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ACJC/1122/2024 du 16.09.2024 sur OTPI/323/2024 ( SP ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/18495/2023 ACJC/1122/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU LUNDI 16 SEPTEMBRE 2024 |
Pour
Monsieur A______, domicilié ______, appelant d’une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 23 mai 2024.
A. Par ordonnance OTPI/323/2024 du 23 mai 2024, expédiée pour notification à A______ le 29 mai 2024, le Tribunal de première instance a rejeté la requête en rectification d'état civil formée par le précité le 12 septembre 2023, mis à sa charge les frais judiciaires arrêtés à 300 fr. et compensés avec l'avance fournie, et débouté A______ de toute autre conclusion.
Il a retenu en substance que les actes produits en 2017 et en 2014, comportant des mentions contradictoires s'agissant de la date de naissance de A______, avaient un niveau de sécurité identique, que le précité n'apportait aucun élément permettant de retenir une date de naissance plutôt qu'une autre ni n'expliquait la contradiction, qu'il avait lui-même indiqué à plusieurs reprises et confirmé la date de naissance figurant au registre d'état civil suisse, qu'ainsi il n'avait pas rendu vraisemblable que les données dont la rectification était requise seraient erronées.
B. Par acte du 8 juin 2024 à la Cour de justice, A______ a formé appel contre cette ordonnance. Il a conclu à ce que soit constaté que sa date naissance était le ______ 1988 et à ce que les registres d'état civil soient modifiés en conséquence.
L'Autorité de surveillance de l'état civil a déposé des observations, aux termes desquelles elle a relevé qu'il revenait au juge de trancher la question de la date de naissance devant figurer dans les registres d'état civil.
Par avis du 16 juillet 2024, A______ a été informé de ce que la cause était gardée à juger.
C. Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants:
a. Selon procès-verbal d'audition dressé par l'Office fédéral des migrations le 27 octobre 2014, A______, ressortissant libyen né le ______ 1993 à B______ (Libye), dépourvu de toute pièce d'identité et document de légitimation, a déposé le 19 octobre 2014 une demande d'asile en Suisse.
Les données précitées ont été enregistrées dans le Système d'information central sur la migration (SYMIC) ainsi que dans le Registre des habitants du canton de Genève.
b. Le 2 février 2017, A______ a remis à l'Etat civil de C______ une formule pré-imprimée intitulée "demande en vue du mariage", dans laquelle a été portée sa date de naissance, soit le ______ 1993. Il a annexé un certificat de naissance original à son nom, ainsi qu'un certificat d'état civil (certificat de la situation sociale) original, tous deux établis par le Bureau de l'Etat civil D______ du Service de l'Etat civil de l'Etat de la Libye mentionnant, à la rubrique "date de naissance" le ______ 1993. Ces deux pièces ont été traduites et légalisées par la représentation suisse compétente pour la Libye.
A la requête de l'Etat civil de C______, le Secrétariat d'Etat aux migrations a remis à celui-ci la copie d'un extrait du procès-verbal d'audition susmentionné, accompagné de copies de documents en arabe (décrits comme copie d'une carte d'identité, d'un permis de conduire et d'une carte d'étudiant de A______) ainsi que d'une fiche, dont la rubrique "lieu et date de naissance" est remplie ainsi: "B______ 1993".
c. Le 28 février 2017, A______ a signé une formule pré-imprimée intitulée "Déclaration relative aux conditions du mariage", mentionnant sa date de naissance comme étant le ______ 1993, formule légalisée par l'Officier d'état civil de C______.
d. Le 3 octobre 2017, A______ a apposé sa signature sur une "confirmation des données actuelles" du Service de l'état civil (mentionnant notamment sa date de naissance comme étant le ______ 1993, à la suite de la phrase "La personne soussignée atteste que les données susmentionnées sont exactes, complètes et actuelles" qui figure après la mention de l'art. 253 CP (obtention frauduleuse d'une constatation fausse).
e. Les ______ et ______ 2017 ont été portés au Registre d'état civil informatisé suisse successivement en vue du mariage l'identité de A______ né le ______ 1993 et la célébration du mariage du précité avec F______, intervenue le ______ 2017.
f. Dans le cadre de l'inscription de l'enfant E______, né de A______ et F______ le ______ 2019, A______ a remis à l'arrondissement d'état civil de Genève une copie, non certifiée conforme, de son passeport émis par l'Etat libyen le 8 avril 2019, faisant état de sa date de naissance comme étant le ______ 1988.
g. Le 8 septembre 2023, A______ a requis du Tribunal de rectifier sa date de naissance, telle que figurant dans son certificat de famille, soit ______ 1993, en ______ 1988.
Outre ledit certificat de famille, il a produit copie d'un acte de naissance, d'un certificat de situation sociale et d'un certificat de résidence.
h. A la requête du Tribunal, faisant application de l'art. 42 al. 1 CC, l'Autorité de surveillance de l'état civil a relevé qu'il revenait au Tribunal de se déterminer quant à la rectification sollicitée. Elle a observé que les données de A______ étaient litigieuses ou erronées en ce sens que la date figurant au registre d'état civil était fondée en particulier sur des documents légalisés par la représentation suisse compétente pour la Libye, alors que la date divergente proposée par A______ était fondée sur les documents produits à l'appui de la requête, lesquels n'étaient ni légalisés ni authentifiés par ladite représentation suisse, se limitant à être revêtus d'un timbre du Ministère des affaires étrangères libyen; les documents produits en 2017 offraient ainsi un niveau de sécurité plus élevé.
i. Par ordonnance du 8 janvier 2024, le Tribunal a imparti un délai à A______ pour produire un certificat de situation sociale, un acte de naissance et un certificat de résidence légalisés par le Ministère des affaires étrangères libyen, et munis de l'authentification de la représentation suisse compétente pour la Libye.
Ceux-ci sont parvenus au Tribunal dans le délai octroyé pour ce faire.
j. Le Tribunal a requis de A______ qu'il apporte des explications au sujet de la contradiction existant entre les documents officiels ainsi que tout élément démontrant qu'il serait né en 1988.
k. A______ a déposé une copie d'une déclaration faite à la police le 1er mars 2019, portant sur la perte de son passeport (date de l'événement: 10.10.2014 au 01.03.2019), comportant le commentaire suivant: "M. A______ nous précise que la date de naissance se trouvant sur son passeport libyen n'est pas identique à celle se trouvant sur son titre de séjour suisse. Celle étant sur le titre de séjour serait la bonne et il fera le nécessaire pour que les deux dates correspondent lors de la commande de son nouveau passeport". Il a par ailleurs communiqué au Tribunal ce qui suit: "mon ancien passeport a été délivré sous l'année de naissance 1988 à cause d'une faute de frappe apportée à mon insu et ce qui a eu un impact significatif […] Afin de sortir de cette affaire en désespoir de cause, ma demande est approuvée et légalisée sous l'année de naissance 1988 par le registre d'état civil lorsque toutes les autres opérations ont échoué et qu'il ne reste plus d'autre choix".
1. La voie de l'appel est ouverte (art. 308, 309 CPC). Le délai d'appel est de 10 jours (art. 314 al. 1 CPC), la procédure sommaire s'appliquant (art. 249 lit. a ch. 4 CPC) lorsque l'action est, comme en l'espèce, fondée sur l'art. 42 CC (ACJC/1404/2019 du 26 septembre 2019 consid. 1).
Le présent appel, formé dans le délai et la forme prévus par la loi, est recevable.
2. L'action formatrice de l'art. 42 CC, qui ressortit à la juridiction gracieuse (arrêt du Tribunal fédéral 5A.34/2004 du 22 avril 2005 consid. 1.1), est soumise à la maxime inquisitoire, le tribunal ayant la charge d'établir les faits d'office (art. 255 lit. b CPC). Ce devoir permet de suppléer l'absence de partie adverse (Message du Conseil fédéral du 18 juin 2006 relatif au CPC, ad 5.17 et art. 248 à 252 p. 6958).
La procédure sommaire atypique s'applique aux actes de la juridiction gracieuse; la cognition du juge n'est pas limitée à la vraisemblance et la décision rendue est définitive, c'est-à-dire qu'elle est revêtue de l'autorité de la chose jugée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_143/2013 du 30 septembre 2013 consid. 2.3).
La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).
3. L'appelant reproche au Tribunal d'avoir violé son droit d'être entendu en ne procédant pas à son audition, et de ne pas avoir fait droit à sa requête.
3.1 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour le justiciable de produire des preuves pertinentes quant aux faits de nature à influer sur la décision à rendre, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, à moins que le fait à prouver ne soit dépourvu de pertinence ou que le moyen de preuve n'apparaisse manifestement inapte à établir le fait allégué, et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 218 consid. 2.3; 141 I 60 consid. 3.3; 139 II 489 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_653/2019 du 28 octobre 2019 consid. 5.1).
Le droit d'être entendu ne confère pas un droit d'être entendu oralement (ATF 130 II 425 consid. 2.1)
3.2 A teneur de l'art. 42 al. 1 CC, toute personne qui justifie d'un intérêt personnel légitime peut demander au juge d'ordonner l'inscription, la rectification ou la radiation de données litigieuses relatives à l'état civil. Les autorités cantonales de surveillance concernées sont entendues et le juge leur notifie sa décision.
Celui dont l'état civil a été enregistré de manière inexacte est intéressé à sa rectification. L'exigence d'un intérêt personnel digne de protection, qu'il faut seulement rendre vraisemblable, se rapporte au caractère complet et exact des inscriptions dans le registre de l'état civil (ATF 135 III 389, JdT 2009 I 432 consid. 3.3.3).
Ni la loi, ni l'ordonnance sur l'état civil (art. 17 OEC) ne définissent la notion de données litigieuses. L'on peut cependant retenir qu'il en va ainsi des données contestées, de celles qui reposent sur des documents contradictoires ou falsifiés ou encore de celles qui ne bénéficient d'aucun appui matériel (document, témoignage) et s'avèrent ainsi totalement incertaines.
Dans la tenue du registre de l'état civil, le point décisif est que l'on doit être sûr que les données inscrites sont exactes et complètes. Il existe ainsi un intérêt public supérieur qui commande de rectifier des inscriptions dont il est établi qu'elles sont inexactes (ATF 135 III 389, JdT 2009 I 432 consid. 3.4.2).
Les indications relatives au nom et à la date de naissance des requérants d'asile qui donnent de fausses indications lors de leur entrée en Suisse et qui demandent plus tard en vertu de l'art. 42 CC la rectification des inscriptions dans le registre d'état civil ("pour faire table rase") ne sont pas maintenues comme inexactes en raison d'un abus de droit, mais on procède - une fois la véritable identité établie - à l'inscription de l'état civil rectifié (ATF 135 III 389, JdT 2009 I 432 consid. 3.4.2). Ainsi, la qualité pour agir est également donnée à celui qui a laissé l'administration dans l'ignorance de faits importants et qui veut ensuite mettre de l'ordre dans ses affaires (Montini, CR-CC I, 2010, n. 6 ad art. 42 CC).
La procédure de rectification sert à corriger une inscription qui était inexacte déjà lorsqu'elle a été opérée, que ce soit en raison d'une erreur de l'officier d'état civil ou parce qu'il a été tenu dans l'ignorance de faits importants (ATF 135 III 389, JdT 2009 I 432 consid. 3 et références citées). Il y a également lieu à rectification lorsqu'il a été induit en erreur, par exemple par l'intéressé lui-même qui a donné intentionnellement de fausses indications notamment sur son nom, sa date et son lieu de naissance ou sa nationalité. L'inscription erronée consécutive à ces fausses indications est une question relevant de l'enregistrement de l'état civil (arrêt du Tribunal fédéral 5P.338/2004 du 31 mai 2005 consid. 1.1). S'il existe des doutes sur l'identité d'une personne, parce qu'elle est apparue sous des noms ou des dates de naissance différents, c'est aussi la procédure de l'art. 42 CC qui est ouverte pour élucider la question (ATF 135 III 389, JdT 2009 I 432, consid. 1.1).
3.3 En l'espèce, le Tribunal a donné à l'appelant la faculté de se déterminer par écrit, ce qui a été fait. Il n'avait pas d'obligation de recueillir une détermination orale, au vu des circonstances du présent cas. L'appelant ne met d'ailleurs pas en exergue ce qu'il n'aurait pu évoquer qu'oralement, se référant uniquement au fait qu'il aurait ainsi pu "expliquer […] quelle est la situation et pourquoi il est nécessaire de modifier les registres d'état civil et que la date de naissance indiquée soit celle du ______ 1993 [sic]". Dès lors, le droit d'être entendu de l'appelant n'a pas été violé.
Comme l'a retenu le premier juge, l'appelant n'a donné aucune explication relative à la contradiction existant entre les pièces qu'il a produites en 2017 et celles qu'il a produites dans la présente procédure. Sa détermination à l'adresse du Tribunal est difficilement compréhensible; autant qu'on l'appréhende correctement, elle semblerait signifier que c'est la mention de 1988 qui procéderait d'une erreur, et donc ne justifierait pas les conclusions prises dans sa requête.
Rien dans les pièces obtenues par le Tribunal, en application de la maxime inquisitoire, ne permet de lever cette contradiction.
Par ailleurs, dans son appel, l'appelant tire à tort la conclusion que l'Autorité de surveillance de l'autorité civile aurait consenti à sa requête; celle-ci s'est en effet limitée à observer que la compétence de trancher la question d'espèce appartient au juge, sans émettre la moindre prise de position.
L'appelant défend par ailleurs, sans en exposer de fondement, la thèse selon laquelle les documents légalisés en dernier lieu, soit en 2024, seraient davantage probants que les précédents datant de 2017. Il ne critique au demeurant pas le premier juge qui a retenu que le même niveau de sécurité s'attachait aux deux jeux de documents produits successivement.
Enfin, il ne saurait être question de suivre l'appelant lorsqu'il affirme, sans autre élément, que la note figurant dans la déclaration de police de 2019 aurait été rédigée de façon inexacte, de telle sorte qu'elle représenterait l'inverse de ce qu'il entendait exprimer. Au demeurant, on ne discerne pas en quoi cette déclaration de perte/vol d'un passeport, intervenue, selon la police, entre 2014 et 2019, aurait un rapport avec les données résultant des documents légalisés et authentifiés en 2017.
Dans la mesure où la procédure n'a pas permis d'élucider la question de la date de naissance de l'appelant, et qu'il n'est ainsi pas établi que la date de naissance figurant au registre d'état civil suisse serait erronée, il n'y a pas lieu à inscription d'une rectification, comme l'a retenu le premier juge.
L'ordonnance du Tribunal sera donc confirmée.
La présente décision sera notifiée à l'Autorité de surveillance de l'état civil, en application de l'art. 42 al. 1 CC.
4. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de la procédure (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 300 fr. (art. 26 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
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La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel formé le 8 juin 2024 par A______ contre l'ordonnance OTPI/323/2024 rendue le 27 mai 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/18495/2023-12 SGP.
Au fond :
Confirme cette ordonnance.
Déboute A______ de toute autre conclusion.
Notifie la présente décision à l'Autorité de surveillance de l'état civil.
Sur les frais :
Arrête les frais d'appel à 300 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.
Les met à la charge de A______.
Siégeant :
Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.
La présidente : Pauline ERARD |
| La greffière : Marie-Pierre GROSJEAN
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.