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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/2943/2023

ACPR/820/2025 du 08.10.2025 sur OCL/1146/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;INFRACTIONS CONTRE LE DOMAINE SECRET
Normes : CPP.319; CP.179ter; CP.179quater; CP.21

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2943/2023 ACPR/820/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 8 octobre 2025

 

Entre

A______, représenté par Me Romain FELIX, avocat, SULMONI & FÉLIX, rue de Saint-Léger 2, 1205 Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 25 juillet 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 7 août 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 25 juillet 2025, notifiée le 28 juillet suivant, par laquelle le Ministère public a ordonné le classement de la procédure à la suite de sa plainte.

Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance entreprise en tant qu'elle porte sur les enregistrements sonores et vidéo effectués par B______, à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de condamner cette dernière pour enregistrement non autorisé de conversations (art. 179ter CP) et de violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d'un appareil de prise de vues (art. 179quater CP); subsidiairement, de renvoyer l'intéressée en jugement pour lesdites infractions.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Le 3 février 2023, B______ a fait appel à la police à la suite d'un conflit conjugal, puis s'est rendue au poste pour y déposer plainte contre son époux, affirmant être victime de violences physiques, psychologiques et verbales depuis plusieurs années. Leur fils de quatre ans avait, lui aussi, reçu des gifles du précité.

Entendue sans l’assistance d’un avocat, elle a expliqué que, sur les conseils de l’association C______, elle avait effectué plusieurs enregistrements de ces épisodes. La chambre de leur fils était par ailleurs équipée d’une caméra de surveillance, dont son conjoint connaissait la localisation et l’utilisation.

À l'appui de ses accusations, elle a produit des enregistrements audio, datés des 21 janvier et 25 octobre 2021, et vidéo, datés des 24 octobre 2022, ainsi que 4 janvier et 3 février 2023, sauvegardés sur son téléphone portable.

a.b. L’enregistrement audio du 21 janvier 2021 dure environ 30 secondes. On y entend B______ tenter de faire confirmer à son conjoint qu’il avait qualifié leur fils D______ de "plaie".

L’enregistrement audio du 25 octobre 2021 dure 1 minute 30 secondes. B______ essaie de faire confirmer à A______ que celui-ci aurait dit qu'il voulait la tuer et l'enterrer. L'intéressé semble finalement confirmer avoir tenu ces déclarations. Le ton employé et la mauvaise qualité de l'enregistrement ne permettent pas de déterminer si A______ est ironique ou non.

La vidéo du 24 octobre 2022, qui dure environ 18 secondes, enregistrée dans la chambre parentale vraisemblablement avec un smartphone dirigé de manière peu stable vers le bas, montre A______ donner une gifle à D______ puis l’enfant pleurer en se tenant la joue.

La vidéo du 4 janvier 2023, enregistrée par la caméra de vidéosurveillance située dans la chambre de D______, montre celui-ci dans son lit crachant de multiples postillons en tirant la langue et A______ le grondant en lui demandant d'arrêter, sans succès. À un moment donné, ce dernier lui assène une série de fessées puis pousse l’enfant qui tombe en arrière sur son lit et se cogne la tête contre les barreaux.

Un enregistrement du 3 février 2023, non litigieux, montre l’état de l'appartement conjugal, après l'altercation susmentionnée.

b. Informé le même jour, lors de son audition par la police, de l’existence d’enregistrements, A______ en a contesté la légalité.

c. Dans un courrier qu’il a adressé le 16 février 2023 au Ministère public, A______ indique notamment que son épouse « avait installé des caméras dans l’appartement, lesquelles enregistraient en continu les moindres faits et gestes de la famille […] alors qu’elle lui avait longtemps fait croire que ces caméras filmaient uniquement en direct, sans enregistrement ».

Il joint à son courrier la capture d’écran d’une suite de messages qu’il avait envoyés à son épouse le « 27 janvier » [dont il indique qu’il s’agissait du 23 janvier 2023], à teneur de laquelle il écrit : « Sache un truc B______ », « Si je trouve une autre caméra dans la maison », « Je t’attaque en justice pour enregistrement illégal », « J’ai déjà des preuves pour tes autres camera », « Pour lesquelles je n’ai jamais été d’accord du reste ».

d. Par courrier du 17 février 2023, B______, désormais assistée d’une avocate, a quant à elle sollicité, sans autre explication, le retrait du dossier pénal des deux enregistrements vocaux des 21 janvier et 25 octobre 2021, ainsi que de l’enregistrement vidéo du 24 octobre 2022 qu’elle avait produits à la police.

e. Le 22 février 2023 devant le Ministère public, A______ a déposé une plainte pénale contre B______ pour les enregistrements audio et vidéo effectués, à son insu, au domicile familial.

f. Les parties ont été entendues à propos de ces enregistrements le 4 juillet 2024.

f.a. A______ a expliqué n’avoir jamais eu connaissance d’avoir fait l’objet d’enregistrements sonores lors d’une de ses conversations avec son épouse et qu’il n’était en tout état absolument pas d’accord d’être enregistré. Il avait été choqué d’apprendre qu’il avait été filmé le 24 octobre 2022, sans son accord; il avait bien vu son épouse sur son téléphone mais n'avait pas compris qu’elle filmait, ce avec quoi il n’était « bien sûr » pas d’accord. Quant à la caméra installée dans la chambre de leur enfant, il avait été informé de ce qu’elle permettait un visionnage en direct, ce avec quoi il avait déjà fait part de son désaccord, mais aucunement un enregistrement.

f.b. B______ a, pour sa part, affirmé que les enregistrements étaient nécessaires car « sa vie et celle de son fils étaient en danger » et qu’il s’agissait du « seul moyen de le faire arrêter ». Elle avait dit à son époux qu’elle l’avait filmé et qu’elle allait déposer plainte contre lui. Il lui fallait une trace notamment pour informer sa mère s’il lui arrivait quelque chose. A______ était ainsi au courant de ces enregistrements, comme il l’était de la présence d’une caméra dans la chambre de leur fils, qu’il aurait d’ailleurs pu enlever s’il la désapprouvait. Elle avait enregistré la vidéo du 24 octobre 2022 au vu et au su de A______, dans une position qui ne pouvait être confondue avec celle d’une personne utilisant normalement son téléphone. Son mari était également au courant qu’elle l’enregistrait les 21 janvier et 25 octobre 2021.

g. A______ a contesté l’exploitabilité des enregistrements produits, recueillis illicitement. Le Ministère public a rendu une ordonnance de refus de retranchement immédiat desdits enregistrements. Le refus du Ministère public a été confirmé par la Chambre de céans dans un arrêt du 9 décembre 2024 (ACPR/920/2024), lequel relevait que les enregistrements en cause étaient susceptibles de tomber sous le coup des art. 179ter CP et 179quater CP, mais que, sauf à anticiper l'examen du juge du fond à l'issue de l'administration des preuves, il n'appartenait pas à la Chambre de céans d'examiner si les infractions en question étaient, ou non, réalisées, de sorte que le caractère manifestement inexploitable des preuves en cause ne s’imposait pas d’emblée.

C. a. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a classé les faits.

Les vidéos des 24 octobre 2022 et 4 janvier 2023 avaient été prises au domicile familial, partagé tant par B______ que par A______, de sorte qu'il n'y avait pas eu d'intrusion dans la sphère privée du second puisque cette sphère était partagée par les deux parties.

Les déclarations des parties étaient en outre contradictoires quant au consentement donné par A______, le cas échéant par acte concluant. Selon B______, il était au courant qu'il était filmé, respectivement enregistré, et ne s'y était nullement opposé. Cette hypothétique connaissance des enregistrements, dès leur captation, mettait par ailleurs en doute le respect du délai de plainte par A______, qui avait fait valoir ses droits lors de l'audience par devant le Ministère public du 25 mars 2023 [recte le 22 février 2023] alors que tous les enregistrements, à l'exception de celui du 4 janvier 2023, dataient de plus de trois mois.

En tout état, B______ avait indiqué avoir procédé à ces enregistrements pour se protéger et protéger son fils de mauvais traitements infligés par A______, invoquant de la sorte une forme d'état de nécessité de la preuve qui ne pouvait être apportée autrement pour faire valoir ses droits. Il apparaissait dès lors que dans sa représentation des faits et du droit, B______ avait agi conformément à la loi.

b. Par ordonnance pénale du même jour, le Ministère public a par ailleurs condamné A______ pour lésions corporelles simples, dommages à la propriété, violation du devoir d’assistance ou d’éducation et infraction la LStup. L’intéressé y a formé opposition. La procédure est actuellement pendante devant le Ministère public.

D. a. Dans ses écritures de recours, A______ relève qu’il se trouvait à son domicile lorsqu’il avait été enregistré et pouvait dès lors légitimement penser qu’il était protégé contre tout enregistrement sonore ou visuel.

Il n’avait par ailleurs pas consenti aux enregistrements produits. Il ne s’était jamais douté que son épouse enregistrait certaines de leurs conversations, notamment les 21 janvier et 25 octobre 2021. Il ne ressortait d’ailleurs pas de ces enregistrements qu’elle l’aurait prévenu qu’elle l’enregistrait ou lui aurait demandé son autorisation pour le faire. En tout état, même s’il avait, éventuellement, compris qu’il était enregistré, il n’en découlait pas encore un consentement tacite de sa part à l’utilisation ultérieure de ces enregistrements. La teneur desdits enregistrement montrait clairement que B______ n’avait aucun intérêt à lui demander son autorisation et on ne voyait pas quel aurait été son intérêt [à lui] à consentir à l’être, au vu du contexte. La mise en cause n’avait au demeurant pas invoqué son consentement lorsque lui-même avait invoqué leur inexploitabilité. L’intéressée avait agi intentionnellement, sachant qu’il n’était pas consentant à être enregistré. Quant à la vidéo du 24 octobre 2022, prise au moyen d’un téléphone portable, elle ne laissait aucunement apparaître qu’il aurait consenti à être filmé, ni expressément ni tacitement. Les images étaient prises depuis le bas et sur le côté et il n’avait jamais fixé l’objectif. En réalité, il ne s’était simplement pas rendu compte qu’il était filmé. S’agissant enfin de la vidéo du 4 janvier 2023, elle avait été filmée par une caméra de surveillance dans la chambre de D______, dont son épouse lui avait longtemps fait croire qu’elle permettait uniquement de filmer en direct sans procéder à un enregistrement des images, et dont il avait pris acte de la présence à contrecœur. Il n’avait jamais donné son consentement à l’enregistrement des images dont il ignorait qu'il fut possible.

Il n’avait eu connaissance de ces enregistrements que par le dépôt d'une plainte de son épouse le 3 février 2023 de sorte que sa plainte avait été déposée dans le délai légal.

Enfin, c’était encore à tort que le Ministère public avait retenu un état de nécessité, lequel supposait l’existence d’un danger imminent que la preuve de la commission d’une infraction ne disparût et la proportionnalité de l’acte de nécessité, notamment l’impossibilité de recueillir licitement la preuve. Le fait que son épouse laissait fréquemment D______ avec lui pendant plusieurs jours démontrait que B______ n’avait pas perçu de sa part de danger imminent pour la sécurité de son fils. En outre, les tentatives de réunir des preuves à son encontre avaient débuté deux ans avant le dépôt de la plainte pénale, ce qui prouvait, là également, que si elle avait éprouvé de réelles craintes pour sa vie et celle de son fils, elle n’aurait pas attendu si longtemps pour produire ses enregistrements.

En fin de compte, le classement entrepris violait le principe in dubio pro duriore.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir classé la procédure s’agissant des faits qu'il avait dénoncés comme étant constitutifs d'infractions aux art. 179ter et 179quater CP.

3.1.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public classe la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition s'interprète à la lumière du principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un certain pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).

3.1.2. L'art 179ter CP punit quiconque, sans le consentement des autres interlocuteurs, enregistre sur un porteur de son une conversation non publique à laquelle il prend part (al. 1), ou quiconque conserve un enregistrement qu’il sait ou doit présumer avoir été réalisé au moyen d’une infraction visée à l’al. 1, en tire profit ou le rend accessible à un tiers (al. 2). La poursuite a lieu sur plainte.

3.1.3. Selon l'art. 179quater al. 1 CP, est puni pour violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d’un appareil de prise de vue quiconque, sans le consentement de la personne intéressée, observe avec un appareil de prise de vues ou fixe sur un porteur d'images un fait qui relève du domaine secret de cette personne ou un fait ne pouvant être perçu sans autre par chacun et qui relève du domaine privé de celle-ci. La poursuite a lieu sur plainte.

3.1.4. Relève du domaine secret un fait connu d'un cercle restreint de personnes, qui n'est pas accessible à quiconque souhaite le connaître et que la personne veut garder confidentiel, en ayant pour cela un intérêt légitime (ATF 118 IV 41 consid. 4a). Les conflits familiaux sont notamment des faits secrets qui peuvent être constatés visuellement (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3e éd., Berne 2010, p. 659). Sont protégés les faits qui se déroulent dans la sphère privée au sens étroit, c'est-à-dire qui ne peuvent être perçus sans autre par tout un chacun. Pour délimiter la sphère privée au sens étroit des autres domaines, il convient d'examiner si l'on peut sans autre ̶ c'est-à-dire sans surmonter un obstacle physique ou juridico-moral ̶ prendre connaissance des événements concernés. Fait partie de la sphère privée au sens étroit le domaine privé protégé dans le contexte de la violation de domicile (art. 186 CP), soit une maison, un appartement, une pièce fermée d'une maison ou une place, une cour ou un jardin clos aux environs immédiats d'une maison. Si l'auteur pénètre physiquement dans le domaine privé protégé par l'art. 186 CP pour y observer un fait au moyen d'un appareil de prise de vues ou pour le fixer sur un porteur d'images, il remplit les conditions de l'infraction prévue à l'art. 179quater CP (ATF 118 IV 41 consid. 4 et ATF 137 I 327 consid. 6.1). L'art. 179quater al. 1 CP ne trouve cependant pas application dans les espaces utilisés en commun par différents habitants d’un immeuble, où ceux-ci ne bénéficient pas de la même protection de leur sphère privée que celle qui prévaut notamment dans leur appartement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1171/2022 du 19 octobre 2023 consid. 2.1. et référence citée). 

La disposition vise une intrusion dans le domaine secret ou le domaine privé d’autrui. La doctrine est partagée sur la question de savoir si elle s’applique aux personnes qui partagent la même intimité. Un auteur soutient qu’il n’y a pas d’infraction, par exemple, si, par jeu, une photo de famille est prise à l’improviste par l’un des membres de la famille (B. CORBOZ, op. cit., p. 658). D’autres auteurs soutiennent que celui qui se trouve dans le domaine protégé d’une personne, avec son accord, demeure punissable s’il enregistre des images d’elle sur un support, sans son consentement (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ, op. cit., n. 11 ad art. 179quater).

Enfin, le caractère répréhensible de l'acte réprimé par l'art. 179quater CP consiste dans l'absence de consentement de la part des personnes qui sont, dans des faits relevant du domaine secret ou du domaine privé, observées à l'aide d'un appareil de prise de vues ou dont l'image est fixée sur un support (arrêt du Tribunal fédéral 6B_630/2017 du 16 février 2018 consid. 1.2.1).

3.1.5. Selon l’art. 14 CP, quiconque agit comme la loi l’ordonne ou l’autorise se comporte de manière licite, même si l’acte est punissable en vertu du présent code ou d’une autre loi.

La jurisprudence admet l'existence de certains faits justificatifs extralégaux, soit qui ne sont pas réglés par le CP. Il s'agit notamment de la sauvegarde d'intérêts légitimes. Un éventuel fait justificatif extralégal doit être interprété restrictivement et soumis à des exigences particulièrement sévères dans l'appréciation de la subsidiarité et de la proportionnalité. Les conditions en sont réunies lorsque l'acte illicite ne constitue pas seulement un moyen nécessaire et approprié pour la défense d'intérêts légitimes d'une importance nettement supérieure à celle de biens protégés par la disposition violée, mais que cet acte constitue encore le seul moyen possible pour cette défense. Ces conditions sont cumulatives (ATF 146 IV 297 consid. 2.2.1; 134 IV 216 consid. 6.1; 129 IV 6 consid. 3.3; 127 IV 166 consid. 2b = SJ 2001 I 612; 127 IV 122 consid. 5c; arrêts du Tribunal fédéral 6B_200/2018 du 8 août 2018 consid. 3.2; 6B_960/2017 du 2 mai 2018 consid. 3.2).

L’art. 17 CP dispose quant à lui que quiconque commet un acte punissable pour préserver d’un danger imminent et impossible à détourner autrement un bien juridique lui appartenant ou appartenant à un tiers agit de manière licite s’il sauvegarde ainsi des intérêts prépondérants.

Enfin, l'erreur sur l'illicéité (art. 21 CP) vise le cas où l'auteur agit en ayant connaissance de tous les éléments constitutifs de l'infraction, et donc avec intention, mais en croyant par erreur agir de façon licite (ATF 141 IV 336 consid. 2.4.3;
129 IV 238 consid. 3.1). Les conséquences pénales d'une erreur sur l'illicéité dépendent de son caractère évitable ou inévitable. L'auteur qui commet une erreur inévitable est non coupable et doit être acquitté (art. 21 1ère phrase CP). Tel est le cas s'il a des raisons suffisantes de se croire en droit d'agir (ATF 128 IV 201 consid. 2). Une raison de se croire en droit d'agir est "suffisante" lorsqu'aucun reproche ne peut être adressé à l'auteur du fait de son erreur, parce qu'elle provient de circonstances qui auraient pu induire en erreur toute personne consciencieuse (ATF 128 IV 201 consid. 2; 98 IV 293 consid. 4a). En revanche, celui dont l'erreur sur l'illicéité est évitable commet une faute, mais sa culpabilité est diminuée. Il restera punissable, mais verra sa peine obligatoirement atténuée (art. 21 2ème phrase CP). Le renseignement ou l'instruction par une autorité compétente peut suffire pour admettre l'erreur sur l'illicéité (ATF 116 IV 56 consid. 3a; 98 IV 279 consid. 2a).

3.2. En l'espèce, les séquences vidéo litigieuses ont été enregistrées dans l’appartement familial, lequel relève, également, de la sphère privée du recourant, les enregistrements auxquels la mise en cause a procédé dans la chambre parentale ou dans celle de l’enfant n’ayant pas été effectués dans un espace commun au sens de la jurisprudence rappelée plus haut. Quant aux enregistrements audio, les parties semblent s’accorder à dire qu’ils ont été effectués à leur domicile, soit dans le domaine privé. Partant, ils peuvent tomber sous le coup des infractions pénales dénoncées.

Les parties divergent toutefois sur la question du consentement du recourant à être enregistré. Avec ce dernier, il faut retenir comme vraisemblable, à entendre les échanges audio, qu’il n’a pas été informé, ni n'a eu conscience d’avoir été enregistré les 21 janvier et 25 octobre 2021. Il en va possiblement de même pour l’enregistrement vidéo du 24 octobre 2022, compte tenu de l’angle de vue de la caméra et de sa position instable. S’agissant par contre de l’enregistrement du 4 janvier 2023, la mise en cause a indiqué que son époux était au courant de l’existence de la caméra installée dans la chambre de l’enfant et de son utilisation, alors qu’il affirme n’avoir appris l’existence de l’enregistrement que lorsqu’il avait été entendu par la police le 3 février 2023. Le dossier contient cependant un échange de messages du 27 janvier précédent dans lequel il parle explicitement d’enregistrements en lien avec les caméras installées dans l’appartement, ce qui contredit ainsi sa version.

Nonobstant ces contradictions sur le consentement ou non du recourant à ces enregistrements, le Ministère public a retenu l'état de nécessité pour conclure que la mise en cause était légitimée à procéder aux enregistrements litigieux. Le recourant conteste l’existence d’un tel état de nécessité, arguant en particulier que son épouse n’hésitait pas à lui laisser l’enfant plusieurs jours, preuve qu’elle ne craignait pas pour sa vie.

Il ressort du dossier que la mise en cause aurait procédé aux enregistrements litigieux sur conseils de l’association de défense de victimes qu’elle avait consultée. Rien ne permet de retenir que tel n’aurait pas été le cas. C’est également à la demande du policier qui l’a auditionnée qu’elle a remis lesdits enregistrements. D’ailleurs, le seul usage qu’elle en a fait a été de les remettre à la police, le recourant n’ayant jamais soutenu qu’elle les aurait diffusés à des tiers ou rendus publics d’une autre manière. Si elle a ainsi agi avec intention, il y a lieu de retenir qu'elle a cru agir de façon licite (art. 21 CP). La mise en cause, une fois assistée d'une avocate et donc informée des conséquences possibles de ses actes, a du reste demandé au Ministère public de retirer du dossier les enregistrements litigieux, ce qui démontre qu'au moment des faits, elle n'en avait pas conscience.

On peut dès lors retenir que, selon sa représentation des choses, elle n'avait pas conscience de l'illicéité de son comportement lorsqu'elle a procédé aux enregistrements, les estimant utiles à sa cause, au titre de moyens de preuve.


 

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée, par substitution de motifs.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront arrêtés à CHF 1’500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

6.             Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (art. 433 al. 1 let a CPP a contrario).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Catherine GAVIN, Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/2943/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

Total

CHF

1'500.00