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C/8073/2023

ACJC/720/2024 du 03.06.2024 sur JTPI/45/2024 ( SML ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8073/2023 ACJC/720/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 3 JUIN 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ (États-Unis), recourant contre un jugement rendu par la 1ère Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 3 janvier 2024,

et

B______ TRUST, sise ______ (Russie), intimée, représentée par
Me Guillaume FATIO, avocat, BMG Avocats, avenue de Champel 8C, case
postale 385, 1211 Genève 12.

 

 

 


EN FAIT

A.           a. Par acte du 19 avril 2023, B______ TRUST (ci-après: B______) a requis du Tribunal de première instance (ci-après: le Tribunal) la mainlevée définitive de l'opposition formée par A______ au commandement de payer, poursuite n° 1______.

b. Par ordonnance du 3 août 2023, le Tribunal a imparti à A______ un délai de 30 jours pour se déterminer par écrit sur la requête et élire un domicile de notification en Suisse.

A______ n'a pas donné suite à cette ordonnance.

c. Par jugement non motivé JTPI/11669/2023 du 10 octobre 2023, le Tribunal a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée par A______ au commandement de payer, poursuite n° 1______, à hauteur de 888'402'316 fr.

Figurait au pied du jugement la mention selon laquelle la motivation pouvait être demandée dans un délai de dix jours à compter de la communication de la décision. Si la motivation n'était pas demandée, les parties seraient considérées avoir renoncé à l'appel ou au recours.

Ce jugement a été notifié par voie postale à A______ le 21 octobre 2023 aux Etats-Unis, selon le service de suivi des envois de la Poste suisse (numéro de suivi 2______).

d. Par courrier recommandé daté 31 octobre 2023, posté le même jour aux Etats-Unis, A______ a sollicité la motivation du jugement JTPI/11669/2023 du 10 octobre 2023, aux fins de faire recours contre celui-ci.

Il alléguait avoir reçu ledit jugement à son domicile américain le 28 octobre 2023.

Etaient joints à son courrier une copie de ce jugement, ainsi que des formulaires reçus avec celui-ci conformément à la Convention relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judiciaires ou extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, signée à la Haye le 15 novembre 1965 (ci-après: CLaH 65).

Le courrier susvisé a été remis à la Poste suisse le 11 novembre 2023 (numéro de suivi 3______).

Il est parvenu au Tribunal le 13 novembre 2023.

e. Par jugement JTPI/45/2024 du 3 janvier 2024, le Tribunal a déclaré irrecevable la demande de motivation du jugement JTPI/11669/2023 du 10 octobre 2023 formée le 13 novembre 2023 par A______. Il a renoncé à percevoir un émolument de décision.

En substance, il a considéré que le délai de dix jours pour demander la motivation de la décision communiquée à A______ le 21 octobre 2023 était échu le 31 octobre 2023. Parvenue au Tribunal le 13 novembre 2023, la demande de motivation de celui-ci était tardive et, partant, irrecevable.

Tel était également le cas à supposer que A______ n'ait reçu le jugement litigieux que le 28 octobre 2023, comme il l'alléguait, étant observé que la demande de motivation n'était parvenue à la Poste suisse que le 11 novembre 2023. La demande de A______ ne constituait par ailleurs pas une demande de restitution du délai pour requérir la motivation du jugement rendu le 10 octobre 2023.

Le jugement JTPI/45/2024 susvisé a été notifié à B______ le 11 janvier 2024 à Genève et à A______ le 20 janvier 2024 aux Etats-Unis.

B.            a. Par acte reçu le 30 janvier 2024 au consulat de Suisse de C______ [Etats-Unis], qui l'a transmis à la Cour de justice, A______ forme un recours contre le jugement JTPI/45/2024 du 3 janvier 2024, dont il sollicite l'annulation.

Principalement, il conclut au renvoi de la cause au Tribunal afin qu'il soit fait droit à sa demande de motivation, avec suite de frais judiciaires et dépens.

Il produit diverses pièces non soumises au Tribunal, relatives à sa réception du jugement JTPI/11669/2023 du 10 octobre 2023 aux Etats-Unis et à l'envoi de sa demande de motivation.

b. A titre préalable, A______ a sollicité l'octroi de l'effet suspensif au recours.

Par arrêt ACJC/463/2024 du 11 avril 2024, la présidente de la Chambre civile a refusé de suspendre l'effet exécutoire attaché au jugement JTPI/45/2024 rendu le 3 janvier 2024 et dit qu'il serait statué sur les frais dans l'arrêt à rendre sur le fond.

c. Invitée à se déterminer, B______ conclut au rejet du recours, avec suite de frais judiciaires et dépens.

Elle produit diverses pièces, dont un avis de droit relatif à la notification d'actes judiciaires en D______ [Etat des Etats-Unis].

d. Les parties ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger par plis du greffe du 23 avril 2024.


EN DROIT

1.             1.1 Interjeté contre une décision d'irrecevabilité mettant fin à l'instance, soit une décision finale (art. 319 let. a CPC), en matière de mainlevée, où seule la voie du recours est ouverte (art. 309 let. b ch. 3 CPC), selon la forme écrite requise et dans le délai utile de dix jours (art. 321 al. 1 et 2 CPC), le recours est recevable.

1.2 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

Le recours étant instruit en procédure sommaire (art. 251 let. a CPC), la preuve des faits allégués doit être apportée par titres (art. 254 CPC). Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, art. 255 a contrario et art. 58 al. 1 CPC).

2.             Les parties produisent devant la Cour des pièces non soumises au Tribunal.

2.1 Les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables dans une procédure de recours (art. 326 al. 1 CPC).

Les dispositions spéciales réservées par la loi (art. 326 al. 2 CPC) n'entrent pas en ligne de compte, dès lors qu'elles concernent essentiellement les recours contre les jugements de faillite (art. 174 LP) ainsi que les recours sur opposition au séquestre (art. 278 al. 3 LP; Message du Conseil fédéral relatif au Code de procédure civile (CPC), FF 2006 6841, p. 6986).

Une partie doit pouvoir toutefois articuler des nova en procédure de recours lorsqu'ils résultent de la décision attaquée (ATF 139 III 466 consid. 3.4; Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 7 ad art. 326 CPC). Ainsi, l'exception prévue par l'art. 99 al. 1 LTF, qui vise les faits et moyens de preuve qui ont été rendus pertinents par la décision de l'autorité précédente elle-même, s'applique dans le cadre d'un recours (ATF 139 III 466 consid. 3.4). Il s'agit par exemple d'un problème de régularité de la procédure devant l'instance précédente ou de date de la notification de la décision attaquée ou encore de faits qui sont propres à contrer une argumentation de l'autorité précédente objectivement imprévisible pour les parties avant la réception de la décision. Le recourant qui entend se prévaloir de cette exception doit démontrer en quoi les conditions en sont remplies (arrêts du Tribunal fédéral 4A_421/2016 du 13 décembre 2016 consid.4; 5A_904/2015 du 29 septembre 2016 consid. 2.3 non publié in ATF 142 III 617).

2.2 En l'espèce, les pièces nouvelles produites par le recourant n'ont pas trait à la notification du jugement entrepris (JTPI/45/2024 du 3 janvier 2024), ni à la preuve de ce que le délai de recours contre ledit jugement a été respecté (ce qui n'est au demeurant pas contesté). Ces pièces nouvelles se rapportent à la notification du jugement de mainlevée non motivé du 10 octobre 2023 (JTPI/11669/2023) et à la démonstration de ce qu'une demande de motivation de ce jugement aurait, selon le recourant, été formée dans le délai prévu par la loi à cette fin (cf. art. 239 al. 2 CPC). Or, il incombait au recourant de fournir d'emblée au Tribunal, avec sa demande de motivation, tous les éléments utiles permettant de vérifier que le délai susvisé était, le cas échéant, respecté. On ne voit pas – et le recourant n'expose pas – en quoi il aurait été empêché, ou n'aurait pas été en mesure, de soumettre à l'autorité inférieure les explications et éléments de preuve dont il se prévaut aujourd'hui. La production de tels éléments au stade du recours n'est pas davantage rendue nécessaire par une argumentation imprévisible du premier juge. Le recourant, qui est domicilié à l'étranger et qui n'a pas élu de domicile de notification en Suisse, devait au contraire s'attendre à ce que sa demande de motivation soit considérée comme tardive – et donc déclarée irrecevable – s'il ne remettait pas spontanément audit juge tout moyen de preuve propre à établir que le délai légal pour former une telle demande était néanmoins respecté.

Il s'ensuit que les pièces produites par le recourant à l'appui de son recours sont irrecevables. Elles ne seront donc pas prises en considération, pas plus que les allégations nouvelles qu'elles sont censées étayer.

2.3 La recevabilité des pièces produites par l'intimée, que le Tribunal n'a pas invitée à se déterminer sur la demande de motivation, peut demeurer indécise, vu l'issue du recours.

3.             Sur le fond, le recourant reproche au Tribunal d'avoir déclaré sa demande de motivation irrecevable pour cause de tardiveté.

3.1 En vertu de l'art. 239 al. 1 let. b CPC, le tribunal peut communiquer la décision aux parties sans motivation écrite, notamment en notifiant le dispositif par écrit.

Une motivation écrite est remise aux parties, si l'une d'elles le demande dans un délai de dix jours à compter de la communication de la décision. Si la motivation n'est pas demandée, les parties sont considérées avoir renoncé à l'appel ou au recours (art. 239 al. 2 CPC).

Le délai pour demander la motivation est un délai légal, donc non prolongeable, mais restituable aux conditions de l'art. 148 CPC (Tappy, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 13 ad art. 239 CPC). La computation du délai pour demander la motivation suit pour le surplus les règles habituelles des art. 142ss CPC (Tappy, op. cit., n. 14 ad art. 239 CPC).

3.1.1 Selon l'art. 143 al. 1 CPC, les actes doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai soit au tribunal soit à l'attention de ce dernier, à la poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse.

Le principe susvisé ne vaut pas en dehors du recours à la Poste suisse. En cas de recours à une poste étrangère, le délai ne sera respecté que pour autant qu'il ne soit pas déjà échu au moment de l'arrivée effective de l'acte au tribunal, ou au moins que l'envoi soit passé de la poste étrangère à la Poste suisse avant l'échéance dudit délai (ATF 125 V 65 consid. 1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_258/2008 du 7 octobre 2008, consid. 2 ); le critère déterminant est la remise à la Poste suisse, non l'arrivée sur territoire suisse (arrêt du Tribunal fédéral 5A_59/2011 du 25 mars 2011 consid. 3; Tappy, op. cit., n. 13 ad art. 143 CPC).

3.1.2 En vertu de l'art. 148 al. 1 CPC, le tribunal peut accorder un délai supplémentaire ou citer les parties à une nouvelle audience lorsque la partie défaillante en fait la requête et rend vraisemblable que le défaut ne lui est pas imputable ou n'est imputable qu'à une faute légère.

La requête est présentée dans les dix jours qui suivent celui où la cause du défaut a disparu (art. 148 al. 2 CPC).

3.2 En l'espèce, il est constant que le jugement non motivé du 10 octobre 2023 a été distribué par voie postale à l'appelant le 21 octobre 2023, selon le service de suivi des envois de la Poste suisse. Comme l'a retenu le Tribunal, il faut donc admettre que le délai de dix jours pour demander la motivation de cette décision a commencé à courir le lendemain de cette date (cf. art. 142 al. 1 CPC), pour échoir le 31 octobre 2023. Avec l'intimée, on relèvera que les Etats-Unis n'ont notamment pas formulé d'opposition à l'application sur leur territoire de l'art. 10 let. a CLaH 65, qui prévoit que ladite Convention ne fait pas obstacle à la faculté d'adresser directement, par la voie de la poste, des actes judiciaires aux personnes se trouvant à l'étranger (cf. tableau illustrant l'applicabilité des art. 8 ch. 2, 10 let. a, b et c, 15 ch. 2 et 16 ch. 3 CLaH 65, disponible sur https://www.hcch.net/ fr/instruments/specialised-sections/service). L'art. 138 al. 2 CPC invoqué par le recourant, qui prévoit qu'un acte est réputé notifié lorsqu'il a été remis au destinataire, à un de ses employés ou à une personne de seize ans au moins vivant dans le même ménage, n'a pas vocation à s'appliquer à la notification de décisions judiciaires à l'étranger, du moins lorsque la CLaH 65 s'applique (cf. art. 2 CPC).

Parvenue à la Poste suisse le 11 novembre 2023, puis au Tribunal le 13 novembre suivant, soit après le 31 octobre 2023, la demande de motivation formée par l'appelant était donc tardive, comme l'a retenu à bon droit le Tribunal. Les allégations nouvelles du recourant selon lesquelles il aurait simultanément adressé ladite demande au consulat général de Suisse à E______ [Etats-Unis] le 2 novembre 2023, où elle aurait été reçue le lendemain, sont irrecevables à ce stade, comme les pièces produites à ce propos, pour les raisons exposées au consid. 2.2 ci-dessus. Elles ne sauraient dès lors changer la conclusion susvisée, étant observé qu'à teneur du dossier transmis à la Cour, le Tribunal n'a reçu aucune communication du consulat général de Suisse de E______ [Etats-Unis].

C'est également à bon droit que le Tribunal a considéré que le délai de dix jours pour demander la motivation du jugement de mainlevée litigieux ne serait en l'espèce pas respecté, même s'il fallait admettre que le recourant n'aurait effectivement reçu ledit jugement que le 28 octobre 2023, comme celui-ci l'alléguait dans sa demande de motivation, voire le 29 octobre 2023 seulement, comme il l'allègue (de façon irrecevable) aujourd'hui. Dans ces hypothèses, le délai en question serait en effet arrivé à échéance le 7, respectivement le 8 novembre 2023, de sorte que la réception de la demande de motivation par la Poste suisse le 11 novembre 2023 ne permettrait pas davantage de retenir qu'il aurait été respecté.

Enfin, le recourant ne soutient pas que sa demande de motivation datée du 31 octobre 2023 devrait être considérée comme une demande de restitution du délai pour former une telle demande, au sens de l'art. 148 al. 1 CPC. Il ne se prévaut d'aucun motif susceptible de justifier une telle restitution.

3.3 Tardive, la demande de motivation du recourant est ainsi irrecevable. Le recours, mal fondé, sera en conséquence rejeté.

4.             Les frais judiciaires du recours, comprenant les frais de la décision rendue sur effet suspensif, seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 48, 61 OELP) et mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 105 al. 1, 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais de même montant fournie par le recourant, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Le recourant sera également condamné à payer à l'intimée la somme de 1'000 fr. à titre de dépens de recours (art. 105 al. 2 CPC; art. 23 al. 1 LaCC), débours et TVA compris (art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 30 janvier 2024 par A______ contre le jugement JTPI/45/2024 rendu le 3 janvier 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/8073/2023–1 SML.

Au fond :

Rejette le recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance de frais de même montant fournie par celui-ci, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à payer 1'000 fr. à B______ à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

La présidente :

Pauline ERARD

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.