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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/25423/2022

ACPR/518/2025 du 04.07.2025 sur OCL/124/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉLIT D'OMISSION;POSITION DE GARANT;SUICIDE;INCITATION ET ASSISTANCE AU SUICIDE;HOMICIDE PAR NÉGLIGENCE;EXPOSITION À UN DANGER;OMISSION DE PRÊTER SECOURS
Normes : CPP.319; CP.115; CP.117; CP.11; CP.127; CP.128

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/25423/2022 ACPR/518/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 4 juillet 2025

 

Entre

A______, B______ et C______, représentés par Me D______, avocate,

recourants,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 23 janvier 2025 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé...


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 3 février 2025, A______, B______ et C______ recourent contre l'ordonnance du 23 janvier 2025, notifiée le lendemain, en tant que le Ministère public a rejeté leurs réquisitions de preuves (ch. 1) et classé la procédure ouverte à la suite du suicide de leur fils, respectivement frère, le ______ novembre 2022 (ch. 2).

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, chiffrés à CHF 3'600.-, à l'annulation des chiffres 1 et 2 de cette ordonnance, au constat de la violation des art. 2, 3 cum 13 CEDH et 6 cum 13 CEDH, et au renvoi de la cause au Ministère public pour mise en œuvre, dans un délai de dix mois à compter de l'arrêt à rendre, des actes d'enquête énumérés.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Selon les déclarations qu'il a faites au Secrétariat d'État aux migrations (ci-après: SEM), lors de sa première audition, en mai 2021, E______, de nationalité afghane, est né le ______ 2004 – date qui sera ultérieurement mise en doute, une expertise du 10 août 2021 situant son âge entre 18,5 et 24 ans – en Iran, où il a grandi. Son père était décédé alors qu'il était enfant, il n'avait plus de contact depuis des années avec sa mère biologique, et avait été élevé par un oncle paternel.

Poussé par la pauvreté et des différends religieux avec ses frères, il avait quitté le pays, voyagé via la Turquie, déposé une demande d'asile en Grèce le 29 octobre 2019 et obtenu l'asile dans ce pays le 8 juillet 2020.

Il avait ensuite été transféré du camp de Moria, sur l'île de Lesbos – rapportant y avoir été battu et violé par d'autres migrants –, puis à Thessalonique, sur le continent, où il s'était rapidement retrouvé à la rue, ne parvenant pas à trouver d'emploi, malgré un permis de travail, en raison de son absence de maîtrise de la langue. Il avait alors pris un vol pour Zurich et avait déposé une nouvelle demande d'asile quelques jours plus tard, le 26 avril 2021.

E______ a expliqué à cette occasion que les quelques mois passés en Grèce constituaient un "trou noir", en raison de ce qu'il y avait subi, et qu'il était moralement "en miettes"; il souffrait de manque de sommeil et avait suivi deux ou trois séances de thérapie avec un psychiatre, qui lui avait prescrit des somnifères et des anxyolitiques.

b. À la suite du dépôt de sa demande d'asile, E______ a intégré le centre pour requérants d'asile de F______, où il a bénéficié d'un soutien psychiatrique hebdomadaire et d'un traitement antipsychotique (quétiapine 25 mg, 1 à 2 fois par jour) durant tout son séjour.

En septembre 2021, il a rejoint le centre d'hébergement de l'Hospice général G______ à Genève (ci-après: foyer G______), qui accueille des requérants d'asile mineurs non accompagnés, où il a été scolarisé.

c. Dans un rapport médical adressé au SEM le 1er février 2022, les Hôpitaux Universitaires de Genève (ci-après: HUG), à qui E______ avait été dirigé en raison d'une symptomatologie anxio-dépressive et d'un état de stress post-traumatique (sommeil perturbé, rumination sur le passé, flash-backs, cauchemars, idées suicidaires, idées noires), ont relaté son parcours, mentionnant, dans l'anamnèse, une tentative de suicide par défenestration en Iran, dans le cadre d'une souffrance psychique liée aux conditions de vie difficiles.

Les signataires du rapport ont noté que l'intégration du foyer G______, où il bénéficiait d'un encadrement socio-éducatif, et la reprise de sa scolarisation, avaient permis d'améliorer ses symptômes et de faire disparaître les idées suicidaires.

Pour autant que E______ ait accès à un suivi spécialisé avec psychothérapie et à des mesures psychosociales d'intégration adéquates, le pronostic pourrait être considéré comme bon. Un renvoi en Grèce y nécessiterait une prise en charge médicale et sociale ciblée, avec un logement digne, l'accessibilité d'un traducteur et la possibilité de débuter l'acquisition de la langue. Les signataires du rapport ne connaissaient toutefois pas de structure de soins correspondant à ces exigences.

En l'absence de traitement, le pronostic de stress post-traumatique était très mauvais. Les symptômes pouvaient s'aggraver très rapidement et avoir un impact majeur sur le fonctionnement de l'intéressé. Une réactivation traumatique pouvait aboutir à des états dissociatifs avec perte de contact avec la réalité. Le patient présenterait alors un risque de passage à l'acte suicidaire élevé.

En particulier, au vu des événements rapportés, un retour de E______ dans son pays d'origine ou en Grèce, qui l'exposerait au contexte initial traumatique, c'est-à-dire où il avait subi des violences, le mettrait en risque de décompensation psychique. Le risque de passage à l'acte suicidaire en cas de renvoi était par conséquent élevé.

d. Le 25 février 2022, le SEM a rendu une décision de non-entrée en matière sur la demande d'asile formée par E______, au motif qu'il avait obtenu le statut de réfugié en Grèce et que ce pays avait accepté de le réadmettre, qu'il n'était pas établi qu'il fût mineur, que la Grèce était tenue, juridiquement, de respecter les normes minimales relatives aux conditions d'accueil des ressortissants de pays tiers (droit d'exercer une activité salariée, d'avoir accès au système éducatif et de formation, à l'assistance sociale, à un logement, à des programmes d'intégration) et que rien ne permettait de penser qu'elle ne s'y soumettait pas, la preuve de manquements concernant E______ n'étant pas rapportée. Les rapports médicaux établis entre mai et septembre 2021 concernant son état de santé mentionnaient un trouble de l'adaptation, un épisode dépressif léger et un état de stress post-traumatique, traités avec des médicaments à base de plantes, un antipsychotique et un suivi individuel hebdomadaire comportant des entretiens psychothérapeutiques et psychiatriques, avec une évolution favorable dans l'ensemble. Rien n'indiquait dès lors que sa situation médicale fût si grave ou si particulière qu'elle puisse s'opposer à un retour en Grèce, qui disposait d'une infrastructure médicale permettant le traitement de toutes les formes de maladie. Dans ces conditions, la mention d'un risque suicidaire n'était pas de nature à contraindre les autorités à revoir leur position et il appartenait à son médecin traitant de le préparer au mieux à son départ de Suisse.

e. Le 7 mars 2022, E______ a formé recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral, avec l'aide de H______, juriste auprès de la protection juridique de l'association I______, au centre pour requérants d'asile de F______.

Il y a notamment rappelé les conditions extrêmement difficiles qu'il avait vécues en Grèce, dont le viol qu'il avait subi et les mois passés dans la rue, estimant que le SEM n'en avait pas tenu compte, se limitant à énoncer des généralités, bien éloignées de la réalité. La Grèce avait été désignée par le législateur comme un pays sûr, mais cette présomption pouvait être renversée. Or, tel était le cas, au vu des nombreux rapports internationaux concordants faisant état des difficultés pratiques engendrées par la mise en œuvre des droits fondamentaux pour les requérants d'asile dans ce pays. Il n'avait ainsi jamais pu y bénéficier d'un traitement psychiatrique, alors que le stress-post-traumatique dont il souffrait avait en grande partie été généré par les difficultés qu'il y avait subies. À l'issue de leur rapport du 1er février 2022, les HUG avaient d'ailleurs insisté sur le fait que son état requérait des entretiens psychothérapeutiques réguliers durant au moins six mois et que le risque suicidaire était élevé en cas de retour dans le pays où il avait subi des traumatismes, ce que le SEM avait méconnu dans sa décision de non-entrée en matière.

f. Par arrêt du 7 novembre 2022 – rendu sans échange d'écritures –, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours de E______.

La Grèce était un pays présumé sûr, respectant le principe du non-refoulement. Le renvoi de Suisse n'était pas prohibé du seul fait que des violations des droits humains pouvaient y être constatées. Sans méconnaître les informations résultant des rapports de plusieurs organisations relatifs à la situation des titulaires d'une protection internationale en Grèce, il n'y avait pas lieu de conclure que ces derniers s'y trouvaient, d'une manière générale, confrontés à l'indifférence générale et dans une situation de privation ou de manque à ce point grave qu'elle serait incompatible avec la dignité humaine. L'intéressé n'établissait ainsi pas que son retour en Grèce le conduirait irrémédiablement à un dénuement complet, à la famine, ainsi qu'à une dégradation grave de son état de santé, à l'invalidité, voire à la mort, soit une situation contraire à l'art. 3 CEDH. Comme retenu par le SEM, il ne pouvait qu'être constaté que les brutalités dont E______ avait allégué avoir été l'objet en Grèce n'étaient pas établies, le diagnostic de stress post-traumatique n'étant pas une preuve en soi, des événements antérieurs à son départ d'Iran pouvant également être à l'origine de ses troubles psychiques, ainsi qu'en témoignait la tentative de suicide qu'il avait évoquée. Malgré les troubles diagnostiqués, E______ se trouvait dans une situation médicale stable, ne nécessitant pas d'intervention d'urgence, rien n'indiquant qu'il ne pourrait pas continuer à bénéficier des soins requis en Grèce. Selon la jurisprudence, des tendances suicidaires ne constituaient, pour le surplus pas, en soi, un obstacle à l'exécution du renvoi, seule une mise en danger présentant des formes concrètes devant être prises en considération. Par conséquent, si des menaces auto-agressives devaient apparaître au moment de l'organisation du départ de Suisse, il appartiendrait aux thérapeutes du recourant, respectivement aux autorités chargées de l'exécution du renvoi, de prévoir des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation.

g. Cet arrêt a été notifié, à une date indéterminée, mais vraisemblablement le 10 novembre 2022, à E______, soit pour lui H______, à F______, au SEM et à l'Office cantonal de la population et des migrations de Genève (ci-après: OCPM).

Par pli du 25 novembre 2022, H______ l'a transmis à E______, en lui expliquant qu'il existait encore des voies pour demander de rester en Suisse et qu'il pouvait contacter à cette fin les différentes associations citées en annexe.

h. Le ______ novembre 2022, dans l'après-midi, E______ a sauté dans le Rhône depuis le pont de la Jonction : deux témoins l'on vu enlever sa veste et son sac à dos, avant d'enjamber le parapet et se précipiter dans le vide. Malgré l'intervention rapide des secours, les tentatives de réanimation ont échoué et son décès a été constaté à 15h19.

i. La police s'est rendue au foyer G______, où le responsable de l'unité, J______, leur a appris que E______ avait été débouté ______ jours plus tôt de sa demande d'asile.

Dans les affaires du jeune homme ont été trouvées des notes manuscrites, dont l'une adressée au "juge de la SME", datée du 28 novembre 2022, dans laquelle il décrivait son parcours en Suisse, faisait part de son ressenti, expliquait qu'il ne parvenait pas à s'imaginer vivre en Grèce, ni vivre tout court, et terminait par ces termes: "L[e] ______ novembre je commence la grève de la faim." "mais après le repas de midi J", et l'autre, adressant des remerciements à un certain nombre de personnes, dont "K______".

j. Le 28 mars 2023, C______ et B______, respectivement sœur et frère de E______, ont déposé plainte contre inconnu pour assistance au suicide, homicide par négligence, exposition, omission de prêter secours et toute autre disposition légale applicable.

Selon eux, les autorités fédérales, soit les juges du Tribunal administratif fédéral et les fonctionnaires du SEM, avaient connaissance des antécédents de leur frère, de la gravité de son état de santé, de sa détresse et du risque suicidaire qu'il présentait, ce qui avait créé une obligation positive à leur charge et donc, une position de garant. Il leur incombait dès lors à tout le moins d'en informer les autorités genevoises.

Pour autant que l'instruction démontrât que la procédure de communication des informations prévue par la loi avait été respectée, il aurait alors incombé à tout le moins aux autorités cantonales, en particulier aux fonctionnaires de l'OCPM et de l'Hospice général, ainsi qu'aux personnes chargées du foyer G______, singulièrement, à son éducateur référent, K______, tous ayant également une position de garant, de prendre les mesures nécessaires pour pallier le risque suicidaire et porter secours à E______.

C______ et B______ sollicitaient, à titre de mesures probatoires, le dépôt du dossier médical de E______ auprès des HUG (afin de connaître son état de santé exact et les soins dont il avait bénéficié après la réception de l'arrêt du Tribunal administratif fédéral et de l'extrait des registres migratoires le concernant (afin de déterminer ce qu'ils contenaient et si les informations concernant son cas particulier avaient été correctement transmises aux autorités cantonales), l'audition de ses médecins traitants, psychiatres et psychologues (pour connaître son état de santé exact, sa capacité de discernement et le suivi dont il avait bénéficié après la réception de l'arrêt du Tribunal administratif fédéral), de H______ (pour établir le moment où leur frère avait appris son renvoi, ainsi que son état et sa capacité de discernement d'alors), de ses éducateurs et assistants sociaux (pour connaître les mesures mises en place au foyer G______ pour pallier l'état psychique fragile de certains résidents, le protocole à appliquer en cas de risque accru de passage à l'acte et, cas échéant, déterminer s'il l'avait été) et de ses amis du foyer (pour déterminer son état de santé et sa capacité de discernement après réception de la confirmation de son renvoi).

k. Le 11 avril 2023, A______, mère de E______, a déposé plainte pénale à son tour.

l. Le 21 juillet 2023, le Centre universitaire romand de médecine légale a rendu son rapport, après avoir procédé à l'autopsie du corps de E______.

Celle-ci a mis en évidence des lésions évoquant une automutilation fraiche au niveau de l'avant-bras gauche (plaie superficielle et fines plaques parcheminées assimilables à des estafilades). L'analyse des échantillons de sang n'a pas révélé la présence d'alcool éthylique, mais en revanche celle de MDMA (ecstasy), de MDA (métabolite de la MDMA) – les résultats indiquant une consommation récente – et de caféine. L'analyse de l'urine a quant à elle mis en évidence, outre la présence des substances susmentionnées, celle de nicotine.

m. Le 9 novembre 2023, le Ministère public a ordonné le dépôt des dossiers de E______ auprès des HUG et de l'OCPM.

n.a. Il ressort du premier qu'après une première visite médicale pour migrants le 29 avril 2021 au foyer de F______, E______ y avait bénéficié de consultations médicales quasi hebdomadaires. Il avait ensuite été accueilli, à son arrivée à Genève, pour une visite médicale, dans le cadre du programme "L______" des HUG, étant précisé qu'il était accompagné ce jour-là de son éducateur d'alors au foyer G______ (qui n'était pas K______). À partir du 12 octobre 2021, il avait été suivi de manière mensuelle par le Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie Intégrée (ci-après: CAPPI) [du quartier] de M______, en lien avec ses troubles dépressifs, les médecins notant que, malgré une rémission partielle depuis octobre 2021 (amélioration de sa thymie et diminution des angoisses depuis qu'il suivait des cours et pratiquait du sport), son état psychique demeurait fragile et son contexte social précaire. Selon les notes de suite rédigées par les différents intervenants (infirmières, médecins), qui étaient également en contact régulier avec H______ et les éducateurs du foyer G______, le jeune homme se montrait calme et collaborant, présentait une thymie neutre, des troubles de l'endormissement mais pas de cauchemars, et se montrait capable de se projeter dans l'avenir. Des discussions avaient eu lieu avec son avocat autour du dispositif mis en place par le CAPPI dans l'hypothèse d'une péjoration de son état en lien avec une réponse négative sur son recours (cf. note du 2 mai 2022 du Dr N______).

E______ avait cessé de se présenter aux rendez-vous fixés à partir de mai 2022, malgré les tentatives de prises de contact des médecins. Le 26 septembre 2022, K______ avait téléphoné au CAPPI pour prendre rendez-vous pour le jeune homme qui, selon lui, traversait une période difficile depuis deux semaines, après une dispute verbale avec des camarades de classe. Lorsqu'il s'était présenté au CAPPI le lendemain, E______ avait indiqué qu'il continuait d'investir l'école et avait une petite amie; il ressentait de la colère vis-à-vis d'un agresseur à l'école, mais s'était montré calme, globalement collaborant, bien soigné, orienté, capable de se projeter dans l'avenir, la thymie demeurant neutre et le sommeil décrit comme bon. Il considérait qu'un suivi était une perte de temps. Le 31 octobre 2022, E______ avait consulté le programme "L______" des HUG pour un zona; il avait déclaré à cette occasion être sans nouvelles de son recours et que son état psychique était stable: il avait peu de pensées "négatives", se concentrait sur l'école et ne pensait pas trop à sa situation administrative; son sommeil était bon et il estimait n'avoir pas besoin d'un suivi psychologique; il avait pris note du fait que les médecins étaient à disposition selon l'évolution de son état.

La dernière note a été rédigée le 6 décembre 2022, quelques jours après l'annonce du décès de E______. Selon celle-ci, l'intéressé avait eu connaissance du rejet de sa demande d'asile après s'être déplacé à F______, le 28 novembre précédent. Le lendemain, accompagné de K______ et de sa famille relais, il avait contacté une juriste de O______ [organisation caritative]; le même jour, vraisemblablement sur conseil de cette dernière, son éducateur avait sollicité le CAPPI pour une reprise de suivi, "sans notion d'urgence ou de menace de passage à l'acte transmis".

n.b. Il ressort du dossier de l'OCPM que ce dernier a été averti par le SEM que E______ était attribué au canton de Genève le 10 septembre 2021; six jours plus tard, l'Hospice général a informé l'OCPM ainsi que les personnes intervenants, à Genève, dans son hébergement et son suivi médical (infirmière, HUG) de son arrivée dans le canton le même jour; le 14 novembre 2022, l'OCPM a reçu l'arrêt du Tribunal administratif fédéral du 7 précédent; le 22 novembre 2022, l'OCPM a sollicité du SEM la copie de sa décision du 25 février 2022; le même jour, l'OCPM a annoncé à l'Hospice général que cette décision était entrée en force le 9 précédent.

Figurent également dans le dossier de l'OCPM le procès-verbal d'audition de E______ par le SEM du 10 mai 2021, un formulaire "annonce préalable cas spéciaux aux cantons", daté du 5 mai 2021, mentionnant l'existence d'une maladie psychique nécessitant un suivi médical, ainsi que divers échanges entre autorités ou avec la famille du défunt, en vue du rapatriement du corps en Afghanistan et à l'inscription du décès dans les bases informatiques étatiques.

o. Le 18 novembre 2024, le Ministère public a informé les plaignants de son intention de classer la procédure.

p. Dans le délai imparti pour formuler d'éventuelles réquisitions de preuve, A______, C______ et B______ ont reproché au Ministère public de n'avoir entrepris aucun acte d'enquête pour déterminer quelles personnes étaient informées des signes de détresse importants que E______ présentait et quelles mesures avaient été prises pour pallier le risque suicidaire connu. Tant le SEM que le Tribunal administratif fédéral avaient connaissance des antécédents de la victime et de la gravité de sa maladie mentale, ce qui leur imposait à tout le moins d'informer les autorités genevoises de la détresse de l'intéressé et du risque suicidaire accru. Or, l'on ignorait à qui le formulaire "annonce préalable cas spéciaux aux cantons" – qui ne mentionnait pas le risque suicidaire – avait été transmis, ni si des personnes autres que des fonctionnaires de l'OCPM, susceptibles de revêtir une position de garant, en avaient eu connaissance. Le dossier de l'OCPM ne faisait pas non plus état d'échanges d'informations avec les autorités fédérales, postérieurement à la réception de l'arrêt du 7 novembre 2022, au sujet des mesures préventives à prendre pour éviter la survenance du risque dans le cadre de l'exécution du renvoi de E______. Il convenait dès lors de déterminer pourquoi aucune mention du risque suicidaire n'avait été faite aux autorités cantonales et si un tel silence était conforme à la procédure ordinaire du SEM. À défaut, il convenait de déterminer à qui il appartenait de faire ces communications et qui endossait une responsabilité pénale, compte tenu de la position de garant qui existait.

C. Le Ministère public a justifié la décision querellée par le fait que les éléments constitutifs des infractions invoquées n'étaient pas réalisés.

L'on ne pouvait en effet considérer que les fonctionnaires du SEM ou les juges du Tribunal administratif fédéral avaient, en rendant des décisions qui leur paraissaient justes au regard des circonstances et du droit, poussé, au sens de l'art. 115 CP, E______ à se donner la mort, étant précisé que H______ avait indiqué à ce dernier qu'il existait encore des voies de droit pour demander à rester en Suisse; les mis en cause n'avaient pas non plus agi pour un mobile égoïste. L'infraction d'assistance au suicide devait dès lors être exclue.

Le personnel du foyer G______ n'avait pas manqué de diligence dans l'exercice de son activité et n'avait pas fait preuve de négligence dans le cadre de la prise en charge de E______, avant que ce dernier mette fin à ses jours. L'infraction d'homicide par négligence n'était ainsi pas non plus réalisée.

Les autorités fédérales et cantonales n'avaient pas de devoir de protection envers la victime, de sorte que l'infraction d'exposition n'entrait pas en considération. Le danger n'était par ailleurs pas venu de l'extérieur, excluant en toute hypothèse l'application de l'art. 127 CP.

Enfin, E______ n'était pas en danger de mort imminent, au sens de l'art. 128 al. 1 2ème hypothèse CP, de sorte que nul ne pouvait se voir reprocher une omission de prêter secours.

D. a. Dans leur recours, A______, C______ et B______, après avoir rappelé les obligations, tant de la Confédération que des cantons, en matière d'asile, le droit de toute personne à la vie et l'obligation faite aux autorités chargées de l'exécution d'un renvoi, en présence de tendances suicidaires, d'y remédier au moyen de mesures médicamenteuses ou psychothérapeutiques adéquates, soutiennent que ces obligations pouvaient, conformément à l'art. 11 CP, faire naître une position de garant.

Ils affirment par ailleurs que les juges du Tribunal administratif fédéral et les fonctionnaires du SEM avaient connaissance du dossier médical de E______ et du fait qu'un renvoi aggraverait le risque suicidaire. Il leur incombait donc de prendre, en leur qualité de garant, les mesures nécessaires pour le prévenir, à tout le moins d'informer les autorités cantonales chargées du renvoi de l'existence de ce risque et des mesures à prendre pour l'éviter, et enfin de s'assurer que ces dernières étaient prises. Le Ministère public devait dès lors instruire ces aspects, de même qu'identifier les agents de l'État qui étaient informés du risque concret de passage à l'acte et avaient, cas échéant, manqué à leur obligation de communiquer cette information aux autorités cantonales. Il devait également poursuivre l'instruction pour déterminer si – en dehors du personnel du foyer G______ – ces dernières avaient une position de garant; tel serait le cas si l'enquête permettait d'établir que les autorités fédérales leur avaient transmis, postérieurement à l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, les informations nécessaires sur l'état de santé de E______ et son risque suicidaire, ce qui, en l'état, ne ressortait pas du dossier de l'OCPM.

Compte tenu de cette position de garant, il existait un doute sur la réalisation des éléments constitutifs des art. 115 et/ou 117 CP. À cet égard, contrairement à ce qu'avait retenu le Ministère public, les éducateurs du foyer G______, singulièrement K______, avaient connaissance de l'arrêt du Tribunal administratif fédéral; certains fonctionnaires de l'Hospice général, voire d'autres membres du personnel du foyer, avaient également probablement connaissance de cette décision et de l'impact qu'elle pourrait avoir sur l'état de santé de E______. Il leur appartenait donc de le soutenir. L'état et la capacité de discernement de ce dernier avant son décès devaient également être instruit.

Il n'appartenait pas au Ministère public de se prononcer sur la controverse doctrinale quant à l'application de l'art. 127 CP en cas de suicide; cette question n'ayant pas été tranchée par le Tribunal fédéral, un renvoi en jugement, en application du principe in dubio pro duriore s'imposait.

L'arrêt du Tribunal administratif fédéral avait causé à E______ une réactivation traumatique grave. Or, une blessure psychique suffisait pour que l'art. 128 al. 1 1ère hypothèse CP trouve application. Il appartenait ainsi aux fonctionnaires du SEM, respectivement aux magistrats du Tribunal administratif fédéral, de prendre les mesures nécessaires pour lui prêter secours. Contrairement à l'avis du Ministère public, il n'était pas possible d'affirmer, en l'absence de mesures d'enquête, que E______ n'était pas en danger de mort imminent après avoir pris connaissance de la décision de renvoi, l'application de l'art. 128 al. 1 2ème hypothèse CP ne pouvant être écartée.

b. À réception, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des proches du lésé décédé qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b, 118 al. 1 et 121 al. 1 CPP;
ATF 146 IV 76 consid. 2.3; ACPR/1007/2019 du 18 décembre 2019), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Conformément à l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore qui découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 CPP ; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ne peut être prononcé que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 et 138 IV 86 consid. 4.1.2).

4. Les recourants considèrent qu'il existe un doute sur une possible application de l'art. 115 CP.

4.1. À teneur de cette disposition, est punissable quiconque, poussé par un mobile égoïste, incite une personne au suicide, ou lui prête assistance en vue du suicide, si le suicide a été consommé ou tenté.

Le mobile égoïste représente une condition sine qua non de l'application de cette disposition. L'auteur est mû par un mobile égoïste s'il cherche à satisfaire des intérêts personnels de nature matérielle ou affective, qui vont au-delà de la simple indifférence. Il correspond le plus souvent à la cupidité (dessein de lucre), à la haine, au désir de vengeance ou à la méchanceté (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 11 ad art. 115; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 17 ad art. 115).

4.2. Dans le cas présent, les recourants analysent l'art. 115 CP, mais omettent de développer la condition subjective du mobile égoïste, pourtant expressément écartée par le Ministère public dans la décision querellée. Or, il n'existe aucun indice de la réalisation de ce mobile en l'espèce, les recourants ne prétendant d'ailleurs pas que l'une ou l'autre des personnes qu'ils mettent en cause aurait eu un intérêt quelconque à voir mourir E______, ni qu'elle aurait agi dans un dessein égoïste. Partant, sans même devoir examiner les autres conditions de l'art. 115 CP, cette infraction n'est pas réalisée.

Le recours sera dès lors rejeté sur ce point.

5. Les recourants invoquent également l'art. 117 CP.

5.1. Selon cette disposition, est puni quiconque, par négligence, cause la mort d’une personne.

Il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l'auteur agit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L'imprévoyance est coupable quand l'auteur n'a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle. Il faut que l'auteur ait, d'une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d'autre part, il n'ait pas déployé l'attention et les efforts que l'on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir (ATF 143 IV 138 consid. 2.1; 135 IV 56 consid. 2.1).

La négligence suppose en premier lieu la violation d'un devoir de prudence, c'est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale, qui interdit de mettre en danger les biens d'autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires. Un comportement dépassant les limites du risque admissible viole le devoir de prudence s'il apparaît qu'au moment des faits, son auteur aurait dû, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte de la mise en danger d'autrui. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut donc se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l'auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d'associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence (ATF 145 IV 154 consid. 2.1). La violation des devoirs de la prudence peut aussi être déduite des principes généraux, si aucune règle spéciale de sécurité n'a été violée (ATF 135 IV 56 consid. 2.1). L'attention et la diligence requises sont d'autant plus élevées que le degré de spécialisation de l'auteur est important (ATF 138 IV 124 consid. 4.4.5 et 136 IV 76 consid. 2.3.1).

En second lieu, pour qu'il y ait négligence, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c'est-à-dire qu'il faut pouvoir reprocher à l'auteur une inattention ou un manque d'effort blâmable (ATF 145 IV 154 consid. 2.1).

5.2. Une infraction de résultat, qui suppose en général une action, peut aussi être commise par omission si l'auteur est resté passif au mépris d'une obligation juridique qui lui commandait impérieusement d'agir pour éviter le résultat (cf. art. 11 al. 1 CP).

Reste passif en violation d'une obligation d'agir celui qui n'empêche pas la mise en danger ou la lésion d'un bien juridique protégé par la loi pénale bien qu'il y soit tenu à raison de sa situation juridique, notamment en vertu de la loi, d'un contrat, d'une communauté de risques librement consentie ou de la création d'un risque (al. 2). Celui qui reste passif en violation d'une obligation d'agir n'est punissable à raison de l'infraction considérée que si, compte tenu des circonstances, il encourt le même reproche que s'il avait commis cette infraction par un comportement actif (al. 3). Le juge peut atténuer la peine (al. 4).

N'importe quelle obligation juridique ne suffit pas. Il faut qu'elle ait découlé d'une position de garant, c'est-à-dire que l'auteur se soit trouvé dans une situation qui l'obligeait à ce point à protéger un bien déterminé contre des dangers indéterminés (devoir de protection), ou à empêcher la réalisation de risques connus auxquels des biens indéterminés étaient exposés (devoir de surveillance), que son omission peut être assimilée au fait de provoquer le résultat par un comportement actif (ATF 148 IV 39 consid. 2.3.2; 141 IV 249 consid. 1.1).

Une partie de la doctrine considère même que la création d'un risque autorisé ne ferait jamais naître une position de garant et exige que l'acte créant le danger soit illicite (cf. L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 43 ad art. 11).

5.3. Un comportement est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des conditions sine qua non, c'est-à-dire si, sans lui, le résultat ne se serait pas produit ou du moins pas de la même manière; il n'est pas nécessaire que l'événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat (ATF 143 III 242 consid. 3.7;
142 IV 237 consid. 1.5.1; 139 V 176 consid. 8.4.1).

Le rapport de causalité est qualifié d'adéquat lorsque, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3). La causalité adéquate sera admise même si le comportement de l'auteur n'est pas la cause directe ou unique du résultat. Peu importe que le résultat soit dû à d'autres causes, notamment à l'état de la victime, à son comportement ou à celui de tiers. La causalité adéquate peut toutefois être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d'un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. L'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener et notamment le comportement de l'auteur (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.2; 131 IV 145 consid. 5.2).

Pour examiner le lien de causalité dans le cas d'une violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l'accomplissement de l'acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s'est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.1).

5.4. En l'occurrence, les recourants considèrent que les autorités fédérales et cantonales qui ont eu à connaître de la situation de E______ avaient une position de garant vis-à-vis de celui-ci, en raison du risque de suicide – clairement identifié – en lien avec la décision de renvoi et de l'obligation de protection assumée par l'État.

À supposer qu'une telle position de garant soit établie – question qui souffre de demeurer indécise –, encore faudrait-il que les personnes impliquées aient manqué à leurs devoirs, ce qui nécessiterait d'identifier quelles mesures elles auraient concrètement dû prendre pour éviter le drame qui s'est produit.

Ainsi que l'a rappelé la Chambre de céans dans un arrêt concernant un cas similaire à la présente affaire, tout employé œuvrant au sein d'une autorité active dans le domaine de l'asile ne saurait être tenu responsable des défaillances éventuelles dans l'accueil des jeunes requérants d'asile, car cela reviendrait à mettre en cause pénalement l'État, qui n'est pas sujet de droit pénal, ou à faire supporter à des individus les conséquences d'une activité étatique sur laquelle ils n'ont pas prise. Par conséquent, à moins d'établir qu'il aurait été possible aux mis en cause de perfectionner l'accueil des mineurs avec les ressources dont ils disposaient, il est exclu de faire supporter une responsabilité pénale individuelle à ces personnes (cf. ACPR/169/2025 du 28 février 2025 consid. 4.9).

Dans la mesure où la mention des tendances suicidaires de E______ figurait dans l'arrêt du Tribunal administratif fédéral du 7 novembre 2022, il convient de retenir que cette information et les risques liés à un renvoi en Grèce étaient connus, avant le décès de l'intéressé, d'un large cercle de personnes pouvant être rattachées aux différentes autorités et services mis en cause par les recourants.

Il n'en demeure pas moins que l'art. 117 CP ne trouve application que pour autant que l'auteur ait eu la possibilité d'agir, et de manière efficace. L'on ne saurait en effet reprocher à l'auteur de ne pas avoir adopté un comportement actif qu'il n'était pas en mesure d'adopter.

À cet égard, force est de constater que, sitôt sa symptomatologie anxio-dépressive et les tendances suicidaires de E______ connues, un suivi médical régulier a été mis en place, tout d'abord au foyer de F______, puis à Genève auprès du CAPPI et des HUG. Ce suivi en a permis l'amélioration, puisque l'intéressé a lui-même indiqué, moins d'un mois avant son décès, que son état psychique était stable, qu'il avait peu de pensées négatives, ne pensait pas trop à sa situation administrative et n'avait pas besoin d'un suivi psychologique. L'extrait de son dossier médical fait par ailleurs ressortir une constante préoccupation de son entourage (personnel médical, conseil juridique, éducateurs) autour de la mise en place d'un dispositif dans l'hypothèse d'une péjoration de son état. Ainsi, à réception de la décision de renvoi, E______ n'a-t-il pas été livré à lui-même : H______ a eu un entretien avec lui à F______, lors duquel le premier a indiqué au second que toute possibilité de rester en Suisse n'était pas pour autant exclue. Le lendemain, E______ s'est rendu à O______ [organisation caritative], accompagné de plusieurs personnes, dont son éducateur référant, pour évoquer les diverses pistes envisageables. À la suite de ce rendez-vous, une demande de reprise de suivi au CAPPI a été formulée, étant rappelé que les médecins avaient toujours dit à E______ être à sa disposition en cas de nécessité, ce que l'intéressé n'ignorait pas, puisqu'il s'était rendu à une consultation le 31 octobre 2022 pour un zona.

Il appert ainsi qu'un grand nombre de mesures ont été prises pour entourer le jeune homme dans son difficile parcours de migrant et lui dispenser les soins médicaux requis. Or, les recourants, qui font grand cas du cercle de personnes ayant eu connaissance de l'arrêt du Tribunal administratif fédéral avant que E______ se donne la mort, n'expliquent pas de manière précise ce que ces dernières auraient dû accomplir pour éviter le résultat dommageable et qu'elles auraient omis de faire: le suivi de E______ avait été délégué au canton de Genève par les autorités fédérales, de sorte que les membres de celles-ci – qu'ils soient fonctionnaires du SEM ou juges fédéraux – pouvaient légitimement, en l'absence d'informations contraires, considérer que la prise en charge de l'intéressé par l'Hospice général était adéquate. Le même raisonnement vaut pour les fonctionnaires de l'OCPM qui ont eu connaissance de la décision de renvoi. Quant à K______, qui semble avoir été l'un des derniers représentants étatiques à avoir discuté avec E______, la teneur de son message au CAPPI démontre qu'il n'a pas identifié de risque de passage à l'acte imminent de son protégé, sans qu'aucun élément permette de considérer que tel aurait dû être le cas (cf. infra ch. 6), étant rappelé qu'il n'est pas médecin.

Dans ces conditions, c'est à juste titre que le Ministère public a considéré qu'il n'existait pas de soupçon suffisant de la réalisation des conditions de l'art. 117 CP et que les mesures d'enquête sollicitées n'étaient pas de nature à modifier cette solution.

6. Les recourants soulèvent encore une infraction d'exposition.

6.1. L'art. 127 CP vise quiconque, ayant la garde d’une personne hors d’état de se protéger elle-même ou le devoir de veiller sur elle, l’expose à un danger de mort ou à un danger grave et imminent pour la santé, ou l’abandonne en un tel danger.

La victime doit être dans une situation où elle ne peut écarter elle-même le danger qui la menace, et a besoin de l'aide d'autrui, en raison de diverses circonstances, telles que le jeune âge, l'infirmité, la maladie ou l'ivresse (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1098/2017 du 5 avril 2018 consid. 4.3 et 6B_473/2016 du 22 juin 2017 consid. 1.2.1 ; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI [éds], op.cit., n. 6 ad art. 127).

Selon une partie de la doctrine, le danger doit venir de l'extérieur, de sorte que la disposition n'est pas applicable en cas de suicide (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3e éd., Berne 2010, n. 14 ad art. 127). D'autres auteurs sont plus nuancés, ne l'excluant que pour autant que la victime fût capable de discernement (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op.cit., n. 15 ad art. 127; M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER, Basler Kommentar Strafrecht I : Art. 1-136 StGB, 4ème éd., Bâle 2019, n. 23 ad art. 127).

Le Tribunal fédéral a laissé la question ouverte, tout en rappelant que l'application de l'art. 127 CP supposait à tout le moins que la victime se trouve hors d'état de se protéger et que, dans le cas d'espèce, l'autorité cantonale avait considéré que rien n'indiquait que la victime aurait été incapable de sauvegarder sa santé mais était au contraire responsable de ses actes (arrêt du Tribunal fédéral 6B_143/2020 du 1er avril 2020 consid. 2.5).

6.2. Est capable de discernement au sens de l'art. 16 CC, toute personne qui n'est pas privée de la faculté d'agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d'ivresse ou d'autres causes semblables. La capacité de discernement comporte deux éléments: un élément intellectuel, la capacité d'apprécier le sens, l'opportunité et les effets d'un acte déterminé, et un élément volontaire ou caractériel, la faculté d'agir en fonction de cette compréhension raisonnable, selon sa libre volonté (ATF 144 III 264 consid. 6.1.1; 134 II 235 consid. 4.3.2). Elle est par ailleurs relative en ce sens qu'elle ne doit pas être appréciée dans l'abstrait, mais concrètement, par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance, les facultés requises devant exister au moment de l'acte (ATF 144 III 264 consid. 6.1.1; 134 II 235 consid. 4.3.2).

6.3. En l'occurrence, les recourants n'avancent aucun élément permettant de penser que E______ n'était pas capable de se protéger, voire aurait été incapable de discernement, à l'époque de son suicide, le jeune homme étant majeur et ne souffrant ni de déficience intellectuelle, ni de maladie psychique de nature à l'empêcher d'apprécier les conséquences de son acte.

Les notes manuscrites qui ont été trouvées dans ses affaires, empreintes d'humour, en dépit de la détresse qui transparaît dans leurs lignes, ne permettent pas non plus de déduire que E______ n'était pas en possession de ses facultés intellectuelles et volitives.

La veille de son suicide, après avoir accompagné E______ lors d'une discussion avec une juriste de O______ portant sur les différentes options qui s'offraient à lui, son éducateur référant, K______, a contacté le CAPPI pour une reprise de suivi, sans mentionner d'urgence, ni de menace de passage à l'acte, car aucun indice, dans l'attitude du jeune homme, n'avait alerté l'intéressé quant à une possible atteinte à sa capacité de discernement.

Les deux témoins entendus par la police le ______ novembre 2022 n'ont quant à eux pas décrit de comportement laissant penser que E______, au moment de sauter du pont, aurait été privé de sa capacité de discernement, le suicide n'étant lui-même pas suffisant à cet égard (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_646/2020 du 9 décembre 2021 consid. 1.3.2 et 1.3.3. sur le "droit au suicide").

Dans ces conditions, il n'apparaît pas utile d'interroger les médecins qui suivaient E______ (dans la mesure où ils ne l'avaient pas revus depuis la notification de l'arrêt du Tribunal administratif fédéral), ni H______ (dont l'entrevue avec le jeune homme est antérieure aux contacts qu'il a eus avec K______), ni ses amis du foyer G______, dont rien n'indique, à supposer qu'ils soient identifiables et localisables, qu'ils ont côtoyé le jeune homme le jour de son décès et seraient mieux à même de se prononcer sur sa capacité de discernement au moment de l'acte que les autres personnes susmentionnées.

Faute d'indices et de soupçons suffisants d'une incapacité de discernement de l'intéressé au moment de l'acte, le classement prononcé par le Ministère public sur ce point est donc exempt de critique.

7. Les recourants invoquent enfin la possible commission de l'infraction d'omission de prêter secours.

7.1. L'art. 128 al. 1 CP réprime, dans une première hypothèse, quiconque ne prête pas secours à une personne qu’il a blessée, alors que l’on peut raisonnablement l’exiger de lui, étant donné les circonstances.

L'auteur ne peut être que celui qui a blessé lui-même la victime. Le lien entre le comportement de l'auteur et la blessure est une pure relation de cause à effet, abstraction faite de toute considération relative à la faute ou à l'illicéité. Ainsi, il faut et il suffit que le comportement de l'auteur soit la ou l'une des causes, directe ou indirecte de la blessure, autrement dit que ce comportement soit un "maillon de la chaîne" qui a provoqué la blessure (arrêt du Tribunal fédéral 6S_489/2006 du 20 mars 2007 consid. 3.1).

Par blessure, on entend non seulement la lésion corporelle, mais aussi psychique. On peut en effet considérer qu’une personne en état de choc, sans blessure physique, a autant besoin d’aide qu’une personne saignant abondamment (F. CHARLET, L'omission de prêter secours, ou l'apathie (excusable ?) de la population, consultable sur https://francoischarlet.ch/2014/lomission-de-preter-secours-ou-lapathie-excusable-de-la-population/).

Indépendamment de la réalisation des autres conditions posées par cette disposition, l'obligation de prêter secours n'est pas absolue et n'est pénalement répréhensible que si elle est intolérable, c'est-à-dire dans les hypothèses où aucun secours n'aura été prêté à la victime et ce alors que l'on pouvait raisonnablement l'exiger de l'auteur. Le devoir d'apporter de l'aide s'éteint cependant lorsque l'aide ne répond manifestement plus à aucun besoin, notamment lorsque la personne est elle-même en mesure de s'assumer, que des tiers la prennent en charge de manière suffisante ou qu'elle refuse expressément l'aide proposée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_813/2015 du 16 juin 2016 consid. 1.3).

7.2. Dans une deuxième hypothèse, la disposition vise quiconque, dans les mêmes conditions, ne prête pas secours à une personne en danger de mort imminent.

Cette hypothèse n'entre toutefois en principe pas en ligne de compte face à une personne suicidaire prête à passer à l'acte, la question étant réglée de façon exhaustive par l'art. 115 CP (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI [éds], op.cit., n. 9 ad. art. 128)

7.3. En l'occurrence, au vu du principe sus-énoncé, l'application de l'art. 128 al. 1 2èmehypothèse CP doit d'emblée être écartée.

En ce qui concerne la première hypothèse, la question de savoir si la décision de renvoi a causé à E______ une blessure psychique susceptible de tomber sous le coup de l'art. 128 al. 1 1ère hypothèse CP peut rester ouverte. Si les recourants reprochent aux fonctionnaires du SEM, respectivement aux magistrats du Tribunal administratif fédéral, d'avoir "blessé" psychiquement le jeune homme en prononçant son renvoi et de ne pas lui avoir ensuite prêté secours, ils ne décrivent aucune des mesures que ceux-ci auraient pu et dû prendre pour ne pas tomber sous le coup de cette disposition. Or, comme relevé plus haut (cf. supra ch. 5.4), l'on ne voit pas quels actes auraient dû accomplir ces autorités, dès lors qu'elles savaient d'une part que E______ était assisté d'un mandataire professionnel à même de lui expliquer les tenants et aboutissants de leur décision, d'en évaluer l'impact sur le jeune homme et, cas échéant, d'alerter des intervenants compétents et, d'autre part, que l'intéressé était pris en charge par le canton de Genève, y compris par un médical, étant rappelé qu'aucun manquement n'a été constaté.

Il n'existe par conséquent en l'état pas de soupçons suffisants que les autorités fédérales ou cantonales auraient omis d'accomplir des actes précis que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elles.

Le classement de l'infraction réprimée par l'art. 128 CP prononcé par le Ministère public est donc conforme à l'art. 319 CPP.

8.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

9.             Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, arrêtés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

10.         Conséquemment, aucune indemnité pour leurs frais d'avocat ne leur sera allouée (art. 433 cum 436 CPP), aucune indemnité n'étant due du chef de l'assistance judiciaire gratuite octroyée pour la procédure de première instance, faute d'avoir fait l'objet d'une nouvelle demande devant la Chambre de céans (art. 136 al. 3 CPP).

Eût-elle été requise, qu'elle aurait dû être rejetée, l'action pénale étant vouée à l'échec (art. 136 al. 1 let. b CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______, B______ et C______, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux parties, soit pour elles leur avocate, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD, juge, et Monsieur Pierre BUNGENER, juge suppléant; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/25423/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00