Décisions | Sommaires
ACJC/962/2025 du 10.07.2025 sur JTPI/904/2025 ( SML ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/19651/2024 ACJC/962/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU JEUDI 10 JUILLET 2025 |
Entre
A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par la 4ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 22 janvier 2025, représentée par Me Michel BOSSHARD, avocat, Eardley Avocats, rue De-Candolle 16, 1205 Genève,
et
B______ SA, sise ______ (VD), intimée, représentée par Me Jean-Noël JATON, avocat, Etude Schmidt, Jaton & Ass., avenue Général Guisan 64, case postale 7399, 1002 Lausanne (VD).
A. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. B______ SA est locataire de locaux sis chemin 1______ no. ______, à C______ (VD).
b. Par "contrat de prestation de service" conclu le 19 décembre 2018, A______ SA, société sise à Genève, a confié en sous-traitance à B______ SA des prestations de stockage et de logistique relatives au traitement des commandes de ses clients. B______ SA s'est engagée à mettre à disposition de A______ SA une surface de 250m2 au 1er étage de l'immeuble en cause. Le montant du sous-loyer a été fixé à 2'083 fr. 33 par mois, hors TVA.
c. A la suite d'un défaut de paiement du loyer, B______ SA a résilié le contrat par avis officiels du 20 septembre 2019.
d. A______ SA a contesté les congés le 21 octobre 2019.
Par décision définitive du 3 décembre 2021, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du Jura-Nord vaudois a prononcé l'évacuation de A______ SA des locaux en cause.
e. Par requête introduite en conciliation le 24 février 2020 puis portée devant le Tribunal cantonal vaudois le 20 juillet 2020, B______ SA a conclu à la condamnation de A______ SA à lui verser les sommes de 37'725 fr. 25 et 2'917 fr. 25.
f. Dans sa réponse du 14 septembre 2020, A______ SA a conclu à l'incompétence du Tribunal cantonal vaudois et à ce que la demande formée par B______ SA soit déclarée irrecevable. Elle a également formé subsidiairement une demande reconventionnelle, concluant à la condamnation de la précitée à lui verser divers montants.
g. Par jugement du 14 juillet 2022 (cause 3______), le Tribunal cantonal a notamment condamné A______ SA à verser à B______ SA les sommes de 2'601 fr. 70, 4'653 fr. 65, 401 fr. 95, 80 fr. 80 et 2'768 fr. Les frais judiciaires ont été arrêtés à 7'500 fr., mis à la charge de B______ SA à raison de 1'875 fr. et à la charge de A______ SA à raison de 5'625 fr., la précitée ayant été condamnée à rembourser à la première 1'625 fr. à titre de remboursement de frais et 4'000 fr. à titre de dépens.
h. Par arrêt du 28 mars 2024, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal, statuant sur appel formé par A______ SA, a condamné celle-ci à verser à B______ SA la
somme de 84'867 fr. 35, dont à déduire les montants suivants déjà payés : 2'601 fr. 70, 4'653 fr. 65, 401 fr. 95, 80 fr. 80 et 2'768 fr. Les frais judiciaires ont été arrêtés à 1'808 fr., mis à la charge de A______ SA. Cette dernière a été condamnée à verser à B______ SA 4'500 fr. à titre de dépens. Le chiffre V du dispositif de cet arrêt précise qu'il est exécutoire.
Par arrêt 4A_266/2024 du 12 mai 2025, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours formé par A______ contre l'arrêt de la Cour civile précité.
i. A la requête de B______ SA, l'Office cantonal des poursuites a notifié le 28 juillet 2024 à A______ SA un commandement de payer, poursuite n° 2______, pour les sommes de 74'361 fr. 25 (créances selon arrêt de la Cour d'appel civile), de 1'808 fr. (frais judiciaires) et de 4'500 fr. (dépens).
Opposition totale y a été formée.
j. Par requête reçue par le Tribunal de première instance le 26 août 2024, B______ SA a requis, sous suite de frais et dépens, le prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer précité.
k. A l'audience du Tribunal du 13 janvier 2025, A______ SA a conclu au rejet de la requête, motif pris de ce que B______ SA n'avait pas apporté la preuve du caractère exécutoire des décisions invoquées comme titre de mainlevée. Elle a exposé qu'une procédure était pendante devant le Tribunal fédéral et a allégué, sans produire de titre, qu'une nouvelle demande d'effet suspensif avait été formée.
B______ SA a contesté ce qui précède, se référant notamment à l'ordonnance rendue par le Tribunal fédéral, rejetant la requête d'effet suspensif.
La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.
l. Par jugement JTPI/904/2025 du 22 janvier 2025, le Tribunal, statuant par voie de procédure sommaire, a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 2______ (ch. 1 du dispositif), a arrêté les frais judiciaires à 500 fr., compensés avec l'avance de frais fournie, mis à la charge de A______ SA, condamnée à les rembourser à B______ SA, ainsi qu'à lui verser 2'043 fr. à titre de dépens (ch. 2 à 4).
Le Tribunal a notamment considéré que le caractère exécutoire de l'arrêt rendu le 28 mars 2024 par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal vaudois ressortait tant de l'arrêt lui-même, se déclarant exécutoire, que de l'ordonnance du Tribunal fédéral rejetant la demande d'effet suspensif formée par A______ SA. Cette dernière n'avait par ailleurs pas apporté de preuve d'un nouveau dépôt d'une requête d'effet suspensif au Tribunal fédéral. Il se justifiait dès lors de faire droit à la requête.
B. a. Le 1er février 2025, A______ SA a formé recours à la Cour de justice contre ce jugement, sollicitant son annulation et le déboutement de B______ SA de ses conclusions en mainlevée, sous suite de frais et dépens.
Elle a également préalablement requis la suspension du caractère exécutoire du jugement entrepris et la suspension de la présente procédure, jusqu'à droit jugé sur la demande d'effet suspensif par le Tribunal fédéral.
b. Par déterminations du 5 février 2025, B______ SA a conclu, sous suite de frais et dépens, au rejet de la requête d'effet suspensif et du recours, et s'est opposée à la suspension de la présente procédure.
c. Par arrêt ACJC/181/2025 du 6 février 2025, la Cour a rejeté la requête de suspension du caractère exécutoire de la décision déférée, motifs pris de l'existence d'un titre de mainlevée définitive et des faibles chances de succès du recours.
d. Par pli du 10 février 2025, A______ SA a transmis à la Cour une ordonnance rendue le 6 février 2025 par le Tribunal fédéral - dans le cadre du recours qu'elle avait formé contre l'arrêt rendu le 28 mars 2024 par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal vaudois (cause 4A_266/2024) - à teneur de laquelle la requête d'effet suspensif était admise, la précitée ayant démontré que le paiement de la somme litigieuse l'exposerait à des difficultés financières.
e. Par arrêt ACJC/292/2025 du 27 février 2025, la Cour a ordonné la suspension de la procédure dans l'attente de droit jugé par le Tribunal fédéral sur le recours pendant devant lui.
f. Par pli du 14 mai 2025, B______ SA a transmis à la Cour un tirage de l'arrêt rendu par le Tribunal fédéral le 12 mai 2025, déclarant irrecevable le recours formé par A______ SA contre l'arrêt de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal vaudois du 28 mars 2024. Elle a requis la reprise de la procédure.
g. Par arrêt ACJC/694/2025 du 27 mai 2025, la Cour a ordonné la reprise de la procédure et informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.
1. 1.1 La présente procédure de recours est régie par le CPC dans sa version révisée, entrée en vigueur le 1er janvier 2025, dès lors que le jugement attaqué a été communiqué aux parties après cette date (art. 405 al. 1 CPC).
1.2 Seule la voie du recours est ouverte en matière de mainlevée d'opposition (art. 319 let. a et 309 let. b ch. 3 CPC). La procédure sommaire s'applique (art. 251 let. a CPC).
Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée, pour les décisions prises en procédure sommaire.
En l'espèce, le recours a été interjeté dans le délai et selon la forme prescrits par la loi, de sorte qu'il est recevable.
1.3 Le recours peut être formé pour violation du droit (art. 320 al. 1 CPC) et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 al. 2 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par le recourant (Hohl/De Poret Bortolaso/Aguet, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, n. 2307).
1.4 Le recours étant instruit en procédure sommaire, la preuve des faits allégués doit être apportée par titres (art. 254 CPC; cf. infra consid. 2.1.1) et les maximes des débats et de disposition sont applicables (art. 55 al. 1, 58 al. 1 et 255 let. a a contrario CPC).
1.5 Les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables devant l'autorité de recours (art. 326 al. 1 CPC).
Une partie doit pouvoir toutefois articuler des nova en procédure de recours lorsqu'ils résultent de la décision attaquée (ATF 139 III 466 consid. 3.4; Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 7 ad art. 326 CPC). Ainsi, l'exception prévue par l'art. 99 al. 1 LTF, qui vise les faits et moyens de preuve qui ont été rendus pertinents par la décision de l'autorité précédente elle-même, s'applique dans le cadre d'un recours (ATF 139 III 466 consid. 3.4). Il s'agit par exemple d'un problème de régularité de la procédure devant l'instance précédente ou de date de la notification de la décision attaquée ou encore de faits qui sont propres à contrer une argumentation de l'autorité précédente objectivement imprévisible pour les parties avant la réception de la décision. Le recourant qui entend se prévaloir de cette exception doit démontrer en quoi les conditions en sont remplies (arrêts du Tribunal fédéral 4A_421/2016 du 13 décembre 2016 consid. 4; 5A_904/2015 du 29 septembre 2016 consid. 2.3 non publié in ATF 142 III 617).
Les faits qui sont immédiatement connus du Tribunal ("gerichtsnotorische Tatsachen"), notamment parce qu'ils ressortent d'une autre procédure entre les mêmes parties, peuvent être pris en considération même en l'absence d'allégation ou d'offre de preuve correspondante (arrêts du Tribunal fédéral 5A_610/2016 du 3 mai 2017 consid. 3.1; 5P_205/2004 du 20 août 2004 consid. 3.3 et la citation doctrinale). Il s'agit en effet de faits notoires qui n'ont pas à être prouvés et ne peuvent pas être considérés comme nouveaux, de sorte qu'ils échappent à l'interdiction de l'art. 99 al. 1 LTF (arrêts du Tribunal fédéral 5A_610/2016 précité, ibid; 4A_269/2010 du 23 août 2010 consid. 1.3, publié in SJ 2011 I 58).
La recevabilité des faits et pièces nouvellement produits peut souffrir de demeurer indécise, compte tenu de ce qui suit.
2. La recourante reproche au Tribunal d'avoir prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, motif pris de ce que la décision rendue par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal vaudois du 28 mars 2024 n'était pas définitive.
2.1.1 La procédure de mainlevée provisoire est une procédure sur pièces (Urkundenprozess), dont le but n'est pas de constater la réalité de la créance en poursuite, mais l'existence d'un titre exécutoire. La procédure de mainlevée, qu'elle soit provisoire ou définitive, est un incident de la poursuite. La décision qui accorde ou refuse la mainlevée est une pure décision d'exécution forcée dont le seul objet est de dire si la poursuite peut continuer. Le juge de la mainlevée définitive examine seulement la force probante du titre produit par le créancier, sa nature formelle, non la validité de la créance (ATF 143 III 564 consid. 4.1;
132 III 140 consid. 4.1.1 et les références).
2.1.2 En vertu de l'art. 80 al. 1 LP, le créancier qui est au bénéfice d'un jugement exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l'opposition. Sont assimilées à des jugements les décisions des autorités administratives suisses (art. 80 al. 2 ch. 2 LP).
Est exécutoire au sens de l'art. 80 al. 1 LP le prononcé qui a non seulement force exécutoire, mais également force de chose jugée – qui se détermine exclusivement au regard du droit fédéral –, c'est-à-dire qui est devenu définitif, parce qu'il ne peut plus être attaqué par une voie de recours ordinaire qui, de par la loi, a un effet suspensif (ATF 131 III 404 consid. 3; 131 III 87 consid. 3.2; Staehelin/Bauer, Commentaire bâlois de la LP, 3ème éd 2021, n. 7 ss ad art. 80 LP).
Le juge saisi d'une requête de mainlevée définitive doit notamment vérifier si la créance en poursuite et résultant du jugement produit est exigible (Abbet/ Veuillet, La mainlevée de l'opposition, 2017, n. 22 et 34 ad art. 80 LP; Stücheli, Die Rechtsöffnung, Zurich 2000, p. 198; Staehelin/Bauer, op. cit., n. 39 ad 80 LP).
2.1.3 Le juge ordonne la mainlevée définitive de l’opposition, à moins que l’opposant ne prouve par titre que la dette a été éteinte ou qu’il a obtenu un sursis, postérieurement au jugement, ou qu’il ne se prévale de la prescription (art. 81 al. 1 LP).
Dans la procédure de mainlevée définitive, les moyens de défense du débiteur sont fortement limités (art. 81 LP); un titre à la mainlevée définitive ne peut être remis en cause qu'au moyen de pièces totalement univoques (ATF 140 III 372 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_703/2019 du 27 avril 2020 consid. 4.1). Le titre de mainlevée au sens de l'art. 81 al. 1 LP créant la présomption que la dette existe, cette présomption ne peut être renversée que par la preuve stricte du contraire (ATF 136 III 624 consid. 4.2.1; 125 III 42 consid. 2b; 124 III 501 consid. 3a et les références; 115 III 97 consid. 4).
2.2 En l'espèce, l'intimée est au bénéfice d'une décision exécutoire, soit un arrêt rendu le 28 mars 2024 par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal vaudois, condamnant la recourante au paiement d'un montant déterminé à la précitée, le caractère exécutoire ressortant de l'arrêt lui-même. La voie de recours au Tribunal fédéral est extraordinaire, de sorte qu'à défaut de restitution de l'effet suspensif, la décision rendue par la dernière autorité cantonale est exécutoire. Lors de la saisine du Tribunal et lors du prononcé de son jugement, la requête d'effet suspensif que la recourante avait formée devant le Tribunal fédéral contre l'arrêt de la Cour d'appel civile avait été rejetée. Ainsi, l'intimée était au bénéficie d'un titre de mainlevée définitive exécutoire. Par ailleurs, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable, par arrêt du 12 mai 2025 (4A_266/2024), le recours formé par la recourante contre l'arrêt cantonal précité.
De plus, la recourante n'a pas prouvé par titre que la dette aurait été éteinte ou qu'elle aurait obtenu un sursis de la part de l'intimée.
2.3 Le recours, entièrement mal fondé, sera par conséquent rejeté.
3. Les frais judiciaires de recours, comprenant l'émolument de décision sur effet suspensif de même que celui de l'arrêt de reprise de la procédure (les frais ayant été arrêtés et répartis s'agissant de l'arrêt de suspension), seront arrêtés à 1'150 fr., mis à la charge de la recourante, qui succombe, et compensés à due concurrence avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève (art. 48 et 61 OELP; art. 106 al. 1 et 111 al. 1 CPC). La recourante sera dès lors condamnée à verser 200 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Elle versera en outre 1'500 fr. (art. 84, 85, 88, 90 RTFMC) à titre de dépens de recours à l'intimée.
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté le 1er février 2025 par A______ SA contre le jugement JTPI/904/2025 rendu le 22 janvier 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19651/2024-4 SML.
Au fond :
Le rejette.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires du recours à 1'150 fr., compensés à due concurrence avec l'avance de frais fournie, acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de A______ SA.
Condamne A______ SA à verser 200 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Condamne A______ SA à verser 1'500 fr. à B______ SA à titre de dépens de recours.
Siégeant :
Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.
La présidente : Pauline ERARD |
| La greffière : Marie-Pierre GROSJEAN |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.