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C/13124/2023

ACJC/33/2024 du 10.01.2024 sur OTPI/528/2023 ( SP ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 19.02.2024, rendu le 22.03.2024, IRRECEVABLE, 4A_111/2024
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13124/2023 ACJC/33/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 10 JANVIER 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, Israël, appelant d'une ordonnance rendue par la 16ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 24 août 2023, représenté par Me B______, avocat,

et

C______, sise ______ [BS], intimée, représentée par Me D______, avocat.

 


EN FAIT

A.           Par ordonnance OTPI/528/2023 du 24 août 2023, expédiée pour notification aux parties le même jour, le Tribunal de première instance a rejeté la requête de mesures provisionnelles formée par A______ (ch. 2), arrêté les frais judiciaires à 1'500 fr., compensés avec l'avance effectuée et mis à la charge du précité, auquel 1'500 fr. ont été restitués (ch. 3 et 4), condamné en outre à verser à la [banque] C______ 2'850 fr. à titre de dépens (ch. 5), et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).

Le Tribunal, après avoir dit que la requête était dirigée contre C______, a notamment retenu que la requête tendait au paiement d'une somme d'argent, qu'y donner droit épuiserait le litige au fond, qu'aucun droit n'était invoqué, qu'en outre le risque de préjudice difficilement réparable n'était pas rendu vraisemblable, les conclusions de fond étant susceptibles d'être tranchées rapidement et rien n'indiquant que le conseil de A______ résilierait son mandat prochainement.

B.            Par acte du 4 septembre 2023, A______ a formé appel contre le jugement précité. Il a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait à ce qu'il soit ordonné à la C______ de débiter son compte n° 1______ de 132'813 fr. 61 et de virer ce montant sur le compte de Me B______ (IBAN CH 2______ ouvert auprès de E______), de débiter les futurs frais et honoraires, de prononcer une amende d'ordre de 1'000 fr. par jour d'inexécution des mesures ordonnées, et de fixer un délai suffisant pour qu'il fasse valoir ses droits en justice par la voie de la procédure ordinaire dans le cas où la demande en protection du cas clair, pendante sous n° C/3______/2023 serait rejetée, avec suite de frais et dépens.

La C______ a conclu au déboutement de A______ des fins de son appel, avec suite de frais et dépens. A titre préalable, elle a conclu à ce que soit ordonnée la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé dans la procédure C/3______/2023.

A______ a conclu au rejet de la conclusion préalable en suspension, et persisté dans ses conclusions antérieures.

La C______ a persisté dans ses conclusions.

Par avis du 13 décembre 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants:

a.    A______, ressortissant russe, israélien et britannique, domicilié en Israël, est titulaire d'un compte bancaire ouvert à la C______, société anonyme dont le siège est à Bâle, et qui exploite une banque.

Le non de A______ figure sur les listes des sanctions de la Grande-Bretagne et de l'Union européenne depuis les 6 et 8 avril 2022 respectivement.

Depuis le 13 avril 2022, son compte bancaire précité, comme d'autres de ses avoirs bancaires, est gelé en raison des sanctions financières prises en application de l'art. 15 al. 1 de l'Ordonnance instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine (O-Ukraine).

b.   En avril 2022, A______ a mandaté Me B______, avocat, notamment en lien avec la maintenance et l'entretien de deux propriétés qu'il possède à Genève, les relations avec ses banques ainsi qu'avec le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO).

c.    Au 16 mars 2023, les avoirs en compte représentaient 4'137'503,68 euros, dont 2'439'362 euros en compte courant.

d.   Le 1er mai 2023, A______ a requis du SECO qu'il autorise le paiement des frais et honoraires de son avocat, en 132'813 fr. 61, pour la période du 21 novembre 2022 au 27 avril 2023, par le débit de son compte ouvert auprès de la C______.

Le 15 juin 2023, le SECO a autorisé ce paiement en faveur de l'avocat B______, ainsi que le déblocage des futurs frais et honoraires en lien avec les démarches nécessaires à la bonne application des sanctions touchant A______, autorisation expirant au 31 décembre 2023.

e.    Le 16 juin 2023, Me B______ a requis la C______ de virer le montant autorisé en sa faveur, ce à quoi cette dernière s'est refusée.

f.                       Le 27 juin 2023, A______ a saisi le Tribunal d'une requête formée par la voie du cas clair, dirigée contre "C______, succursale de Genève". Il a conclu à ce que soit ordonné à la C______ de débiter son compte n° 1______ de 132'813 fr. 61 et de virer ce montant sur le compte de Me B______, de débiter les futurs frais et honoraires, et de prononcer une amende d'ordre de 1'000 fr. par jour d'inexécution des mesures ordonnées, avec suite de frais et dépens.

Ces conclusions ont été enregistrées sous procédure n° C/3______/2023.

Dans la requête précitée, A______ a pris les mêmes conclusions à titre provisionnel et à titre superprovisionnel; celles-ci font l'objet de la présente procédure.

A______ a notamment fait valoir que son avocat risquait de révoquer son mandat, faute de paiement de ses frais et honoraires, et qu'il lui serait quasi impossible de trouver un nouveau conseil, ses droits de défense étant alors atteints.

Par ordonnance du 27 juin 2023, le Tribunal a rejeté les conclusions prises à titre superprovisionnel.

La C______ a conclu à l'irrecevabilité de la requête de mesures provisionnelles (sa succursale étant visée), subsidiairement au rejet de celle-ci, avec suite de frais et dépens.

Elle a en particulier relevé que les mesures sollicitées tendaient à l'exécution anticipée de la prestation au fond, soit l'exécution du paiement d'une somme d'argent alors qu'il n'existait aucun droit en ce sens, et que A______, dont le nom figurait dans les listes de sanction de plusieurs pays, détenait auprès d'elle des avoirs en euros et non en francs suisses (ce qui supposait une transaction de change pour verser le montant visé dans les conclusions de la requête).

A l'audience du Tribunal du 14 août 2023, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives. A______ a conclu à la rectification de la qualité de la banque, point sur lequel celle-ci s'en est rapportée à justice.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC). Dans les affaires patrimoniales, il est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

En l'espèce, la valeur litigieuse est largement supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 Formé par l'une des parties à la procédure au moyen d'un acte écrit et motivé dans un délai de 10 jours à compter de la notification de l'ordonnance rendue par voie de procédure sommaire (art. 248 let. a, 311 al. 1 et 314 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.3 S'agissant d'un appel, la Cour revoit la cause pour violation du droit et constatation inexacte des faits (art. 310 CPC).

2. L'intimée conclut à titre préalable à la suspension de la présente procédure jusqu'à droit jugé sur le fond dans la cause C/3______/2023, sur le fondement de l'art. 126 CPC. Elle se prévaut de ce que l'accueil des conclusions provisionnelles aurait pour effet de faire droit à la demande en paiement, et ajoute que la décision au fond serait déterminante pour la présente cause qui serait alors vidée de son objet.

Quoi qu'il en soit de ces arguments, il apparaît que la procédure précitée n'est pas de nature à apporter d'éléments utiles pour trancher le présent appel, auquel s'applique la procédure sommaire, de sorte qu'il n'y a pas lieu à suspension en l'occurrence.

3. L'appelant reproche au Tribunal d'avoir retenu que sa requête tendait au paiement d'une somme d'argent, et de ne pas avoir admis qu'il avait rendu vraisemblable l'existence d'un préjudice difficilement réparable.

3.1 Aux termes de l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est le titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a), respectivement que cette atteinte est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).

Selon l'art. 262 CPC, le tribunal peut ordonner toute mesure propre à prévenir ou faire cesser le préjudice, notamment la fourniture d'une prestation en nature (let. d) ou le versement d'une prestation en argent, lorsque la loi le prévoit (let. e).

La let. d de l'art. 262 CPC vise principalement des mesures d'exécution anticipées tendant à obtenir à titre provisoire en tout ou en partie, l'exécution de la prétention au fond litigieuse (cf ATF 136 III 200 consid. 2.3.2).

S'agissant de la let. e de l'art. 262 CPC, la loi exige une base légale spécifique pour l'obligation de verser une somme d'argent. Une telle base légale existe en matière de demande d'aliments liée à une demande en paternité (art. 303 al. 2 CPC), en matière de dette alimentaire (art. 329 CC), en matière d'avis au débiteurs dans le cadre du droit de la famille (art. 132 al. 1 et 291 CC) ou de responsabilité civile en matière nucléaire (art. 28 LRCN) (Sprecher, Basler Kommentar, 3ème ed., 2017, n. 28 adart. 262 CPC).

Le message relatif au CPC enseigne que l'ordre d'effectuer une prestation en argent à titre provisionnel est uniquement admis dans les cas prévus par la loi et non d'une manière générale. Selon le Conseil fédéral, l'introduction d'un système généralisé de paiements anticipés s'avèrerait en effet problématique, dans la mesure où il exposerait le défendeur à un risque injustifié à l'encaissement de l'indu, dans l'hypothèse où l'existence de sa dette venait à être niée (FF 2006 p. 6962).

En dehors des cas où la loi la prévoit, l'exécution anticipée de prestations en argent est ainsi exclue et ne peut en particulier être déduite des dispositions générales sur les mesures provisionnelles, en particulier de l'art. 261 CPC (TC, VD, CACI du 8 octobre 2012/468, publié in JdT 2012 III 228, et les références citées).

3.2 En matière de dépôts d'argent, il y a peu de trafic d'espèces. La plupart des opérations ont lieu sous forme de monnaie scripturale. La définition du contrat de dépôt, qui consiste à recevoir une chose mobilière et à la garder en lieu sûr (art. 472 al. 1 CO) ne s'applique par conséquent pas aux dépôts d'argent. La banque n'agit donc pas comme dépositaire, mais sur la base d'un contrat innomé qui emprunte ses caractéristiques au mandat et au dépôt (Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 2014, p. 200 et 201; ATF 101 II 117 consid. 5).

Les rapports entre une banque et son client s'articulent autour du contrat de compte courant, soit un contrat innommé en vertu duquel les prétentions et contre-prétentions portées en compte s'éteignent par compensation, une nouvelle créance prenant naissance à concurrence du solde (ATF 130 III 694 consid. 2.2.2; 127 III 147 consid. 2b). Lorsque le client donne en outre à la banque le mandat d'assumer son trafic de paiements, en effectuant des versements à sa place, en recevant des virements pour lui et en compensant les créances réciproques, il conclut tacitement avec elle un contrat distinct, appelé giro bancaire, qui est soumis aux règles du mandat (ATF 124 III 253 consid. 3b p. 256 111 II 447 consid. 1; 110 II 283 consid. 1; 100 II 368 consid. 3b et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 4A_301/2007 du 31 octobre 2007 consid. 2.1).

L'argent figurant sur le compte bancaire ouvert au nom du client est la propriété de la banque, envers laquelle le client n'a qu'une créance en restitution. Lorsque la banque vire de l'argent depuis ce compte à un tiers sur ordre (avec mandat) du client, elle acquiert une créance en remboursement contre celui-ci (art. 402 CO). A l'action en restitution du client, la banque peut donc opposer en compensation une créance en remboursement (ATF 146 III 121 consid. 3.1, arrêts du Tribunal fédéral 4A_9/2020 du 9 juillet 2020 consid. 5.1, 4A_119/2018 du 7 janvier 2019 consid. 5.2; 4A_379/2016 du 15 juin 2017 consid. 3.2.1).

3.3 En l'espèce, le Tribunal a retenu à raison que les conclusions de la requête visent à l'exécution d'une somme d'argent. Contrairement à ce que soutient l'appelant, la mesure requise ne porte pas sur une prestation en nature au sens de l'art. 262 let. d. CPC, comparable à la restitution d'une chose mobilière en application des règles sur la propriété ou sur la possession. En effet, l'exécution d'un ordre de paiement ne peut être qualifiée autrement que comme une prestation portant sur le versement d'une somme d'argent. Qu'il s'agisse de monnaie scripturale au lieu d'espèces n'y change rien. Le versement provisionnel d'une prestation en argent nécessite une base légale spécifique, afin d'éviter d'exposer le défendeur à un risque injustifié à l'encaissement de l'indu, dans l'hypothèse où l'existence de sa dette serait niée dans le cadre de l'action au fond.

Il n'existe aucune base légale expresse au sens de l'art. 262 let. e CPC permettant à l'appelant d'obtenir à titre provisionnel le prononcé d'une mesure l'autorisant à se faire remettre ou à faire remettre à un tiers une somme d'argent par la banque dont il est client, quelles que soient par ailleurs les conditions relevant du droit public telles que la décision rendue par le SECO en juin 2023.

La condition posée par l'art. 262 CPC à l'octroi de la mesure provisionnelle n'est par conséquent pas réalisée. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner les autres griefs soulevés par l'appelant.

La décision attaquée sera dès lors confirmée.

4. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de son appel (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 1'500 fr. (art. 26, 37 RFTMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al.1 CPC).

Il versera en outre à l'intimée 1'500 fr. à titre de dépens (art. 84, 85, 88, 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 4 septembre 2023 par A______ contre l'ordonnance OTPI/528/2023 rendue le 24 août 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/13124/2023–S1 SP.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'500 fr. compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de A______.

Condamne A______ à verser à C______ 1'500 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

La présidente :

Pauline ERARD

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.