 2 p. 452; arrêt du Tribunal fédéral 4A_379/2016 précité consid. 3.2.2).

5.1.2 Les parties peuvent toutefois modifier conventionnellement la réglementation légale. Ainsi, il est fréquent que les conditions générales des banques, auxquelles le client adhère, comportent une clause dite de transfert de risque. Généralement, cette clause prévoit que le dommage résultant de défauts de légitimation ou de faux non décelés est à la charge du client, sauf en cas de faute grave de la banque. Par l'effet de cette clause, le risque normalement supporté par la banque est ainsi reporté sur le client (ATF 146 III 326 consid. 6.1; 132 III 449 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_161/2020 du 6 juillet 2020 consid. 5.1.1; 4A_119/2018 du 7 janvier 2019 consid. 3.1; 4A_379/2016 précité consid. 3.3).

Il ne s'agit pas à proprement parler d'une clause qui aurait pour effet d'exclure ou de limiter la responsabilité contractuelle de la banque, laquelle n'est pas en cause puisqu'il ne s'agit pas là d'inexécution ou d'exécution imparfaite du contrat, mais d'une clause de transfert sur la tête du client du risque que la banque doit en principe supporter en cas d'exécution en main d'une personne non autorisée; cette clause met préventivement à la charge du client le dommage subi par la banque et institue, par conséquent, une responsabilité du premier envers la seconde, qui s'étend même aux cas fortuits (arrêt du Tribunal fédéral 4A_379/2016 précité consid. 3.3.1 et les références citées).

La validité d'une telle clause doit être examinée par application analogique des art. 100 et 101 al. 3 CO, qui régissent les conventions d'exonération de la responsabilité pour inexécution ou exécution imparfaite du contrat, et ce bien que la clause de transfert de risque ne relève pas de l'inexécution contractuelle au sens des art. 97 ss CO. Par conséquent, si un dol ou une faute grave est imputable à la banque, la clause d'exonération est nulle (art. 100 al. 1 CO). Les mêmes principes doivent s'appliquer lorsque les parties sont convenues d'une décharge pour les instructions transmises par le client par téléphone, par téléfax ou par e-mail, qui autorise la banque à exécuter les instructions lui parvenant par l'un de ces moyens de transmission, et transfère les risques en découlant sur la tête du client, y compris les cas fortuits. Est réservée la faute grave de la banque, en vertu de l'art. 100 al. 1 CO applicable par analogie (ATF 146 III 326 consid. 6.1).

5.1.3 Constitue une faute grave la violation des règles élémentaires de prudence dont le respect se serait imposé à toute personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Commet, en revanche, une négligence légère la personne qui ne fait pas preuve de toute la prudence qu'on aurait pu attendre d'elle, sans toutefois que sa faute - non excusable - puisse être considérée comme une violation des règles de prudence les plus élémentaires (ATF 146 III 326 consid. 6.2 et les références citées). La faute est légère lorsque la violation de la norme de comportement apparaît comme une inadvertance, un manque de diligence peu important (un homme raisonnable placé dans les mêmes circonstances ne l'aurait pas commise, mais il aurait pu lui arriver, une fois, de la commettre). Il n'existe pas de critère strict permettant de distinguer entre négligence grave et légère, la différence étant graduelle (THEVENOZ, CR CO I, 2ème éd., 2012, n. 15 ad art. 100 CO).

Le juge apprécie (art. 4 CC) les agissements de l'auteur négligent en se référant à la diligence que l'autre partie était en droit d'attendre, en vertu, notamment, des clauses du contrat, des usages professionnels et des règles de l'art, le cas échéant des règles internes à l'entreprise. Le fardeau de la preuve de la faute grave de la banque incombe au client (art. 8 CC) (arrêt du Tribunal fédéral 4A_161/2020 du 6 juillet 2020 consid. 5.1.2 et les références citées; THEVENOZ, op. cit., n. 15 ad art. 100 CO).

5.1.3.1 En règle générale, la banque n'est tenue de vérifier l'authenticité des ordres qui lui sont adressés que selon les modalités convenues entre les parties ou, le cas échéant, spécifiées par la loi. Elle n'a pas à prendre de mesures extraordinaires, incompatibles avec une liquidation rapide des opérations. Bien qu'elle doive compter avec l'existence de faux, elle n'a pas à les présumer systématiquement. Elle procédera cependant à des vérifications supplémentaires s'il existe des indices sérieux d'une falsification, si l'ordre ne porte pas sur une opération prévue par le contrat ni habituellement demandée ou encore si les circonstances particulières suscitent le doute (ATF 132 III 449 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_438/2007 du 29 janvier 2008 consid. 5.3).

Ainsi, la jurisprudence a notamment retenu une faute grave de la banque lorsque deux ordres, qui étaient supposés émaner de personnes différentes, présentaient les mêmes fautes d'orthographe et portaient des signatures présentant des différences par rapport aux signatures de référence déposées à la banque, lesquelles étaient décelables au premier coup d'oeil (arrêt du Tribunal fédéral 4A_438/2007 précité consid. 5.5). Au consid. 5.4 de son arrêt 4A_438/2007, le Tribunal fédéral a encore retenu ce qui suit : "Dans le système instauré par la [banque], l'examen de la signature du donneur d'ordre est la seule garantie contre un faux. Cet examen, consistant en une comparaison avec une signature de référence, est donc essentiel et doit dès lors être effectué non seulement de manière sérieuse, mais en plus par une personne ayant les connaissances nécessaires pour ce faire. En cas de différences objectivement susceptibles de susciter un doute sérieux, les contrôles doivent être poussés plus loin. Si après cela, le doute subsiste, il y a lieu de prendre contact avec le donneur d'ordre figurant sur l'ordre de paiement, fût-ce par un simple appel téléphonique. Exécuter l'ordre de paiement alors qu'un doute sérieux subsiste ou que des différences entre les signatures objectivement susceptibles de susciter un tel doute n'ont pas été constatées, sera en règle général constitutif d'une faute grave. La [banque] objecte qu'on ne saurait exiger d'elle un examen graphologique du genre de celui auquel a procédé la cour cantonale. Si elle entend par là soutenir qu'elle n'a pas à procéder à un contrôle détaillé et peut se limiter à un examen superficiel, elle ne saurait être suivie. Dès lors qu'elle entend faire supporter le dommage consécutif à l'exécution d'un ordre falsifié à son client, elle doit agir avec diligence afin de veiller aux intérêts légitimes de ce dernier, et elle ne saurait simplement se référer à de soi-disantes exigences de célérité liées au trafic des paiements pour s'y soustraire. Un examen superficiel ne serait au demeurant pas compatible avec la diligence usuelle que la [banque], dans ses conditions générales, s'est engagée à observer lors de la vérification des signatures, engagement auquel le client, non impliqué dans l'opération de contrôle et d'exécution de l'ordre, doit pouvoir se fier vu le risque financier qu'il encourt. Une comparaison sérieuse des signatures ne devrait d'ailleurs en règle générale pas prendre plus que quelques secondes; il n'y a là rien d'excessif".

La jurisprudence a également admis une faute grave de la banque en présence d'ordres frauduleux d'un gérant indépendant parce que ces ordres avaient pour conséquence de vider le compte de l'essentiel de sa substance alors que ce gérant n'avait pas le pouvoir de faire des bonifications à des tiers lorsque la contrepartie ne se retrouvait pas dans le compte du client (arrêt du Tribunal fédéral 4A_379/2016 précité consid. 5.3, résumé dans l'arrêt 4A_119/2018 du 7 janvier 2019 consid. 3.2).

5.1.3.2 Lorsque les parties sont convenues d'habiliter le client à transmettre des ordres par e-mail, la banque n'a pas non plus à prendre de mesures extraordinaires, incompatibles avec une liquidation rapide des opérations, et elle n'a pas à systématiquement présumer que l'e-mail qui lui est communiqué depuis l'adresse e-mail du client ne provient pas de celui-ci. La clause de transfert de risque met à la charge du client le dommage causé par des interventions illicites de tiers dans son système informatique ou sur son ordinateur. Il lui appartient en effet de prendre toutes les mesures de précaution nécessaires pour éviter de telles utilisations abusives. La responsabilité du client s'étend même aux cas fortuits, notion qui, en responsabilité contractuelle, englobe les événements et les comportements humains qui ne peuvent pas être imputés aux parties au contrat. Par conséquent, il ne peut y avoir de faute grave de la banque et, partant, de responsabilité de celle-ci que si l'examen auquel elle procède, nécessairement rapidement pour ce type d'opérations bancaires, fait apparaître des indices sérieux d'une usurpation d'adresse et donc d'identité. Tel serait le cas s'il devait sauter aux yeux de toute personne raisonnable que l'ordre transmis, de par son adresse, son texte, son contenu ou un lieu de virement exotique, et compte tenu de la situation du client, ne pouvait émaner de celui-ci (ATF 146 III 326 consid. 6.2.1.2 et les références citées).

Ainsi, dans le cas d'un client dont la messagerie avait été piratée par des inconnus, ce qui leur avait permis d'adresser à la banque, à l'insu de celui-ci, des e-mails provenant de son adresse e-mail ainsi que d'intercepter, de manière à ce que le client n'en ait pas connaissance, les e-mails que lui adressait la banque à cette même adresse, la jurisprudence a retenu une faute grave de la banque parce que les ordres de virement étaient rédigés dans un anglais présentant des erreurs de syntaxe, des fautes d'orthographe et un vocabulaire approximatif alors que le client était un avocat de langue anglaise, qui s'était toujours exprimé en bon anglais, avec une syntaxe correcte et une variété de termes adéquats et précis, et que ces ordres portaient sur des montants importants à destination de deux bénéficiaires dans des banques à Hong Kong et à Singapour, dont le premier entamait déjà le compte de plus d'un quart, alors que le client, dont la relation avec la banque durait depuis vingt ans, avait constamment accru ses positions dans une optique de conservation à long terme, ce qui était connu de la banque (ATF 146 III 326 consid. 6.2.1.2 et les références citées).

5.1.4 Même en cas de faute grave de la banque, le juge doit encore examiner la faute concomitante du client, comme facteur d'interruption du lien de causalité adéquate, voire de réduction de l'indemnité qui lui est due. Autrement dit, lorsqu'il examine le défaut de diligence de la banque dans la vérification de l'authenticité des ordres frauduleux, le juge doit tenir compte du comportement du client dans la survenance ou dans l'aggravation du dommage, notamment en relation avec la non-consultation par celui-ci de son dossier de banque restante et/ou avec l'absence de contestation des communications que lui adresse la banque, en violation de la clause de réclamation figurant dans les conditions générales (arrêt du Tribunal fédéral 4A_161/2020 précité consid. 5.2).

5.2.1 En l'espèce, l'art. 1 al. 3 des conditions générales - dont les parties conviennent qu'elles ont été valablement intégrées à leur relation contractuelle - stipule que, "[d]ès lors que la Banque a fait preuve de la diligence d'usage, tout dommage pouvant résulter de défauts de légitimation ou de falsifications non décelées est à la charge du client". L'art. 3 des conditions générales stipule par ailleurs que "Tout dommage lié à l'utilisation de services postaux, services de courrier, téléphone, télécopieur, courrier électronique ou tout autre moyen de transmission, en particulier par suite de retard, perte, malentendu, altération, double expédition ou fraude, est à la charge du Client, sauf en cas de faute grave de la Banque". Ce faisant, les parties sont convenues de deux clauses de transfert de risque sur la tête du client, sauf faute grave de la banque (art. 100 al. 1 CO par analogie), pour les cas de défaut de légitimation et de faux non décelés et pour les conséquences liées à l'usage frauduleux de divers moyens de communication (courrier postal, téléphone, télécopieur, courrier électronique).

Il s'ensuit que le dommage subi en cas de défauts de légitimation ou de faux non décelés est à la charge des appelants, sauf faute grave de l'intimée. Il convient donc de déterminer si une telle faute a été commise en l'espèce.

5.2.2 L'étendue du devoir de diligence de l'intimée doit s'apprécier en fonction des circonstances qui ont entouré l'exécution du virement litigieux.

Lors de l'ouverture du compte n° 8______, en février 2013, A______ et son épouse ont expressément autorisé l'intimée à accepter leurs instructions téléphoniques et/ou par télécopieur. Au cours de la relation bancaire, l'intimée a également exécuté des ordres lui ayant été communiqués par téléphone et par courriel (cf. infra). Selon l'art. 5 al. 3 des conditions générales, la Banque n'était en revanche pas tenue d'exécuter les ordres communiqués par téléphone, par téléfax ou par courrier électronique, faute d'accord particulier - exprès ou tacite - des parties sur ce point.

Les parties conviennent que suite au décès de feu A______, la Banque a exigé que certaines instructions lui soient communiquées par courrier postal. H______ et G______ ont déclaré qu'en présence d'une hoirie composée de plusieurs membres, les exigences de la Banque étaient plus importantes, en ce sens qu'elle demandait à recevoir des instructions écrites, signées par tous les héritiers et communiquées par la voie postale; une instruction communiquée par téléphone ou par courriel n'était pas jugée suffisante. S'il s'agissait de procéder à des paiements effectués dans l'intérêt de la succession, tels que des frais médicaux ou des frais funéraires, la Banque pouvait cependant être moins formelle et accepter une instruction par téléphone. L'instruction du 8 décembre 2016, qui avait pour objet le paiement d'impôts successoraux en 7'976.75 EUR, a ainsi été exécutée sur la base d'une instruction téléphonique de B______, confirmée par courriel le jour même (cf. supra EN FAIT let. C.h). Contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, la Banque a également exécuté l'instruction du 12 avril 2017 sur la base d'un courriel et d'entretiens téléphoniques avec B______, sans que cette instruction ne lui soit communiquée par courrier postal (cf. supra EN FAIT let. C.l.a ss); l'intimée a allégué qu'elle s'était montrée moins formelle dans ce cas, dans la mesure où ces paiements avaient fait l'objet de contacts répétés avec les héritiers et qu'il s'agissait de transferts internes à la Banque.

En exigeant de recevoir l'instruction du 30 avril 2017 par courrier postal, alors que cette instruction avait déjà été discutée au téléphone et confirmée par courriel du
1er mai 2017, l'intimée se devait d'en vérifier l'authenticité avec la diligence requise par les circonstances. Si l'on se réfère à ses directives, en particulier à la note d'instruction "Prérequis anti-fraude et gestion des alertes en cas de fraude supposée ou avérée", la Banque était tenue de procéder aux vérifications suivantes : (i) authentifier le donneur d'ordre, (ii) vérifier la signature, (iii) procéder à un "contrôle de la plausibilité", (iv) effectuer un "contre-appel" au client en cas de doute, (v) le gérant devant en outre marquer son accord à l'exécution de l'instruction en y apposant son visa. En l'occurrence, l'instruction falsifiée du 30 avril 2017 ne porte pas le visa du gérant du compte et J______ a affirmé devant le Tribunal qu'il n'avait pas vérifié cette instruction, ajoutant qu'il déléguait la tâche de vérifier les signatures à ses assistantes. Il ressort des pièces produites que l'instruction litigieuse a été traitée et exécutée par K______, quand bien même la vérification des signatures relève de la responsabilité du gestionnaire du compte (i.e. J______), ainsi que l'ont déclaré le témoin G______ et H______ (celle-ci a indiqué qu'à sa connaissance, l'instruction avait été vérifiée par J______). Il résulte de ce qui précède que la Banque n'a pas vérifié la légitimation des appelants en se conformant à ses règles internes en la matière.

Par ailleurs, dans la mesure où l'exigence de la Banque visait à réduire les risques de défauts de légitimation et de faux non décelés, l'on pouvait attendre d'elle qu'elle se montre particulièrement attentive avant d'exécuter l'ordre reçu par pli postal. En partant du principe qu'une instruction par téléphone et/ou par courriel ne présentait pas des garanties suffisantes quant à l'identité du donneur d'ordre, l'intimée a en effet admis, à tout le moins implicitement, qu'un certain contrôle était de mise et que l'ordre concerné ne devait pas être exécuté sans une vérification sérieuse. Enfin, si la Banque n'était pas tenue d'exécuter les instructions transmises par téléphone et/ou par courriel - ce qu'elle a accepté de faire pour d'autres instructions, tant avant qu'après le décès de A______ -, il va de soi qu'elle ne pouvait pas pour autant ignorer totalement les ordres lui parvenant par ces moyens de communication, surtout s'ils contenaient des indices sérieux de faux. Tant les règles de la bonne foi que la nature du contrat exigeaient au contraire de l'intimée qu'elle compare l'ensemble des instructions figurant à son dossier - en tant que ces instructions étaient supposées être identiques, car émanant du même donneur d'ordre et ayant trait à la même opération bancaire - afin de limiter les risques de défauts de légitimation et de faux non décelés (ce qui était précisément le but poursuivi par la Banque en exigeant de recevoir les instructions par courrier postal). Ainsi que l'ont relevé les appelants, une telle comparaison s'imposait tant pour écarter un risque de fraude que pour prévenir une simple erreur dans la seconde transmission de l'ordre par voie postale.

En l'occurrence, une comparaison - même succincte - de l'ordre transmis par courriel (le 1er mai 2017) avec celui reçu par pli postal (aux alentours du 10 mai 2017), suffisait à soulever de sérieux doutes quant à l'authenticité des ordres considérés. En effet, une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait tout de suite relevé que les références du compte bancaire de la notaire, bénéficiaire du paiement, n'étaient manifestement pas les mêmes : ainsi, l'ordre authentique, transmis par courriel, mentionnait l'IBAN n° 7______ et le code BIC M______, alors que l'ordre falsifié mentionnait l'IBAN n° 4______ et le code BIC N______. Contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, une telle différence était décelable au premier coup d'oeil, cela d'autant plus pour un employé bancaire habitué à gérer le trafic de paiement de sa clientèle. Un second élément visuel permettait également de relever la non-concordance entre les deux ordres écrits reçus par la Banque : alors que l'instruction authentique comporte une rature, au niveau du prénom "C______" (celui-ci ayant été barré, car mentionné deux fois, et remplacé par le prénom "D______"), cette rature ne figure plus sur l'instruction falsifiée. Cette divergence aurait également dû inciter le gestionnaire prudent à s'assurer que l'identité des donneurs d'ordre, l'identité de la bénéficiaire du paiement et les références bancaires du compte à créditer étaient effectivement les mêmes dans les deux ordres.

Confrontée à des différences objectives propres à susciter un doute sérieux quant à la véracité de l'ordre reçu par voie postale, l'intimée devait procéder à des vérifications supplémentaires. Il lui appartenait en particulier de contacter B______ ou l'un des autres héritiers, ceux-ci étant aisément joignables par téléphone (les directives internes de l'intimée préconisent d'ailleurs d'effectuer un contre-appel au client en cas de doute), afin de s'enquérir auprès d'eux de l'exactitude des références fournies s'agissant du compte bancaire de la notaire bénéficiaire (selon les fiches de contact de la Banque, les héritiers ont pris l'initiative de téléphoner à l'intimée le 10 mai 2017 - et non l'inverse -, sans que cette question ne soit abordée). Un simple appel téléphonique du gestionnaire aux clients aurait pourtant permis de démasquer la fraude et, partant, d'empêcher le virement dommageable. En exécutant l'ordre de paiement litigieux, alors qu'un doute sérieux subsistait quant à son authenticité, l'intimée a commis une faute grave.

Le fait que l'instruction litigieuse a été discutée au téléphone par les parties, à fin avril 2017 et le 10 mai 2017, ne change rien à cette appréciation, dès lors qu'une confirmation téléphonique n'était pas - en soi - jugée suffisante par la Banque. De même, le fait que les deux ordres étaient similaires à certains égards (caractères, tournures de phrase, syntaxe) et que les signatures y figurant ne différaient pas grossièrement entre elles, ne change rien à la gravité de la faute commise par l'intimée. Le simple fait que ces deux ordres, censés être identiques, invitaient l'intimée à transférer 141'599.85 EUR à la même bénéficiaire, mais sur deux comptes bancaires distincts, aurait dû interpeller la Banque et l'amener à mener un contrôle plus approfondi. Cette conclusion s'impose d'autant plus qu'une comparaison des deux ordres (identités du donneur d'ordre et du bénéficiaire, références du compte bancaire à créditer, signatures) n'aurait pris que quelques secondes, voire une minute, au gestionnaire du compte, étant observé que chaque ordre tient sur une page A4. Une telle précaution était de surcroît compatible avec la diligence usuelle que l'intimée, dans ses conditions générales, s'était engagée à observer en vérifiant la légitimation du donneur d'ordre, engagement auquel les appelants, non impliqués dans l'opération de contrôle et d'exécution de l'ordre, devaient pouvoir se fier vu le risque financier qu'ils encouraient. En outre, une comparaison entre les deux ordres reçus n'avait rien d'excessif et ne revenait pas à exiger de la Banque qu'elle accomplisse une mesure extraordinaire, incompatible avec une liquidation rapide des opérations.

Force est dès lors de constater que l'intimée n'a pas respecté les règles élémentaires de prudence que toute banque placée dans les mêmes circonstances aurait observées. Cette faute doit être qualifiée de grave, de sorte que le dommage résultant du virement frauduleux doit être supporté par la Banque.

Au surplus, l'intimée ne se prévaut d'aucune faute concomitante des appelants, comme facteur d'interruption du lien de causalité adéquate, voire de réduction de l'indemnité qui leur est due.

5.2.3 Il résulte des considérations qui précèdent que les appelants - qui agissent en exécution du contrat - sont fondés à réclamer la restitution des avoirs confiés à l'intimée, non amputés des prélèvements indus. Partant, ils sont en droit de lui réclamer le paiement de 141'619.50 EUR, à savoir 141'599.85 EUR plus les frais (la quotité de ces frais n'a pas été contestée par l'intimée).

Le dies a quo des intérêts moratoires de 5% sera fixé au 30 juin 2017, date à laquelle les appelants ont sommé l'intimée de leur restituer leurs avoirs (art. 102 et 104 CO).

5.2.4 Par conséquent, le chiffre 4 du dispositif du jugement attaqué sera annulé et l'intimée sera condamnée à payer aux appelants, solidairement entre eux, la somme de 141'619.50 EUR, plus intérêts à 5% l'an dès le 30 juin 2017.

6. 6.1 Lorsque la Cour statue à nouveau, elle se prononce sur les frais fixés par le Tribunal de première instance (art. 318 al. 3 CPC).

Les frais - qui comprennent les frais judiciaires et les dépens (art. 95 al. 1 CPC) - sont mis à la charge de la partie qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Lorsqu'aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, les frais sont répartis selon le sort de la cause (art. 106 al. 2 CPC).

6.2 En l'espèce, la quotité des frais judiciaires et dépens de première instance n'a pas été contestée par les parties de sorte qu'elle sera confirmée.

Compte tenu de l'issue de la procédure d'appel, les frais judiciaires de première instance en 12'340 fr. seront mis à la charge de l'intimée, qui succombe, et compensés avec les avances versées par les appelants, qui restent acquises à l'Etat de Genève. L'intimée sera ainsi condamnée à verser 12'340 fr. aux appelants, solidairement entre eux, à titre de remboursement des frais judiciaires de première instance. Les parties se verront par ailleurs rembourser le solde de leurs avances de frais, à savoir 200 fr. pour les appelants et 300 fr. pour l'intimée.

Les dépens suivront le même sort que les frais judiciaires. L'intimée sera ainsi condamnée à payer 14'890 fr., TVA et débours inclus, aux appelants, solidairement entre eux, à titre de dépens de première instance.

Les chiffres 2 et 3 du dispositif du jugement entrepris seront annulés et il sera statué dans le sens qui précède.

7. Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 10'800 fr. (art. 5, 17 et 35 RTFMC), mis à la charge de l'intimée qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l'avance fournie par les appelants, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). L'intimée sera condamnée à rembourser ce montant aux appelants, solidairement entre eux.

L'intimée sera par ailleurs condamnée à verser aux appelants, solidairement entre eux, la somme de 9'000 fr., débours et TVA compris, à titre de dépens d'appel (art. 84, 85, 87 et 90 RTFMC; art. 23 al. 1 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par l'hoirie de feu A______, soit pour elle B______, C______, D______ et E______, contre les chiffres 2, 3 et 4 du dispositif du jugement JTPI/8401/2020 rendu le 29 juin 2020 par le Tribunal de première instance dans la cause C/2738/2018.

Au fond :

Annule les chiffres 2, 3 et 4 du dispositif de ce jugement et, statuant à nouveau sur ces points :

Condamne F______ & CIE SA à payer à B______, C______, D______ et E______, solidairement entre eux, la somme de 141'619.50 EUR, plus intérêts à 5% l'an dès le 30 juin 2017.

Arrête les frais judiciaires de première instance à 12'340 fr., les met à la charge de F______ & CIE SA et les compense avec les avances versées, qui restent acquises à l'Etat de Genève à due concurrence.

Condamne F______ & CIE SA à payer 12'340 fr. à B______, C______, D______ et E______, solidairement entre eux, à titre de remboursement des frais judiciaires de première instance.

Invite les Services financiers du Pouvoir judicaire à restituer 200 fr. à B______, C______, D______ et E______, solidairement entre eux.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 300 fr. à F______ & CIE SA.

Condamne F______ & CIE SA à payer 14'890 fr. à B______, C______, D______ et E______, solidairement entre eux, à titre de dépens de première instance.

Confirme en tant que de besoin le chiffre 1 du dispositif du jugement attaqué.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.


 

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 10'800 fr., les met à la charge de F______ & CIE SA et les compense avec l'avance versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne F______ & CIE SA à verser 10'800 fr. à B______, C______, D______ et E______, solidairement entre eux, à titre de remboursement des frais judiciaires d'appel.

Condamne F______ & CIE SA à payer 9'000 fr. à B______, C______, D______ et E______, solidairement entre eux, à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Nathalie RAPP, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.