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ACJC/902/2025 du 03.07.2025 sur OTPI/161/2025 ( SP ) , JUGE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/22728/2024 ACJC/902/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU JEUDI 3 JUILLET 2025 |
Entre
A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'une ordonnance rendue par la 13ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 4 mars 2025, représentée par Me Aude PEYROT, avocate, Walder Wyss SA, rue du Rhône 14, case postale 3770, 1211 Genève 3,
et
B______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Antoine E. BÖHLER, avocat, Kaiser Böhler, rue des Battoirs 7, case postale 284, 1211 Genève 4.
A. Par ordonnance OTPI/161/2025 du 4 mars 2025, reçue le 6 mars 2025 par A______ SA, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant sur mesures provisionnelles, a, préalablement, déclaré irrecevables les déterminations sur les allégués de A______ SA formulées sous ad 20, 24, 25, 26, 42 et 43 ainsi que les allégués 56, 57, 65, 69 à 77, 81, 82, 86 (2ème phrase), 87 (2ème phrase), 88, 89 (2ème phrase) et 91 contenus dans l'écriture du 5 décembre 2024 de B______ SA (ch. 1 du dispositif), déclaré irrecevables les pièces 39 à 58 produites par cette dernière à l'appui de son écriture du 5 décembre 2024 (ch. 2), et, cela fait, ordonné, aux frais, risques et périls de B______ SA, au Conservateur du Registre foncier de Genève de procéder, au bénéfice de la précitée, à l'inscription provisoire d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs à concurrence de 863'642 fr. avec intérêts à 5 % l'an dès le 31 décembre 2021 sur le droit distinct et permanent de superficie n° 1______ de la commune de C______, dont A______ SA est propriétaire (ch. 3), imparti à B______ SA un délai de trois mois à compter de la notification de l'ordonnance pour faire valoir son droit en justice (ch. 4), dit que l'ordonnance déploierait ses effets jusqu'à droit jugé ou accord entre les parties (ch. 5), arrêté les frais judiciaires à 1'500 fr., compensés avec l'avance fournie par B______ SA et mis à la charge de A______ SA, condamné en conséquence celle-ci à verser à celle-là 1'500 fr. à titre de frais judiciaires (ch. 6) ainsi que 6'500 fr. TTC à titre de dépens (ch. 7) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 8).
B. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 17 mars 2025, A______ SA a formé appel de cette ordonnance, concluant à l'annulation des chiffres 3 à 8 de son dispositif, sous suite de frais et dépens. Cela fait, elle a conclu, principalement, au déboutement de B______ SA de toutes ses conclusions prises dans sa requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles en inscription d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs du 2 octobre 2024, subsidiairement, à ce qu'il soit ordonné, aux frais, risques et périls de B______ SA, au Conservateur du Registre foncier de procéder, au bénéfice de cette dernière, à l'inscription provisoire d'une hypothèque légale à concurrence d'un montant limité à 44'371 fr., avec intérêts à 5 % l'an dès le 15 avril 2022, sur le droit distinct et permanent de superficie n° 1______ de la commune de C______, et à ce qu'un délai de trois mois soit imparti à B______ SA pour ouvrir son action au fond, plus subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
b. Dans sa réponse du 14 avril 2025, B______ SA a conclu au rejet de l'appel et à la confirmation de l'ordonnance querellée, sous suite de frais et dépens.
c. Dans leurs écritures spontanées des 28 avril, 7 et 21 mai 2025, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.
d. La cause a été gardée à juger le 5 juin 2025, ce dont les parties ont été informées le jour même.
C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.
a. B______ SA est une société anonyme sise à D______ (Genève) qui a pour but, notamment, toutes activités dans le domaine immobilier, soit en particulier l'étude, la planification, la promotion, le pilotage et la réalisation de constructions de toute nature, la fourniture de tous services dans ce domaine ainsi que l'acquisition, la détention, la gestion, le financement et l'aliénation de biens immobiliers.
b. A______ SA est une société anonyme sise à Genève qui est active, notamment, dans le domaine de la gestion de patrimoine, du commerce sous toutes ses formes ainsi que dans la fourniture de prestations de services.
Elle est titulaire d'un droit distinct et permanent de superficie n° 1______ de la commune de C______, valable jusqu'au 20 mars 2065, grevant le bien-fonds
n° 2______ de la même commune, sur lequel est érigé un bâtiment administratif (bureaux) sis à la rue 3______ no. ______, [code postal] Genève.
c. Le 14 janvier 2019, A______ SA, en tant que maître d'ouvrage, et B______ SA, en tant qu'entrepreneur général, ont conclu un contrat d'entreprise générale portant sur la réalisation de travaux sur le bâtiment sis rue 3______ no. ______ (ci-après : le contrat). Selon le préambule du contrat, B______ SA se voyait confier la phase 1 des travaux, à savoir la rénovation de la structure et de l'enveloppe existante du bâtiment, ainsi que des "installations CVSE" (chauffage, ventilation, sanitaires et électricité), de même que la planification de la phase 2 des travaux.
Le 23 juin 2020, les parties ont signé un avenant n° 3 au contrat, portant sur l'exécution de la phase 2 - à savoir des travaux suivants : "fin des démolitions et maçonneries, travail de la pierre dans les intérieurs, compléments d'isolation et charpente intérieure, portes extérieures principales et secondaires, réseaux verticaux et horizontaux, démontage et dépollution des boiseries anciennes sans réparation ni repose, carrelage dans le local technique, plafonds coupe-feu, cloisonnements et façon des courettes, tubages électriques + installations CVSE hors appareillages terminaux et machineries, ascenseur, préparations aux aménagements extérieurs jusqu'au fond de forme et maçonneries lourdes, réseaux sous voirie selon descriptif du 14.05.2020" -, ainsi que sur la planification de la phase 3 des travaux, dite "phase de décoration".
B______ SA s'est engagée à "réaliser l'ouvrage dans les règles de l'art, et à garantir la qualité, les délais et le prix forfaitaire, en respectant les dispositions [du] contrat" (art. 2.3 du contrat et de l'avenant n° 3). Les délais convenus pouvaient toutefois être reportés en cas de retards non imputables à l'entrepreneur général, à charge pour celui-ci d'annoncer sous 15 jours toute circonstance légitimant un tel report de délai (art. 4.5 et 4.7 du contrat; art. 4.4, 4.5 et 4.7 de l'avenant n° 3). Par avenant n° 1 du 19 juin 2019, les parties ont fixé la date d'achèvement de la phase 1 au 29 décembre 2019. Selon un planning d'exécution du 23 juin 2020, la phase 2 était censée se terminer dans le courant du mois de février 2021.
Les parties sont convenues d'un prix forfaitaire de 3'500'250 fr. TTC pour les travaux de la phase 1 (art. 5.1 du contrat) et d'un prix forfaitaire de 2'766'597 fr. 60 TTC pour les travaux de la phase 2 (art. 5.1 de l'avenant n° 3). Les prix ainsi fixés devaient couvrir les prestations énumérées à l'art. 6.1 du contrat et de l'avenant n° 3, soit notamment "toutes les prestations et fournitures de l'Entrepreneur Général et ses sous-traitants et fournisseurs nécessaires à l'exécution de l'ouvrage et aux plans contractuels […] dans la limite du descriptif [des travaux]" (art. 6.1.1 du contrat et de l'avenant n° 3), à l'exception des frais énumérés à l'art. 6.2, devant être payés séparément par A______ SA, soit notamment "les plus-values suite aux modifications nécessaires ou exigées par le Maître de l'Ouvrage et aux retards sur le programme de construction non imputables à l'Entrepreneur Général"
(art. 6.2.2 du contrat et de l'avenant n° 3).
Il était stipulé que tous les travaux supplémentaires que B______ SA était amenée à effectuer en dehors des prestations comprises dans le prix forfaitaire décrit à
l'art. 6.1 devaient être soumis à l'approbation de A______ SA, puis entérinés dans un avenant (art. 5.11.5 et 7.6 du contrat; art. 5.9.5 et 7.6 de l'avenant n° 3). A cet égard, B______ SA s'engageait à remettre à A______ SA un devis relatif aux travaux supplémentaires, dans un délai de 10 jours ouvrables dès l'obtention des informations utiles. A______ SA s'engageait à le valider au plus tard dans un délai de 10 jours ouvrables après réception du devis. En cas de non-respect du délai précité par le maître d'ouvrage, celui-ci était réputé avoir renoncé à la modification (art. 7.7 du contrat et de l'avenant n° 3).
d. Par avenant n° 2 du 4 juin 2020, les parties sont convenues d'abaisser le prix forfaitaire des travaux de la phase 1 à 3'236'012 fr. 50 TTC, étant précisé que A______ SA s'était déjà acquittée de 3'237'750 fr. 45 TTC.
e. Par courrier du 5 juin 2024, A______ SA a résilié le contrat ainsi que les avenants y relatifs. Elle a reproché à B______ SA divers manquements et dysfonctionnements dans l'exécution des travaux, tout en soulignant le "retard trop important" accumulé au cours du chantier.
Par pli du 14 juin 2024, B______ SA a contesté l'ensemble des reproches formulés et précisé qu'elle considérait cette résiliation comme injustifiée.
f. Le 12 septembre 2024, B______ SA a transmis à A______ SA une facture finale faisant état d'un "solde ouvert" de 3'032'359 fr. 60 TTC. Selon un décompte final établi le même jour par B______ SA, ce "solde ouvert" tenait compte d'un poste "travaux non réalisés" en 201'896 fr. 50 HT, d'un poste "manque à gagner suppression de la phase décoration du contrat" en 1'917'120 fr. HT, ainsi que des acomptes payés par A______ SA à hauteur de 6'831'734 fr. 35 TTC.
Par pli du 20 septembre 2024, A______ SA a confirmé la résiliation du contrat annoncée dans son courrier du 5 juin 2024 et contesté cette facture finale.
g.a Par requête formée le 2 octobre 2024, B______ SA a conclu, sur mesures superprovisionnelles, à ce que le Tribunal ordonne à son profit l'inscription provisoire d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs à concurrence de 863'642 fr. avec intérêts à 5 % l'an dès le 31 décembre 2021, sur le droit distinct et permanent de superficie n° 1______ de la commune de C______, propriété de A______ SA, et dise que cette inscription déploierait ses effets jusqu'à droit connu sur mesures provisionnelles. Sur mesures provisionnelles, B______ SA a conclu notamment à ce que le Tribunal ordonne l'inscription requise et lui impartisse un délai de trois mois pour ouvrir action devant le juge du fond.
Aux allégués 11 et 17 à 21 de sa requête, B______ SA a exposé que le coût total de l'ouvrage convenu par les parties s'élevait à 7'315'106 fr. 40 TTC, soit : (i) 3'500'250 fr. TTC pour la phase 1 des travaux; (ii) 2'766'597 fr. 60 TTC pour la phase 2 des travaux; (iii) 2'491 fr. 80 TTC pour des travaux de "nettoyage et pose de lions"; elle a produit à cet égard une facture non signée du 22 juin 2020 (pièce 9); (iv) 159'396 fr. TTC pour des travaux d'"installation d'une cave à vin et renforcement du plancher" effectués au cours de la phase 2; elle a produit à cet égard un avenant n° 3-1 du 25 janvier 2021, établi par ses soins, qui n'a pas été signé par A______ SA (pièce 12); (iv) 886'371 fr. TTC pour des travaux relatif à la phase 2; elle a produit à cet égard une "offre pour entreprise générale" non signée du 6 octobre 2021 (pièce 13). Il ressort par ailleurs de la requête que le montant de 863'642 fr. comporte les trois postes suivants : 324'390 fr. TTC (cf. infra let. g.b), 494'881 fr. TTC (cf. infra let. g.c) et 44'371 fr. TTC (cf. infra let. g.d),
g.b Aux allégués 23 et 30 de sa requête, B______ SA a exposé avoir effectué des travaux supplémentaires d'un coût total de 324'390 fr. TTC. Il s'agissait de
"plus-values" au sens de l'art. 6.2.2 du contrat, qui n'étaient pas comprises dans le prix forfaitaire de l'ouvrage et devaient être payées séparément. Elle a produit à cet égard un lot de factures émises par plusieurs sous-traitants entre février 2021 et juillet 2024 (pièces 15 à 27). Aux allégués 24 à 30 de sa requête, elle a décrit les travaux concernés comme suit :
- prise d'empreinte fabrication et pose de corniches en staff (sous-traitant : E______ SARL);
- installation spécifique du chantier (F______ SA);
- contrôle de l'installation électrique du chantier (G______);
- travaux complémentaires de charpente et travaux de menuiserie (H______);
- création de porte de chantier pendant les travaux (I______ SA);
- mise en place d'une résine d'étanchéité sur un mur dans la chaufferie (J______ SA);
- travaux d'obturation coupe-feu (K______ SA);
- travaux d'installation de système de sécurité (L______ SA);
- démontage gaine pulsion et remplacement tuyauterie (M______ SARL);
- installation de sanitaire (N______ SA);
- travaux de nettoyage et désinfection spécifiques du chantier (O______ SARL);
- travaux de la phase 3 dite "décoration" (P______ LTD);
- travaux de plâtrerie (Q______ SA et R______ SARL).
g.c Aux allégués 31 à 33 de sa requête, B______ SA a exposé qu'elle avait "dû faire intervenir plusieurs responsables et chefs de projet pour la réalisation et l'exécution des travaux. Ainsi, entre juillet 2022 et septembre 2024, les responsables suivants [étaient] intervenus sur le chantier afin de réaliser différents travaux : a. […] en qualité de responsable réalisation; b. […] en qualité de responsable réalisation; c. […] en qualité de chef de projet; d. […] en qualité de chef de projet adjoint; e. […] en qualité de chef de projet et; f. […] en qualité de conducteur de travaux". Cela avait généré des coûts complémentaires de 494'881 fr. TTC.
A l'appui de ces allégués, elle a produit son décompte final du 12 septembre 2024 (pièce 14), ainsi qu'un tableau, établi par ses soins, intitulé "plan de charge projet [rue] 3______" (pièce 33).
g.d Aux allégués 37 et 38 de sa requête, B______ SA a exposé que A______ SA ne lui avait pas réglé les "travaux de plâtrerie tels que convenus dans l'avenant du 6 octobre 2021 pour un montant de 44'371 fr. TTC, selon la demande d'acompte du 15 avril 2022, soit la facture n° 119'022".
A l'appui de ces allégués, elle a produit son décompte final (pièce 14) et sa facture finale du 12 septembre 2024 (pièce 36), ainsi qu'une facture n° 119'022 pour un montant de 44'371 fr. TTC, payable d'ici le 20 mai 2022, à titre d'"acompte n° 4 correspondant à l'Avenant 2 / Phase 2 – Travaux Boîte Blanche" (pièce 37). L'avenant du 6 octobre 2021 mentionné à l'allégué 37 ne figure pas au dossier.
h. Par ordonnance du 3 octobre 2024, le Tribunal, statuant sur mesures superprovisionnelles, a ordonné l'inscription requise et dit que l'ordonnance déploierait ses effets jusqu'à l'exécution de la nouvelle décision qui serait rendue après réception des déterminations de A______ SA.
Le même jour, l'hypothèque légale a été inscrite provisoirement au Registre foncier.
i. Dans sa réponse du 18 novembre 2024, A______ SA a conclu à ce que le Tribunal déboute B______ SA de toutes ses conclusions.
Elle a fait valoir, en substance, que le prix de l'ouvrage avait été fixé forfaitairement, de sorte que B______ SA était seule en charge de l'exécution des travaux convenus et de l'enrôlement des éventuels sous-traitants utiles à l'exécution de l'ouvrage, sans que les coûts réels ne soient partagés entre les parties. Tous les travaux supplémentaires, à effectuer en sus des prestations comprises dans le prix forfaitaire de l'ouvrage, devaient être soumis à son approbation (et/ou commandés par ses soins), puis entérinés dans un avenant. Un devis relatif aux travaux supplémentaires devait en outre lui être remis dans un délai de 10 jours dès l'obtention des informations utiles. Or, en l'occurrence, B______ SA ne lui avait jamais transmis de communication relative à des coûts et/ou travaux complémentaires dépassant le prix forfaitaire de l'ouvrage. Par ailleurs, certains travaux de la phase 2 n'avaient pas été réalisés en raison de la résiliation anticipée du contrat et de ses avenants.
j. Dans leurs écritures spontanées des 5, 12 et 19 décembre 2024, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.
Le Tribunal a ensuite gardé la cause à juger.
1. 1.1 L'appel est recevable pour avoir été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), dans le délai utile de dix jours (art. 248 let. d et 314
al. 1 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC) à l'encontre d'une décision sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC), qui statue sur des conclusions pécuniaires dont la valeur litigieuse est, vu le montant de l'hypothèque légale requise, supérieure à 10'000 fr. (art. 91 al. 1 et 308 al. 2 CPC).
1.2 La présente procédure d'appel est régie par le CPC dans sa version révisée, entrée en vigueur le 1er janvier 2025, dès lors que l'ordonnance attaquée a été communiquée aux parties après cette date (art. 405 al. 1 CPC).
En revanche, la procédure de première instance, qui a débuté avant le
1er janvier 2025, reste régie par l'ancien droit de procédure (art. 404 al. 1 CPC).
1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec
l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).
La requête en inscription provisoire d'une hypothèque légale est une mesure provisionnelle (art. 261 ss CPC) à laquelle la procédure sommaire s'applique
(art. 248 ss, 249 let. d ch. 5, 11 CPC; ATF 137 III 563 consid. 3.3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_203/2023 du 30 août 2023 consid. 2.1). Le juge peut dès lors s'en tenir à la vraisemblance des faits allégués et à un examen sommaire du droit
(ATF 139 III 86 consid. 4.2; 131 III 473 consid. 2.3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_203/2023 précité consid. 3.2; 5A_916/2019 du 12 mars 2020 consid. 3.4). Un fait est rendu vraisemblable si le juge, en se basant sur des éléments objectifs, a l'impression que le fait invoqué s'est produit, sans pour autant devoir exclure la possibilité qu'il ait pu se dérouler autrement (ATF 140 III 610 consid. 4.1;
132 III 715 consid. 3.1).
1.4 Le procès est soumis à la maxime des débats (art. 55 cum 255 CPC a contrario) et au principe de disposition (art. 58 al. 1 CPC).
2. Dans l'ordonnance entreprise, le Tribunal a retenu que les parties s'opposaient sur les travaux supplémentaires, les coûts complémentaires et les travaux de plâtrerie réclamés par l'intimée et, plus généralement, sur le système de rémunération dont elles étaient convenues dans le cadre de leur relation contractuelle. De telles questions appelaient cependant des investigations supplémentaires qu'il n'appartenait pas au Tribunal de mener au stade de l'inscription provisoire de l'hypothèque légale. Au vu des pièces versées à la procédure, la créance alléguée par l'intimée n'apparaissait ni exclue, ni hautement invraisemblable, de sorte qu'il convenait de faire droit à la requête sur mesures provisionnelles. Le Tribunal a par ailleurs déclaré irrecevables les nova invoqués par l'intimée dans son écriture spontanée du 5 décembre 2024, ce qui n'est pas remis en cause devant la Cour.
L'appelante fait grief au premier juge de n'avoir pas correctement appliqué les principes en matière de preuve. Selon elle, l'abaissement du degré de la preuve à la simple vraisemblance ne dispensait pas le Tribunal de vérifier si l'intimée avait satisfait à son devoir de motiver et de matérialiser ses prétentions par l'apport de preuves adéquates. Or, en l'occurrence, l'intimée n'avait nullement rendu vraisemblable les trois postes de créances dont elle entendait tirer un droit à l'inscription d'une hypothèque légale. En particulier, elle n'avait pas motivé ces postes à satisfaction de droit, sous l'angle du fardeau de l'allégation et de la preuve, même au stade de la simple vraisemblance.
2.1
2.1.1 Le contrat d'entreprise est un contrat par lequel une des parties (l'entrepreneur) s'oblige à exécuter un ouvrage moyennant un prix que l'autre partie (le maître d'ouvrage) s'engage à lui payer (art. 363 CO).
Selon l'art. 373 CO, lorsque le prix a été fixé à forfait, l'entrepreneur est tenu d'exécuter l'ouvrage pour la somme fixée, et il ne peut réclamer aucune augmentation, même si l'ouvrage a exigé plus de travail ou de dépenses que ce qui avait été prévu (al. 1). A l'inverse, le maître est tenu de payer le prix intégral, même si l'ouvrage a exigé moins de travail que ce qui avait été prévu (al. 3). Le prix ferme fixe ainsi une limite tant minimale que maximale à la rémunération de l'entrepreneur (arrêt du Tribunal fédéral 4A_458/2016 du 29 mars 2017 consid. 6.1 et les références citées). Il sera dû indépendamment des coûts effectifs de réalisation de l'ouvrage, des quantités effectivement fournies et des dépenses engagées (arrêt du Tribunal fédéral 4C.90/2005 du 22 juin 2005 consid. 3.2).
Le caractère ferme du prix forfaitaire n'est cependant pas absolu. L'art. 373 al. 2 CO prévoit une première exception lorsque l'exécution de l'ouvrage est empêchée ou rendue difficile à l'excès par des circonstances extraordinaires, impossibles à prévoir, ou exclues par les prévisions des parties. Une seconde exception est réalisée quand intervient une modification de commande par rapport à l'objet du contrat initialement convenu; le prix ferme arrêté par les parties n'est, en effet, déterminant que pour l'ouvrage alors projeté, sans modifications qualitatives ou quantitatives (ATF 116 II 315 consid. 3; arrêts du Tribunal fédéral 4D_63/2013 du 18 février 2014 consid. 2.2; 4C.23/2004 du 14 décembre 2004 consid. 4.1).
S'il entend obtenir une rémunération supplémentaire, l'entrepreneur doit démontrer l'existence de circonstances extraordinaires justifiant de s'écarter du prix forfaitaire convenu (tremblement de terre, phénomènes géologiques non connus des parties, augmentation très importante des salaires ou des matériaux, etc.). L'entrepreneur a le devoir d'informer le maître dès que survient un fait nouveau susceptible d'entraîner une disproportion excessive entre ses propres prestations et le prix convenu; il doit tout faire pour connaître rapidement la nature, l'ampleur et les conséquences du fait nouveau sur l'exécution de l'ouvrage. Il s'agit d'une incombance découlant de l'art. 365 al. 3 CO dont la violation entraîne la péremption du droit de l'entrepreneur de demander la correction du contrat (CHAIX, Commentaire romand, Code des obligations I, 2021, n. 19, 26 et 37 ad art. 373 CO). L'entrepreneur supporte également le fardeau de la preuve d'une modification de la commande et des frais supplémentaires en résultant. Il en va de même lorsqu'il prétend que les prestations qu'il a exécutées n'étaient pas comprises dans le forfait (CHAIX, op. cit., n. 36 et 37 et les références citées).
L'entrepreneur est déchu de son droit à l'augmentation du prix s'il exécute l'ouvrage et s'écarte consciemment de l'offre sans résilier le contrat ou sans exiger immédiatement l'adaptation des bases de calcul et du prix (ATF 116 II 315 consid. 3).
2.1.2 Les artisans et entrepreneurs employés à la construction ou à la destruction de bâtiments ou autres ouvrages, au montage d'échafaudages, à la sécurisation d'une excavation ou à d'autres travaux semblables, peuvent requérir l'inscription d'une hypothèque légale sur l'immeuble pour lequel ils ont fourni des matériaux et du travail ou du travail seulement, en garantie de leurs créances, que leur débiteur soit le propriétaire foncier, un artisan ou un entrepreneur, un locataire, un fermier ou une autre personne ayant un droit sur l'immeuble (art. 837 al. 1 ch. 3 CC).
L'inscription peut être requise dès le moment de la conclusion du contrat
(art. 839 al. 1 CC) et doit être obtenue, à savoir opérée au registre foncier, au plus tard dans les quatre mois qui suivent l'achèvement des travaux (art. 839 al. 2 CC). Il s'agit d'un délai de péremption qui ne peut être ni suspendu ni interrompu, mais peut être sauvegardé par l'annotation d'une inscription provisoire (ATF 126 III 462 consid. 2c/aa; arrêt du Tribunal fédéral 5A_518/2020 du 22 octobre 2020
consid. 3.1).
2.1.3 L'hypothèque légale des artisans et entrepreneurs ne peut être inscrite que si le montant du gage est rendu vraisemblable par la reconnaissance du propriétaire ou par la décision du juge (art. 839 al. 3 et 961 al. 3 CC).
Selon l'art. 961 al. 3 CC, le juge statue sur la requête et autorise l'inscription provisoire si le droit allégué lui paraît exister. Il statue sur la base de la simple vraisemblance, sans qu'il faille se montrer trop exigeant quant à l'existence du droit allégué. Selon la jurisprudence, vu la brièveté et l'effet péremptoire du délai de
l'art. 839 al. 2 CC, l'inscription provisoire d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs ne peut être refusée que si l'existence du droit à l'inscription définitive du gage immobilier paraît exclue ou hautement invraisemblable. En présence d'une situation de fait ou de droit mal élucidée méritant un examen plus ample que celui auquel il peut être procédé dans le cadre d'une instruction sommaire, il convient bien plutôt de laisser au juge de l'action au fond le soin de décider si le droit à l'hypothèque doit en définitive être admis. Il en résulte qu'à moins que le droit à la constitution de l'hypothèque n'existe clairement pas, le juge qui en est requis doit ordonner l'inscription provisoire (ATF 102 Ia 81 consid. 2b/bb; arrêts du Tribunal fédéral 5A_203/2023 du 30 août 2023 consid. 4.1.2, 5A_658/2023 du
17 janvier 2024 consid. 4.1 et les arrêts cités).
Ainsi, pour obtenir l'inscription provisoire de l'hypothèque légale des artisans et entrepreneurs, il suffit au requérant de rendre plausibles sa qualité d'artisan ou d'entrepreneur, la fourniture de travail ou de matériaux, l'existence et le montant de la créance à garantir, ainsi que le respect du délai légal de quatre mois (BOVEY, Commentaire romand, Code civil II, 2016, n. 108 ad art. 839 CC).
2.1.4 Selon la jurisprudence, lorsque les travaux ont déjà été exécutés - et que d'autres travaux ne sont pas prévus, notamment en raison d'une résiliation anticipée du contrat - l'hypothèque légale ne peut porter que sur le travail effectivement réalisé, respectivement sur la valeur de celui-ci convenue contractuellement. Pour pouvoir arrêter cette valeur, il convient, préalablement, de déterminer précisément le travail et les matériaux fournis. Il incombe dès lors à l'entrepreneur de décrire de manière détaillée les prestations concrètement fournies et qu'il en apporte la preuve, soit qu'il démontre avoir exécuté ses obligations (ATF 126 III 467 consid. 4d). Les prestations concrètes, en travail et en matériaux, et leur prix doivent être détaillés, le cas échéant pour chaque bien-fonds. Des prix globaux ou forfaitaires ne dispensent pas l'entrepreneur de cette obligation souvent conséquente (arrêts du Tribunal fédéral 5A_113/2024 du 16 juillet 2024 consid. 3.1; 5A_924/2014
du 7 mai 2015 consid. 4.1.3.1).
Chiffrer le montant du gage peut néanmoins se révéler particulièrement ardu au stade de l'inscription provisoire, l'entrepreneur ne disposant que d'un délai de quatre mois pour obtenir l'inscription provisoire et le montant ainsi inscrit ne pouvant être augmenté par la suite. Une marge de sécurité de 10 à 20% est ainsi généralement préconisée (arrêt du Tribunal fédéral 5A_924/2014 du 7 mai 2015 consid. 4.1.4 et la nombreuse doctrine citée).
2.1.5 Dans le cadre de la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC), il incombe aux parties, et non au juge, de rassembler les faits du procès. Les parties doivent alléguer les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions (fardeau de l'allégation subjectif), produire les moyens de preuve qui s'y rapportent (fardeau de l'administration des preuves) et contester les faits allégués par la partie adverse (fardeau de la contestation), le juge ne devant administrer les moyens de preuve que sur les faits pertinents et contestés (art. 150 al. 1 CPC) (ATF 149 III 105
consid. 5.1; 144 III 519 consid. 5.1).
Doivent être allégués les faits pertinents, c'est-à-dire les éléments de fait concrets correspondant aux faits constitutifs de l'état de fait de la règle de droit matériel (c'est-à-dire les "conditions" du droit) applicable dans le cas particulier (arrêt du Tribunal fédéral 4A_31/2023 du 11 janvier 2024 consid. 4.1.2). La charge de l'allégation est satisfaite lorsque les faits (allégués), à supposer qu'ils soient vrais, permettent de conclure à la conséquence juridique demandée. Cette exigence s'applique indépendamment du type de procédure - ordinaire, simplifiée ou sommaire - applicable (arrêt du Tribunal fédéral 5A_822/2022 du 14 mars 2023 consid. 4.3 et les arrêts cités). Les faits allégués doivent par ailleurs être suffisamment motivés (charge de la motivation) pour que la partie adverse puisse se déterminer sur eux et que le juge puisse savoir quels sont les faits admis, respectivement les faits contestés sur lesquels des moyens de preuve devront être administrés (ATF 144 III 519 consid. 5.2.1).
Le demandeur supporte le fardeau de l'allégation objectif et le fardeau de la preuve (art. 8 CC), en ce sens qu'il supporte les conséquences de l'absence d'allégation d'un fait, respectivement celles de l'absence de preuve de celui-ci (ATF 143 III 1
consid. 4.1). Si un fait pertinent n'a pas été allégué par lui ou par sa partie adverse, il ne fait pas partie du cadre du procès et le juge ne peut pas en tenir compte, ni ordonner l'administration de moyens de preuve pour l'établir (ATF 147 III 463 consid. 4.2.3; 143 III 1 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_560/2020
du 27 septembre 2021 consid. 5.1.2 et les références citées).
2.1.6 Les exigences relatives à la vraisemblance au sens de l'art. 961 al. 3 CC ne doivent pas être assimilées aux exigences relatives à l'allégation des faits pertinents et à leur motivation. Si, en procédure sommaire, les faits allégués ne doivent pas être strictement prouvés, mais seulement rendus vraisemblables, cela ne signifie nullement qu'aucune administration des preuves ne doit avoir lieu (cf. art. 254 CPC) ni que l'exigence d'une présentation suffisamment détaillée des faits - en tant que condition de l'administration des preuves - serait supprimée. Le degré de preuve requis est une exigence qui s'adresse avant tout au juge. Il s'agit du critère selon lequel le juge apprécie si un fait contesté et pertinent doit être tenu pour avéré au vu des moyens de preuve offerts. Même s'il se contente de la simple vraisemblance (en vertu de l'art. 961 al. 3 CC), le juge doit d'abord être en mesure de se faire une idée précise des faits sur lesquels il doit administrer des preuves. C'est aux parties qu'il incombe, conformément à la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC), de permettre au juge d'identifier les faits à prouver. Si une partie n'allègue pas un fait avec la motivation suffisante, le juge n'a pas à en tenir compte ni à administrer de preuves pour l'établir (arrêt du Tribunal fédéral 5A_822/2022 du 14 mars 2023 consid. 4.5).
Dans un arrêt du 17 juin 2021, le Tribunal fédéral a retenu que la cour cantonale n'avait pas fait preuve de formalisme excessif en refusant l'inscription provisoire d'une hypothèque légale, au motif que l'entrepreneur - à qui il incombait d'alléguer, d'étayer et de prouver qu'il avait effectué des travaux donnant droit à l'inscription de l'hypothèque requise, ainsi que de prouver l'existence et le montant de la créance (en paiement du prix de l'ouvrage) correspondante - n'avait pas exposé de manière suffisamment concrète le contenu du contrat d'entreprise prétendument convenu et l'objet de l'ouvrage à réaliser, respectivement quels travaux devaient être exécutés conformément au contrat, de sorte qu'il n'était pas possible d'évaluer d'emblée l'existence ou le montant d'une créance en paiement correspondante ni le respect du délai de quatre mois prévu à l'art. 839 al. 2 CC. L'entrepreneur s'était en effet limité à produire un contrat d'entreprise mentionnant globalement des "travaux d'entrepreneur", sans autre précision, et renvoyant à une description des prestations, une offre, des plans et d'autres annexes qui n'avaient pas été joints à la requête. Une description compréhensible, dans les grandes lignes, de l'ouvrage ou des travaux prétendument convenus ne résultait pas non plus des pièces annexées à la requête et, de surcroît, l'entrepreneur n'avait pas allégué à quel moment il avait effectué les travaux couverts par le contrat (arrêt du Tribunal fédéral 5A_280/2021 consid. 3.2).
2.2
2.2.1 En l'espèce, il ressort des pièces produites et des explications des parties que l'appelante, maître de l'ouvrage, a confié à l'intimée, entrepreneur général, des travaux de rénovation de la structure et de l'enveloppe existante du bâtiment sis rue 3______ no. ______, ainsi que des installations de chauffage, ventilation, sanitaires et électricité (phase 1), pour un prix forfaitaire initialement fixé à 3'500'250 fr. TTC, puis réduit, d'entente entre les parties, à 3'236'012 fr. 50 TTC. L'appelante a ensuite confié à l'intimée des travaux d'aménagements intérieurs du bâtiment (phase 2), pour un prix forfaitaire fixé à 2'766'597 fr. 60 TTC. L'appelante ayant résilié le contrat et ses avenants le 5 juin 2024, au cours de la phase 2 du chantier, les travaux de la phase 3, dite "de décoration", n'ont pas été confiés à l'intimée.
Selon la convention des parties, les prix forfaitaires ainsi convenus couvraient les prestations énumérées à l'art. 6.1 du contrat et de l'avenant n° 3, soit notamment "toutes les prestations et fournitures de l'Entrepreneur Général et ses sous-traitants et fournisseurs nécessaires à l'exécution de l'ouvrage" (art. 6.1.1 du contrat et de l'avenant n° 3), à l'exception des frais énumérés à l'art. 6.2, devant être payés séparément par l'appelante, soit notamment "les plus-values suite aux modifications nécessaires ou exigées par le Maître de l'Ouvrage et aux retards sur le programme de construction non imputables à l'Entrepreneur Général" (art. 6.2.2 du contrat et de l'avenant n° 3). Il était en outre stipulé que les travaux supplémentaires que l'intimée était amenée à effectuer en dehors des prestations comprises dans les prix forfaitaires décrits à l'art. 6.1 devaient être soumis à l'approbation de l'appelante, puis entérinés dans un avenant (art. 5.11.5 et 7.6 du contrat; art. 5.9.5 et 7.6 de l'avenant n° 3). L'intimée s'engageait à remettre à l'appelante un devis relatif aux travaux supplémentaires, dans un délai de 10 jours ouvrables dès l'obtention des informations utiles. L'appelante s'engageait ensuite à valider le devis dans les
10 jours ouvrables, faute de quoi elle était réputée avoir renoncé à la modification (art. 7.7 du contrat et de l'avenant n° 3).
Il résulte de ce qui précède que le prix de l'ouvrage convenu pour les phases 1 et 2 a été fixé à 6'002'610 fr. 15 TTC (3'236'012 fr. 50 + 2'766'597 fr. 60), montant dont l'appelante s'est déjà acquittée, puisqu'à teneur du décompte final établi par l'intimée, les acomptes payés par le maître d'ouvrage se montent à 6'831'734 fr. 35. Or, il appert que le différentiel de 830'862 fr. 35 TTC (6'831'734 fr. 35 -
6'002'610 fr. 15) couvre d'ores et déjà l'essentiel du coût des travaux supplémentaires dont l'intimée se prévaut pour obtenir l'inscription d'une hypothèque légale, étant relevé qu'il n'est nullement rendu vraisemblable que les parties se seraient mises d'accord pour augmenter le prix forfaitaire prévu par le contrat et l'avenant n° 3. A l'appui des allégués 11 et 17 à 21 de sa requête, l'intimée s'est en effet contentée de produire des documents confectionnés par elle-même
(i.e. une facture, une "offre pour entreprise générale" et un avenant), dont rien n'indique que l'appelante les aurait approuvés, étant encore relevé que l'intimée n'explicite pas le(s) motif(s) pour le(s)quel(s) les travaux concernés ne seraient pas déjà couverts dans le prix forfaitaire global de 6'002'610 fr. 15 TTC.
En tout état, comme il sera vu ci-après, l'intimée n'a pas suffisamment allégué ni rendu vraisemblable les créances fondant sa prétention à l'inscription provisoire d'une hypothèque légale.
2.2.2 S'agissant des "travaux supplémentaires" pour un montant total de
324'390 fr. TTC, l'intimée soutient qu'il s'agirait de "plus-values" au sens de
l'art. 6.2.2 du contrat, qui ne seraient pas comprises dans le prix forfaitaire de l'ouvrage et devraient être payées séparément. Elle a produit à cet égard un lot de factures émises par plusieurs sous-traitants.
Or, comme l'appelante le relève à juste titre, l'intimée n'a produit aucun document propre à rendre vraisemblable le coût, la nécessité et la réalisation des travaux dont elle entend déduire son droit à une rémunération supplémentaire. En particulier, elle n'a pas produit de courrier informant l'appelante d'un dépassement du coût projeté de l'ouvrage ou d'un éventuel retard pris sur le planning du chantier, ni de devis ou d'avenant contresignés par l'appelante portant sur une modification de commande. Il ressort pourtant du texte clair du contrat et de l'avenant n° 3 que tous les travaux supplémentaires (i.e. les travaux non couverts par le prix forfaitaire de l'ouvrage fixé à l'art. 6.1), devaient être formalisés dans un avenant, cela après qu'un devis ait été remis à l'appelante, puis formellement validé par cette dernière. De surcroît, l'art. 6.1 du contrat et de l'avenant n° 3 stipule expressément que les prestations et fournitures des sous-traitants sont déjà incluses dans le prix forfaitaire convenu. A cet égard, l'intimée n'établit aucunement que les travaux dont elle se prévaut seraient des "plus-values" nécessaires à l'exécution de l'ouvrage, respectivement dues à des retards sur le programme de construction, qui dépasseraient le prix forfaitaire convenu. Au contraire, il ressort du descriptif des travaux (au demeurant fort vague et peu détaillé) figurant aux allégués 24 à 30 de la requête que les prestations effectuées par les sous-traitants (i.e. pose de corniches en staff, contrôle de l'installation électrique du chantier, travaux de menuiserie, travaux de plâtrerie, création d'une porte de chantier, installation sanitaire, travaux d'obturation coupe-feu, etc.) n'ont rien d'exceptionnel et rentrent dans la description des travaux de la phase 2 tels que mentionnés dans l'avenant n° 3. Quant aux factures de P______ LTD, elles se rapportent à la phase 3 des travaux, dont la réalisation n'a pas été confiée à l'intimée, étant encore relevé que ces factures, non signées, ne précisent même pas la nature des travaux dont il est question ni leur date d'exécution.
Il suit de là que l'existence et la nécessité de travaux supplémentaires excédant le prix forfaitaire de l'ouvrage convenu n'ont pas été établies à satisfaction de droit, même sous l'angle d'une vraisemblance atténuée.
2.2.3 S'agissant des "coûts complémentaires" d'un montant de 494'881 fr. TTC, l'intimée s'est bornée à alléguer qu'elle avait dû "faire intervenir [six] responsables et chefs de projet pour la réalisation et l'exécution des travaux", dont elle a indiqué l'identité et la qualité (responsable réalisation, chef de projet, chef de projet adjoint, conducteur de travaux), sans décrire - même dans les grandes lignes - la nature de l'activité déployée par les intéressés ou des prestations qu'ils auraient fournies. Elle n'a pas non plus explicité en quoi cette activité entrerait dans le cadre du contrat d'entreprise liant les parties, respectivement des travaux commandés par l'appelante, ni en quoi cette activité aurait excédé les coûts initialement prévus.
A cela s'ajoute que les pièces produites à l'appui des allégués 31 à 33 de la requête sont dénuées de toute force probante, puisqu'il s'agit d'un décompte et d'un tableau (au demeurant quasiment illisible) - non signés - établis par l'intimée elle-même, impropres à établir la réalité de l'activité supposément déployée par les six personnes concernées et/ou le coût allégué de leur intervention.
Il suit de là que l'intimée ne rend nullement vraisemblable qu'elle pourrait réclamer à l'appelante le paiement des "coûts supplémentaires" mentionnés dans sa requête.
2.2.4 S'agissant finalement des "travaux de plâtrerie" d'un montant de
44'371 fr. TTC, l'intimée s'est contentée d'alléguer que l'appelante ne lui avait pas réglé ces travaux "tels que convenus par avenant du 6 octobre 2021". Là encore, l'intimée n'explicite pas en quoi ces travaux, qui rentrent dans la catégorie des travaux de la phase 2 tels que décrits dans l'avenant n° 3, ne seraient pas déjà couverts par le prix forfaitaire de l'ouvrage convenu par les parties, dont l'appelante s'est déjà acquittée.
Par ailleurs, les pièces produites à l'appui des allégués 37 à 38 de la requête sont dénuée de toute force probante, puisqu'il s'agit d'un décompte et de factures - non signés - établis par l'intimée elle-même.
A nouveau, cette dernière ne rend nullement vraisemblable qu'elle pourrait réclamer à l'appelante le paiement de travaux de plâtrerie qui excéderaient le prix forfaitaire de l'ouvrage convenu par les parties.
2.2.5 En définitive, c'est à raison que l'appelante reproche au Tribunal d'avoir admis l'inscription provisoire d'une hypothèque légale en faveur de l'intimée alors que cette dernière n'avait pas suffisamment allégué, ni rendu vraisemblable que les conditions tendant à cette inscription seraient remplies.
L'ordonnance querellée sera dès lors annulée et l'intimée déboutée des fins de sa requête en inscription provisoire d'une hypothèque légale du 2 octobre 2024.
3. 3.1 Si l'instance d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).
Au regard de l'issue du litige, les frais judiciaires et dépens de première instance doivent être mis à charge de l'intimée qui succombe (art. 106 al. 1 CPC).
La quotité des frais judiciaires et des dépens, fixée par le Tribunal respectivement à 1'500 fr. et à 6'500 fr., est conforme aux dispositions légales applicables
(art. 95 et 96 CPC; art. 26, 84, 85 et 88 RTFMC; art. 23, 25 et 26 LaCC) et n'est pas remise en cause par les parties, de sorte qu'elle sera confirmée.
Les frais judiciaires seront compensés avec l'avance versée par l'intimée, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 aCPC).
3.2 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 1'200 fr. (art. 31 et 37 RTFMC) et mis à la charge de l'intimée, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Celle-ci sera condamnée à verser ce montant à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, et l'appelante se verra restituer son avance
(art. 111 al. 1 CPC).
Par ailleurs, l'intimée versera à l'appelante 3'500 fr. à titre de dépens d'appel, débours et TVA compris (art. 85, 88 et 90 RTFMC; art. 23, 25 et 26 LaCC).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 17 mars 2025 par A______ SA contre l'ordonnance OTPI/161/2025 rendue le 4 mars 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/22728/2024-SP.
Au fond :
Annule l'ordonnance attaquée.
Déboute B______ SA des fins de sa requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles en inscription d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs du
2 octobre 2024.
Arrête les frais judiciaires de première instance à 1'200 fr., les met à la charge de B______ SA et les compense avec l'avance versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève.
Condamne B______ SA à verser 6'500 fr. à A______ SA à titre de dépens de première instance.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'200 fr., les met à la charge de B______ SA et condamne cette dernière à les verser à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ SA son avance en 1'200 fr.
Condamne B______ SA à verser 3'500 fr. à A______ SA à titre de dépens d'appel.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.
Le président : Laurent RIEBEN |
| La greffière : Marie-Pierre GROSJEAN |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, les moyens étant limités selon l'art. 98 LTF.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.